Nikita Khrouchtchev
dirigeant soviétique / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Cher Wikiwand IA, Faisons court en répondant simplement à ces questions clés :
Pouvez-vous énumérer les principaux faits et statistiques sur Nikita Khrouchtchev?
Résumez cet article pour un enfant de 10 ans
Vous lisez un « bon article » labellisé en 2013.
« Khrouchtchev » redirige ici. Pour les autres significations, voir Khrouchtchev (homonymie).
Dans ce nom russe, Sergueïevitch est le patronyme et Khrouchtchev est le nom de famille.
Nikita Sergueïevitch Khrouchtchev (prononcé, en français, /ni.ki.ta sɛʁ.ge.je.vitʃ kʁuʃ.tʃɛf/ ; en russe : Никита Сергеевич Хрущёв, Nikita Sergueïevitch Khrouchtchiov, /nʲɪˈkʲitə sʲɪrˈɡʲejɪvʲɪtɕ xrʊˈɕːɵf/ Écouter), né le 3 avril 1894 ( dans le calendrier grégorien)[n 1] à Kalinovka, dans l'Empire russe, et mort le à Moscou, est un homme d'État soviétique qui dirigea l'URSS durant une partie de la guerre froide. Il est premier secrétaire du Parti communiste de l'Union soviétique de 1953 à 1964 et président du conseil des ministres de 1958 à 1964. Khrouchtchev joue un rôle important dans le processus de déstalinisation, dans le développement du programme spatial soviétique et dans la mise en place de réformes relativement « libérales » en politique intérieure. Sa santé déclinant[2], les autres dirigeants du parti s'arrangent pour l'écarter du pouvoir en 1964 et il est remplacé par Léonid Brejnev au poste de premier secrétaire et par Alexis Kossyguine à celui de président du conseil des ministres.
Nikita Khrouchtchev Никита Хрущёв | ||
Nikita Khrouchtchev en 1963. | ||
Fonctions | ||
---|---|---|
Président du Conseil des ministres de l'URSS | ||
– (6 ans, 6 mois et 18 jours) |
||
Président | Kliment Vorochilov Léonid Brejnev |
|
Prédécesseur | Nikolaï Boulganine | |
Successeur | Alexeï Kossyguine | |
Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique | ||
– (11 ans et 1 mois) |
||
Prédécesseur | Joseph Staline (indirectement) | |
Successeur | Léonid Brejnev | |
Biographie | ||
Surnom | Monsieur K K |
|
Date de naissance | 3 avril 1894 ( dans le calendrier grégorien) | |
Lieu de naissance | Kalinovka (Koursk, Russie) | |
Date de décès | (à 77 ans) | |
Lieu de décès | Moscou (URSS) | |
Nationalité | soviétique | |
Parti politique | PCR(b) (1918-1925) PCP(b) (1925-1952) PCUS (1952-1971) |
|
Conjoint | Eufrosinia Pissareva (née en 1894, mariés de 1914 à 1919, décédée en 1919) Maroussia Khrouchtcheva (mariés et séparés en 1922) Nina Koukhartchouk (née en 1900, mariés de 1923 à 1971, morte en 1984) |
|
Enfants | Cinq, dont Sergueï | |
|
||
|
||
Présidents du Conseil des ministres de l'URSS Dirigeants du Parti communiste de l'Union soviétique |
||
modifier |
Il existe plusieurs versions concernant la jeunesse de Krouchtchev. Sa biographie officielle l'a présenté ainsi : fils de paysans du gouvernement de Koursk, il est forgeron dans sa jeunesse avant de devenir commissaire politique durant la guerre civile russe. Selon des Français qui l'ont connu pendant la première guerre mondiale, il était cornette dans l'armée du tsar et avait été envoyé combattre sur le front ouest dans la Marne près de Montmirail. Quand il est revenu en France à l'invitation de De Gaulle, il a tenu à se rendre à l'endroit où il avait combattu et a revu la famille M. qui l'avait hébergé. C'est seulement en 1917 qu'il rejoint les bolchéviks.
Cet épisode a été gommé dans sa biographie officielle.Il est certain qu'il gravit les échelons de la hiérarchie soviétique avec l'aide de Lazare Kaganovitch. Il défend les Grandes Purges de Joseph Staline et approuve des milliers d'arrestations. En 1939, Staline le nomme à la tête du parti communiste en Ukraine et il poursuit les purges dans la région. Durant la Seconde Guerre mondiale, Khrouchtchev redevient commissaire et joue le rôle d'intermédiaire entre Staline et ses généraux. Il participe à la bataille de Stalingrad et après la guerre retourne en Ukraine avant d'être rappelé à Moscou, où il devient l'un des plus proches conseillers de Staline.
Khrouchtchev émerge comme le vainqueur de la lutte de pouvoir provoquée par la mort de Staline en 1953. Le , lors du XXe congrès du Parti, il prononce le « discours secret » dénonçant les politiques répressives de Staline et enclenchant un assouplissement de l'appareil coercitif en Union soviétique, impulsé par Lavrenti Beria. Sa politique intérieure, destinée à améliorer la vie du peuple, est souvent inefficace, en particulier dans le domaine agricole. Espérant faire reposer la défense nationale sur les missiles balistiques, Khrouchtchev ordonne d'importantes coupes dans le budget consacré aux forces conventionnelles. C'est sous son pouvoir qu'ont lieu les années les plus tendues de la guerre froide et les tensions culminent lors de la crise des missiles de Cuba en 1962.
Profitant des erreurs politiques de Khrouchtchev, ses rivaux gagnent en influence et le renversent en octobre 1964. Il ne connaît pas le destin tragique de certains anciens perdants des luttes de pouvoir soviétiques et est mis à la retraite avec un appartement à Moscou et une datcha à la campagne. Ses mémoires sont exfiltrés à l'Ouest et partiellement publiés en 1970. Khrouchtchev meurt en 1971 d'une crise cardiaque. Ses réformes influencent plus tard celles de Mikhaïl Gorbatchev et il est aujourd'hui mieux considéré que la plupart des dirigeants de l'ère soviétique, malgré sa complicité dans les crimes de masse commis sous Staline.
Khrouchtchev est né en 1894 à Kalinovka, village de l'ancien gouvernement de Koursk (actuellement oblast de Koursk en Russie, situé à proximité de la frontière actuelle avec l'Ukraine). Ses parents, Sergueï Khrouchtchev et Ksenia Khrouchtcheva, étaient des paysans pauvres d'origine russe[3] et il avait une sœur, Irina, de deux ans sa cadette[1]. Sergueï Khrouchtchev occupa plusieurs postes dans la région du Donbass à l'extrême-est de l'Ukraine, où il travailla en tant que cheminot, mineur ou ouvrier d'une briqueterie. Les salaires étaient bien plus élevés dans le Donbass que dans la région de Koursk et Sergueï Khrouchtchev ne rentrait à Kalinovka que lorsqu'il avait gagné suffisamment d'argent[4].
Kalinovka était un village paysan ; l'institutrice de Khrouchtchev, Lydia Chevtchenko, rapporta plus tard qu'elle n'avait jamais vu un village aussi pauvre que celui-là[5]. Nikita travailla très jeune comme berger et il fut scolarisé durant quatre ans, initialement dans l'école paroissiale du village puis sous la tutelle de Chevtchenko dans l'école d'État de Kalinovka. Dans ses mémoires, Khrouchtchev rapporte que Chevtchenko était une athée qui irritait les villageois par son refus de se rendre à l'église et lorsque son frère lui rendait visite, il donnait à Nikita des livres interdits par le gouvernement impérial[6]. Elle pressa Nikita de poursuivre ses études, mais les finances de sa famille l'en empêchèrent[6].
En 1908, Sergueï Khrouchtchev déménagea dans la ville de Iouzovka dans le Donbass ; Nikita, alors âgé de quatorze ans, le rejoignit l'année suivante ; sa mère et sa sœur firent de même un peu plus tard[7]. Iouzovka, qui fut renommée Stalino en 1924 et Donetsk en 1961, était au cœur de l'une des régions les plus industrialisées de l'Empire russe[7]. Après plusieurs expériences dans divers domaines d'activité, les parents de Nikita lui trouvèrent une place d'apprenti ajusteur. À la fin de son apprentissage, le jeune Khrouchtchev fut engagé par une usine[8]. Il perdit son travail après avoir organisé une collecte pour les victimes du massacre de la Léna et il fut embauché pour réparer les équipements d'une mine à proximité de Routchenkovo[9], où il distribua et organisa des lectures publiques de la Pravda[10]. Il avança plus tard qu'il avait envisagé d'émigrer aux États-Unis pour obtenir un meilleur salaire[11].
Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914, Khrouchtchev, forgeron qualifié, fut exempté de la conscription. Employé dans un atelier entretenant le matériel d'une dizaine de mines, il fut impliqué dans plusieurs grèves lancées pour obtenir une hausse des salaires, de meilleures conditions de travail et la fin de la guerre[12]. En 1914, il épousa Eufrosinia Pissareva, la fille d'un opérateur d'ascenseur dans la mine de Routchenkovo. Ils eurent une fille, Youlia, en 1915, et un fils, Leonid, en 1917[13].
Après l'abdication de Nicolas II en 1917, le gouvernement provisoire de Petrograd avait peu d'influence sur l'Ukraine. Khrouchtchev fut élu au conseil ouvrier (ou soviet) de Routchenkovo, dont il devint le président en mai[14]. Il ne rejoignit pas les bolcheviks avant 1918, au moment du déclenchement de la guerre civile russe entre ces derniers et les Armées blanches. Son biographe, William Taubman, suggère que Khrouchtchev se sentait plus proche des mencheviks qui mettaient l'accent sur l'amélioration de l'économie et que cela explique son affiliation tardive avec les bolcheviques qui cherchaient avant tout le pouvoir politique[15]. Dans ses mémoires, Khrouchtchev indique qu'il avait attendu du fait du grand nombre de groupes et de tendances politiques à évaluer[15].
En mars 1918, les bolcheviques signèrent le traité de Brest-Litovsk. Conformément à ce traité, les Allemands occupèrent le Donbass, ce qui poussa Khrouchtchev à retourner à Kalinovka. À la fin de l'année 1918 ou au début de l'année 1919, il fut mobilisé dans l'Armée rouge en tant que commissaire politique[16]. Ce poste avait récemment été créé pour inculquer les thèses du bolchevisme aux recrues et renforcer le moral des troupes[17]. Khrouchtchev fut initialement commissaire d'un peloton de construction avant de devenir celui d'un bataillon et d'être envoyé sur le front pour une mission de deux mois. Le jeune commissaire participa à plusieurs affrontements[18] mais dans la plupart des récits de guerre qu'il écrivit ultérieurement, il évoque plus sa maladresse culturelle (et celle de ses troupes) que les combats[17]. La guerre civile russe prit fin en 1921 et Khrouchtchev fut démobilisé et assigné à une brigade de travail dans le Donbass où lui et ses hommes vivaient dans des conditions difficiles[17].
Les guerres avaient complètement dévasté le pays et les famines et les maladies firent des centaines de milliers de victimes dont Eufrosinia qui mourut du typhus à Kalinovka alors que Khrouchtchev était dans l'armée. Le commissaire rentra chez lui pour les funérailles et fidèle à ses principes bolcheviques, il refusa que le cercueil de sa femme entrât dans l'église du village. Comme il s'agissait de la seule entrée du cimetière, il fit soulever le cercueil au-dessus de la clôture jusque dans sa sépulture malgré l'indignation des villageois[17].
Donbass
Grâce à l'intervention d'un ami, Khrouchtchev fut nommé en 1921 au poste de directeur adjoint des affaires politiques pour la mine de Routchenkovo où il avait auparavant travaillé[19]. Les bolcheviques étaient encore peu nombreux dans la région. À ce moment le mouvement était divisé par la nouvelle politique économique de Lénine qui autorisait un libéralisme économique limité et était rejetée par certains bolcheviques[19]. Même si les responsabilités de Khrouchtchev concernaient les affaires politiques, il s'impliqua pour essayer de relancer la production de la mine après le chaos des années de guerre. Il aida à remettre en état les machines et il portait son ancien uniforme de mineur lors de ses tournées d'inspection[20].
Les performances de Khrouchtchev dans la mine de Routchenkovo furent remarquées et au milieu de l'année 1922, on lui offrit le poste de directeur de la mine de Pastoukhov à proximité. Il refusa cependant car il cherchait à être nommé au nouvel institut de technologie (tekhnikum) de Iouzovka même si ses supérieurs étaient réticents à l'idée de le laisser partir. Comme il n'avait fait que quatre années d'études, il postula à un programme d'entraînement (rabfak) attaché au tekhnikum qui était destiné à remettre au niveau les étudiants sous-diplômés pour qu'ils puissent intégrer la direction du tekhnikum[21]. Khrouchtchev continua son travail à la mine de Routchenkovo tout en suivant les cours du rabfak[22]. L'un de ses professeurs le décrivit plus tard comme un étudiant médiocre[21]. Il eut plus de succès dans son ascension au sein du parti communiste ; peu après son entrée au rabfak, en août 1922, il fut nommé secrétaire du parti pour l'ensemble du tekhnikum et il devint membre du bureau, le conseil décisionnel, du comité du parti pour la ville de Iouzovka (renommée Stalino en 1924). Il rejoignit brièvement les partisans de Léon Trotski contre ceux de Joseph Staline sur la question de la démocratisation du parti[23]. Toutes ces activités lui laissaient peu de temps pour ses études et s'il déclara plus tard avoir terminé ses études au rabfak, il n'est pas certain que cela soit vrai[23].
En 1922, Khrouchtchev rencontra et épousa sa seconde femme, Maroussia, dont le nom de jeune fille est inconnu. Ils se séparèrent rapidement mais Khrouchtchev aida ultérieurement Maroussia lorsque sa fille d'une précédente union décéda des suites d'une maladie. Peu après ce mariage raté, Khrouchtchev rencontra Nina Petrovna Koukhartchouk, une militante éduquée du Parti et la fille de paysans ukrainiens aisés[24]. Les deux vécurent ensemble jusqu'à la mort de Khrouchtchev même s'ils n'officialisèrent leur mariage qu'en 1965. Ils eurent deux enfants : un fils, Sergueï, en 1935 et une fille, Elena, en 1937[25].
Au milieu de l'année 1925, Khrouchtchev fut nommé secrétaire du parti du raikom ou district de Petrovo-Marinski près de Stalino. Le raikom avait une superficie d'environ 1 000 km2 et Khrouchtchev était constamment en déplacement dans son territoire dans lequel il s'intéressait même à la plus petite affaire[26]. À la fin de l'année 1925, Khrouchtchev fut élu comme délégué non votant lors du XIVe congrès du Parti à Moscou[27].
Protégé de Kaganovitch
Khrouchtchev avait rencontré Lazare Kaganovitch en 1917 et en 1925 ce dernier était devenu le chef du Parti en Ukraine[28]. Il prit sous son aile Khrouchtchev[29] qui fut nommé second dans la hiérarchie du Parti de Stalino à la fin de l'année 1926. Taubman avance que l'éviction de son supérieur, Konstantin Moiseyenko, moins de neuf mois plus tard était lié aux actions de Khrouchtchev[28]. Kaganovitch transféra Khrouchtchev à Kharkov, alors la capitale de l'Ukraine, et le plaça à la tête du département organisationnel du Comité central du Parti ukrainien[30]. En 1928, Khrouchtchev fut envoyé à Kiev où il devint le numéro 2 du Parti dans la ville[31].
En 1929, Khrouchtchev chercha à nouveau à approfondir son éducation et, suivant Kaganovitch devenu un proche conseiller de Staline au Kremlin, il s'inscrivit à l'académie industrielle de Moscou. Khrouchtchev ne termina jamais ses études dans cet établissement mais son ascension dans le Parti s'accéléra[32]. Lorsque la cellule du parti de l'école élut plusieurs personnes de droite pour une conférence du Parti, celle-ci fut attaquée dans la Pravda[33]. Khrouchtchev sortit victorieux de la lutte de pouvoir qui suivit et il devint secrétaire du Parti de l'école et purgea la cellule de ses opposants[34]. Khrouchtchev devint ensuite chef du Parti dans le district de Bauman où se trouvait l'académie avant d'obtenir la même position dans le district de Krasnopresnensky, le plus grand et le plus important de la capitale. En 1932, Khrouchtchev était parvenu au second rang, derrière Kaganovitch, dans l'organisation du Parti à Moscou et en 1934, il devint chef du Parti de la ville[32] et membre du Comité central[35]. Khrouchtchev attribua sa progression rapide à son amitié avec une camarade de l'académie, Nadejda Allilouïeva, l'épouse de Staline. Dans ses mémoires, Khrouchtchev avança qu'Allilouïeva parla de lui en bons termes à son mari[36].
Alors qu'il était à la tête de l'organisation du Parti à Moscou, Khrouchtchev dirigea la construction du métro de Moscou, un projet très coûteux dont Kaganovitch était le responsable officiel. Faisant face à une date d'ouverture prévue le 7 novembre 1934, Khrouchtchev prit des risques considérables dans la construction et il passa beaucoup de temps dans les tunnels. Le métro n'ouvrit pas avant le 1er mai 1935 mais Khrouchtchev reçut l'ordre de Lénine pour son rôle dans la construction[37]. Plus tard dans l'année, il fut choisi pour devenir le chef du parti de l'oblast de Moscou, une province avec une population de 11 millions d'habitants[32].
Implication dans les purges
Les documents du secrétariat de Staline montrent que Khrouchtchev participa à des réunions avec lui dès 1932. Les deux se lièrent d'amitié : Khrouchtchev admirait le dictateur et chérissait les rencontres informelles avec lui et les invitations à la datcha de Staline et celui-ci appréciait son jeune subordonné[38]. À partir de 1934, Staline lança une campagne de répression politique connue sous le nom de Grandes Purges au cours de laquelle des millions de personnes furent exécutées ou envoyées au goulag. Au centre de cette campagne se trouvaient les procès de Moscou, une série de procès truqués destinés à éliminer de hautes personnalités politiques et militaires. En 1936, Khrouchtchev exprima son soutien total aux procès :
« Tous ceux qui se réjouissent des succès de notre pays, des victoires de notre parti mené par le grand Staline, ne trouveront qu'un seul mot convenable pour les mercenaires, les chiens fascistes du gang zinovievo-trotskyste. Ce mot est exécution[39]. »
Khrouchtchev participa à la purge de nombreux amis et collègues de l'oblast de Moscou[40]. Sur les 38 officiels de premier plan du Parti à Moscou, 35 furent exécutés[40] et les trois survivants furent envoyés dans d'autres régions de l'URSS[41]. Sur les 146 secrétaires du Parti des villes et des districts de Moscou et de la province, seuls 10 survécurent aux purges[40]. Dans ses mémoires, Khrouchtchev nota que presque tous ses collaborateurs furent arrêtés[42]. Selon le protocole du Parti, Khrouchtchev devait approuver ces arrestations et il ne fit pas grand-chose pour sauver ses amis et collègues[43].
Les dirigeants du Parti recevaient un quota « d'ennemis » à dénoncer et à arrêter[43]. En juin 1937, le Politburo fixa un quota de 35 000 ennemis à arrêter dans la province de Moscou et 5 000 d'entre eux devaient être exécutés. En réponse, Khrouchtchev demanda que 2 000 paysans aisés ou koulaks vivant à Moscou soient exécutés dans le cadre du quota. Deux semaines après avoir reçu l'ordre du Politburo, Khrouchtchev rapporta à Staline que 41 305 « éléments criminels et koulaks » avaient été arrêtés et que 8 500 méritaient la mort[43].
Khrouchtchev n'avait aucune raison de considérer qu'il était à l'abri des purges. En 1937, il avoua son rapprochement avec le trotskisme en 1923 à Kaganovitch qui, selon Khrouchtchev, « blêmit » (car les erreurs de son protégé pouvaient affecter sa position) et lui conseilla de le dire à Staline. Le dictateur accueillit la confession avec calme et après avoir conseillé Khrouchtchev de la garder secrète, il lui suggéra de raconter l'affaire lors d'une conférence du Parti à Moscou. Khrouchtchev fut ovationné et immédiatement réélu à son poste[44]. Khrouchtchev raconta dans ses mémoires qu'il avait également été dénoncé par un collègue arrêté. Staline en personne informa Khrouchtchev de l'accusation et attendit sa réponse. Khrouchtchev supposa dans ses mémoires que si Staline n'avait pas été convaincu de sa réponse, il aurait été qualifié d'ennemi du peuple et traité en conséquence[45]. Néanmoins, Khrouchtchev devint un membre non votant du Politburo en et un membre à part entière en [46].
À la fin de l'année 1937, Staline nomma Khrouchtchev à la tête du parti communiste en Ukraine et il quitta Moscou pour Kiev, redevenue la capitale ukrainienne, en janvier 1938[47]. L'Ukraine avait été le lieu de larges purges et parmi les victimes figuraient des professeurs de Staline pour lesquels Khrouchtchev avait un grand respect. Les rangs de la hiérarchie du Parti n'avaient pas été épargnés et le Comité central d'Ukraine avait été tellement affecté qu'il n'atteignait même plus le quorum. Après l'arrivée de Khrouchtchev, le rythme des arrestations s'accéléra[48]. Tous les membres du Politburo et du secrétariat ukrainien furent arrêtés à l'exception d'un seul. Presque tous les fonctionnaires et les commandants de l'Armée rouge furent remplacés[49]. Durant les premiers mois qui suivirent la nomination de Khrouchtchev, tous ceux qui avaient été arrêtés furent condamnés à mort[50].
Le biographe de Khrouchtchev, William Taubman, suggère que dans la mesure où celui-ci avait à nouveau été accusé à tort alors qu'il se trouvait à Kiev, il devait effectivement savoir que certaines dénonciations étaient fausses et que des innocents étaient condamnés à tort[49]. En 1939, Khrouchtchev déclara au XIVe congrès du Parti ukrainien : « Camarades, nous devons démasquer et détruire sans relâche tous les ennemis du peuple. Mais nous ne devons pas accepter qu'un seul honnête bolchevique soit blessé. Nous devons lutter contre les calomniateurs[49] ».
Une fois au pouvoir, en , Khrouchtchev ordonna à Ivan Serov du KGB de collecter et de détruire, dans les archives de Staline, tous les documents dans lesquels il était personnellement impliqué — sa signature figurant à côté de celle de Staline — concernant les purges. Alexandre Chélépine témoigna en 1988 que 261 pages listant des condamnés à mort furent brûlées par Serov[51].
Occupation de la Pologne
Dans le cadre du pacte germano-soviétique, les forces soviétiques envahirent l'est de la Pologne le 17 septembre 1939 et Khrouchtchev les accompagna. Un grand nombre d'Ukrainiens vivaient dans la région envahie dont une grande partie forme la partie occidentale de l'Ukraine actuelle. L'invasion fut donc bien accueillie même si les habitants espéraient qu'ils pourraient obtenir l'indépendance. Le rôle de Khrouchtchev fut de s'assurer que les territoires occupés votent pour un rattachement à l'URSS. Grâce à une combinaison de propagande, d'imprécisions sur le sujet du vote et de fraudes avérées, les Soviétiques s'assurèrent que les nouveaux territoires élisent des assemblées demandant unanimement une union avec l'URSS. Lorsque les assemblées présentèrent leurs demandes de rattachement, leurs pétitions furent acceptées par le Soviet suprême et l'ouest de l'Ukraine devint partie intégrante de la République socialiste soviétique d'Ukraine le 1er novembre 1939[52]. Certaines décisions soviétiques comme le recrutement d'Ukrainiens de l'Est dans des organisations composées d'Ukrainiens de l'Ouest et la collectivisation dans des terres au sein des kolkhozes aliéna rapidement le soutien des Ukrainiens de Pologne malgré les efforts de Khrouchtchev[53].
Guerre contre l'Allemagne
Lorsque l'Allemagne attaqua l'URSS en juin 1941, Khrouchtchev était toujours en poste à Kiev[54]. Staline le nomma commissaire politique et il servit sur plusieurs fronts en tant qu'intermédiaire entre les commandants militaires locaux et les dirigeants politiques à Moscou. Staline utilisa Khrouchtchev pour garder les commandants sous surveillance tandis que les commandants cherchaient à influencer Staline par son intermédiaire[55]. Avec l'avancée allemande, Khrouchtchev travailla avec les militaires pour défendre et sauver la ville. Entravée par les ordres de Staline interdisant l'abandon de la ville, l'Armée rouge fut rapidement encerclée. Les Allemands avancèrent après avoir fait 655 000 prisonniers mais selon les Soviétiques, 150 541 soldats sur 677 085 parvinrent à s'échapper[56]. Les sources primaires divergent sur la responsabilité de Khrouchtchev concernant ce dénouement. Selon le maréchal Gueorgui Joukov, qui écrivit quelques années après que Khrouchtchev l'eut écarté et disgracié en 1957, Khrouchtchev persuada Staline de ne pas évacuer les troupes de Kiev[57]. Néanmoins, Khrouchtchev nota dans ses mémoires que lui et le maréchal Semion Boudienny proposèrent de redéployer les forces soviétiques pour éviter un encerclement jusqu'à ce que le maréchal Semion Timochenko arrive de Moscou avec l'ordre de tenir les positions[58]. L'un des premiers biographes de Khrouchtchev, Mark Frankland, suggéra que sa foi en Staline vacilla à la suite des revers de l'Armée rouge[29]. Khrouchtchev écrivit dans ses mémoires :
« Mais laissez-moi revenir à la percée de l'ennemi dans la région de Kiev, à l'encerclement de notre groupe et à la destruction de la 37e Armée. Plus tard, la 5e Armée fut également anéantie… Tout cela n'avait aucun sens et du point de vue militaire, il s'agissait d'une démonstration d'ignorance, d'incompétence et d'illettrisme… Ici vous avez les résultats du refus de reculer. Nous fûmes incapables de sauver ces troupes car nous ne les avions pas retirées et en conséquence, nous les avons perdues… Et pourtant il était possible de permettre que cela n'arrive pas[59]. »
En 1942, Khrouchtchev se trouvait sur le front sud-ouest et avec Timochenko, il proposa une contre-offensive massive dans la région de Kharkov. Staline n'approuva qu'une partie du plan mais 640 000 soldats soviétiques furent impliqués dans l'offensive. Les Allemands avaient néanmoins anticipé l'attaque et mirent en place un piège. L'offensive commença le 12 mai 1942 et les Soviétiques progressèrent rapidement mais cinq jours plus tard, les Allemands brisèrent les flancs de l'Armée rouge qui risquait alors de se faire encercler. Staline refusa d'annuler l'offensive et les divisions soviétiques furent rapidement isolées. Les Soviétiques perdirent 267 000 soldats dont plus de 200 000 furent faits prisonniers et Staline démit Timochenko de ses fonctions et rappela Khrouchtchev à Moscou. Si Staline laissa entendre que Khrouchtchev serait arrêté et exécuté, il l'autorisa néanmoins à retourner sur le front en l'envoyant à Stalingrad[60].
Khrouchtchev arriva sur le front de Stalingrad en août 1942 peu après le début de la bataille pour son contrôle[61]. Son rôle dans la défense de la ville fut mineur et le général Vassili Tchouïkov qui commandait la défense de Stalingrad ne mentionne Khrouchtchev que brièvement dans un mémoire publié alors que Khrouchtchev était premier secrétaire ; il en resta néanmoins fier tout au long de sa vie[62]. Même s'il se rendait parfois à Moscou, il resta à Stalingrad durant la plus grande partie de la bataille et il faillit être tué au moins une fois. Il proposa une contre-attaque mais découvrit que Joukov et les autres généraux avaient déjà planifié en secret l'opération Uranus destinée à encercler les troupes allemandes. Avant le lancement de l'offensive, Khrouchtchev passa beaucoup de temps à inspecter les préparatifs, sonder le moral des troupes, interroger les prisonniers allemands et à en recruter certains pour des opérations de propagande[61].
Après le retrait des troupes allemandes de Stalingrad, Khrouchtchev fut envoyé sur d'autres fronts. Il fut affecté par une tragédie personnelle lorsque son fils Leonid (en), qui participait au conflit comme pilote de chasse, fut apparemment abattu et tué le 11 mars 1943. Les circonstances de sa mort restent obscures et controversées[63] car aucun des autres pilotes n'indiqua l'avoir vu être abattu et son avion ou son corps ne furent pas retrouvés. En conséquence, le destin de Leonid a fait l'objet de nombreuses spéculations. Selon une théorie, Leonid aurait survécu et collaboré avec les Allemands et lorsqu'il fut recapturé, Staline ordonna son exécution malgré les suppliques de son père[63]. Cette élimination supposée est utilisée pour expliquer pourquoi Khrouchtchev dénonça plus tard Staline dans son discours secret[63],[64]. Cette théorie n'est pas soutenue par les sources soviétiques mais certains historiens avancent que le dossier de Leonid fut modifié après la guerre[65]. Cette thèse est très controversée car semble avoir pour origine le discrédit de Khrouchtchev après son éviction même si on reconnaît qu'il avait un rapport difficile avec son fils, ce qui est compliqué pour un membre du Politburo, à l'image de Vassili Staline[66]. À la fin de sa vie, l'ailier de Leonid avança avoir vu son appareil se désintégrer mais il ne le signala pas. Le biographe de Khrouchtchev, Taubman, suppose que cette omission était probablement destinée à ne pas le faire suspecter de complicité dans la mort du fils d'un membre du Politburo[67]. Au milieu de l'année 1943, l'épouse de Leonid, Liuba Khrouchtcheva, fut arrêtée pour espionnage et condamnée à cinq ans de travaux forcés et son fils Tolya (issu d'une autre relation) fut placé en orphelinat. La fille de Leonid, Julia, fut élevée par Nikita et sa femme[68].
En juillet 1943, Khrouchtchev accompagna les troupes soviétiques lors de la bataille de Koursk qui se révéla être la dernière grande offensive allemande sur le territoire soviétique[69]. Khrouchtchev raconta qu'il avait interrogé un déserteur SS apprenant ainsi que les Allemands préparaient une attaque mais cet épisode est rejeté par Taubman comme « presque certainement exagéré[70] ». Khrouchtchev suivit les forces soviétiques lors de leur entrée en novembre 1943 dans la ville de Kiev largement dévastée[70]. Avec la progression de plus en plus rapide des Soviétiques, il commença à être impliqué dans les travaux de reconstruction en Ukraine. Il fut nommé premier ministre de la république d'Ukraine en plus de son ancien poste de chef du parti communiste ukrainien, et c'est l'un des rares cas où les fonctions de dirigeant civil de l'Ukraine et de chef de son Parti furent occupées par la même personne[71].
Selon le biographe de Khrouchtchev, William Tompson, il est difficile d'évaluer sa carrière militaire car il agit souvent dans le cadre d'un conseil militaire et il est difficile de savoir dans quelle mesure il pouvait influencer les décisions ou s'il se contentait de signer les ordres d'autres officiers. Néanmoins Tompson indique que les quelques mentions de Khrouchtchev dans les mémoires militaires de la période Brejnev sont généralement positives, et ce à une époque où il était « à peine possible de mentionner Khrouchtchev quel que soit le contexte[32] ». Tompson suggère que ces mentions favorables indiquent que les officiers tenaient Khrouchtchev en haute estime[32].
Retour en Ukraine
Presque toute l'Ukraine avait été occupée par les Allemands et lorsque Khrouchtchev y retourna à la fin de l'année 1943, l'industrie était anéantie et l'agriculture devait faire face à de graves pénuries. Même si des millions d'Ukrainiens avaient été emmenés en Allemagne en tant que prisonniers de guerre ou travailleurs, il n'y avait pas assez de logements pour ceux qui restaient[72]. Un Ukrainien sur six fut tué durant la Seconde Guerre mondiale[73].
Le 9 septembre 1944, il signe avec Edward Osóbka-Morawski, représentant le Comité polonais de Libération nationale un accord d'échange de population entre la Pologne et l'Ukraine soviétique. Les Polonais vivant à l'est de la ligne Curzon, sont déportés en Pologne, tandis que les Ukrainiens demeurant en Pologne sont déportés en Ukraine.
Khrouchtchev cherchait à reconstruire l'Ukraine mais il voulait également achever la mise en place interrompue du système soviétique[74]. Alors que l'Ukraine se rétablissait, la conscription fut imposée et 750 000 hommes âgés de 19 à 50 ans reçurent un entraînement militaire de base et furent enrôlés dans l'Armée rouge[75]. D'autres Ukrainiens rejoignirent les groupes de partisans luttant pour l'indépendance[75]. Khrouchtchev se déplaçait dans tous les districts pour presser les travailleurs de renouveler leurs efforts. Il fit une courte visite dans sa ville natale de Kalinovka où la population souffrait de la faim et où seulement un tiers des hommes qui avaient rejoint l'Armée rouge étaient rentrés ; Khrouchtchev fit ce qu'il put pour aider la ville[76]. Malgré les efforts de Khrouchtchev, en 1945, la production de l'industrie ukrainienne était tombée à un quart de ses niveaux d'avant-guerre et les récoltes chutèrent par rapport à 1944 alors que tout le territoire n'avait pas encore été libéré[77].
Dans une tentative pour augmenter la production agricole, les kolkhozes (fermes collectives) reçurent l'autorisation d'expulser les résidents qui ne remplissaient pas leur part du travail. Les chefs des kolkhozes en profitèrent pour expulser leurs ennemis personnels, les invalides et les personnes âgées et près de 12 000 personnes furent envoyées dans les régions orientales de l'Union soviétique. Khrouchtchev considérait cette politique comme très efficace et il recommanda à Staline son application dans l'ensemble du pays[77]. Il travailla également à la mise en place de la collectivisation en Ukraine occidentale. Khrouchtchev espérait la réaliser en 1947 mais le manque de ressources et la résistance des nationalistes ralentirent le processus[78]. La répression contre ces guérillas nationalistes, dont la majorité appartenait à l'Armée insurrectionnelle ukrainienne de Stepan Bandera, fut féroce et les unités militaires et policières soviétiques rapportèrent avoir exécuté 110 825 « bandits » et fait environ 250 000 prisonniers entre 1944 et 1946[79]. Près de 600 000 Ukrainiens de l'Ouest furent arrêtés entre 1944 et 1952 ; un tiers fut exécuté et les autres furent emprisonnés ou déportés vers l'est[79].
Les années de guerre 1944 et 1945 avaient connu de mauvaises récoltes et en 1946, une grave sécheresse frappa l'Ukraine et l'ouest de la Russie. Malgré cela, les fermes collectives et étatiques devaient livrer 52 % de leur récolte au gouvernement[80]. Le gouvernement soviétique cherchait à collecter le plus de céréales possibles pour ravitailler les alliés communistes en Europe de l'Est[81]. Khrouchtchev fixa les quotas à un niveau élevé, ce qui mena Staline à attendre des quantités de céréales démesurées[82]. La nourriture fut rationnée mais les travailleurs ruraux non agricoles ne recevaient aucune carte de rationnement. L'inévitable famine fut limitée aux régions rurales reculées et fut peu remarquée en dehors de l'URSS[80]. Khrouchtchev, réalisant la situation désespérée à la fin de l'année 1946, demanda à plusieurs reprises de l'aide à Staline mais ce dernier refusa avec colère. Comme ses lettres n'avaient aucun effet, Khrouchtchev s'envola à Moscou pour défendre son cas en personne. Staline accepta finalement d'accorder une aide alimentaire limitée à l'Ukraine et de l'argent pour rendre gratuites les soupes populaires[83]. La position politique de Khrouchtchev avait néanmoins été affectée et en février 1947, Staline suggéra que Lazare Kaganovitch soit envoyé en Ukraine pour « aider » Khrouchtchev[84]. Le mois suivant, le Comité central ukrainien destitua Khrouchtchev de son poste de chef du Parti en faveur de Kaganovitch mais il conserva sa fonction de premier ministre[85].
Peu après l'arrivée de Kaganovitch à Kiev, Khrouchtchev tomba malade et il apparut rarement en public jusqu'en septembre 1947. Dans ses mémoires, Khrouchtchev indique qu'il souffrait d'une pneumonie ; certains biographes ont supposé que la maladie de Khrouchtchev était imaginaire et liée à la peur que sa perte de position ne soit que le premier pas vers la chute et la disgrâce[86]. Les enfants de Khrouchtchev se souviennent néanmoins avoir vu leur père sérieusement malade. Une fois que Khrouchtchev fut capable de quitter son lit, lui et sa famille prirent leurs premières vacances depuis que la guerre avait éclaté dans une station balnéaire de Lettonie[85]. Khrouchtchev brisa rapidement la routine de la plage avec des parties de chasse et une visite de Kaliningrad où il fit le tour des usines et des carrières[87]. À la fin de l'année 1947, Kaganovitch fut rappelé à Moscou et Khrouchtchev retrouva son poste de chef du Parti. Il céda ensuite cette fonction à son protégé Demian Korotchenko[86].
Les dernières années de Khrouchtchev en Ukraine furent assez calmes, l'industrie récupérait[88], les forces soviétiques parvinrent à éliminer les partisans et les récoltes de 1947 et de 1948 furent plus importantes que prévu[89]. La collectivisation se poursuivit en Ukraine de l'Ouest et Khrouchtchev mit en place de nouvelles politiques qui décourageaient les fermes privées. Certaines n'eurent cependant pas les effets escomptés et une taxe sur le bétail privé poussa les paysans à abattre leur cheptel[90]. Avec l'objectif d'éliminer les différences entre la ville et la campagne et de transformer la paysannerie en un « prolétariat rural », Khrouchtchev développa l'idée d'agro-ville[91]. Au lieu d'habiter dans des villages à proximité des fermes, les journaliers habiteraient à l'écart dans des villes plus importantes disposant d'installations et de services publics n'existant pas dans les villages. Il acheva la réalisation d'une telle ville en décembre 1949 avant son retour à Moscou et il la dédia à Staline pour son 70e anniversaire[91].
Dans ses mémoires, Khrouchtchev parle en termes élogieux de l'Ukraine qu'il avait gouvernée durant plus d'une décennie :
« Je dirais que le peuple ukrainien m'a bien traité. Je me rappelle avec enthousiasme les années que j'y ai passé. Il s'agissait d'une période pleine de responsabilités mais plaisante car elle m'apportait de la satisfaction... Mais loin de moi l'idée d'accroître mon importance. L'ensemble du peuple ukrainien a réalisé de grands efforts. J'attribue le succès de l'Ukraine au peuple ukrainien dans son ensemble. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce thème, mais en principe il est très facile à démontrer. Je suis moi-même Russe et je ne veux pas offenser les Russes[92]. »
Dernières années de Staline
Khrouchtchev attribua son rappel à Moscou à la paranoïa de Staline qui craignait des complots à Moscou du même type que ceux qui auraient eu lieu lors de l'affaire de Leningrad où de nombreux hauts dirigeants du Parti avaient à tort été accusés de trahison[93]. Khrouchtchev redevint le chef du Parti de Moscou et de sa province. Taubman suggère que Staline avait probablement rappelé Khrouchtchev à Moscou pour faire contrepoids à l'influence de Gueorgui Malenkov et du chef de la sécurité Lavrenti Beria qui étaient largement considérés comme les héritiers de Staline[94].
À ce moment, le dictateur vieillissant convoquait rarement des réunions du Politburo et l'essentiel des grandes décisions était pris lors de dîners organisés par Staline. Ces sessions auxquelles participaient Beria, Malenkov, Khrouchtchev, Kaganovitch, Vorochilov, Molotov et Boulganine commençaient par la projection de westerns que Staline appréciait[95] ; ces derniers avaient été volés à l'Ouest et n'étaient pas sous-titrés[95]. Le dictateur faisait servir les repas à 1 h du matin et insistait pour que ses subordonnés restent et boivent avec lui jusqu'à l'aube. À une occasion, Staline demanda à Khrouchtchev, alors âgé de près de 60 ans, de réaliser une danse traditionnelle ukrainienne. Khrouchtchev s'exécuta et indiqua plus tard : « Quand Staline dit danse, un homme sage danse[95] ». Khrouchtchev essayait de faire la sieste après le déjeuner pour ne pas s'endormir en présence de Staline ; il nota dans ses mémoires : « Les choses se passent mal pour ceux qui somnolent à la table de Staline[96]. »
En 1950, Khrouchtchev lança un vaste programme de construction de logements à Moscou. La plupart des immeubles d'habitation avait cinq ou six étages et ils devinrent omniprésents dans toute l'Union soviétique. Ils existent encore aujourd'hui[40]. Khrouchtchev fit utiliser du béton armé préfabriqué pour accélérer le rythme de construction[97]. Ces structures construites trois fois plus rapidement que la moyenne à Moscou entre 1946 et 1950 ne disposaient pas d'ascenseurs jugés trop coûteux et furent surnommées Khrushcheby par le public, un jeu de mots sur le mot russe pour taudis, trushcheby[40].
À son nouveau poste, Khrouchtchev continua son plan de développement des kolkhozes en réduisant le nombre de fermes collectives dans la province de Moscou de 70 %. Cela fit que les fermes étaient trop vastes pour être gérées efficacement par un seul président[98]. Khrouchtchev chercha également à promouvoir son concept d'agro-ville mais lorsque son long discours sur le sujet fut publié dans la Pravda en mars 1951, Staline le désapprouva. Le journal publia rapidement une note indiquant que le discours de Khrouchtchev était une simple proposition et non une politique. En avril, le Politburo désavoua le concept. Khrouchtchev craignit de perdre sa place mais Staline se contenta de se moquer sans prendre de sanctions[99].
Le 1er mars 1953, Staline fut victime d'un grave accident vasculaire cérébral apparemment après s'être levé de son lit. Staline avait demandé à ne pas être dérangé, ce qui fit que son état ne fut pas découvert avant une douzaine d'heures. Alors que les médecins terrifiés tentaient de le soigner, Khrouchtchev et ses collègues se lancèrent dans une intense discussion en prévision de la formation d'un nouveau gouvernement. Staline mourut le 5 mars, alors que Khrouchtchev et les autres dirigeants restèrent à pleurer à côté de son lit[100].
Khrouchtchev commenta dans ses mémoires :
« Staline appelait tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui des « ennemis du peuple ». Il disait qu'ils voulaient restaurer l'ordre ancien et que pour y parvenir, les « ennemis du peuple » s'étaient liés aux forces réactionnaires internationales. En conséquence, plusieurs centaines de milliers de personnes honnêtes ont péri. Tout le monde vivait dans la peur. Tout le monde s'attendait à tout moment à être réveillé au milieu de la nuit par des coups à leur porte et à ce que cet événement leur soit fatal... Les personnes qui n'étaient pas du goût de Staline étaient supprimées, des membres honnêtes du parti, des personnes irréprochables, loyales et travaillant de tout leur cœur pour notre cause qui avaient suivi l'école de la lutte révolutionnaire sous la direction de Lénine. C'était l'arbitraire total et complet. Et maintenant, tout cela doit être oublié et pardonné ? Jamais[101] ! »
Lutte pour le pouvoir
La mort de Staline fut annoncée au peuple soviétique et au reste du monde le 6 mars 1953, de même que la composition du nouveau gouvernement. Malenkov était le nouveau président du conseil des ministres (premier ministre) et Beria (qui consolida son emprise sur les services de renseignement), Kaganovitch, Boulganine et l'ancien ministre des affaires étrangères, Molotov devenaient premiers députés (vice-présidents). Les membres du Præsidium du Soviet suprême qui avaient récemment été promus par Staline furent écartés. Khrouchtchev fut relevé de ses fonctions de chef du Parti à Moscou pour qu'il puisse se concentrer sur des tâches non spécifiées au sein du Comité central[102]. Le New York Times lista Malenkov et Beria en première et seconde place pour l'influence parmi les dix membres du Præsidium alors que Khrouchtchev était classé dernier[103].
Le 14 mars, Malenkov perdit néanmoins la première place des secrétaires du Comité central car ses collègues craignaient qu'il n'acquière trop de pouvoir[104]. Le principal bénéficiaire fut Khrouchtchev qui le remplaça, en attendant d'être formellement nommé Premier secrétaire du Parti par le Comité central en septembre 1953[105]. Avant même l'enterrement de Staline, Beria avait lancé une série de réformes dont l'ampleur était comparable à celles de Khrouchtchev durant sa période au pouvoir et même à celles de Mikhaïl Gorbatchev, 30 ans plus tard[104]. Les propositions de Beria étaient destinées à dénigrer Staline et à lui faire porter la responsabilité de ses propres crimes[104]. Une proposition, qui fut adoptée, amnistiait plus d'un million de prisonniers[106]. Une autre, qui fut repoussée, prévoyait de relâcher le contrôle de l'Allemagne de l'Est au sein d'une Allemagne unie et neutre en échange d'un dédommagement de la part de l'Allemagne de l'Ouest[107] ; Khrouchtchev considérait cette idée comme anti-communiste[108]. Khrouchtchev s'allia donc avec Malenkov pour bloquer la plupart des propositions de Beria tout en rassemblant le soutien d'autres membres du Præsidium. Leur campagne contre Beria fut aidée par les craintes d'un coup d'État militaire planifié par Beria[109] et, selon ce qu'écrivit Khrouchtchev dans ses mémoires, par la conviction que « Beria était en train d'aiguiser ses couteaux contre nous[110] ». Le 26 juin 1953, Beria fut arrêté lors d'une réunion du Præsidium. Il fut jugé en secret et exécuté en décembre 1953 avec cinq de ses plus proches associés. Beria fut le dernier perdant d'une lutte de pouvoir soviétique à payer de sa vie sa chute[111].
La lutte de pouvoir au sein du Politburo (rebaptisé Præsidium du Comité central en 1952) ne fut pas résolue par l'élimination de Beria. Le pouvoir de Malenkov se trouvait dans l'appareil politique civil, qu'il cherchait à étendre en réorganisant le gouvernement et en lui donnant plus de pouvoir aux dépens du Parti. Il tenta également d'obtenir le soutien du public en baissant le prix des produits de base et en abaissant le montant des souscriptions d'obligations d'État qui étaient depuis longtemps imposées aux citoyens. De son côté, Khrouchtchev, dont la base du pouvoir reposait sur le Parti, chercha à le renforcer. Si dans le système soviétique, le Parti devait être l'entité dominante, il avait perdu beaucoup de son influence sous Staline qui avait accaparé l'essentiel du pouvoir pour lui-même et pour le Præsidium. Khrouchtchev vit qu'avec un Præsidium divisé par les luttes d'influence, le Parti et son Comité central pouvaient retrouver leur pouvoir d'antan[112]. Khrouchtchev rassembla le soutien des membres importants du Parti et il parvint à nommer ses sympathisants à la tête des principales instances de pouvoir qui entrèrent ensuite au sein du Comité central[113].
Khrouchtchev se montrait volontiers entreprenant et prêt à vaincre tous les obstacles, à la différence de Malenkov qui semblait plus terne[113]. Il fit ouvrir au public le Kremlin de Moscou, une décision qui fut appréciée du peuple[114]. Si Malenkov et Khrouchtchev voulaient tous deux réformer l'agriculture, les propositions de Khrouchtchev étaient plus larges et incluaient la campagne des terres vierges destinée à implanter des centaines de milliers de jeunes volontaires dans des fermes en Sibérie occidentale et dans le nord du Kazakhstan. Malgré des succès initiaux[115], le projet fut à terme un désastre pour l'agriculture soviétique[116]. De plus, Khrouchtchev disposait d'informations compromettantes sur Malenkov tirées des dossiers secrets de Beria[117]. Alors que les procureurs soviétiques enquêtaient sur les atrocités de Staline vers la fin de son règne, dont l'affaire de Leningrad, ils découvrirent des preuves de l'implication de Malenkov[118]. En février 1954, Khrouchtchev remplaça Malenkov sur le siège d'honneur lors des réunions du Præsidium ; en juin, Malenkov cessa d'être au sommet de la liste des membres du Præsidium, qui était à présent organisée alphabétiquement. L'influence de Khrouchtchev continua de s'accroître avec l'allégeance des principaux représentants locaux du Parti et le placement de ses candidats à la tête du KGB[119].
Lors d'une réunion du Comité central en janvier 1955, Malenkov fut mis en accusation pour son implication dans les atrocités et le comité vota une résolution l'accusant d'avoir participé à l'affaire de Leningrad et d'avoir facilité l'accession de Beria aux postes de responsabilité. Lors d'une réunion du Soviet suprême le mois suivant, Malenkov fut destitué en faveur de Boulganine à la surprise des observateurs occidentaux[120]. Malenkov resta au Præsidium en tant que ministre des centrales électriques[121]. Selon le biographe de Khrouchtchev, William Tompson, « la position dominante de Khrouchtchev au sein des membres de la direction collective ne faisait plus aucun doute[122] ».