Miniature persane
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Les thèmes de la miniature persane sont pour la plupart liés à la mythologie persane et à la poésie. Les artistes occidentaux ont surtout découvert la miniature persane au début du XXe siècle. Les miniatures persanes sont caractérisées par une composition rigoureuse, répondant souvent à des règles géométriques et une palette de couleurs vives. L'aspect particulier de la miniature persane réside dans le fait qu'elle synthétise l'essentiel et qu'elle réussit étonnamment à traiter dans ses chefs-d'œuvre des questions aussi complexes que la nature de l'art ou la perception.
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L'art de la miniature *
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Déclaration d'amour. | |
Pays * | Azerbaïdjan Iran Ouzbékistan Turquie |
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Liste | Liste représentative |
Année d’inscription | 2020 |
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Il est difficile de tracer les origines de l'art de la miniature persane, qui a atteint son sommet pendant les périodes mongoles et timourides (XIIe et XVIe siècles). Les dirigeants mongols de la Perse y ont répandu le culte de la peinture chinoise qu'ils ont apporté avec eux, comme un certain nombre d'artisans chinois. Le papier lui-même est arrivé depuis la Chine, en 751 d'abord, dans la région de Samarcande et Tachkent, puis en 753 dans l'Iran actuel, atteignant Bagdad en 794. L'influence chinoise est donc très forte sur cet art.
Pour le terme d' "enluminure" qui diffère du terme "miniature", Youssef Ishaghpour précise dans son ouvrage La Miniature persane[1] que dans la sphère iranienne, l'enluminure « est un mode d'ornement de manuscrit, à base d'éclat et de couleur, dépourvu d'image : à commencer par des magnifiques copies du Coran, ornées de splendeurs persanes, de motifs abstraits, géométriques et floraux. » En ce qui concerne la miniature occidentale, Henri Focillon emploie à juste titre le terme de « vertige de la réduction »[1], parce qu'elle donne l'illusion d'une peinture de chevalet dans un espace réduit.
Il n'en est rien pour la miniature persane qui représente en elle-même un espace poétique différent avec absence délibérée d'ombre et de perspective, le but étant de réaliser l'union du principe abstrait de l'ornementation, propre à l'art islamique, et de la diffusion de la pensée, propre aux croyances de l'ancienne Perse[2].
La fonction la plus importante de la miniature était l'illustration. Elle illustrait un texte littéraire, le rendant plus agréable et facile à comprendre. La miniature s'est développée en un mariage des langages poétiques et artistiques et parvint à un accord profond et sincère avec la poésie.
Pendant les dix derniers siècles, de nombreuses œuvres littéraires ont inspiré les grands artistes de leur temps. À la fin du Xe siècle, Ferdowsi a composé son immortel poème épique, Shâh Nâmâ (« Le Livre des rois »), qui, en plus de 50 000 couplets, relate par des faits et des légendes l'histoire du pays depuis la création du monde jusqu'à la conquête arabe au VIIe siècle. Au XIIe siècle, le poète Nizami a composé son romantique Khamseh (cinq histoires versifiées), très populaire et qui a été imité plusieurs fois par des poètes indiens écrivant en persan.
C'est au XIIIe siècle que Saadi a écrit ses célèbres Boustan et Golestan. Le Golestan (« Jardin des fleurs ») est un recueil d'anecdotes moralisatrices et divertissantes, de proverbes écrits dans une prose versifiée ou même en vers. Le Boustan est un poème didactique au ton lyrique et avec une composition sous forme d'anecdotes. Il est considéré comme un des chefs-d'œuvre de la littérature persane.
Au XIVe siècle ont été créées les œuvres éclairées et romantiques d'Amir Khusrau Dehlavi, de Khadjou Kermani, de Hafez, et de Kamal Khodjandi. Le XVe siècle a été aussi l'époque du poète à multiple facettes nommé Djami, qui a écrit sept poèmes épiques appelés Haft Owrang (« Les Sept Trônes » ou Grande Ourse). Sa poésie a regroupé les différentes catégories de littérature décrites précédemment.
Cette grande richesse dans la littérature a permis l'émergence de nombreuses écoles importantes de la miniature, chacune possédant son style unique, et permettant ainsi une grande diversité de peintures. C'est à travers ces écoles que la peinture miniature a atteint son apogée, à la fois en Iran et en Asie centrale. Les trois écoles ayant eu le plus d'influence sur la miniature étaient situées à Chiraz, Tabriz et Herat (actuel Afghanistan).
Aux XIIIe et XIVe siècles, Chiraz, la capitale du Fars a connu un nouveau développement de sa vie culturelle. C'était l'époque de Saadi, de Kermani et de Hafez. La poésie s'épanouissait, et la miniature connut le même développement. Une des œuvres les plus importantes pour les illustrateurs de l'époque était le Shâh Nâmâ, et à Chiraz, de nombreux peintres se sont consacrés à ce travail. Dans les miniatures de Chiraz du XIVe siècle, la symétrie dans la construction était prédominante, et la plupart des compositions ressemblaient à des frises, linéaires et monotones.
Cependant, l'école de Chiraz allait influencer toute la Perse, et à la fin du XVe siècle, elle produisait des miniatures de la plus grande qualité. Les illustrations du Khamseh par Nizami sont un exemple de l'apogée de l'école de Chiraz. Tout est complet, clair, à la fois dans la composition et le rendu des détails et dans le contour des silhouettes. Les traits sont fermes et maîtrisés.
Vers la fin du XIIIe siècle, l'école d'art de Tabriz a été fondée. Les développements artistiques des débuts de l'école de Tabriz ont différé de ceux de Chiraz, puisque les illustrations combinaient des traits extrême-orientaux avec le style de peinture arméno-byzantin. Cette influence peut être expliquée par la position géographique de Tabriz, qui est proche de la frontière arménienne. Des relations plus étroites se sont ensuite tissées entre les différents styles artistiques des écoles de Chiraz et de Tabriz au début du XVe siècle. Cette époque, marquée par les déplacements des peintres, a commencé après que Tamerlan (alias Timour) eut conquis Bagdad (en 1393, 1401). C'est à Bagdad qu'Ahmad Moussa fait évoluer la miniature persane de son temps. D'autres œuvrent à Tabriz. Nombre d'entre eux furent amenés à Samarcande, la capitale du conquérant, ainsi qu'à la cour de son petit-fils Iskandar Sultan[3], le maître de Chiraz. Dans leurs nouveaux ateliers, les artistes ont adaptés aux idées et goûts locaux les traditions anciennes qu'ils suivaient avant leur migration.
Au XVIe siècle, sur les vastes territoires de l'Iran et de l'Asie centrale, la poésie de Djami était extrêmement populaire, et a permis d'enrichir l'art de la peinture de nouveaux thèmes. Cela marquait le début de développement de nombreuses écoles artistiques en Iran. Dans les miniatures de Tabriz de cette période, est apparue une magnifique habileté à créer, dans un espace limité, aussi bien la représentation d'une scène particulière que d'un paysage, par exemple dans le dessin d'un palais, incluant une partie de sa cour, de son jardin et de son intérieur. L'élégant Mirza Ali est un des miniaturistes notables de cette époque.
À partir de ce moment-là, l'architecture et les paysages visaient à être reproduits aussi fidèlement que possible. Les portraits dans les compositions n'étaient plus contraints et statiques, mais peints de manière plus vivante et naturelle, comme on le voit chez Sheikhi de Tabriz.
Dans la première moitié du XVe siècle, une école artistique s'établit à Herat. Les meilleurs artistes des écoles de Tabriz et de Chiraz s'y sont installés. Dans les premières miniatures produites à Herat, la représentation des visages est devenue bien plus habile et le dessin a beaucoup gagné en précision. Au fur et à mesure que l'habileté des peintres augmentait, les visages étaient placés avec plus de sûreté et la structure rythmique de la composition est devenue plus complexe. Les artistes de Herat peignaient des portraits magnifiques, faisant ainsi du décor un simple accompagnement.
Un des peintres les plus connus et ayant eu le plus d'influence dans l'école de Herat est Kamaleddin Behzad, dont l'art créatif a grandement été inspiré des œuvres des poètes Djami et Navai. On remarque dans ses travaux une attention unique portée aux portraits non seulement des gens, mais aussi à ce qui les entourait dans leur vie quotidienne. Les œuvres de Behzad ont mené la miniature à son apogée. Il partagea la célébrité des œuvres d'Herat avec d'autres miniaturistes d'importance de son époque: son maître et dirigeant de l'atelier de l'école, Mirak Nakkash, Kassim 'Ali, Khwadja Mohammad Nakkash, et Shah Mouzaffar. Parmi ses disciples, l'on compte le délicat Doust Mohammad, Sheikhzadeh actif à Hérat et Agha Mirek de Tabriz, excellent animalier.
Le thème des miniatures est devenu plus limité à mesure que le temps passait. Au XVIIe siècle, les thèmes portaient principalement sur des scènes d'amour, des portraits et même des copies d'images européennes. Mohammad Youssouf, Mohammad Zaman (fort influencé par l'art européen, en particulier flamand) et Mohammad Kassim participent de cet art, mais le maître le plus important est alors Reza Abbasi (formé par son père Ali Asgar) qui eut de nombreux élèves. Au XVIIIe siècle, apparut un nouveau genre privilégiant les fleurs et les oiseaux.
Les artistes persans utilisaient des couleurs d'origine minérale, organique ou non organique (couleurs artificielles) . Il s'agit de l'or, de l'argent, du lapis-lazuli qui est à la base du bleu outremer et que l'on lavait à l'eau. On utilisait aussi de la même façon un vermillon clair, extrait du cinabre naturel. Le jaune était produit à partir de l'arsenic de soufre et le vert à partir de la malachite. Le choix de tel ou tel pigment était dicté par leur valeur, leur vogue, leur quantité disponible. Parfois des pigments étaient préférés à d'autres. Ainsi à la place du lapis-lazuli, les peintres pouvaient se servir de l'indigo, d'origine végétale, dont ils tiraient du bleu foncé. De l'azurite (constituée de carbonate de cuivre) qui abîmait le papier, ils extrayaient un pigment bleu pâle. Plus souvent que la malachite coûteuse, les artistes se servaient d'un vert-de-gris fort corrosif et destructeur que l'on obtenait en immergeant des plaques de cuivre dans du vinaigre que l'on plaçait ensuite pendant au moins un mois dans des caves ou des fosses. Il existait aussi plusieurs façons de remplacer le cinabre qui coûtait cher. On faisait ainsi réchauffer du mercure et du soufre pour donner du vermillon. Les couleurs rouge clair, orangé ou orange que l'on admire dans beaucoup de miniatures persanes sont préparées à partir du minium qui est toxique. Malgré le danger d'empoisonnement, les préparateurs des ateliers des peintres se servaient du minium ou de la céruse proche (produite en plongeant du minium dans du vinaigre), jusqu'au XVIIe siècle. Parmi les pigments rouges plus simples, ils utilisaient de l'oxyde de fer, du carmin obtenu par la cochenille, et quelques pigments végétaux dont la source n'est pas toujours facile à distinguer. Le noir était obtenu comme partout ailleurs du charbon de bois que l'on réchauffait après l'avoir mélangé avec de la noix de galle pour donner de l'encre de galle.
Ceux des pigments qui sont corrosifs détruisent le papier à la longue. C'est pourquoi, même conservées dans les meilleures conditions, certaines miniatures s'abîment.
Selon Sadiq Bek, auteur du Canon de la représentation de l'image écrit à la fin du XVIe siècle, le pinceau le plus adéquat est en poil d'écureuil[4]. La longue laine du chat persan est aussi utilisée avec succès par les peintres. Les laines sont d'abord triées selon la longueur, l'artiste n'utilisant que des pinceaux dont les poils sont de la même taille. Il les coud avec un fil, tandis que le tube est constitué d'une plume d'oiseau (le rachis et le calamus) jusqu'au bout étroit. Les pinceaux étaient bien sûr divers, du plus fourni au plus fin.
La peinture persane était caractérisée par un absolu respect de la tradition, ce qui amenait à reproduire abondamment les dessins. A cet effet, les artistes utilisaient souvent le pochoir. Celui-ci était fait d'une page blanche superposée sur le dessin à copier dont les contours étaient perforés à l'aiguille. Ensuite il secouait au-dessus du pochoir de la poudre de charbon écrasé. Ainsi les contours du dessin pouvaient être reproduits sur une autre feuille. Le maître traçait le contour au pinceau et n'avait plus qu'à colorier. Avant d'enluminer, il fallait une préparation du support qui rendait les contours à peine visibles. Le feuillet était recouvert d'une couche de plâtre très fine délayé dans de la gomme arabique et l'artiste n'avait plus qu'à peindre sur cet enduit[5]. Pour les manuscrits les plus précieux, la miniature n'était pas exécutée directement sur le feuillet. L'artiste y collait délicatement la feuille qu'il avait peinte.
Dans les bibliothèques (ketabkhaneh) importantes ou royales, beaucoup de corps de métier étaient impliqués en plus des peintres eux-mêmes et des calligraphes. Il y avait en premier le chef du projet qui devait décider quels étaient les épisodes de l'œuvre qui devaient être illustrés. Si le champ de la page devait être recouvert de motifs décoratifs d'or[6], c'était à un maître spécialiste d'intervenir, pendant que la feuille était encore humide. Le calligraphe écrivait son texte en laissant de la place pour les illustrations. Les peintres entraient en action une fois les travaux des doreurs et des calligraphes terminés.
Lorsque l'ouvrage était achevé, les feuillets étaient cousus et le manuscrit, relié. Les couvertures étaient faites de cuir estampé recouvert d'arabesques – et au XVe siècle et au XVIe siècle, d'un filetage. À partir de cette époque, il devient à la mode de réaliser des couvertures laquées. Les manuscrits persans étaient donc extrêmement coûteux et nécessitaient le long travail de toute une équipe.
La thématique de la peinture persane trouve jusqu'à un certain degré son origine dans la tradition figurative persane des siècles passés. Cela concerne d'abord ce qui passionne depuis toujours les Iraniens, c'est-à-dire la chasse qui est représentée depuis les Achéménides. Les exemples de peinture iranienne préislamique qui nous sont parvenus sont fort rares. Ce sont surtout des œuvres réalisées aux marges orientales du monde persan, comme de la peinture sur bois extrêmement rare et les fresques de Pandjikent.
Le manuscrit persan relié le plus ancien est un traité astronomique composé par Abd ar-Rahman al-Soufi en 1009-1010 et conservé aujourd'hui à Oxford à la Bodleian Library. Cependant ses illustrations, la représentation des constellations, ont une valeur explicative et apparaissent davantage comme des schémas techniques en couleur que comme des miniatures.
Les miniatures persanes - au plein sens du terme - qui sont composées avant l'invasion mongole sont celles qui illustrent le manuscrit Varka et Golshah daté de la moitié du XIIIe siècle. Cette œuvre est un roman chevaleresque écrit au XIe siècle par Aiuka. Le manuscrit est illustré de soixante-et-onze miniatures. Il est conservé au musée de Topkapi d'Istanbul. Le manuscrit est un exemple unique de la tradition artistique persane qui s'est perpétuée malgré la forte influence chinoise subie sous l'administration mongole. C'est à partir du XIIIe siècle que commence à proprement parler la synthèse de styles et de principes artistiques qui constitue la miniature persane. Celle-ci devient un phénomène stable sur plusieurs siècles qui plonge ses racines dans diverses régions asiatiques et voit donc se développer plusieurs branches stylistiques.
Traditionnellement, cet art, comme du reste tout l'art islamique, peut être divisé en plusieurs périodes correspondant aux règnes des différentes dynasties.
Les invasions mongoles du XIIIe siècle changent irrémédiablement le cours de l'histoire de l'Iran. Elles se produisent en deux vagues. Vers 1220 les armées du khan Tchinguiz bouleversent la façon de vivre et le prospérité du nord-est de la Perse et dans les années 1250 les armées de Houlagou envahissent les terres du Khwarezmshah et ne cessent de guerroyer que lorsqu'elles atteignent la Palestine, après la bataille d'Aïn Djalout en 1260. Après s'être emparé de Bagdad et avoir emprisonné le dernier calife en 1258, Houlagou concentre son pouvoir en Mésopotamie, en Perse et en Anatolie. Il fait de Maragha sa capitale (au nord-ouest de l'Iran), puis la capitale est transférée à Tabriz. Il fonde la dynastie des Ilkhans (ce qui signifie « jeune khan ») qui est nominalement tributaire du grand khan Kubilai, souverain de la Mongolie et de la Chine.
Les premières décennies du règne des Mongols se distinguent par leur cruauté. Les populations souffrent de pillages, d'impôts démesurés, de famine et lorsque Ghazan Khan arrive au pouvoir en 1295, toute l'économie de l'Iran est en ruines. Celui-ci vient d'adopter l'islam avant de monter sur le trône. Il met des réformes en chantier afin de faire renaître le pays de ses cendres. Les impôts sont réformés, un service de messagerie est institué, la frappe de la monnaie est rétablie dans tout le royaume, un système de poids et mesures unifié est mis en place, les routes des caravanes sont sécurisées. À la fin de son règne en 1304, Ghazan Khan a réussi à brider les tendances destructrices dans tout le pays. Son vizir Rachid, qui est à l'initiative de ces réformes, reste en service après la mort du khan. De plus, il se fait patron des arts, des sciences et des lettres. Il entretient dans sa bibliothèque une vaste équipe de copistes, peintres, calligraphes, etc. Le souverain suivant, Oldjaïtou (1304-1316) tente de consolider le système étatique, mais le règne de son jeune successeur Abou Saïd, âgé de onze ans, est marqué par les luttes internes des puissants de la cour.
Conséquence de ces désordres, Rachid est emprisonné et sa bibliothèque pillée. Jusqu'en 1327, année où Abou Saïd commence à gouverner seul, deux khans poursuivent la lutte pour le pouvoir. Ce sont des Mongols à l'origine des Tchopanides et des Djalayirides. Les huit dernières années du règne d'Abou Saïd sont plus stables, grâce à son vizir Guiyas, l'un des fils du vizir Rachid. Mais ensuite le pouvoir central s'affaiblit sans qu'aucun grand seigneur ne prenne le dessus. Différentes dynasties s'installent dans le pays divisé, des années 1330, jusqu'à la fin du siècle, lorsqueTamerlan s'empare du pouvoir.
Les Mongols ont amené avec eux des artistes chinois. C'est ainsi que l'on remarque dans les miniatures de l'époque des visages typés avec des yeux en amande, une façon de se vêtir et des espaces ordonnés à la manière chinoise qui diffèrent totalement de l'espace plat du manuscrit de Varka et Goshah. La peinture chinoise pouvait alors s'enorgueillir d'un millénaire d'existence avec de nombreux courants artistiques. Les premières productions de l'ère des Ilkhans sont plutôt éclectiques avec des influences arabes ou chinoises souvent mélangées dans une seule œuvre.
L'une des plus anciennes est le Bestiaire (Manafi al-Hayawan) d'Ibn Bahtish, composé entre 1297 et 1299 à Maragha. C'est la traduction d'un traité arabe en persan commandée par Ghazan Khan. On y trouve quatre-vingt-quatorze miniatures, mélangeant le style des miniatures arabes du XIIIe siècle, des motifs issus de la céramique persane et des innovations à la chinoise. Ainsi les arbres sont représentés à la façon des Song du Sud.
Outre la bibliothèque du khan, il existait au XIVe siècle plusieurs ateliers destinés à un public raffiné dans les grandes villes de l'ilkhanat. On connaît aujourd'hui trois versions du Livre des rois issues de Chiraz ou de Tabriz des années 1300 à 1340. Ils sont de petit format, sans or, et d'une illustration plutôt grossière, mais les artistes se sont sentis suffisamment libres pour remplir tout le champ de la page. Ce sont les exemplaires connus les plus anciens du Livre des rois.
Les œuvres les plus importantes de cette époque sont deux manuscrits de l'Histoire universelle et le Livre des rois de Demotte au Louvre.
Le Djami at-tawarih (ou en transcription universitaire Jami al-tawarikh) (Recueil de chroniques ou histoire universelle) a été composé par le vizir savant, Rachid, sous le règne de Ghazan Khan. C'est un ouvrage de propagande luxueux sur l'histoire depuis la création du monde en langue arabe et en langue persane qui devait être copié dans toutes les grandes villes afin d'affermir le pouvoir du khan. La bibliothèque du vizir à Tabriz occupait tout un quartier avec deux cent-vingt savants, calligraphes, artistes, etc. qui prirent part au projet. Vingt copies ont été produites pendant la vie de Rachid; mais il ne nous en reste que deux fragments. L'un est conservé à la bibliothèque de l'université d'Édimbourg et l'autre dans la collection privée de Nasser D. Halili à Londres. Les miniatures de ce manuscrit sont peintes à la manière prisée par la cour mongole dont le format horizontal rappelle les peintures chinoises. Les thématiques sont fort diverses, représentant aussi bien Bouddha ou des empereurs chinois, que des combattants arabes.
Le Livre des rois de Demotte (du nom du marchand qui en a vendu les pages après l'avoir dépecé) est un exemplaire qui a provoqué des discussions entre experts à propos de sa datation. La majorité considère qu'il a été composé à la fin du règne d'Abou Saïd dans les années 1330. Les miniatures sont d'un style éclectique avec une grande maîtrise artistique et un rendu très expressif. C'est particulièrement sensible dans les scènes tragiques qui sont nombreuses dans l'œuvre de Firdoussi. Les feuillets sont dispersés dans plusieurs musées du monde et collections privées. C'est de l'époque de l'ilkhanat que sont arrivées jusqu'à nous les premières signatures des artistes persans. Doust Mohammad, érudit, calligraphe et peintre du XVIe siècle mentionne dans son traité (1545-1546) le maître Ahmad Moussa « qui a levé le voile de la figuration ». Il cite également ses successeurs, comme Daoulat Yar ou Chams ad-Din. La période mongole a été très importante pour le destin de la peinture classique persane. Le mélange d'éléments persans, chinois, arabes et byzantins, en dépit de l'éclectisme des résultats, a ouvert la voie à une synthèse picturale plus fine qui s'est produite à la fin du XIVe siècle.
Il est fréquent dans toute l'histoire iranienne qu'un simple gouverneur de province nommé par le sultan tienne en main tout le pouvoir régional et devienne le fondateur d'une dynastie locale à moitié autonome. Les Injouïdes formèrent ainsi une telle dynastie qui gouvernait la province du Fars au sud-ouest du pays, de 1303 à 1357. Le chef-lieu de cette province était la ville de Chiraz qui comptait plusieurs ateliers d'enluminure.
Deux miniatures de cette époque d'un manuscrit disparu ont subsisté jusqu'à aujourd'hui. Il s'agit des illustrations du manuscrit de Kalîla et Dimna (1333), de même qu'existent également plusieurs versions du Livre des rois commençant à l'année 1341. Ses miniatures témoignent d'une qualité provinciale un peu médiocre par rapport aux grands ateliers du pays, mais elles conservent la tradition de l'art de l'ornementation persane qui, malgré l'influence chinoise, avait continué d'exister en dehors de la capitale. La miniature de Kalil et Dimna, qui met en scène une femme adultère, présente une profusion de grandes fleurs sur les côtés. Cette particularité stylistique témoigne de la volonté d'orner plus que dépeindre des scènes de façon réaliste.
- Iskander pleuré par ses proches (Livre des rois de Demotte, 1326-1360), Washington, Freer Gallery of Art
- Nasrallah, Le Charpentier Sarandib avec sa femme adultère au lit avec son amant («Kalîla et Dimna»), Nasrallah, Chiraz, 1333, British Museum, Londres
Les Mozaffarides[note 1] ont fondé leur dynastie sur les ruines de l'ilkhanat. Ils sont victorieux des Injouïdes dans les années 1350, s'emparent de Chiraz qu'ils pillent, mais ne peuvent prendre Tabriz. En 1393, Tamerlan met fin à leur pouvoir.
Les miniatures les plus anciennes de ce règne remontent aux années 1370, les précédentes ayant disparu. L'influence de l'époque djalayride qui fleurissait à Bagdad se manifeste par un changement dans l'organisation de l'espace de la miniature ainsi que par un accord de l'échelle des figures désormais proportionnées aux motifs du fond. Les sujets sont traités de manière plus lyrique avec une tendance au raffinement et à l'élégance des formes.
Chiraz est alors la ville phare de ce nouveau style que l'on admire dans le Livre des rois composé en 1371[note 2]. Il se distingue par son aspect clairement ornementé qui se manifeste dans les douze miniatures du manuscrit.
Ainsi, la miniature Bahram Gour tuant le dragon est représentée non seulement de manière subtilement réaliste, en ce qui concerne la représentation du cavalier, mais aussi avec une ornementation élégante constituée du corps même du dragon qui forme une motif d'arabesque complexe. Celui-ci ne lance plus de flammes. Son corps bleu foncé (couleur complémentaire du fond sable) est cerné d'une dorsale corail et un motif de longues queues issues de ses membres s'entrelace avec la silhouette. Ce nouveau style de Chiraz s'est prolongé plus ou moins jusqu'à la fin du XIVe siècle, comme on peut en juger d'après une autre copie du Livre des rois datant de 1393-1394.
Les Jalayirides (ou Djalayirides) étaient sous les Mongols gouverneurs de l'Anatolie. Dans la tourmente qui suit la mort d'Abou Saïd, ils combattent pour s'emparer du pouvoir ainsi que le font les dynasties provinciales et les Injouïdes. Le chef des Jalayrides, Hassan Bozorg (c'est-à-dire Hassan le Grand) s'empare de Bagdad en 1339 et son héritier Ouvaïs de Tabriz en 1360. La dynastie cesse d'exister avec la mort du sultan Hossein en 1431.
Les peintres en ces temps troublés restaient au service des différents souverains qui se succédaient. Doust Mohammad déclare en 1544 que le peintre Ahmad Moussa a servi le dernier ilkhan Abou Saïd, tandis que son élève Chams ad-Din a étudié dans son atelier alors que régnait le sultan Ouwaïs Ier.
De la période 1336—1356 n'ont survécu que quelques œuvres. Quelques miniatures dispersées, détachées de leur codex, peuvent être datées de 1360-70. Elles sont conservées dans deux albums reliés qui se trouvent l'un à Berlin, l'autre à Istanbul. Malgré l'influence persistante de l'art des ilkhans, on note un certain changement dans ces miniatures. C'est au milieu des années 1370 (à la mort d'Ouwaïs), qu'est formé le canon de la miniature persane pour les deux siècles suivants. Les artistes trouvent un équilibre entre ce que l'on pourrait désigner non sans un certain anachronisme l'abstraction et le naturalisme, de même qu'entre la couleur et le trait, les personnages et la nature. C'est ainsi qu'ils ont le mieux décrit l'esprit persan.
La mort d'Ouwaïs provoque une suite d'années fort troublées. Son frère Ahmad [7] gouverne de 1382 à 1410. Le trône de Bagdad lui est enlevé à deux reprises par Tamerlan (qui fait installer à Samarcande une partie des artistes de Bagdad). Seule la mort de Tamerlan en 1405 permet à Ahmad de retourner dans sa capitale de Bagdad. Celui-ci constitue une figure de grande importance dans l'histoire de la miniature persane. Les sources le décrivent comme un homme cruel et obstiné, mais en même temps comme un homme cultivé féru de poésie, de musique et de peinture. En outre, il composait des vers et prenait des leçons de dessin auprès du peintre de sa cour Abd al-Hay[8]. Beaucoup d'experts estiment que c'est lui, Ahmad, qui a donné une réelle impulsion à la miniature persane en lui donnant sa caractéristique lyrique et poétique qui correspondait à sa propre vision poétique du monde. Plusieurs manuscrits importants datent de cette période; le plus ancien (1386-1388) est une version du Khamseh de Nizami qui, bien qu'encore provinciale dans ses traits, révèle déjà ce que les enlumineurs de la bibliothèque d'Ahmad de Bagdad allait réaliser plus tard en plénitude.
Ensuite les Trois poèmes de Khadjou Kermani (1396) contiennent neuf miniatures qui représentent un pas énorme dans le développement de la miniature persane. L'interprétation lyrique du texte y atteint des sommets. L'univers qui apparaît s'annonce d'emblée comme celui d'un jardin paradisiaque[9]. Cela peut se remarquer dans la miniature intitulée La Princesse Khomayoun observant Khomay devant la porte, où un jardin fleuri et une tour décorée de carreaux de faïence symbolisent la beauté et la fleur de la jeunesse de la princesse attendant son bien-aimé[9]. Bien que le recours aux symboles n'ait jamais été aussi riche dans l'histoire de la miniature persane qu'il l'est dans la peinture flamande et la peinture italienne du Quattrocento, il ne fait aucun doute dans ce cas précis que les motifs de nature et d'architecture ont été élaborés pour enrichir le sens de l'événement dépeint. En outre, c'est la première fois dans l'histoire de l'art persan qu'une miniature est signée de la main de son auteur. Il s'agit ici de Djouneyd[note 3] et cela signifie qu'à l'époque le prestige de la profession de peintre atteint un tel niveau qu'il lui devient possible voire nécessaire de laisser son nom à la postérité. Deux manuscrits survivent encore au règne d'Ahmad: un traité savant de cosmologie datant de 1388 et une version plus tardive du Khamseh dont les miniatures sont proches dans la construction de celles des Trois poèmes de Kermani. Cependant l'œuvre la plus mystérieuse des dernières années du règne d'Ahmad est un recueil de poésie (Divan) composé par Ahmad lui-même. Huit des trois cent trente-sept pages du recueil contiennent des dessins dans les marges sur différents thèmes, alignés dans un système à sept niveaux que les savants expliquent par les tendances mystiques du sultan Ahmad. Les dessins sont fort bien faits, mais les avis divergent sur son auteur. La plupart des spécialistes sont d'accord pour les attribuer au peintre de la cour, Abd al-Hay; mais certains affirment qu'il s'agit d'Ahmad Djalayir en personne.
La contribution des peintres de l'époque djalayiride à la miniature persane est énorme. Ceux-ci ont pu s'essayer à plusieurs techniques sous le patronage du sultan Ahmad et créer une quantité d'archétypes nouveaux dans leurs modèles de composition, qui seront suivis par cinq générations de peintres. Ils ont atteint une telle grâce et une telle harmonie de couleurs qu'ils seront repris dans les siècles à venir, du moins dans les meilleures productions.
Première période timouride
- Savants chinois offrant des livres au khan Oldjeït, manuscrit du Madjma at-Tawarik, 1425-1430, British Museum (Londres)
- Alexandre le Grand rendant visite à un docte ermite, Divan d'Iskander Soltan, 1410-1411, British Museum
C'est cent cinquante ans après l'invasion des Mongols qu'arrivent brusquement du nord-est les armées de Tamerlan (Timour) et en 1400 elles ont réussi à s'emparer du pays en entier, ainsi que de la Mésopotamie, d'une partie de l'Asie centrale, jusqu'en direction de l'Inde aux portes de Delhi et au nord vers les steppes à la frontière de la Russie. Tamerlan ne perd jamais pendant sa vie toute la passion belliqueuse qui l'habite et meurt alors qu'il est en expédition guerrière contre la Chine. Sa politique de conquête est simple: Tamerlan propose de se rendre et de se soumettre à sa volonté; si la ville assiégée refuse de se rendre, Tamerlan la fait tout simplement raser et fait tuer ses habitants, ne laissant que les enfants en bas âge, les vieillards, ainsi que quelques artisans et artistes utiles à sa gloire. Il fait déporter ces derniers dans sa capitale de Samarcande, où il se lance dans des projets grandioses de construction qui doivent témoigner de sa puissance et de son pouvoir. Cependant, malgré le nombre de nouveaux palais luxueux qui sont construits, Tamerlan préfère passer le temps dans sa grande tente au bord de quelque rivière. Les sources historiques soulignent que les murs des palais, des pavillons et des gloriettes timourides étaient recouverts de portraits de Tamerlan, des membres de sa famille, des concubines préférées de son harem, ainsi que de représentations de ses victoires guerrières, mais pourtant aucune peinture n'a survécu... ni même aucune miniature du temps de son règne. Du reste, il n'en commandait vraisemblablement pas, car il était tout à fait indifférent aux livres et aux miniatures.
Il nomma ses fils et ses petits-fils gouverneurs de diverses provinces et désigna comme successeur Pir Muhammad, cependant après les troubles qui ont suivi la mort de Tamerlan, c'est son seul fils survivant, Shahrokh, qui prend le pouvoir. Son gouvernement est suffisamment stable, pour relancer les arts et la culture en général. Shahrokh commande plusieurs manuscrits enluminés, dont l'un des plus connus est le Madjma at-Tawarik d'Hafez qui prolonge le Djami at-Tawarik du temps des Mongols composé par Rachid al-Din. Plusieurs copies en ont été faites, mais il n'existe plus aujourd'hui qu'un seul exemplaire qui est conservé à Istanbul, tandis que des feuillets détachés d'un autre exemplaire sont dispersés dans différents musées du monde. Le style de ses miniatures était parfaitement connu de l'expert Richard Ettinghausen, qui l'a dénommé « style historique de Shahrokh ». Ses traits caractéristiques se distinguent par des personnages importants peints en arrière-plan, des sols avec un horizon élevé et une végétation rare. C'est ainsi que l'on remarque au musée de l'Ermitage toute une liste de folios du manuscrit du Khamseh qui datent de 1431 et qui ont été faits pour Shahrokh. Ce dernier préfère le style lyrique au style historique, comme on le voit sur les images.
Le neveu de Sharokh, Iskander Soltan, est à l'époque gouverneur de la province du Fars. Il est de nature frondeuse et fomente un complot contre Shahrokh, mais il est vaincu et son oncle lui fait crever les yeux en 1414 et le fait exécuter en 1415. Avant son arrestation, Iskander a largement soutenu sa bibliothèque (ketâbkhâneh) de Chiraz dont sont issus plusieurs manuscrits qui rivalisent de merveilles et datent pour la plupart des années 1410. Iskander commande alors deux anthologies de poésies (en 1410 et en 1411), un manuscrit d'horoscopes et un traité d'astronomie. Les anthologies ressemblent par leurs illustrations aux grands dessins de plein champ du Divan du sultan de Bagdad, Ahmad Djalayir. On retrouve ce style dans les figures allongées, les montagnes multicolores – souvent de couleur corail – et la nature traitée de manière lyrique dans ces œuvres de la bibliothèque de Chiraz. Elles ouvrent la voie par leur éclat à la miniature timouride des années 1430-1440.
- Zafarnameh du Metropolitan Museum of Art (1435-1436) composé à Chiraz : La Conquête de Bagdad par Tamerlan
Après l'arrestation d'Iskander Soltan, une partie des artistes et calligraphes de sa cour part s'installer à Hérat. Shahrokh installe son fils Ibrahim Soltan comme gouverneur de Chiraz. Son autre fils, Baïsonqor, part en guerre en 1420 pour enlever Tabriz aux tribus turcomanes des Moutons noirs, puis il retourne à Hérat, emmenant avec lui des peintres de Tabriz dont certains avaient autrefois travaillé pour le sultan Ahmad de Bagdad. Les deux fils de Shahrokh sont tous les deux fort cultivés. La miniature persane est en plein essor dans la première moitié du XVe siècle. Le musée de Berlin conserve dans sa collection d'art islamique une Anthologie poétique de 1420, avec une mention manuscrite d'Ibrahim Soltan à son frère Baïsonqor. Les miniatures de ce manuscrit ne sont pas toutes de même qualité, mais certaines se distinguent par leur raffinement. L'autre manuscrit, un Khamseh de 1435-1436 représente un sommet du style artistique lié au nom d'Ibrahim Soltan. Les maîtres de Chiraz peignaient non seulement pour la cour, mais possédait aussi toute une clientèle de grands seigneurs et de riches marchands à qui était destinée une production d'une qualité légèrement moindre.
La bibliothèque la plus luxueuse de la première moitié du XVe siècle est celle de Baïsonqor qui est située à Hérat. Elle comprenait une воurаtкhânеh, c'est-à-dire une galerie d'exposition à l'entrée, où l'on conservait les peintures sur soie ou sur papier et où l'on pouvait les examiner. Malgré son addiction au vin qui le fait mourir à l'âge précoce de trente-six ans, Baïsonqor fut capable de donner de nouvelles inspirations à ses peintres qui atteignent un sommet à cette époque, surtout dans l'illustration des manuscrits de Kalila et Dimna, du Livre des rois et le Golestân de Saadi. Un document unique, conservé aujourd'hui à Istanbul, indique que le chef de la ketâbkhâneh (bibliothèque de la cour) de Baïsonqor, le calligraphe Djafar Ali de Tabriz, est comptable devant le souverain de vingt-deux projets; allant de la miniature de manuscrit à l'architecture. Le document mentionne également les noms des vingt-cinq collaborateurs de la ketâbkhâneh (calligraphes, peintres, enlumineurs, relieurs, etc.) Le nom de Baïsonqor est lié plus d'une vingtaine de manuscrits illustrés et d'un grand nombre de miniatures sur feuillets à part. Dans cette liste impressionnante, il faut mentionner les miniatures les plus remarquables qui sont celles du manuscrit de l'histoire de Kalila et Dimna (1429) et celles du Livre des rois (dit « Livre des rois de Baïsonqor », 1430). Elles sont considérées comme des modèles de la peinture persane classique. La bibliothèque de Baïsonqor à Hérat est parfois appelée « Académie des arts ».
Après la mort de Baïsonqor d'ivrognerie, son atelier royal ne disparaît pas, bien qu'il soit possible que plusieurs artistes soient partis pour le Fars, l'Azerbaïdjan et même l'Inde. C'est de 1436 qu'est daté le Miradjnameh, récit des voyages mystiques de Mahomet qui est produit à Hérat. Il comporte soixante-et-une miniatures et un texte écrit en arabe et en ouïgour. L'atelier d'Hérat produit aussi un Livre des rois en 1450, pour le troisième fils de Shahrokh, Mohammad Djouki, bibliophile et patron des arts. Les miniatures ressemblent par le style à celles des œuvres de 1430 commandées par Baïsonqor.
Dans la première moitié du XVe siècle, une œuvre se tient à part, celle du peintre Mohammad Siyah Qalem (c'est-à-dire Mohammad au Calame noir), qui représente dans ses dessins des derviches, des chamans, des démons et des sorciers, thématique qui n'entre pas dans le courant traditionnel de la peinture persane. Cet artiste est, par ses sujets et sa manière de peindre, plus proche des traditions d'Asie moyenne et de Chine que des traditions persanes. La plupart de ses dessins sont aujourd'hui conservés à Istanbul au palais de Topkapi. L'influence chinoise sur l'art timouride de la première moitié du siècle est omniprésente, surtout dans les ornementations que l'on retrouve dans la décoration de tous les sujets. Les souverains timourides étaient en relations commerciales étroites avec la Chine et des articles avec des ornementations jusqu'à l'infini arrivaient sans cesse sur le marché. On importait aussi de la peinture sur soie, surtout dans le genre extrêmement populaire des « oiseaux-fleurs », qui était copié par certains peintres persans.
Le style turkmène et la seconde période timouride
Après la mort de Shahrokh qui intervient en 1447, les princes timourides entrent en conflit les uns contre les autres. Le fils de Shahrokh, Oulougbek, qui gouvernait de façon totalement indépendante dans les faits la Transoxiane, s'empare de Hérat et déporte ses artistes chez lui à Samarcande; il gouverne seul pendant presque deux ans sur les terres timourides. Ensuite à l'issue d'un complot mené par son fils Abd al-Latif, il est déposé et exécuté en 1449. Deux ans plus tard, c'est au tour d'Abd al-Latif d'être tué, ce qui inaugure une nouvelle étape d'instabilité. Celle-ci est due à la rébellion des tribus turcomanes (ou turkmènes) qui se fédèrent sous la désignation de Moutons noirs et s'emparent de l'Iran occidental et méridional, et même pendant une courte période de Hérat en 1458. Neuf ans plus tard, en 1467, c'est une union de tribus turkmènes rivales, les Moutons blancs, qui prend le pouvoir.
Pendant ces temps troublés, les artistes passent d'un gouvernement à l'autre. Hérat est considérée à l'époque de Baïsonqor comme la Mecque des artistes, mais elle perd sa place au milieu du siècle, car les artistes préfèrent, aux rêves de revanche militaire dont la ville est saisie, la vie à la cour de Tabriz, de Chiraz ou de Bagdad. De la mort de Shahrokh en 1447 à l'arrivée au trône de Hossein Bayqara en 1470 à Hérat, aucun manuscrit illustré n'est commandé. Cependant dans les territoires pris par les Turkmènes, les artistes travaillent comme autrefois dans les grandes villes. Des années 1450, il ne subsiste jusqu'à nos jours qu'un seul manuscrit, un exemplaire du Khamseh, composé dans le style de Tabriz de l'époque d'Ibrahim Soltan, ainsi que quelques miniatures séparées dans le style hérati de l'époque de Baïsonqor.
Pir Boudak, fils du chef turkmène Djahanshah, et nommé par lui gouverneur de Chiraz, se rebelle et contre la volonté de son père s'empare de Bagdad en 1460. Deux manuscrits datent de l'époque de son gouvernement dans cette ville. L'un est un Khamseh réalisé à Bagdad en 1465 dont les miniatures mélangent le style hérati avec des innovations d'artistes de la cour d'Hossein. Cette année 1465 est la même que celle de la rébellion de Pir Boudak contre son père; mais finalement c'est Djahanshah qui prend le dessus. Ses troupes entrent à Bagdad et il fait exécuter son fils. Lui-même meurt deux ans plus tard des mains de son adversaire Ouzoun Hassan et en conséquence les terres des Moutons noirs sont rattachées aux terres des Moutons blancs. Malgré le fait qu'il existe des témoignages écrits sur les murs recouverts de fresques et de peintures des palais d'Ouzoun Hassan à Tabriz, il n'y a plus qu'un seul manuscrit qui nous en soit parvenu. Commandé par son fils Khakil, il est dédié à son père. Il existe d'autres commandes faites par d'autres princes; on peut distinguer parmi elles une anthologie poétique réalisée à Chamakhi, commandée par le gouverneur de Chirvan, Farroukh Yassar qui s'était soumis au pouvoir des Turkmènes. En outre, il existe une quantité d'œuvres dites de « bazar », dont une partie a survécu aujourd'hui. La qualité de leurs miniatures est certes moindre, que celles réalisées pour la cour. Parmi les manuscrits les plus remarquables de la fin du XVe siècle en style turkmène, l'on peut mentionner un exemplaire du Livre des rois de 1494 pour Ali Mirza, sultan de la province du Guilan, qui contient trois cent-cinquante miniatures. Dans nombre de ces miniatures, les personnages sont représentés avec une tête exagérément grande, et c'est pourquoi le manuscrit a reçu le nom de Livre des rois à grandes têtes. Une version du Khamseh est commandée pour le prince timouride Babour Baïsonqor, mais elle est saisie par les Turkmènes en guise de trophée et ce sont des artistes turkmènes qui l'achèvent, dans un style proche de l'anthologie poétique réalisée à Chamakhi.
C'est à cette époque de la capitale timouride de Hérat que s'épanouit de nouveau l'art de la miniature persane. Elle coïncide avec l'arrivée au pouvoir d'Hossein Bayqara en 1470 qui reste sur le trône pendant trente-six ans. Certes son règne n'est pas sans conflits et rébellions – les Turkmènes sont sans cesse menacés à l'ouest avec des révoltes de princes timourides rivaux, et à l'est l'orage gronde avec les Ouzbeks. Hossein est un souverain sage qui sait se mesurer à la difficulté pour la vaincre. Il réunit à sa cour de Hérat de brillants poètes, artistes et savants. Le grand poète Navoï – qui est l'homme le plus cultivé de son temps – lui sert de vizir et Djami travaille aussi à la cour avec toute une pléiade d'artistes, dont Behzad au premier plan. Le cérémonial de la cour est observé avec rigueur. Les invités et courtisans du souverain ne doivent pas seulement se placer selon leur rang, mais ils doivent aussi connaître, en plus de l'étiquette, les règles de l'art, débattre dans ses infimes détails de la poésie, de la musique et de l'art pictural. Les compositions rigoureuses et ordonnées des miniatures de l'école de Hérat de cette époque reflètent un tant soit peu cet esprit de cour.
Le manuscrit le plus ancien qui soit rattaché au nom du sultan Hossein Bayqara, c'est le Zafarnameh écrit par Chir Ali en 1467-1468, avant que le sultan Hossein ne monte sur le trône. Ce livre manuscrit est consacré à la glorification des expéditions guerrières de Tamerlan et doit servir à affermir les droits d'Hossein, son successeur qui doit continuer son œuvre. Le manuscrit est composé dans les années 1480. Les experts considèrent que les miniatures sont du pinceau de Kamaleddin Behzad, artiste fameux qui est arrivé à la ketâbkhâneh du sultan grâce à la protection de Navoï. Ainsi la miniature de La Construction d'une mosquée à Samarcande reflète typiquement l'intérêt de Behzad envers les situations quotidiennes et la description de diverses activités banales, ainsi que sa manière de figurer les poses et les personnages avec une pointe d'humour. Quelques miniatures semblent avoir été réalisées par un autre. La plupart de ces œuvres datent des années 1480-1490.
C'est de 1488 qu'est datée une autre œuvre de l'atelier d'Hossein, un exemplaire du Boustan de Saadi. Le style de Behzad s'y exprime à son mieux, avec des notes colorées et modulées donnant toute une gamme d'impressions de grandeur et de merveille. Les personnages ont des gestes et des attitudes pris sur le vif, mais beaucoup d'entre eux sont en fait des portraits d'après modèle. Quatre miniatures sont signées de Behzâd. La plus belle est certainement la miniature intitulée La Tentation de Youssouf (c'est-à-dire Joseph)[note 4] dont l'Ancien Testament fait le récit. Celle qui essaye de le séduire, c'est Zouleyka, la femme de Potiphar. L'histoire biblique est réinterprétée par le poète Djami qui compose sa poésie mystique Youssouf et Zouleyka. Il y raconte comment Zouleyka a fait construire un palais avec sept salles luxueuses dont les murs sont recouverts de scènes érotiques représentant Youssouf et Zouleyka. Youssouf parvient à s'échapper de la séductrice à travers les sept salles; mais finalement Djami les marie et la fin du récit est tragique.
Il faut distinguer ensuite des manuscrits issus de la cour d'Hossein, une version du Khamseh qui est commandée par le prince timouride Aboul Qassim Babour (il gouverne de 1449 à 1457) et qui est restée inachevée à la mort du prince. Deux artistes la complètent dans les années 1480: il s'agit de Sheikhi et de Mohammad Darvish dont les merveilleuses compositions sont dans un style légèrement différent de celui de Behzâd, notamment par la représentation d'une végétation luxuriante et fantastique servant d'ornementation. En plus de ces commandes princières, il circule à l'époque à Hérat une quantité d'œuvres plus « commerciales » dont une partie subsiste de nos jours, comme le Khavarnameh (version populaire du Shahnameh), conservé à la Chester Beatty Library de Dublin.
Les Ouzbeks des steppes (originaires du nord du Syr-Daria) avec à leur tête Mohammad Sheybani bataillent en Transoxiane en 1499 et s'emparent de Hérat en 1507. Ils font de Samarcande leur capitale. Le khan Sheybani ne se repose pas longtemps sur ses lauriers : en 1510, le souverain iranien Ismaïl Ier le menace avec une petite armée en partant de Merv, puis il le défait. Du crâne de Sheybani Khan, Ismaïl en fait une coupe plaquée d'or et sertie de pierres précieuses pour boire du vin et se pavaner en vainqueur dans les festins. Malgré ces descriptions peu flatteuses, le khan mongol a toutefois pu entretenir à la cour de Samarcande une[note 5] ketâbkhâneh (bibliothèque) importante et y faire venir des artistes de Hérat. Il trouve le temps de poser en costume timouride devant Behzâd. Il fait aussi construire à Samarcande une médersa avec sa propre bibliothèque et s'intéresse aux discussions littéraires des érudits de Hérat. Sheybani Khan a passé sa jeunesse à Boukhara. En plus de sa langue turque natale, il parlait le persan et l'arabe, s'adonnait à la calligraphie et composait des vers. Un manuscrit intitulé Fathnameh (c'est-à-dire la Chronique des victoires) composé par l'historiographe de la cour, Mollah Mohammad Shadi (vers 1502-1507)[note 6] décrit les premières années de son règne. Les miniatures sont d'un style grossier et quelque peu provincial, cependant il existait une longue tradition littéraire à Boukhara et à Samarcande bien avant la dynastie des Chaybanides.
En 1393, Tamerlan déporte dans sa capitale de Samarcande une partie des copistes et artistes de la ketâbkhâneh de Bagdad qui appartenait à Ahmad Djalaïr. Parmi eux, se trouve le fameux Abd al-Hay à qui est conféré le titre de ketâbdâr, c'est-à-dire de chef de la bibliothèque royale de Samarcande. Il ne reste plus rien des manuscrits de cette période. Les copies existantes des miniatures d'Abd al-Hay qui ont été peintes par son élève Mohammed al-Hayam ne rendent pas l'effet de ses œuvres de Bagdad.
Pendant le règne du prospère Ouloughbek (1409-1449), qu'on appelait le « docte sur le trône », plusieurs manuscrits importants ont été commandés, parmi lesquels un traité astronomique d'Al-Soufi (vers 1437) avec des représentations symboliques des constellations. Malgré le fait qu'Ouloughbek s'était emparé d'Hérat en 1447 et en avait déporté un grand nombre d'érudits et d'artistes, cela a eu peu d'importance sur la qualité des miniatures d'Asie centrale. La seconde moitié du XVe siècle ne fut pas favorable à l'épanouissement de l'enluminure dans cette région d'Asie. Le diktat idéologique du sheikh Khodj Ahrar, qui faisait des artistes de la cour de serviles marionnettes sous prétexte d'orthodoxie religieuse, inaugura une période sombre pour l'art et la vie intellectuelle en général. Beaucoup de savants et d'artistes s'en retournèrent à Hérat. Le retour à la floraison artistique et intellectuelle intervint après qu'en 1507 le khan fit venir une partie des savants et peintres de Hérat à Samarcande. Lorsque la capitale fut transférée à Boukhara dans les années 1520, le patronage des arts se poursuivit. Le style de la ketâbkhâneh de Boukhara est proche de celui de la bibliothèque de Hérat, ce qui prouve les liens entre elles. Behzad compose un Boustan (de l'œuvre de Saadi) en 1522-1523[note 7] et d'après l'œuvre d'Assar Tabrizi, un Mihr et Moushtari en 1523[note 8]. De 1512 à 1536, le nouveau khan réunit à Boukhara les meilleurs artistes et calligraphes de son temps et en particulier ceux de Hérat, prise en 1529, comme le calligraphe Mir Ali ou le peintre Sheikhzadeh, l'un des meilleurs élèves de Behzâd. On peut ainsi distinguer leur travail commun dans le manuscrit Haft manzar (« Les Sept pavillons ») du poète Hatifi. On y trouve quatre miniatures de pleine plage; celle intitulée Bahram Gour et la princesse dans le pavillon noir (1538)[note 9] représente un décor intérieur finement ornementé, où les personnages - au visage rond et aux sourcils épais - sont disposés presque symétriquement dans des tons pâles.
Ce nouveau style boukhariote s'est prolongé jusqu'en 1575 environ. Mahmoud Mouzahhib participe au Présent à un seigneur de Djami (1547-1548) dédié au sultan Abdoulaziz. De plus, il exécute le portrait de Navoï[note 10]. Ce sultan poursuit le patronage des arts, mais après sa mort en 1550, la production de manuscrits s'éteint petit à petit.
Les manuscits commandés par Abdullah Khan (1557-1598), comme un exemplaire du Livre des rois de 1564, possèdent une palette limitée et présentent des personnages dans un style déjà démodé avec des paysages plutôt pauvres. Certains artistes partent pour le Deccan et Golkonda, où ils trouvent du travail à la cour du sultan. L'influence de l'école de Boukhara en Inde est perceptible. C'est ainsi que travaillent à la cour de l'empereur Jahângîr[note 11], grand admirateur de la miniature persane, deux artistes originaires d'Asie centrale : Mohammad Mourad de Samarcande et Mohammed Nadir, ce dernier gagnant la réputation de portraitiste distingué. La tradition de la miniature d'Asie centrale se poursuit jusqu'au XVIIe siècle. Certaines œuvres innovent d'un point de vue littéraire, comme le Zafarnameh (1628-1629) de Sharaf ad-Din Ali Yazdi, né à Hérat, mais ses illustrations répètent d'anciens modèles. Un exemplaire du Boustan de Saadi est conservé à la Chester Beatty Library de Dublin, daté de 1616. Trois artistes ont pris part aux illustrations: Mohammed Shérif, Mohammad Dervish et Mohammad Mourad. Une variante de ce recueil, datée de 1649, est conservée également dans ce même lieu.
L'Asie centrale est envahie par les Moghols en 1646-1647, ce qui privilégie les relations avec l'Inde et amène les artistes de Samarcande et de Boukhara à s'inspirer de modèles moghols, comme on le remarque dans l'exemplaire du Khamseh (1648) conservé à la Bibliothèque nationale russe de Saint-Pétersbourg.
Au XVIIIe siècle, les miniatures de l'école de Boukhara tombent au rang de simples productions commerciales. Des miniatures s'en inspirant sont produites en abondance dans les ateliers du Cachemire tout au long du XVIIIe siècle et du XIXe siècle.