Bouddhisme
religion et philosophie reposant sur les enseignements de Siddhartha Gautama / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Le bouddhisme est une religion et une philosophie dont les origines se situent en Inde aux VIe – Ve siècles av. J.-C. à la suite de l'éveil de Siddhartha Gautama à Bodhgaya dans le Bihar et de la diffusion de son enseignement.
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Les notions de dieu et de divinité dans le bouddhisme sont particulières : bien que le bouddhisme soit souvent perçu comme une religion sans dieu créateur[n 1], cette notion étant absente de la plupart des formes du bouddhisme[n 2], la vénération et le culte du Bouddha historique Siddhartha Gautama en tant que bhagavat jouent un rôle important dans le Theravāda tout comme dans le Mahāyāna, qui voient en ce personnage un être éveillé doté d’un triple corps[n 3].
Le bouddhisme, à travers ses différentes écoles, présente un ensemble ramifié de pratiques méditatives, de rituels religieux (prières, offrandes), de pratiques éthiques, de théories psychologiques, philosophiques, cosmogoniques et cosmologiques, abordées dans la perspective de la bodhi, « l'éveil ». À l'instar du jaïnisme, le bouddhisme est à l'origine une tradition shramana, et non brahmanique comme l'est l'hindouisme[n 4].
En 2018, on compte (mais le chiffre doit être pris avec prudence) quelque 623 millions de bouddhistes dans le monde[1], ce qui fait du bouddhisme la quatrième religion mondiale, derrière (par ordre décroissant) le christianisme, l'islam et l'hindouisme. Toutefois, il pourrait passer de 7 % à quelque 5 % de la population mondiale vers 2060, du fait d'un taux de fécondité relativement bas et d'un nombre de conversions pas assez important[2]. L'historien des religions Odon Vallet relève d'ailleurs que c'est « la seule grande religion au monde à avoir régressé au XXe siècle », en raison, notamment, des persécutions menées contre le bouddhisme par les régimes communistes en Chine et en Indochine[3].
Le bouddhisme fait l'objet de critiques de la part de religieux non bouddhistes et de scientifiques.
Originellement, en sanskrit, pour parler de la doctrine du Bouddha, on utilise le plus souvent l'appellation buddhadharma (ou, en pali, buddhadamma), mots signifiant « dharma [enseignement] du Bouddha », à côté d'autres appellations, parmi lesquelles dharmavinaya (enseignement et discipline [vinaya]) et śāsana (enseignements), et par la suite, la traduction de ces termes dans les langues (chinois, japonais, coréen, vietnamien...) des pays où le bouddhisme s'est diffusé et implanté[4],[5].
Le mot « bouddhisme », au sens de « système religieux fondé par le Bouddha en Inde », est un néologisme apparu dans les langues européennes au début du XIXe siècle — et d'abord en anglais, langue dans laquelle on trouve la première occurrence de Boudhism en 1800 ou 1801 puis Buddhism en 1816, mot créé sur Buddha avec ajout du suffixe -ism[6],[7],[8]. C'est dans des revues savantes qu'on le rencontre d'abord, revues elles-mêmes créées à la suite de l'intérêt croissant de l'Empire britannique et de l'Empire français pour l'Orient[9].
En France, c'est vers la fin du XVIIIe siècle qu'apparaissent des termes pour signifier les doctrines propres au bouddhisme: on aura ainsi d'abord budsdoisme (1780), puis bouddhisme (1823)[10]. Michel-Jean-François Ozeray est un des premiers à utiliser en français le mot bouddisme (sic) en 1817[11],[12]. Bouddhisme devient courant dans les langues européennes vers 1830[13],[n 5].
Cette création d'un nouveau mot ne signifie pas que la réalité qu'il recouvre ait été découverte simultanément. À titre d'exemple, deux œuvres médiévales ont permis d'entendre parler un peu, sinon du bouddhisme, en tout cas de Sidhartha Gautama, le bouddha historique: la Vie des saints Barlaam et Joasaph et le chapitre 168 de la Description du monde de Marco Polo, intitulé « Description de l'île de Ceylan »[14].
Reprenant le terme d'« idées reçues » employé par l'historien des religions Bernard Faure dans un titre d'ouvrage éponyme, et constatant « la difficulté qu'éprouvent les Occidentaux à définir [le bouddhisme] »[15], on peut s'arrêter sur un certain nombre de ces idées reçues pour appréhender le sujet, comme le fait d'envisager le bouddhisme comme une pratique monolithique ; ou de considérer qu'il s'agirait d'une doctrine essentiellement philosophique et rationnelle, auquel cas, les rituels, la magie, les exorcismes ou encore l'ésotérisme n'y auraient pas leur place[16].
Un bouddhisme ou des bouddhismes ?
Bien souvent, le bouddhisme est vu comme une sorte de monolithe, et en France essentiellement sous la forme du bouddhisme tibétain, avec le bouddhisme Theravada, ainsi que le bouddhisme zen, tandis que d'autres écoles comme la Terre pure, le Shingon ou le Tendai sont très peu voire pas du tout connues[17]. Et les Occidentaux peuvent penser avoir affaire à des formes du bouddhisme originel (en particulier pour le Theravada), alors que ces formes que nous connaissons aujourd'hui ont toutes traversé les siècles et connu donc d'importantes évolutions. On peut aussi se heurter aux différences dans les pratiques et les croyances entre bouddhistes occidentaux et bouddhistes d'origine asiatique[18].
Plusieurs traditions bouddhistes
La longue histoire du bouddhisme, faite de rencontres et de confrontations avec d'autres religions, de réflexions et de controverses au sein des communautés bouddhistes, a abouti à la constitution de nombreuses variations, potentiellement très différentes les unes des autres. « Il s'avère donc vite présomptueux de définir l'unité du bouddhisme par-delà la foi de ses fidèles en l'authenticité et la valeur de l'expérience du [Bouddha][19]. »
De grands regroupements ont pu être opérés. Peter Harvey, avec d'autres, met en avant « trois grandes régions culturelles » où le bouddhisme demeure courant : un « bouddhisme du Sud », autour du Theravada, au Sri-Lanka, en Birmanie, en Thaïlande, au Cambodge, au Laos, et dans leur voisinage ; un « bouddhisme de l'Est », autour du Mahayana dans son développement chinois, en Chine, en Corée, au Japon et au Vietnam ; et un « bouddhisme du Nord » dans la région de tradition tibétaine, autour du Mantrayana, au Tibet, en Mongolie, dans l'Himalaya, les régions orientales de la Chine[20],[21].
Plusieurs auteurs parlent à ce propos de « bouddhismes » ou de « traditions bouddhistes »[22]. Faure considère que, « comme tout courant de pensée, le bouddhisme est influencé par les époques, les lieux et les cultures qui l'adoptent[23] », et que par conséquent, c'est bien des bouddhismes qu'il convient de parler. Richard H. Robinson (en), Willard L. Johnson et Ṭhānissaro Bhikkhu (en) proposent qu'il serait plus approprié de concevoir le bouddhisme comme une « famille de religions », autour de ces trois grands ensembles, ayant chacune sa propre intégrité[24]. Harvey, tout en reconnaissant que la métaphore de la famille est pertinente, a souligné que le fait de voir les trois ensembles comme des « mondes » distincts risquait de faire minimiser l'importance des différentes connexions qui existent au sein du « réseau » formé par le bouddhisme, qui lient ses différentes composantes[25].
Un bouddhisme « authentique » ?
Dans ces conditions, la tendance peut être de s'en tenir à quelques idées et représentations simples, qui devraient, pense-t-on, être partagées par les membres de tous les courants bouddhistes, depuis les origines. L'unité des différentes traditions bouddhistes est alors assurée par un « tronc commun », qui consiste en « la doctrine primitive prêchée par le Bouddha[26]. » La quête du bouddhisme « originel » a occupé une grande place aux débuts de la bouddhologie, aboutissant à l'image d'un bouddhisme initial rationnel et antiritualiste, qui aurait ensuite dégénéré dans des formes plus ritualistes et superstitieuses, suivant un schéma de pensée de « déclin de la Loi » déjà présent dans les écrits bouddhistes[27], qui a suscité dans diverses communautés bouddhistes un mouvement de retour aux écritures fondatrices (ce qui a pu être qualifié de « protestantisation du bouddhisme »)[28]. Il reste néanmoins impossible pour les spécialistes de s'entendre sur le profil qu'aurait eu le bouddhisme originel, en l'absence de sources écrites remontant à cette époque (les écrits les plus anciens sur la vie et les enseignements de Bouddha qui soient connus auraient été codifiés au plus tôt au Ier siècle av. J.-C.)[29].
Concernant les études sur le bouddhisme actuel, Robinson, Johnson et Bhikkhu identifient des spécialistes qui essaient de définir un « bouddhisme idéal », en procédant de différentes manières, ce qu'ils définissent comme une approche « essentialiste », puisqu'elle recherche l'« essence » du bouddhisme qui est commune à toutes les traditions[24]. B. Faure souligne que le plus souvent est présenté une sorte de bouddhisme censé être « pur », libre de toute « superstition », qui serait arrivé intact dans l'Occident contemporain, après avoir traversé les siècles et les cultures. Or, insiste B. Faure, le bouddhisme est une invention relativement récente, né à la suite de réformes entreprises dans différents pays d'Asie au contact avec l'Occident, à quoi vient s'ajouter un développement moderne connu sous le nom de « néo-bouddhisme », qui, selon Faure, ne garde du bouddhisme traditionnel que des éléments doctrinaux et de pratiques arbitraires[30]. D'autres ont considéré que la recherche d'un bouddhisme « pur » relevait de la gageure car une telle chose n'aurait jamais existé[31],[32].
À l'opposé s'est développée une approche « inclusionniste », qui part des croyances et pratiques de ceux qui se définissent comme bouddhistes[24]. Selon cette seconde posture, « il n'y a pas à proprement parler de bouddhisme, il n'y a que des bouddhistes » et « le bouddhisme n'est pas une essence, il est ce que les bouddhistes en font », et l'historien ou sociologue des religions ne doit pas tenter de prendre parti sur la doctrine. Cette approche a plus tendance à mettre en avant la diversité des pratiques bouddhistes[33], mais elle porte aussi en germe le risque de mettre en avant certaines formes de bouddhisme plutôt que d'autres[24].
Constatant également la difficulté qu’il y a à isoler une « essence » du bouddhisme, certains spécialistes proposent de leur côté d'envisager le bouddhisme comme un « système », complexe par sa diversité, dynamique, ayant des limites poreuses avec les autres religions et idéologies qu'il rencontre[34],[35].
Le bouddhisme et les autres religions
En effet, dans tous les pays où il a pris pied, le bouddhisme a pu coexister avec les autres religions et courants de pensée présents (Brahmanisme/Hindouisme dans le monde indien en Asie du sud-est, Confucianisme et Taoïsme en Chine, Shinto au Japon, Bön au Tibet, etc.), car il se focalise sur le développement spirituel[36]. Plusieurs chercheurs ont souligné qu'il ne s’intéresse pas à tous les domaines couverts par les activités rituelles, ce qui explique que les dieux de ces religions aient pu être vénérés par des bouddhistes, du moment qu’ils étaient invoqués pour des affaires terrestres. En revanche, dès lors qu’il s’agit d’affaires concernant ce qui est transcendant, de leurs préoccupations au moment de la mort, ils se tournent exclusivement vers les enseignements de Bouddha[37],[38]. Selon Williams, Tribe et Wynne, « être bouddhiste n'implique pas un rejet complet des autres religions ou pratiques religieuses. Dès le début, le bouddhisme a coexisté avec d'autres religions, se structurant autour d'elles comme une sorte de « méta-religion » vouée à ce qu'elle considère comme l'objectif suprême d'enfin mettre fin à la souffrance »[39].
Avant l’époque moderne, la plupart des Bouddhistes n’ont pas tenté de distinguer ce qui est proprement bouddhiste de ce qui ne l’est pas. Les spécialistes du bouddhisme parlent souvent de « religion populaire » pour les formes de croyances et de pratiques qui ne sont pas spécifiquement bouddhistes mais peuvent être pratiquées par des personnes désignées comme Bouddhistes. Cela regroupe notamment les cultes de divinités locales, les rites de type chamanistique, ainsi que les cultes domestiques, notamment ancestraux. L’emploi de cette notion est controversé, car cela revient là encore à chercher à isoler un bouddhisme « pur » ou « authentique », artificiel, tout en reléguant et dépréciant les autres croyances et pratiques renvoyées dans la catégorie péjorative du « populaire »[40].
Le bouddhisme est-il seulement une religion ?
Le bouddhisme est-il une religion, une philosophie, les deux, ou encore autre chose ? Le Petit Robert le qualifie de « doctrine religieuse », et le Petit Larousse de religion et philosophie. Autant dire qu'il est difficile de classer ce terme, inventé par les Occidentaux au début du XIXe siècle[15] et que la question suscite la perplexité[41]. En Occident en particulier, beaucoup se basent sur l'absence d'un Dieu éternel, créateur et personnel tel qu'on le trouve dans les monothéismes pour voir dans le bouddhisme une philosophie. Par ailleurs, le mot « religion » est un terme apparu en Occident que l'on appliquerait abusivement à des pratiques et doctrines de l'Inde comme l'hindouisme et le bouddhisme[42]. Terme difficile, voire impossible à définir — du moins n'y a-t-il pas de réel consensus entre spécialistes sur ce qu'on qualifie de « religieux »[43].
Vincent Goossaert, en s’intéressant aux raisons pour lesquelles les personnes se posent la question et choisissent une dénomination plutôt qu’une autre, considère que : « souvent idéalisé comme rationnel, non ritualiste, voire athéiste, le bouddhisme, dans sa version « originelle », a beaucoup servi comme paradigme des catégories nouvelles de sagesse, ou de spiritualité, par opposition à la religion (ici identifiable au christianisme, ou plus spécifiquement au catholicisme) » ; selon lui, ces jugements renvoient, « en fait, à des enjeux tout à fait spécifiques au lieu et à l’époque où ils sont formulés, tant en Occident qu’en Asie[44]. »
Une philosophie ?
André Bareau souligne que l'amour de la discussion, de la spéculation intellectuelle pure que l'on dit propres à la Grèce sont tout aussi développés en Inde[45] et David Seyfort Ruegg (en) affirme[46] qu'« il n'est sûrement pas exagéré de dire que la pensée philosophique constitue une composante majeure du bouddhisme ». Il est indéniable qu'il existe un « bouddhisme philosophique » ou une « philosophie bouddhiste », et que plusieurs docteurs ont produit des réflexions et débats philosophiques de très haut niveau, par exemple Nagarjuna, Vasubandhu en Inde, Fazang en Chine, Kukai et Dôgen au Japon[47],[48]. En cela ils ont pu être comparés aux penseurs de la philosophie chrétienne et de la philosophie juive[49]. Cependant, des spécialistes estiment que le bouddhisme peut bien être considéré comme une philosophie, selon la définition que l'on retient, par exemple M. Siderits en prenant la définition de philosophie comme « investigation systématique des questions d'éthique, de métaphysique et l'épistémologie (ainsi que plusieurs domaines connexes) »[50] et D. S. Wright avec la définition d'« idées générales sur la nature du monde et le sens de la vie qui guident la vie quotidienne », ce qui ne correspond cependant pas selon lui à l'acception moderne de la philosophie en Occident, plus portée sur la logique et la raison[51]. En effet les œuvres de la philosophie bouddhiste ne s'inscrivent pas dans le cadre de la raison universelle mais restent vouées au but final de la délivrance bouddhique, et pour Faure « il n'est plus possible d'ignorer que le bouddhisme est, ce qu'il a toujours été pour la plupart de ses adeptes : un système métaphysique, mythologique et rituel »[52],[53].
Une religion ?
Selon Lionel Obadia, « bien qu'il paraisse échapper à toute tentative de classification conceptuelle[54], le bouddhisme est généralement présenté dans le vocabulaire de l'histoire des religions comme une religion universelle, de celles dont le message s'adresse à l'humanité dans son ensemble[55]. » Mais, relèvent certains spécialistes, contrairement à d'autres systèmes religieux, le bouddhisme ne s'appuie pas sur une révélation divine[56],[57], ni sur un Dieu suprême créateur, ni sur des Écritures sacrées, autant d'éléments qui caractérisent communément la « religion » en Occident[58].
Philippe Cornu[59], tout en soulignant qu'« il serait excessif de refuser catégoriquement de voir dans le bouddhisme un phénomène de nature religieuse, comme le font trop de bouddhistes occidentaux », appelle cependant à « revisiter ce que l'on entend ici [càd. avec le bouddhisme] par religion ». Car, dit-il : « il ne faut pas perdre de vue que le bouddhisme est d'abord et avant tout le Dharma, c'est-à-dire la connaissance intime de la nature fondamentale de la réalité, et que les formes religieuses qui l'habillent ne constituent que des conditions secondaires favorisant cette connaissance et la libération qui en résulte. » Le bouddhisme est parfois classé parmi les religions dharmiques[60],[61].
Cependant, relève B. Faure[n 6], le bouddhisme, « qui est sans conteste l'une des plus anciennes religions de salut[62] », a été très souvent considéré par l'orientalisme occidental (né au début du XIXe siècle) avant tout comme une philosophie, les savants européens et américains rejetant les aspects religieux que sont les éléments de rituel[n 7], de mythologie ou de métaphysique[63]. Ce discours fut repris par les élites autochtones, qui cherchèrent à mettre de côté les éléments de la tradition au profit des seuls aspects rationnels philosophiques, psychologiques ou éthiques du bouddhisme[64]. Démarche artificielle qui aboutit à « [une recréation ayant] peu à voir avec la réalité »[62]. Car nier les aspects rituels revient à créer un bouddhisme idéalisé qui masque des réalités sociologiques évidentes témoignant de la religiosité dans le bouddhisme en Asie (offrandes, lampes devant les autels, pèlerinages vers des lieux saints, rites funéraires, etc.) et de ce fait selon J.-N. Robert celui-ci a bien le caractère de religion, « entendu au sens naïf d'ensemble de pratiques et de croyances menant au salut »[65].
Pour Damien Keown (en), se demander s'il est une religion, une philosophie, une manière de vivre ou un code d’éthique oblige à repenser ces catégories, et aussi la signification de « religion ». À faire de la croyance en Dieu l’essence de la religion, on exclut le bouddhisme de cette catégorie. En revanche, avec une définition plus large et complexe — que Keown emprunte à Ninian Smart — intégrant plusieurs « dimensions » (pratique et rituelle, expérimentale et émotionnelle, narrative et mythique, doctrinale et philosophique, éthique et légale, sociale et institutionnelle, matérielle), le bouddhisme est bien, selon lui, une religion[66].
Une philosophie et une religion ?
Pour plusieurs chercheurs, le bouddhisme est à la fois une religion et une philosophie[67],[68],[69],[70]. Une pareille affirmation nécessite de reconsidérer ces catégories. Selon M. Siderits, on peut affirmer à la fois qu'il est une philosophie et une religion, sinon cela reviendrait à séparer strictement foi et raison, division que la majorité des bouddhistes rejetterait[71] et qui est en outre propre à l'Occident[70].
D'autres approches ?
Le bouddhisme est également souvent considéré en Occident comme une « spiritualité », ce qui est une autre manière de rejeter la dénomination de « religion », cette fois-ci en mettant en avant l'expérience personnelle plus que la doctrine ou les pratiques[72]. Pour des raisons similaires, le terme de « sagesse » est lui aussi employé[73].
Le bouddhisme a aussi pu être présenté comme « la vaste gamme de phénomènes sociaux et culturels qui se sont regroupés autour des enseignements d'une figure appelée Bouddha, l'Éveillé »[74].
Le contexte culturel de l'Inde du nord à l'époque du Bouddha est marqué par la domination traditionnelle du Védisme, et de sa classe sacerdotale, celle des Brahmanes, qui défend l'autorité des textes sacrés, les Védas, et dispose du monopole sur l'accomplissement des rites, notamment sacrificiels. Mais son autorité est contestée par des groupes de religieux et penseurs, dont les plus radicaux tournent le dos aux traditions védiques, les shramanas, personnages qui ont quitté leur foyer pour mener une vie d'ascèse errante. Les différents penseurs de l'époque ont développé courants originaux se démarquant plus ou moins du védisme. Ce contexte donne notamment naissance aux textes appelés Upanishads, amenés à devenir le fondement de la religion hindoue. Ils sont difficiles à dater précisément, mais il est clair qu'ils ont été élaborés sur une longue période, certains étant antérieurs à l'époque de Bouddha, mais beaucoup lui sont postérieurs. D'autres figures développent des courants spécifiques, comme le Jaïnisme fondé par Mahavira, contemporain du Bouddha, ou l'Ajivika. L'enseignement de Bouddha s'inscrit dans ce contexte et il interagit régulièrement avec des ascètes errants[75],[76],[77].
Au-delà d'un nombre important de divergences, ces nouveaux courants partagent une cosmologie spécifique, qui se met en place à partir des Upanishads les plus anciennes (vers 600-400 av. J.-C.), et rompt avec l'approche des Védas. Selon ces idées communes, les êtres vivants passent par un cycle de renaissances (en sanskrit, saṃsāra), disposent d'une sorte d'âme ou essence individuelle (ātman), qui existe continuellement entre leurs différentes vies, et que leurs conditions de vie sont la conséquence des actes (karma) accomplis durant leurs existences passées et présente. Progressivement apparaît l'idée que le but ultime est la libération (mokṣa) du cycle des réincarnations[78]. L'enseignement du Bouddha prend place dans cette période. De ce fait le Bouddhisme est marqué par ces réflexions, mais il pourrait également les avoir influencé (une partie des Upanishads majeures étant manifestement postérieures à son apparition)[75].
Le bouddhisme est issu des enseignements de Siddhartha Gautama (« l'éveillé »), considéré comme le Bouddha historique.
La vie de Bouddha est documentée par un ensemble de textes, dont les plus anciens ont été mis par écrit vers le Ier siècle de notre ère, soit environ cinq siècles après son nirvana. Ils reposent sur une tradition orale voire des textes plus anciens, disparus depuis, ne présentent chacun qu'un exposé partiel de sa vie et contiennent de nombreux éléments « merveilleux ». De ce fait, si l'existence du Bouddha « historique » n'est pas contestée, la fiabilité de ces sources pour reconstituer sa vie « réelle » est discutée, même si elles sont importantes pour leur valeur exemplaire auprès des fidèles[79]. Mais il est généralement considéré qu'elles présentent suffisamment de points communs pour permettre de dessiner une biographie relativement fiable dans les grandes lignes[75],[80].
Les dates de vie du Bouddha selon la tradition bouddhique vont d'environ 560 à 480 av. J.-C., mais les études actuelles la placent environ un siècle plus tard, avec un nirvana situé quelque part entre 420 et 350 av. J.-C[81],[82].,[83].
Le futur Bouddha, appelé Siddharta[84] (« Celui qui a réalisé son but »[85]) dans certains textes en sanskrit, est né dans le pays de Magadha, dans le clan des Shakya, parmi la lignée des descendants de Gautama[86] (ou Gotama). Cela explique qu'il soit aussi appelé dans les textes Siddharta Gautama, ou Shakyamuni, le « Sage des Shakyas » (plutôt dans la tradition mahayana)[87]. Il a un statut social important, son père Shuddhodana étant un personnage éminent dans le pays des Shakyas. Vers l'âge de 29 ans, bien que marié et jeune père (ou en passe de le devenir), Siddharta est insatisfait par cette vie plaisante et quitte sa famille pour devenir un ascète. Non convaincu par l'enseignement que lui prodiguent plusieurs maîtres et les pratiques ascétiques, il se tourne vers la « voie moyenne » qui renvoie dos-à-dos aussi bien l'opulence que l'ascétisme. Puis il connaît l'« Éveil » sept années après avoir quitté son foyer, ce qui lui confère la condition d’« Éveillé », Bouddha. Il se met ensuite à dispenser ses enseignements, en commençant par son premier sermon, prononcé selon la tradition dans le parc aux Daims de Bénarès devant ceux qui devaient devenir les premiers membres de la communauté bouddhiste. Il y énonce les Quatre nobles vérités, fondements de la doctrine bouddhiste. Il acquiert une réputation importante, et constitue progressivement une communauté de disciples, posant les bases de la discipline bouddhique[88],[89].
Après 45 ans d'enseignements, sa vie s'achève à l'âge de 80 ans, âge auquel survient son nirvana (ou parinirvāṇa) selon la tradition bouddhiste[90].
La tradition bouddhiste relative à la vie de Bouddha, que ce soit par les textes ou les nombreuses images qui se sont développées dans leur sillage, mettent en avant divers épisodes de la vie du personnage fondateur, servant à le glorifier et à avoir une valeur exemplaire pour les Bouddhistes. Ils concernent en particulier les moments-clefs de sa vie : sa conception et sa naissance, son « grand départ » du foyer, son Éveil et le début de son enseignement (la « mise en branle de la roue de la Loi »), puis son nirvana[91],[92],[93]. Un ensemble de récits relate également ses nombreuses vies passées (Jatakas), annonciatrices de son accès au statut de Bouddha[94],[95],[96].
Bouddha est la figure majeure de tous les courants du Bouddhisme, quand bien même on ne le considérait pas comme le seul Bouddha ayant existé. Il est le fondateur, l'exemple par excellence, celui qui est parvenu à l'illumination dans cette période cosmique, puis a dispensé son savoir, montrant ainsi la Voie à suivre. Selon une formule courante prononcée au début de rituels bouddhistes, il est le premier des Trois Joyaux dans lesquels les Bouddhistes prennent refuge[97],[98], celui qui par son enseignement a permis les deux autres, le dharma et la samgha[99],[100].
Bouddha est un objet de vénération de la part des Bouddhistes, aussi bien de façon individuelle (par des offrandes, des prières) que collective (par des fêtes, notamment les célébrations de sa naissance). Même s'il n'est plus présent dans le monde, il est considéré qu'une partie de sa puissance réside dans ses reliques et ses images, ce qui explique notamment le développement de pèlerinages autour de ses reliques et des lieux des épisodes marquants de sa vie[101].
Monde indien
Les sources sur l'évolution de la communauté bouddhiste après le départ de son fondateur sont lacunaires. L'enseignement du Bouddha est d'abord transmis par oral[102]. Il apparaît que la transmission des enseignements du maître fait dès le début l'objet de débats, la tradition retenant la tenue de trois « conciles », le dernier étant organisé par le grand roi Ashoka (v. 273-232 av. J.-C.) de la dynastie des Maurya. Celui-ci passe pour avoir été un fervent bouddhiste, et semble avoir joué un rôle déterminant dans la dissémination de cette religion, devenant le modèle du monarque bouddhiste. Une première rédaction et une organisation du corpus de textes bouddhistes semblerait avoir eu lieu dès cette époque, avec l'apparition des « Trois corbeilles »[103],[104].
L'archéologie et l'étude des inscriptions antiques indique que la communauté bouddhiste s'étend et se structure au moins à partir des IIIe – IIe siècle av. J.-C., et acquiert d'importantes ressources. Des communautés monastiques se retrouvent dans de nombreuses parties du sous-continent indien, et différents groupes bouddhistes distincts sont apparus, les nikāya, au nombre de dix-huit selon la tradition, mais manifestement plus nombreuses dans les faits (une trentaine d'après les travaux des historiens). Les différences doctrinales entre ces groupes ne semblent pas très prononcés, mais elles sont mal documentées. De ces écoles, seule le Theravada devait survivre et se répandre[105],[106]. Puis dans le courant des premiers siècles de notre ère se développe le « Grand Véhicule », Mahayana, qui s'impose comme un courant très dynamique en Inde, au moins à partir du Ve siècle[107],[108],[109]. Vers la même période, une nouvelle émanation du bouddhisme se produit à partir du Mahayana, le Tantrisme, ou « Véhicule du Diamant » (Vajrayana). Il a connu un certain essor en Inde, dans le milieu monastique où il a séduit une frange de l'élite spirituelle, mais a surtout connu le succès au nord, au Tibet (et également en Chine et au Japon)[110],[111].
Tout au long de son histoire, le bouddhisme indien est resté marqué par la diversité : ni le Theravada ni le Mahayana n'y ont atteint une prééminence, et au moins quatre anciennes écoles ont survécu à leurs côtés. Du reste les courants hindouistes, revivifiés par des approches dévotionnelles, sont nettement plus populaires. Après plusieurs siècles de déclin, les monastères bouddhistes du XIIe siècle ressemblent à des tours d'ivoire coupées du reste de la société. La destruction des derniers importants centres bouddhistes lors des conquêtes turques au tournant du XIIIe siècle semble marquer le coup de grâce du bouddhisme indien, qui s'éteint peu après[112].
Le bouddhisme survécut néanmoins dans des régions situées aux marges du monde indien. Sri Lanka dispose probablement de la plus ancienne tradition bouddhiste encore existante, puisque l'implantation de la religion sur l'île remonterait au IIIe siècle av. J.-C. C'est une contrée cruciale pour le succès du Theravada : c'est sur l'île que le canon pali aurait été recopié et compilé vers le Ier siècle, c'est là qu'a été actif un des plus grands auteurs de commentaires des écrits de ce courant, Buddhaghosa (Ve siècle). Mais le Mahayana et le Tantrisme y sont aussi bien représentés durant l'époque pré-moderne. Les cours des rois d'Anurâdhapura et de Polonnâruvâ fournissent un appui important au bouddhisme. Après une période de stagnation, la pensée bouddhiste redevient dynamique sur l'île durant l'époque coloniale, avec la mise en relation avec les religions occidentales qui entraînent d'importantes évolutions (dont la constitution d'un courant surnommé « Protestantisme bouddhiste »). Les cultes hindouistes sont également restés très importants sur l'île. Au XXe siècle les différences religieuses se politisent et s'ethnicisent, dans le contexte de tensions et de conflits internes à l'île : le bouddhisme (theravada) est vu comme la religion des Cinghalais, et la culture de l'élite dominante, tandis que l'Hindouisme est celle des Tamouls, qui sont dans une position de dominés[113].
Le Népal est une autre région du monde indien où le bouddhisme subsiste. Dans les vallées du sud du pays, les Newars comprennent une communauté bouddhiste, rattachée au Mahayana. Dans les régions hautes du nord en revanche, le bouddhisme est dans la mouvance tibétaine, qui s'est également renforcé dans la région de Katmandou après la venue de réfugiés Tibétains. Le Theravada a fait son apparition au milieu du XXe siècle, sous la forme d'approches modernistes influencées par le Sri Lanka[114].
Dans l'Inde indépendante, le bouddhisme connaît un nouvel essor dans le sillage de la conversion de Bhimrao Ramji Ambedkar (1891-1956), un Intouchable qui tourne le dos à l'Hindouisme en raison de son traitement de son groupe social. Avec lui, des centaines de milliers d'Intouchables se convertissent également. Il s'agit officiellement d'une forme de Theravada, mais elle présente de nombreuses originalités[115].
Asie centrale
Situées à la jonction de l'Asie centrale, les régions du nord-ouest du monde indien comprennent des foyers importants du bouddhisme antique, notamment la Cachemire et le Gandhara (dans l'actuel Afghanistan). Cette dernière région joue un rôle important dans le développement de l'imagerie bouddhiste, puisque c'est là qu'apparaissent les premières représentations figurées du Bouddha, sous l'influence de l'art grec (art gréco-bouddhiste). Plusieurs rois importants appuient le bouddhisme, les traditions bouddhistes (dont la fiabilité est discutée) commémorant les conversions de grandes figures tels l'indo-grec Ménandre et le kouchan Kanishka. D'importants monastères se constituent dans des sites de l'actuel Afghanistan, comme celui de Bamiyan fameux pour ses Bouddhas monumentaux aujourd'hui détruits. Le Bouddhisme disparaît progressivement de ces régions durant l'époque des premiers royaumes musulmans de la région, entre 700 et 1000, quand ces régions deviennent majoritairement musulmanes[116],[117],[118].
Les voies de la Route de la soie, cruciales pour les échanges matériels et culturels à la fin de l'Antiquité et durant le Moyen Âge, deviennent un axe de diffusion du bouddhisme. La religion se répand, des monastères se constituent dans différentes cités marchandes, notamment dans le bassin du Tarim (Kashgar, Khotan, Loulan, Kizil, Dunhuang), adaptant l'art bouddhiste dans la région. Les études bouddhistes se développent, concernant le Mahayana et d'autres écoles, et certains des plus brillants moines qui sont nés et formés dans ces régions sont des acteurs majeurs du développement du bouddhisme en Chine (Dharmaraksa, Kumarajiva). Les royaumes turcs, notamment celui des Ouïghours, développent également une culture bouddhiste. La conquête de la région par des royaumes musulmans à partir du Xe siècle entraîne progressivement la disparition du bouddhisme dans ces régions au profit de l'Islam[119],[120].,[121].
Chine
Selon un récit semi-légendaire, le bouddhisme est introduit à Luoyang, la capitale de la dynastie des Han postérieurs, en 67 de notre ère. Que cela soit vrai ou pas, il faut attendre la période des Six Dynasties (220-581) pour que le bouddhisme se développe en Chine. La première phase consiste en une introduction de la doctrine et des règles monastiques, depuis l'Asie centrale, grâce à la traduction de textes bouddhistes initiée par des moines venus de ces pays (notamment Kumarajiva, 344-412). Ils y forment des disciples qui s'emparent de cette religion, qui connaît une popularité croissante, au point de devenir l'un des trois principaux systèmes de pensée de l'Empire du milieu, aux côtés du Confucianisme et du Taoïsme. C'est la seule religion étrangère à avoir connu un tel succès dans le monde chinois. De nombreux monastères sont fondés, ils acquièrent d'importantes richesses, de nombreux membres de l'élite chinoise, y compris des empereurs, deviennent de fervents bouddhistes. Des moines chinois voyagent à leur tour jusqu'en Inde, pour y rechercher des textes (Xuanzang, 602-664, Yijing, 635-713)[122],[123].
Le bouddhisme qui s'implante en Chine est pour l'essentiel du Mahayana. Progressivement un bouddhisme proprement sinisé se développe, notamment à la suite de débats et emprunts avec le confucianisme et le taoïsme. Le courant de la Terre pure du Bouddha Amitabha connaît rapidement un succès à l'époque médiévale, à la suite de Huiyuan (334-416). Le Sutra du Lotus connaît un également grand succès, par le biais de l'école Tiantai fondée au VIe siècle par Zhiyi (538-597). L'école Huayan, fondée par Fazang (643-712) se repose quant à elle sur le Sutra de la guirlande (de fleurs). L'émergence du Chan, issu de l'école de la méditation, dont le fondateur supposé est Bodhidharma, conclut la période faste de développement d'écoles bouddhistes chinoises[124].
Après avoir connu un apogée au début de la dynastie Tang (618-907), les monastères bouddhistes subissent une importante persécution de la part du pouvoir impérial dans les années 842-845. Cette période marque un tournant dans l'histoire du bouddhisme chinois, dont l'influence en sort affaiblie. Les siècles suivants sont couramment présentés comme un déclin du bouddhisme, qui n'a dès lors plus de position dominante parmi l'élite impériale (sauf durant la domination mongole de 1272-1368) mais cette religion connaît plusieurs phases d'éclat (notamment sous les Song), et reste très importante dans la société et la culture chinoises[125],[126].
Les troubles que connaît la Chine durant l'époque contemporaine affectent les institutions bouddhistes, malgré des tentatives de revitalisation au début du XXe siècle. Le régime communiste qui domine la Chine continentale depuis 1949, peu favorable aux religions, impose son contrôle sur les monastères bouddhistes, et cherche à supprimer la religion durant la Révolution culturelle. Depuis les années 1970 le contexte est plus favorable à la reprise du culte bouddhiste. Sur l'île de Taïwan, le bouddhisme est également une religion majeure, ainsi que dans les communautés de la diaspora chinoise (Bouddhisme à Taïwan)[127].
Corée et Japon
Le bouddhisme à la chinoise se diffuse vers l'est, dans des pays traditionnellement sous l'influence de l'Empire du Milieu.
La Corée d'abord, au contact direct de la Chine, dont les premiers moines bouddhistes sont formés en Chine. Le bouddhisme prospère sous la dynastie Goryeo (918-1392). Les écoles Huayan, Chan et Tiantai se développent dans la Péninsule, mais aussi une école locale, Jogye, dérivée du Chan et fondée par Jinul (1158-1210). Sous les Joseon (1392-1910) le bouddhisme perd la faveur des élites, qui se tournent vers le confucianisme, et les monastères bouddhistes se replient dans les provinces reculées où ils se consacrent plus à la pratique qu'à l'étude[128].
C'est depuis la Corée que le bouddhisme prend pied au Japon à partir du milieu du VIe siècle, dans les cercles de l'élite impériale. Durant l'époque de Nara (710-784) plusieurs écoles bouddhistes se développent (Six écoles de la Capitale du Sud), autour de monastères fondés par la famille impériale ou les lignages les plus éminents. L'époque de Heian (794-1185) voit ensuite le développement du Tendai (variante locale du Tiantai) et du Shingon (école des mantras). Des expéditions sont diligentées en Chine afin de ramener des textes bouddhistes. De puissants monastères sont fondés près de la capitale, le bouddhisme prenant alors surtout pied dans la noblesse. De nouvelles écoles se développent durant l'époque de Kamakura (1185-1333). Les plus répandues sont les courants de la Terre pure : le Jodo-shu fondé par Honen, le Jodo-shinshu fondé par Shinran, et le Jishu fondé par Ippen. La secte du Lotus de Nichiren développe une approche plus radicale. Le Zen, variante japonaise du Chan chinois, qui comprend deux écoles (le Rinzai fondé par Eisai et le Soto fondé par Dogen), est l'autre grand courant qui se développe à cette période[129],[130]. Les cultes présents au Japon avant l'introduction du bouddhisme (ce qui est dénommé Shinto à l'époque moderne) sont combinés aux cultes bouddhistes, et ce syncrétisme est justifié théologiquement (honji suijaku)[131]. Durant l'époque d'Edo (1600-1868) le bouddhisme devient une sorte de religion d’État, mais dans le contexte nationaliste de l'ère Meiji (1868-1911) il est réprimé en raison de son origine étrangère, en même temps qu'est constituée une religion nationale, le Shinto, à partir des cultes traditionnels du Japon expurgés autant que faire se peut des éléments bouddhistes. Après la fin du régime nationaliste en 1945, le bouddhisme japonais traditionnel ne reprend pas son importance passée, mais émergent des nouvelles formes de religion empruntant aussi bien au bouddhisme qu'au shintoïsme (Shinshūkyō)[132].
Asie du sud-est
Les pays d'Asie du sud-est sont sous forte influence indienne durant le Ier millénaire de notre ère, et de ce fait ils adoptent les religions indiennes, bouddhisme et hindouisme (notamment le shivaisme), souvent entremêlées, et surimposées sur leurs propres traditions (souvent désignées comme « animistes »). Cela crée un environnement religieux marqué par l'éclectisme[133]. Cette diversité vaut du reste pour le bouddhisme, qui se diffuse dans ces régions sous différentes formes, avant tout le Theravada et le Mahayana. S'il est souvent difficile de caractériser précisément la religion pratiquée dans la société, les monastères bouddhistes se rencontrent dans les principaux royaumes anciens de ces pays[134] : les royaumes môns de Birmanie[135], l'empire khmer dont le cœur est dans l'actuel Cambodge (Angkor)[136], le royaume du Champa dans le Vietnam central[137], le royaume de Sriwijaya dont le centre est à Sumatra. L'impressionnant sanctuaire de Borobodur, érigé par on ne sait qui sur l'île de Java aux VIIIe – IXe siècle, est la manifestation la plus éloquente de l'expansion du bouddhisme vers le sud-est[138],[139].
Dans les premiers siècles du IIe millénaire le bouddhisme Theravada est adopté par plusieurs des royaumes majeurs d'Asie du sud-est, qui sont en relations avec le foyer sri-lankais de cette tradition, et en font une religion officielle servant leur pouvoir. Cela concerne la Birmanie, le Cambodge, et aussi les royaumes thaï qui apparaissent à partir du XIIIe siècle (Sukhothaï, Ayutthaya)[140],[141]. Au-delà du Theravada officiel, le bouddhisme pratiqué dans ces pays garde néanmoins son caractère éclectique, conservant divers aspects du mahayana et des religions indigènes, et aussi des dévotions hindouistes. Au Vietnam le bouddhisme chinois, mahayana, est très influent, en particulier au nord[142]. Dans la péninsule malaise et en Indonésie l'Islam est devenu la religion dominante et le bouddhisme a quasiment disparu[134],[143].
Au Cambodge le bouddhisme a connu une importante répression sous le Khmer Rouge, et connu une reprise lente depuis la fin du régime en 1979[144]. En Thaïlande le pouvoir royal est le garant du bouddhisme theravada et de ses monastères, même si la relation entre les deux a pu être houleuse. Cette religion est vue comme un symbole et un élément de l'identité nationale et de l'unité du royaume[145],[146]. Au Myanmar une situation semblable s'observe, le bouddhisme theravada ayant le statut de religion d’État, placé sous la coupe de la junte militaire qui dirige le pays depuis 1962[147].
Tibet et Mongolie
Selon la tradition tibétaine, le bouddhisme est introduit dans le pays au VIIe siècle par un de ses plus grands rois, Songtsen Gampo (v. 618-650). Quoi qu'il en soit, les puissants rois tibétains du siècle suivant ont embrassé le bouddhisme, d'inspiration indienne plutôt que chinoise, et de grands monastères sont érigés. Avec le temps c'est la tradition tantrique, vajrayana, qui devient dominante, aux dépens du Mahayana, mais le bouddhisme tibétain est éclaté entre plusieurs courants. Au XIe siècle la venue du moine bengalais Atisha (m. 1054) donne un nouvel essor aux études bouddhistes. Alors que le pays connaît une grande fragmentation politique, les monastères consolident leur puissance, les ordres monastiques tibétains se structurent et un canon bouddhiste tibétain est élaboré. Les chefs de l'ordre Sakyapa établissent des relations privilégiées avec la dynastie des Mongols (dynastie Yuan de Chine, les successeurs de Gengis Khan) et acquièrent une importance politique et religieuse majeure, pour un temps, jusqu'au déclin politique mongol. Le courant des Gelugpa (les Bonnets rouges) est fondé par Tsongkhapa (1357-1419), qui met l'accent sur l'étude, et dont les monastères prennent une grande importance, notamment en tant que lieux d'études, mais aussi en tant que lieu de pouvoir temporel. Les chefs de l'ordre se succèdent par réincarnation Les relations avec les dynasties mongoles restent fortes, et au XVIe siècle, le nouveau maître des tribus mongoles, Altan Khan, intervient dans les affaires tibétaines et décerne le titre de Dalaï-lama (« maître [vaste comme] l'océan »), réincarnation du bodhisattva Avalokitesvara, au chef de l'ordre des Gelugpa. Ce courant devient la première autorité religieuse et politique du Tibet sous la direction de Lobsang Gyatso (1617-1682), qui fait de Lhassa la capitale du pays, avec pour centre le palais du Potala. Les autres ordres monastiques déclinent, parfois à la suite d'une répression[148],[149].
Le bouddhisme tibétain exerce un grand rayonnement dans les pays des steppes de l'Asie centrale, où de grands monastères sont constitués sur le modèle tibétain, avec des abbés se succédant par réincarnation. Les Mandchous qui dominent la Chine durant la dynastie Qing (1644-1911) accordent leurs faveurs au bouddhisme tibétain, qui s'implante dans leur capitale, Pékin (temple de Yonghe)[150],[151].
L'arrivée au pouvoir des régimes communistes s'accompagnent de tentatives d'éradication du monachisme bouddhiste dans ces pays. En république de Mongolie (intérieure), la répression se solde par l'élimination de milliers de moines, l'exil d'autres, et le bouddhisme ne reprend pied dans le pays qu'à partir de la chute du bloc communiste après 1991. Dans les régions de Mongolie extérieure, dirigées par la Chine communiste, les monastères sont contrôlés par le pouvoir comme ceux des autres provinces[152].
Au Tibet, l'invasion chinoise en 1950 entraîne l'exil du Dalaï-lama, entraînant avec lui plusieurs dizaines de milliers de personnes. Le bouddhisme tibétain vit depuis en partie en exil, préservant ses traditions et rencontrant un certains succès en Occident. Au Tibet même, la période de la révolution culturelle (1966-1976) s'accompagne de la destruction des institutions monastiques et d'une grande quantité d'écrits et images bouddhistes. Les monastères rouvrent après cette période, mais sont placés sous étroit contrôle par le pouvoir[153].
Occident
La pratique du bouddhisme s'étend dans les pays « occidentaux » (Europe, Amérique du Nord) à partir de la fin du XIXe siècle, de deux manières :
- L'immigration de Bouddhistes depuis des pays où cette religion est déjà pratiquée (Asie du sud-est, Sri Lanka, Chine notamment), qui y introduisent donc les courants et les pratiques de leurs pays d'origine[154].
- L'adoption du Bouddhisme par des Occidentaux, portée par le développement des études sur le Bouddhisme et les traductions de textes bouddhistes. Cela se fait suivant des modalités spécifiques, qui sont déterminées par le contexte religieux et intellectuel occidental : le développement se fait d'abord en grande partie par le biais du courant théosophique qui pose les bases d'une approche ésotérique du bouddhisme, qui prend notamment souche dans les milieux artistiques[155],[154] ; puis par la suite par certains courants spécifiques, avant tout le Zen et le bouddhisme tibétain, ainsi que le Theravada, qui reçoivent plus d'intérêt que les autres courants, et sont importés par des Bouddhistes venus d'Asie pour dispenser leur message en Occident (notamment Daisetz Teitaro Suzuki pour le Zen, des Tibétains exilés comme Chögyam Trungpa Rinpoché)[156],[157].
Le bouddhisme est une voie individuelle dont le but est l'éveil, par l'extinction du désir égotique et de l'illusion, causes de la souffrance de l'homme. L'éveil est une base à l'action altruiste.
Définition de l'éveil dans le bouddhisme theravâda
Pour les theravādins, l'éveil est la compréhension parfaite et la réalisation des quatre nobles vérités (voir plus bas) ; il s'agit de se réveiller du cauchemar des renaissances successives (saṃsāra). L'homme éveillé atteint le nirvāṇa (l'illumination), et échappe complètement à la souffrance lors de sa mort (appelée parinirvâna, dissolution complète des cinq agrégats). Le cycle des renaissances et des morts est donc brisé.
Définition de l'éveil dans le mahāyāna
Pour les adeptes du Mahāyāna en revanche, l'éveil est la sagesse personnelle et est utilisée pour venir en aide à autrui, par le biais du transfert de mérites et la prise de conscience de sa propre nature de Bouddha (la nature essentielle de tout être possédant une conscience, de tout être vivant[158]).
Il en convient que, le mahāyāna laisse aux bodhisattvas (ceux qui sont éveillés) la possibilité de se maintenir dans le monde sans toutefois produire de karma, par compassion pour les êtres vivants, qu'ils vont alors guider à leur tour vers l'éveil.