Architecture gothique
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L'architecture gothique est un style architectural d'origine française qui s'est développée à partir de la seconde partie du Moyen Âge en Europe occidentale. Elle apparaît en Île-de-France et en Haute-Picardie au XIIe siècle. Elle se diffuse rapidement au nord puis au sud de la Loire et en Europe jusqu'au milieu du XVIe siècle et même jusqu'au XVIIe siècle dans certains pays. L'esthétique gothique et ses techniques se perpétuent dans l'architecture française au-delà du XVIe siècle, en pleine période classique, dans certains détails et modes de constructions. Enfin, un véritable renouveau apparaît avec la vague de l'historicisme du XIXe siècle jusqu'au début du XXe siècle. Le style a alors été qualifié de néogothique.
L'architecture dite « gothique » apparaît au début du XIIe siècle dans le domaine royal français et les seigneuries ecclésiastiques qui lui sont associées (Laon, Noyon, Beauvais), probablement sans porter d'appellation particulière jusqu'au XVe siècle, car ce nouveau style n'est d'abord que le développement rationnel de techniques de construction utilisées dans des constructions romanes.
Comme l'écrit Suger après l'inauguration de l'abside de l'abbatiale Saint-Denis, il voulait faire entrer plus de lumière dans l'église car « Dieu est lumière ». C'est le développement vertical des constructions avec l'augmentation des surfaces vitrées qui va en faire une architecture originale. Toutefois, Burkhard von Hall, moine de l'abbaye Saint-Pierre de Wimpfen im Tal, rapporte dans une chronique de Wimpfen, écrite vers 1280/90, la nouvelle construction de l'église de cette abbaye, commencée en 1269, et qualifie la technique utilisée d'opus francigenum, c'est-à-dire, littéralement, une « mise en œuvre française »[1].
- Cathédrale de Laon – transition du gothique primitif (avec tribunes) au gothique classique (avec triforium sans fenêtres).
- Basilique de Saint-Denis - Claire-voie et triforium du gothique rayonnant sur le déambulatoire du gothique primitif.
- Cathédrale d'Amiens – transept avec nef (à droite, 1220–1236, gothique classique) et chœur (à gauche, 1236–1269, gothique rayonnant).
- Chœur (1248–1304) de la cathédrale de Cologne, gothique rayonnant (triforium avec fenêtres).
Plus tard, vers 1500, on a opposé volontiers en Europe le gothique tardif ou flamboyant, qualifié de « moderne », au style italianisant, qualifié de « à l'antique »[2]. Le terme « gotico » est, semble-t-il, utilisé pour la première fois par le peintre Raphaël (ou par Bramante ou encore Baldassarre Peruzzi) en 1518 dans un rapport adressé à un pape (Léon X ou Jules II) sur « la conservation des monuments antiques » : l'auteur de ce texte considère que les arcs en ogive de l'architecture gothique rappellent la courbure des arbres formant les cabanes primitives des habitants des forêts germaniques — un mythe qui réapparaîtra chez les romantiques — et fait référence, de manière neutre, à l'art gothique du XVe siècle, désignant par contre l'« art français » médiéval sous le terme art tudesque[3]. « Gotico » est ensuite repris avec une connotation péjorative par le critique d'art Giorgio Vasari en 1530, qui fait, lui, référence au sac de Rome par les « barbares » Goths. L'art gothique était donc l'œuvre de barbares pour les Italiens de la Renaissance, car il aurait résulté de l'oubli des techniques et des canons esthétiques gréco-romains.
L'art gothique a également été critiqué par quelques auteurs français tels que Nicolas Boileau, Jean de La Bruyère, Molière ou Jean-Jacques Rousseau, avant d'être réhabilité par des architectes comme Francesco Borromini ou Jan Blažej Santini-Aichel, inventeur du style baroque gothique[4].
« [Le] fade goût des ornements gothiques,
Ces monstres odieux des siècles ignorants,
Que de la barbarie ont produit les torrents... »
— Molière
Il faut noter, à propos de cette étymologie fondée sur un jugement de valeur liée à une rupture historique, que la plupart des archéologues et des historiens de l'art rejettent celle-ci et montrent que[réf. nécessaire], par rapport à l'architecture romane qui la précède, l'architecture gothique n'est pas tant une rupture qu'une évolution.
Enfin, son identité très forte est autant philosophique qu'architecturale. Elle représente probablement, de ces deux points de vue, l'un des plus grands accomplissements artistiques du Moyen Âge.
Même s'il est courant de définir l'architecture gothique par l'usage de l'arc brisé (l'« ogive » des anciens antiquaires qui remplace l'arc en plein cintre) permettant aux murs de gagner en hauteur, la voûte sur croisée d'ogives qui permet à l'édifice de prendre en largeur et l'arc-boutant pour étayer la maîtresse voûte, on ne saurait réduire un style architectural précis, ou tout autre art, à des caractéristiques techniques. L'époque gothique est marquée par leur utilisation de plus en plus systématique qui permet, entre autres, d'évider plus largement les murs, ce qui conduit les maîtres d'œuvre, dans leur quête effrénée de la lumière, à la quasi-disparition de la paroi et à son remplacement par d'immenses verrières dans l'architecture rayonnante[5].
À l'encontre d'une idée reçue, l'arc brisé, la voûte sur croisée d'ogives et l'arc-boutant ne sont pas des inventions gothiques. Ils sont utilisés bien avant l'apparition des premiers bâtiments gothiques[note 1],[note 2]. Caractéristiques de l'époque gothique, l'arc brisé et l'arc-boutant sont employés dans l'architecture romane de Bourgogne et généralisés très tôt par les cisterciens, la voûte sur croisée d'ogives apparaît dans l'architecture romane normande[6].
De nombreux autres procédés architecturaux ou décoratifs ont été employés. L'alternance de piles fortes et piles faibles rythme la nef et renforce ainsi l'impression de longueur, d'horizontalité. Le rapport hauteur/largeur de la nef accentue ou diminue la sensation de hauteur de la voûte. La forme des piles, la décoration des chapiteaux, la proportion des niveaux (grandes arcades, triforium, fenêtres hautes)... participent tous à l'expression de l'esthétique de l'architecture gothique :
- volonté de hauteur (cathédrale Saint-Pierre de Beauvais) ;
- recherche de verticalité (cathédrale Notre-Dame d'Amiens) ;
- alternance des vides et des pleins (cathédrale Notre-Dame de Laon) ;
- fusion de l'espace (cathédrale Saint-Étienne de Bourges) ;
- multiplication des jeux de lumières et de couleurs (cathédrale Notre-Dame de Chartres)
- volonté d'accueillir le plus grand nombre de fidèles (les deux tiers de l'église gothique sont désormais réservés aux laïcs)[7].
Ainsi, les éléments architecturaux ont été mis au service de choix et de recherches esthétiques. Ils n'ont été que des outils pour obtenir les effets recherchés. Pour élever les nefs toujours plus haut, il a fallu améliorer la technique de l'arc-boutant. Pour augmenter la lumière et évider les murs, l'usage de l'arc brisé était mieux adapté. Les piles fasciculées ont homogénéisé l'espace et donné une sensation de logique aux volumes.
Enfin, l'esthétique de l'architecture gothique est généralement associée à une polychromie, à l'intérieur et à l'extérieur, notamment pour les sculptures, les arcs et les moulures, mais aussi fréquemment sur les parois. Ces décors ont fait l'objet des recherches de l'archéologie du bâti, discipline qui a pris son essor dans les années 1990. Contrairement à la vision que le public en a aujourd'hui, les églises à l'époque gothique sont parfois revêtues d'une épaisse couche d'enduit ou de mortier ornés d'un faux appareil ou de couleurs produites par des pigments, de la feuille d'or ou des inclusions de matériaux polychromes (voire pour les toitures par des tuiles vernissées ou des tables de plomb polychromes). Cette ornementation chromatique, tout en contribuant à la protection de l'église, notamment du gel, participe à l'effet de transparence, favorisant la confusion visuelle entre la paroi et l'enveloppe et niant la réalité lithique de l’édifice sous le voile d'une luminance incarnée[8].
Le style gothique apparaît essentiellement en Île-de-France et en Haute-Picardie[9], les tout premiers édifices « protogothiques » naissant dans la région francilienne. La principale hypothèse pour expliquer ces lieux de naissance francilien et picard est qu'ils sont essentiellement peuplés à cette époque de monuments paléochrétiens, notamment de cathédrales à murs fins, charpentées et percées de nombreuses baies. Ces régions sont donc déjà préparées aux choix techniques et esthétiques du gothique. De plus, elles voient l'avènement des Capétiens et la consolidation de l'État qui, à mesure de l'annexion des fiefs féodaux, impose comme symbole du pouvoir royal le renouvellement de ces édifices. Enfin, elles sont à la frontière de régions dynamiques au niveau des inventions architecturales : la Bourgogne (arc brisé inventé à l'abbaye de Cluny, arcs-boutants inventés à Cluny), la voûte sur croisée d'ogives du monde anglo-normand (cathédrale de Durham, abbaye de Lessay). Lieu de passage, de brassage, l'Île-de-France et la future Picardie voient les premiers maîtres gothiques synthétiser toutes ces influences[10].
Le style évolue dans le temps : au gothique dit « primitif » (XIIe siècle) succèdent en France le gothique « classique » (1190-1230 environ), puis le gothique « rayonnant » (v.1230 - v.1350) et enfin le gothique « flamboyant » (XVe siècle / XVIe siècle). En France, l'arrivée en 1495 d'une colonie d'artistes italiens à Amboise va donner naissance à un style hybride de structure gothique et de décor Renaissance, c'est le style Louis XII[11],[12].
Son expansion géographique se fait essentiellement en Europe occidentale et l'architecture gothique se décline en de nombreuses variantes locales : gothique angevin, normand, perpendiculaire...
Ville | Dates (début de construction) | Hauteur sous nef (en mètres) | Hauteur tour ou plus haute flèche (en mètres) | Longueur totale (en mètres) |
---|---|---|---|---|
Sens | environ 1135 | 24,4 |
78 (tour nord) |
113 |
Saint-Denis | 1135 | 28,92 (voûte 13°) |
90 (future flèche nord façade reconstruite) |
108,16 |
Noyon | environ de 1140 | 22 |
66 (tour nord) |
103 |
Rouen | vers 1145 à 1506 | 28 |
151 |
144 |
Cambrai | 1148 (détruite en 1794) | 27 (nef) |
114 (tour) |
131 |
Laon | 1155 | 25 |
60,5 (tour façade sud du transept) |
110,5 |
Arras | 1160 (détruite en 1799) | 30 |
75 (tour du nord) |
120 |
Paris | 1163 | 35 |
69 (2 tours de la façade)
96 (flèche détruite le 15 avril 2019, devant être reconstruite à l'identique) |
128 |
Saint-Quentin | 1170 | 34 |
83 (flèche) |
123 |
Soissons | 1176 à 1479 | 31 (chœur) |
66 (tour Sud) |
116 |
Strasbourg | 1190 à 1439 | 31 |
142,11 |
111 |
Bourges | 1192 | 38 |
65 (tour Nord) |
118 |
Chartres | 1194 | 37,5 |
115 (clocher gothique) |
130 |
Angers | XIIe siècle | 24,7 |
75 (2 tours façade) |
90 |
Troyes | 1208 - XVIIe siècle | 29,50 |
62,34 (tour) |
114 |
Reims | 1211 | 38 |
87 |
149 |
Toul | 1210-1220 | 30 |
62 |
100 |
Auxerre | 1215 | 30 |
68 (tour nord) |
98 |
Le Mans | environ 1220 | 24 (nef), 34 (chœur) |
64 (tour) |
120 |
Amiens | 1220-1269 | 42,50 |
68,19 (tour nord) 112,70 (flèche) |
133,50 (intérieur) 145 (hors œuvre) |
Beauvais | 1225-1569 | 48,50 |
67,2 (bâtiment) - Ancienne tour (démolie) 151,6 |
70 |
Metz | 1235 à 1520 | 41,77 |
93 |
123 |
Orléans | 1287 à 1829 | 31,75 |
114 |
136,10 (intérieur) 143,85 (hors œuvre) |
Depuis la fin du Xe siècle, les églises sont construites dans le style roman commun à une grande partie de l'Europe occidentale : les nefs sont souvent couvertes d'une voûte en berceau ; les murs sont épais et soutenus par des contreforts massifs situés à l'extérieur. Le nombre et l'ampleur des fenêtres sont limités et l'intérieur des édifices est décoré par des fresques aux couleurs vives.
Les historiens d'art actuels, se basant sur les découvertes de l'archéologie du bâti, tendent à diminuer la rupture entre les styles roman et gothique, en démontrant que l'héritage antique n'a pas été complètement oublié du style gothique. Les sculpteurs et les architectes s'inspirent souvent des méthodes romaines. La maîtrise précoce de l'art du vitrail se retrouve dans les églises du haut Moyen Âge dont les verrières prennent place à des endroits précis de l'édifice, en lien probablement avec la liturgie. La quête de lumière s'intensifie dans l'architecture carolingienne qui fait un usage accru du vitrail, lequel investit toutes les baies des édifices religieux[13]. Les murs épais des églises romanes peuvent être percés dans leur niveau supérieur de larges baies qui apportent davantage de lumière, caractéristique notamment des grandes églises normandes de la seconde moitié du XIe siècle[14].
Bien que des éléments techniques utilisés par les maîtres d'œuvre de l'époque existent depuis de nombreux siècles (ogive), l'édification du chœur et de la façade de la basilique Saint-Denis et de la cathédrale Saint-Étienne de Sens sont généralement considérés comme les premiers jalons majeurs dans la genèse de l'esthétique gothique en architecture[15],[16].
Les premiers édifices gothiques apparaissent vers les années 1130-1150 en Île-de-France et surtout en Picardie.
À cette époque, la croissance démographique (en lien avec la croissance agricole et commerciale) commande une augmentation de la taille des édifices religieux (les cathédrales de Trèves et de Genève au IVe siècle sont cependant immenses, au regard de leur population, ce qui traduit une autre motivation : l'orgueil des évêques ou abbés à l'origine de la construction de ces premiers édifices gothiques puis le « patriotisme urbain »[17]). La religion, le culte des reliques sont une composante essentielle de la vie des fidèles.
La diffusion des innovations techniques rend le travail plus productif. Enfin, les villes et le commerce se développent, ce qui entraîne l'émergence d'une riche bourgeoisie qui souhaite s'émanciper du pouvoir de la seigneurie féodale dès le XIe siècle par l'obtention de franchises (droit d'impôts, de justice...) et l'exemption de droits seigneuriaux précisées dans les chartes de communes. Cette bourgeoisie souhaite s'émanciper aussi du pouvoir ecclésiastique en tenant ses conseils municipaux non plus dans les églises, mais dans les hôtels de ville dont les beffrois concurrencent les clochers. Au gré des circonstances, ces trois pouvoirs s'affrontent ou s'allient (il peut même y avoir concurrence entre le clergé cathédral et celui des autres églises paroissiales dont la responsabilité de la collecte et l'administration des fonds pour sa construction est assurée par le conseil de fabrique) pour le financement de nouvelles églises et cathédrales.
Ces sources de financement sont essentiellement les revenus de l’évêque (c'est lui qui est toujours à l'initiative de ces premiers édifices gothiques, le chapitre de chanoines prendra le relais au milieu du XIIIe siècle à mesure que les chanoines jouent un rôle plus important), les dons de nobles (donations en « pure, perpétuelle et irrévocable aumône » ou demande de messes), de bourgeois (notamment pour leur salut), de corporations (se faisant par exemple représenter dans les vitraux en retour) et les contributions de tous les fidèles (quêtes, indulgences, transport des reliques...)[18].
Premières réalisations
- Nef de la cathédrale de Sens.
- Élévation de la cathédrale de Sens.
- Chœur de Saint-Étienne de Caen.
- Élévation de la nef de la cathédrale de Laon.
- Élévation de la nef de la cathédrale de Noyon.
- Transept sud de la cathédrale de Soissons
Même si elle ne fut consacrée qu'en 1163, les travaux de la cathédrale Saint-Étienne de Sens ont commencé en 1135 et de fait elle est considérée comme la première des cathédrales gothiques. Néanmoins, les premiers essais ne concernent pas les cathédrales.
Les églises et abbatiales de Saint-Martin de Paris (chœur de 1130) et de Saint-Germer-de-Fly (1135) présentent déjà quelques traits du gothique. Elles sont antérieures à l'abbatiale de Saint-Denis, mais celle-ci est une des premières constructions religieuses encore debout à se démarquer nettement du style roman[10].
L'abbaye bénédictine de Saint-Denis est un établissement prestigieux et riche grâce à l'action de Suger, abbé de 1122 à 1151. Ce dernier souhaite rénover la vieille église carolingienne afin de mettre en valeur les reliques de saint Denis dans un nouveau chœur : pour cela, il souhaite une élévation importante et des baies qui laissent pénétrer la lumière.
Suger décide d'achever la construction de sa nouvelle abbatiale en s'inspirant du nouveau style entraperçu dans la cathédrale Saint-Étienne de Sens. En 1140, il fait édifier une nouvelle façade occidentale du type « harmonique », en s'inspirant des modèles normands de l'âge roman, comme l'abbatiale Saint-Étienne de Caen qui offre un bel exemple de façade harmonique normande, rompant avec la tradition carolingienne du massif occidental. En 1144, la consécration du chœur de la basilique marque l'avènement d'une nouvelle architecture. Reprenant le principe du déambulatoire à chapelles rayonnantes en le doublant, il innove en prenant le parti de juxtaposer les chapelles, autrefois isolées, en les séparant par un simple contrefort. Chacune des chapelles comporte de vastes baies jumelles munies de vitraux filtrant la lumière. Le voûtement adopte la technique de la croisée d'ogives qui permet de mieux répartir les forces vers les piliers.
Le premier art gothique s’étend durant la seconde partie du XIIe siècle dans le Nord de la France. Le clergé séculier est alors tenté par un certain faste architectural. Saint-Denis passe pour le prototype : mais ce parti, très audacieux, ne sera pas immédiatement compris et suivi (façade harmonique, double déambulatoire, voûtes d'ogives). La cathédrale Saint-Étienne de Sens est un autre exemple initiateur de ce mouvement, moins audacieux que Saint-Denis : alternance des supports (piles fortes et piles faibles), voûtes sexpartites, murs qui restent relativement épais - l'utilisation des arcs-boutants ne se généralisera qu'à la période gothique classique (même s'ils font leur première apparition attestée à Saint-Germain-des-Prés[19], dès les années 1150, jusqu'à la découverte de cet élément architectural en 1130 à Cluny[10]). Toutefois, des innovations telles que l'absence de transept qui unifie l'espace et un éclairage plus abondant, peuvent être constatées.
L'élévation du gothique primitif se fait alors sur quatre niveaux : Grandes arcades, tribunes, triforium et fenêtres hautes, les tribunes devenant ainsi l'une des caractéristiques principales des années 1140-1180 comme aux cathédrales de Laon, Noyon, Saint-Germer-de-Fly et bien que remanié à Senlis... Les apports de Sens sont compris plus vite que ceux de Saint-Denis. La cathédrale de Sens va avoir davantage de répercussions et rapidement de nombreux édifices vont suivre son exemple, au nord de la Loire dans un premier temps.
La cathédrale de Laon présente encore une forme « archaïque » en conservant une élévation à quatre niveaux, dont des tribunes. Le contrebutement de la nef, malgré des voûtes sexpartites et une alternance piles fortes / piles faibles, n'est pas encore pleinement résolu.
Ville | Édifice | Début des travaux[20] | Fin des travaux (gros-œuvre) | Date de la consécration |
---|---|---|---|---|
Sens | Saint-Étienne | 1135 | Entre 1490 et 1517 | 1164 |
Noyon | Notre-Dame de Noyon | 1145 | 1235 | |
Senlis | Notre-Dame de Senlis | 1153 | inconnue | |
Laon | Notre-Dame de Laon | 1155 | 1235 | |
Soissons | Saint-Gervais-et-Saint-Protais (bras sud du transept) | 1176 | Fin du XIIe siècle | 25 avril 1479 |
- Chartres, chœur restauré.
Historique
Dès l'époque de Philippe-Auguste, à la fin du XIIe siècle, la monarchie française s'affirme avec une expansion de son pouvoir et de son territoire : faisant suite à sa rivalité avec les Plantagenêts, l'Aquitaine et la Normandie sont rattachés à la France dès le début du XIIIe siècle, l'achèvement de la croisade des Albigeois, en 1229, se termine par l'annexion du comté de Toulouse en 1271[21]. Le Saint Empire romain germanique perd également son prestige au profit du Roi de France à la suite de la bataille de Bouvines. La France s'impose ainsi comme la première puissance de l'occident chrétien qui se manifestera par les deux croisades du règne de Saint-Louis et la fondation à Paris de la première université d'Europe.
Les caractéristiques
Le gothique classique ouvre ce qu'on appellera au XIIIe siècle, le « Siècle des cathédrales » : Il correspond à la phase de maturation et d'équilibre des formes (fin XIIe siècle-1230 environ). Des centaines d'églises sont construites ou modifiées dans les villes et villages ou pour les monastères en tenant compte des nouveaux principes dès la fin du XIIe siècle. Dans les cathédrales, le rythme et la décoration se simplifient et l'architecture s'uniformise : l'élan vertical est de plus en plus prononcé tandis que l'arc boutant, qui enjambe les bas-côtés pour transmettre la poussée de la voûte centrale, devient un organe essentiel. Son utilisation systématique permet à Chartres, la création régulière grâce à la voûte sexpartite et l'abandon du principe de piles alternées très marqué à Sens. C'est dans le domaine royal de la dynastie capétienne en pleine affirmation que le style trouve son expression la plus classique[22].
Pour cette période, on commence à connaître le nom des architectes, notamment grâce aux labyrinthes (Reims). Les maîtres d'œuvre rationalisent la production en ayant progressivement recours à la préfabrication des pierres de taille en carrière, et à la standardisation[23] des modules de maçonnerie[24]. La mise au point des arcs-boutants permet de supprimer les tribunes qui jusqu'alors jouaient ce rôle. Les autres pays d'Europe commencent à s'intéresser à cette nouvelle forme architecturale comme en Angleterre à Canterbury et Salisbury ou en Espagne à Tolède et Burgos.
Opposition du modèle chartrain et du modèle de Bourges
Les historiens de l'art envisagent très tôt le projet ambitieux de la cathédrale de Chartres comme étant le prototype du gothique classique : c'est le modèle chartrain où l'on va rechercher l'équilibre entre les lignes verticales et les lignes horizontales ainsi que la planitude des murs.
La construction de la cathédrale chartraine s'inscrit dès 1194 dans un contexte d'émulation générale faite d'échanges et de transferts d'expérience[25] : rendu possible grâce au perfectionnement du contrebutement et à la meilleure maîtrise de la croisée d'ogives, on sacrifie les tribunes si caractéristiques des années 1140-1180. Le grand vaisseau adopte désormais une élévation à trois niveaux : grandes arcades, triforium et fenêtres hautes. De l'étagement sur un seul plan, on obtient une planitude nouvelle de la paroi murale.
La base des piliers se réduit par rapport à Noyon et le tore inférieur plus écrasé commence à déborder de l'aplomb du socle. La mise en place d'un nouveau type de pilier à quatre colonnes engagées va pouvoir créer une répétition à l'infini tout en augmentant visuellement l'élan vertical. Les grandes arcades en arcs brisés sont agrandies et profilées d'un méplat reposant entre deux tores sur des colonnes à supports engagés. Pour ne pas rompre l'élan des lignes verticales, les crochets des chapiteaux sont désormais remplacés par des bagues de feuillages appliquées à la corbeille. L'abandon du voûtement sexpartite au profit d'un voûtement quadripartite dit barlong, est une grande innovation créant une ordonnance régulière obtenue par la suppression définitive de l'alternance des supports. Elle est pourtant subtilement rappelée en tant que motif décoratif, par la variation du dessin des piliers qui sont alternativement circulaire et octogonal[26]. Le triforium à quatre arcades brisées, soulignées par deux bandeaux profilés en amandes, devient ici « continu », créant ainsi une puissante horizontale[27]. Autre nouveauté, les murs ne devenant plus un soutien mais plutôt une clôture, les fenêtres hautes peuvent dorénavant occuper toute la largeur du mur développant ainsi l'espace réservé aux verrières[28] : composées de deux lancettes géminées systématiquement brisées, ces fenêtres atteignent maintenant la même hauteur que les grandes arcades, amenant ainsi plus de lumière à l'édifice. Elles sont surmontées d'une grande rose à huit lobes qui permettent l'épanouissement de la technique du vitrail[29]
La cathédrale gothique type présente une façade dite « harmonique », c'est-à-dire encadrée de deux tours symétriques. Sa composition extérieure reflétant ses dispositions intérieures, elle montre trois portails richement ornées ouvrant sur une nef et deux bas-côtés ou, exceptionnellement, comme à Bourges, cinq portails correspondant à cinq vaisseaux. Au-dessus, elle est percée d’une grande rose ou alors d’une immense verrière en tiers-point. Une galerie coupe horizontalement l’élévation ; ajourée de niches habitées par les statues des rois et prophètes de l’Ancien testament, elle est dite « galerie des rois ».
La façade harmonique parfaite est cependant assez rare. Si l’on compte celles à tours inachevées, dissymétriques ou terminées postérieurement à l’époque gothique, seule une quarantaine de cathédrales en Europe montrent une telle disposition. Cette façade constitue déjà la première page d’un gigantesque livre d’histoire religieuse, proposant au fidèles de découvrir l’Ancien testament gravé dans la pierre des portails.
Cette élévation à trois niveaux ne sera pourtant pas reconnue comme un acte fondateur du gothique classique. C'est bien la transformation de la perception des volumes et de l'espace intérieur par la planitude des murs et par cet équilibre nouveau entre les lignes verticales et les lignes horizontales qui marquera une réelle avancée. L'esthétique définie aura une grande postérité. Le modèle chartrain sera non seulement repris à Reims et à Amiens, mais également à l'étranger, en Angleterre d'abord, dans les cathédrales de Canterbury et Salisbury, puis en Espagne à Burgos et plus tard dans le Saint Empire romain germanique, à la cathédrale de Cologne.
Face au modèle chartrain, la cathédrale de Bourges, dès 1195, représente une autre esthétique : contrairement à la cathédrale de Chartres, les effets recherchés sont essentiellement des jeux de volumes avec une perspective longitudinale et un profil pyramidal.
Henri de Sully, archevêque de Bourges fait une donation au chapitre de la cathédrale de Bourges pour la construction d'un nouvel édifice. L'archevêque est frère d'Eudes de Sully, évêque de Paris, d'où une similitude de plan et d'élévation avec la cathédrale Notre-Dame de Paris. Si l'idée d'un double déambulatoire est reprise, le transept est ici supprimé, contribuant à la sensation d'unité de l'espace et de longueur de l'édifice, totalement dépourvu de l'axialité appuyée qui caractérise le modèle chartrain. Nouveauté de l'époque, toutes les moulures et les chapiteaux ont la même hauteur, avec deux diamètres seulement de colonnettes, quelle que soit leur position dans l'édifice[30]. Si comme à Chartres, les tribunes sont sacrifiées pour une élévation à trois niveaux, on reste pourtant fidèle comme à Paris, à la voûte gothique sexpartite, ce qui entraîne dans la nef centrale, l'adoption d'une alternance de piles faibles et fortes qui sera habilement dissimulée par la présence de huit colonnettes engagées sur un cylindre. Cette plasticité se maintiendra d'ailleurs en Bourgogne, à Saint-Étienne d'Auxerre ou à Notre-Dame de Dijon.
L'effet obtenu surprend aussi bien par l'absence de transept que par une ouverture visuelle sur le double bas-côté se prolongeant autour du chœur : en résulte une perspective longitudinale avec une impression d'immense espace intérieur libéré de tout cloisonnement et dont les volumes ouvrant les uns sur les autres entrent en totale opposition avec le modèle chartrain qui met surtout l'accent sur la hauteur et l'axe menant au chœur[30]. On aboutit ainsi au profil pyramidal de la coupe transversale, les cinq nefs étant hautes respectivement de 9 mètres, 21,30 mètres et 37,50 mètres[30] depuis les bas-côtés extérieurs jusqu'à la nef centrale. En complément, le modèle de Bourges offre une recherche nouvelle sur la lumière : les collatéraux intérieurs, dotés de triforiums, ont une élévation à trois niveaux et la disposition des nefs, chacune pourvue de fenêtres hautes, permet d'apporter un éclairage latéral s'additionnant à celui du sommet de la nef centrale et du chœur.
Malgré toutes ces innovations, le modèle de Bourges aura peu de postérité : il ne sera seulement repris qu'à Saint-Julien du Mans, remanié à Saint-Pierre de Beauvais et ne se retrouvera à l'étranger qu'à Sainte-Marie de Tolède.
Ville bénéficiaire | Édifice | Début des travaux[20] | Fin des travaux (gros-œuvre) | Date de la consécration |
---|---|---|---|---|
Le Mans | Saint-Julien du Mans | 1158 | 1430 | 1254 |
Soissons | Saint-Gervais-Saint-Protais | vers 1190 | Deuxième moitié du XIIIe siècle | 25 avril 1479 |
Chartres | Notre-Dame de Chartres | 1194 | vers 1220 | 1260 |
Bourges | Saint-Étienne de Bourges | 1195 | 1230 | 13 mai 1324 |
Toul | Saint-Étienne de Toul | vers 1210 | 1497 (façade) | vers 1400 |
Reims | Notre-Dame de Reims | 1211 | 1275 | 1360 |
Amiens | Notre-Dame d'Amiens | 1220 | 1264 | 1455 |