Normandie (paquebot)
paquebot transatlantique français, de 1932 à 1946 / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Le Normandie est un paquebot transatlantique de la Compagnie générale transatlantique, construit par les chantiers de Penhoët (actuels Chantiers de l'Atlantique) à Saint-Nazaire à partir de 1931 et immatriculé au Port du Havre en 1935.
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Pour les autres navires du même nom, voir Normandie (navire).
Normandie | |
Autres noms | T6 (construction) Lafayette (1942 - 1946) |
---|---|
Type | Paquebot transatlantique |
Histoire | |
Chantier naval | Chantiers de Penhoët, Saint-Nazaire |
Quille posée | |
Lancement | |
Mise en service | |
Statut | Incendié en 1942 Démoli en |
Équipage | |
Équipage | 1 345 |
Caractéristiques techniques | |
Longueur | 313,75 m |
Maître-bau | 36,40 m |
Tirant d'eau | 11,20 m |
Déplacement | 70 171 t |
Port en lourd | 14 420 t |
Tonnage | 79 280 tjb (1935) 82 799 tjb (1936) 83 423 tjb (1937) |
Propulsion | à vapeur, turbo-électrique. 29 chaudières Penhoët à tubes d'eau, quatre groupes turbine à vapeur - alternateur triphasé (6000 V 81 Hz), quatre moteurs électriques synchrones |
Puissance | 160 000 ch[1] |
Vitesse | 32,2 nœuds |
Caractéristiques commerciales | |
Pont | 12 |
Passagers | 1 971[2] |
Carrière | |
Armateur | Compagnie générale transatlantique (1935-1941) US Navy (1941-1946) |
Pavillon | France (1935-1941) États-Unis (1941-1946) |
Port d'attache | Le Havre |
Coût | 860 millions de francs[3] |
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Le projet voit le jour dès 1926, en étroite collaboration avec l'État, dans le cadre des obligations de la convention postale de 1912[4] et dans la continuité des paquebots France, Paris et Île-de-France. Le projet vise à donner à la France un navire à la fois grand et rapide. Le chantier débute le 26 janvier 1931 à Saint-Nazaire[4], la coque est alors nommée T6. La Grande dépression ralentit la construction et la mise en service du paquebot n’est effective qu’en 1935.
Lorsqu'il entre en service commercial, le Normandie est le plus grand paquebot au monde[4]. Son voyage inaugural constitue un événement médiatique considérable, intégralement couvert par la presse française et internationale. Le succès du navire est total. Il pulvérise le record de traversée de l’Atlantique et confère un immense prestige à la France. Des modifications sont entreprises en 1936 avant que le luxueux paquebot entre en compétition avec son rival anglais Queen Mary. La lutte pour le Ruban bleu dure deux ans et passionne le monde entier.
La carrière commerciale du Normandie est marquée par une immense popularité auprès des vedettes et une importante médiatisation de ses voyages. Le paquebot est largement utilisé par les pouvoirs publics français à des fins de propagande nationale, visant à dire au monde que le Normandie est l’incarnation absolue de la France des années 1930.
La carrière du Normandie est cependant interrompue par la Seconde Guerre mondiale. Le paquebot est désarmé et demeure à quai dans le port de New York. Fin 1941, il est réquisitionné par les États-Unis et renommé USS Lafayette, pour être transformé en transport de troupes rapide. Un incendie a priori accidentel se déclare durant des travaux, en 1942. Les tonnes d'eau utilisées par les pompiers font chavirer le navire sous l'effet de la marée. Après la guerre, la France refuse de récupérer la carcasse ravagée. La coque, réduite à l'état d'épave, est alors démolie jusqu’en octobre 1947.
Malgré la brièveté de sa carrière (4 ans), le Normandie laisse une empreinte profonde dans la mémoire universelle. Il est considéré comme le paquebot le plus réussi de l'histoire. Ses installations, particulièrement somptueuses, lui permettent d'être encore considéré comme le plus beau et le plus luxueux paquebot jamais construit. Véritable symbole du savoir-faire et de l'art de vivre national, son histoire est intimement liée à celle de la France des années 1930. Apparaissant dans plusieurs films, le Normandie installe une image de modernité et de puissance durablement associée à son époque. Ses éléments décoratifs, démontés et débarqués avant les travaux de transformation, ont été répartis dans plusieurs musées et collections particulières à travers le monde.
Conception et construction
Naissance du projet
En 1912, lorsque la Compagnie générale transatlantique (C.G.T. ou Transat) lance le France, elle signe avec l'État une convention prévoyant la mise en service de trois autres navires d'ici 1932. C'est sans compter la Première Guerre mondiale qui retarde sérieusement ces plans. Le deuxième navire, le Paris, n'entre en service qu'en 1921 et le troisième, l’Île-de-France en 1927.Le Normandie est donc conçu, bien qu'en retard, dans la continuité de ce programme[5]. La fin des années 1920 voit par ailleurs la marine britannique céder du terrain face à l'Allemagne qui se relève de la guerre avec le Bremen et l'Europa qui remportent le Ruban bleu[6].
La C.G.T. termine l'année 1928 sur un bilan très positif : l'Île-de-France est un paquebot très populaire et les bénéfices sont au rendez-vous. Suivant l'exemple des compagnies britanniques White Star et Cunard Line qui projettent de construire deux grands navires[Note 1] pour renouveler leur flotte, le président de la Transat, John Dal Piaz, envisage la construction d'un nouveau navire à la fois grand et rapide[7]. Aux aspects économiques s'ajoute un motif symbolique : la construction de ce navire doit perpétuer l'image d'une France victorieuse et audacieuse dans un contexte de crise[8].
Le projet se concrétise rapidement : dès 1929, les chantiers de Penhoët, à Saint-Nazaire, entament des travaux d'aménagement du site pour permettre de construire ce qui apparaît alors comme un « super Île-de-France »[9]. Dans le même temps, des études sont menées pour établir le profil du nouveau paquebot : il doit être rapide pour effectuer un maximum de traversées et donc être plus rentable. Il doit aussi pouvoir transporter plus de passagers que les autres navires de la compagnie, ce qui implique une taille imposante[10]. La coque est conçue par le Russe Vladimir Yourkevitch, au grand dam des ingénieurs français qui tentent de minimiser son rôle[11]. Des essais en bassin avec une maquette ont lieu en 1929 et 1930, et l'avis des chantiers allemands Blohm & Voss (constructeurs de l'Europa) est sollicité[12]. Le , la C.G.T. passe commande du navire aux chantiers pour un prix de 700 millions de francs[13]. Cependant, la véritable lettre de commande n'est signée que le , bien après le début de la construction[14].
Une construction difficile
Les travaux débutent le dans les chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire en présence d'invités de marque[15]. Le projet porte alors le nom de « T6 » donné par les constructeurs[13]. Dans le même temps, les chantiers se dotent d'une cale sèche, la forme Joubert, de taille suffisante pour accueillir la coque lorsqu'elle sera terminée[16]. La Compagnie générale transatlantique connaît cependant avec la crise de 1929 de graves difficultés financières. À partir de 1930, elle doit faire appel à l'État par le biais d'emprunts, puis se retrouve finalement sous sa tutelle à partir du [17]. Ainsi, la construction du paquebot peut se poursuivre. À plusieurs reprises, il est question de l'interrompre : la White Star Line et la Cunard ont déjà fait de même avec leurs Oceanic et Queen Mary. Cependant, l'administrateur directeur général de la Transat, Henri Cangardel, et son président, Marcel Olivier, s'échinent à mettre en valeur les avantages que le navire pourrait apporter à la France, et parvient à maintenir le projet sur les rails[18].
En , la commande est confirmée, affirmant la volonté des constructeurs de voir leur navire achevé[19]. C'est à cette période que la Transat s'interroge finalement sur le nom à donner à son bateau amiral. L'appellation Président Paul-Doumer est proposée par le ministre de la Marine marchande en hommage à Paul Doumer, président de la République assassiné la même année. Cependant, Henri Cangardel et d'autres responsables de la compagnie s'opposent à ce nom, qui, prononcé à l'anglaise, se rapproche de doomed (« maudit »)[20]. Le , le nom de Normandie est finalement choisi par le conseil d'administration sur proposition de Cangardel. Il avait déjà fait ses preuves sur un navire de la fin du siècle précédent, et rappelle la tradition qu'a la compagnie de donner à ses navires le nom de provinces françaises[Note 2],[21].
À la même époque, la coque du paquebot est achevée. Le navire est prêt à être lancé le , devant une foule de plus de 200 000 personnes[22]. Le président Albert Lebrun prononce un discours à la gloire de la construction navale française[23], puis son épouse Marguerite, marraine du navire, brise la traditionnelle bouteille de champagne sur son étrave[24]. Normandie est ensuite lancé sans problème[25].
La construction est cependant loin d'être terminée. Le paquebot maintenant à flot doit recevoir ses équipements et aménagements, et est remorqué dans un bassin prévu à cet effet où il séjourne près de quarante mois[26]. Le voyage inaugural du paquebot est en effet prévu pour 1934, mais un événement imprévu repousse l'échéance. L'Atlantique, fleuron de la Compagnie Sud Atlantique, a été victime d'un grave incendie à la mer le [27]et a été remorqué à l'état d'épave calcinée dans le port de Cherbourg après un duel épique entre les remorqueurs français et leurs collègues et rivaux néerlandais. Ceci vient après le drame du Georges Philippar qui a donné mauvaise presse aux navires français. Les officiels de la compagnie décident donc de faire en sorte que leur nouveau navire soit bien protégé contre le feu, et celui-ci est donc équipé de nouveaux dispositifs à cet effet. Ceci fait que la traversée inaugurale est repoussée à 1935[28]. Les machines sont installées durant l'été 1933, et les cheminées et mâts sont placés l'été suivant[29]. En , la Transat annonce que le voyage inaugural aura lieu fin : elle permet ainsi à son navire de bénéficier de quelques mois de tranquillité avant l'arrivée du Queen Mary, dont la construction a repris au pas de course[30].
Essais à la mer
Avec l'achèvement du navire vient le moment de lui affecter un équipage. Pour commander son tout nouveau navire, la compagnie choisit une solution originale. Elle désigne en effet son capitaine au long cours le plus expérimenté, René Pugnet, mais comme celui-ci doit partir à la retraite l'année suivante, un commandant adjoint, Pierre Thoreux se forme à ses côtés, avant de lui succéder à la passerelle du Normandie[31]. Les travaux se finissent à un rythme soutenu pour que le navire puisse effectuer ses essais début mai. Les chantiers de Penhoët doivent faire face à une grève[Note 3], mais réussissent à tenir les délais[32].
Comme de coutume au sein des chantiers de Penhoët, deux périodes d'essais à la mer sont prévues pour évaluer les performances du navire. Cependant, les retards dans la construction s'accumulent, et il est impossible de repousser le voyage inaugural. Les chantiers prennent donc la décision de réunir en une seule les deux périodes. Par ailleurs, le paquebot partira ensuite directement pour Le Havre sans repasser à Saint-Nazaire comme c'était prévu. Enfin, une décision choque : des journalistes seront présents à bord durant les essais, au grand dam de son état-major[33].
Le , le Normandie appareille pour effectuer ses premiers essais sur la base de vitesse des Glénan. Ceux-ci se déroulent jusqu'au 11. En plus des journalistes et de l'équipage, sont présents à bord des ouvriers chargés de terminer certaines installations en vue de la traversée inaugurale[34]. Les essais se montrent fort concluants. La vitesse de 59 km/h (32 nœuds) est dépassée. Elle fait du Normandie le premier prétendant français crédible au très convoité Ruban bleu. En avant toute à 56 km/h (30 nœuds),le Normandie casse son erre en seulement 1 700 mètres, soit moins de six longueurs de coque[35]. Un seul problème vient noircir le tableau : à grande vitesse, les hélices créent des vibrations très fortes sur le tiers arrière du Normandie. Certaines installations de troisième classe, de classe touriste et même de première sont de fait rendues inconfortables dans ces conditions[36].
Une courte mais emblématique carrière commerciale
Une traversée inaugurale couronnée de succès
Quelques jours après son arrivée au Havre,le Normandie est victime d'une grève des équipages des paquebots de la Compagnie générale transatlantique, fortement condamnée par le gouvernement qui parvient finalement à négocier un retour au travail[37]. Le est organisé à bord du paquebot un dîner d'apparat d'un millier de convives avec en invité d'honneur le Président Lebrun[38]. Après les festivités qui se poursuivent dans les salons de première classe, les invités de marque sont hébergés dans certaines des cabines — parfois inachevées — du navire, les autres dormant à bord du Paris. Albert Lebrun modifie pour sa part son programme et demande à dormir dans un des appartements de luxe du navire plutôt qu'à l'hôtel où il devait rejoindre son épouse[39]. Les festivités n'en sont pas pour autant terminées : dans les jours qui suivent, les journalistes continuent à visiter le navire, et une soirée de charité est organisée. Le , le cardinal Verdier et André de la Villerabel consacrent la chapelle du navire[40].
Le mercredi , jour du départ, c'est la panique : une panne électrique frappe le navire, faisant craindre au directeur général de la compagnie, Henri Cangardel, une opération de sabotage. Il n'en est rien, cependant : le problème, dû à une entrée d'eau, est rapidement résolu[41]. Vers 18 h 30, le Normandie appareille devant une foule immense. À bord, on dénombre un peu plus de 1 000 passagers, en tête desquels se trouve Marguerite Lebrun, épouse du président et marraine du navire, accompagnée de sa fille et de sa belle-fille[37]. Ce ne sont pas les seuls hôtes de marque du paquebot : nombre de personnalités participent à cette traversée. On y trouve ainsi les écrivains Colette et Blaise Cendrars, Pierre Dumas reporter pour L'Ouest-éclair, l'actrice Valentine Tessier, les duettistes Pills et Tabet, plusieurs nobles, ministres et sénateurs, deux académiciens français et le maharajah de Kapurthala[42]. Enfin, les milieux maritimes ne sont pas en reste puisque les officiels de la C.G.T. et des chantiers de Penhoët sont présents, de même que le président de la Navigazione generale italiana, Antonio Cosulich[43].
Après une escale à Southampton, le Normandie franchit Bishop rock dans la matinée du 30. C'est le repère officiel de départ pour l'attribution du Ruban bleu. Cette récompense qui est remise au navire ayant traversé l'Atlantique le plus rapidement est détenue alors par le paquebot italien Rex. Si les officiels de la Transat refusent jusqu'au dernier moment de se prononcer sur leurs attentes quant à cette récompense, les pronostics vont bon train parmi les passagers pour savoir si le record sera battu[44]. Une avarie sur un condenseur survenue deux jours après le départ force l'équipage à stopper l'un des moteurs ; le paquebot conserve cependant une vitesse moyenne de 52 km/h (28 nœuds) et, une fois le problème réglé, réussit à repasser au-dessus des 56 (30)[45]. Les passagers sont bien loin de ces préoccupations et se voient proposer nombre de divertissements. Le 30 au soir, une première mondiale de Pasteur, de Sacha Guitry est organisée. Le lendemain, le café-grill est inauguré par Madame Lebrun dans une ambiance festive en dépit des fortes vibrations dans cette partie du navire[46].
Le Ruban bleu reste pour la compagnie un sujet tabou jusqu'au dernier jour : le commandant Pugnet se voit même ordonner de ralentir, pour ne pas dépasser le bateau-phare d'Ambrose (repère d'arrivée) avant 11 h 30 le . Il n'en fait rien, et le navire arrive une demi-heure plus tôt. Avec une vitesse moyenne de 55.45 km/h (29,94 nœuds) et une traversée effectuée en quatre jours, trois heures et deux minutes,le Normandie bat le record du Rex de dix heures. Il devient le premier paquebot français à remporter le Ruban bleu, et est le seul à avoir jamais reçu cette distinction[47]. New York est en ébullition et les médias retransmettent la nouvelle tandis que les dîners de gala se succèdent[48]. Le paquebot s'amarre au quai Pier 88, qui a été agrandi pour lui permettre de s'accoster[49].
Modernisation de 1935 - 1936
Après sa traversée inaugurale,le Normandie fait encore 8 allers-retours entre Le Havre et New York. Le , la saison s'achève[50]. Pour instaurer un roulement, la Transat avait un temps envisagé de construire à son paquebot phare un sister-ship nommé Bretagne : ses autres navires ne sont en effet pas capables d'atteindre des vitesses aussi élevées, créant un déséquilibre. Cependant, ce projet ne voit jamais le jour. En revanche, de grandes modifications sont prévues pour le Normandie dès son premier hiver[51]. Celles-ci ont avant tout pour but d'éliminer le problème des vibrations dans le tiers arrière. Ce problème est en effet loin d'être mineur car il endommage les tuyauteries et systèmes électriques du navire, et empêche les passagers de dormir. Après expérimentations, il est déterminé que le problème est dû aux hélices à trois pales du navire. Celles-ci sont remplacées par des hélices à quatre pales dont les mouvements se révèlent plus fluides dans l'eau[50].
D'autres modifications plus structurelles sont faites. La première concerne le salon des touristes : le précédent, au centre du navire, n'avait pas de sabords. Un nouveau est donc construit sur une esplanade à l'arrière du grill, qui était jusque-là destinée aux passagers de première. La modification a un but double : ceci permet d'améliorer la qualité de vie de la classe touriste pour mieux concurrencer le Queen Mary sur le point d'entrer en service, et ces changements font passer la jauge du Normandie de 79 000 à 82 000 tjb : il dépasse ainsi son futur concurrent britannique et reste jusqu'à 1940 le plus gros paquebot jamais construit[52]. D'autres installations sont modifiées, avec la création d'une chapelle pour la classe touriste et d'une synagogue[53]. La forme de la passerelle de navigation est également modifiée, les ailerons de manœuvre courbes laissant place à des ailerons rectilignes[54].
Les changements prennent du temps : les nouvelles hélices n'arrivent en effet qu'en . Elles remplissent très bien leur rôle cependant : à 56 km/h (30 nœuds), le navire ne vibre plus[55]. Le , le Normandie est prêt à reprendre du service, lorsqu'une étrange nouvelle est rapportée au commandant : une des hélices bâbord a disparu. Aucune hélice à quatre pales n'est disponible pour la remplacer sur le moment, et la traversée ne peut être annulée. L'hélice et sa symétrique sont remplacées par des trois pales. La traversée a lieu, mais est à nouveau marquée par les vibrations. Le problème est réglé dès la traversée suivante, le [56].
Une carrière brève et triomphale
La saison 1936
La saison 1936 débute avec l'arrivée d'un concurrent de taille :le Queen Mary, qui entre en service. Celui-ci n'est pas sans défauts puisqu'il affiche les mêmes problèmes de vibrations que son rival français. Il s'impose cependant comme une valeur sûre de la Cunard line[57].Le Normandie traverse pour sa part 30 fois l'Atlantique en 1936. Lorsque l'été survient, le capitaine au long cours René Pugnet prend sa retraite, laissant le commandement à Pierre Thoreux pendant trois ans. Peu avant, un incident peu commun s'est produit : en juin, un avion de la R.A.F., dont le pilote est aveuglé par les fumées des cheminées du navire, s'écrase sur la plage avant. Les dégâts sont cependant minimes et le pilote s'en sort indemne[58]. Lors de sa dernière traversée de la saison, le navire affronte une tempête violente sans subir de dégâts. Cependant, une ombre obscurcit ce tableau : durant l'été, le Queen Mary a remporté le Ruban bleu[59].
La saison 1937
La Compagnie générale transatlantique refuse de laisser la récompense aux mains des Britanniques. Aussi le Normandie subit-il une nouvelle refonte durant l'hiver. Celle-ci touche avant tout ses machines dont la puissance est légèrement améliorée, et ses hélices[60] : les nouvelles sont plus efficaces, et engendrent encore moins de vibrations. Lorsqu'il reprend du service en ,le Normandie reprend le Ruban bleu dès sa première traversée. Sur un plan commercial, le nombre de passagers augmente cette année-là, ce qui en fait une très bonne période pour la Transat[61].
La saison 1938
1938 commence par une nouvelle mise sous les projecteurs du Normandie. Du 5 au , il cesse ses traversées transatlantiques pour une croisière d'agrément entre New York et Rio de Janeiro. La destination est en effet très prisée des Américains. Cette croisière est cependant aussi un véritable défi : elle implique une traversée plus longue et donc des problèmes d'approvisionnement en combustible, mais aussi en linge propre (des navires spéciaux sont affrétés pour porter du linge au paquebot)[62]. La croisière est un franc succès puisque la totalité des cabines de classe cabine (ancienne première classe) et une partie des cabines de classe touriste sont occupées[63]. On compte ainsi un millier de passagers : un record pour une croisière à l'époque. L'engouement médiatique est également très fort[64]. À Rio,le Normandie, ouvert aux visiteurs, est envahi par des foules immenses au grand dam des passagers[65].
L'année 1938 voit également la 100e traversée du Normandie, qui perd également peu après définitivement le Ruban bleu face au Queen Mary[66]. Le service du paquebot français n'est troublé que par un important mouvement de grève en fin d'année, dans un contexte international qui se tend pourtant de plus en plus[67].
La saison 1939
En ,le Normandie effectue une seconde croisière New-York - Rio de Janeiro. Elle rencontre un important écho médiatique et déclenche d’importantes réceptions officielles au Brésil.
En , le navire part au Havre pour son entretien annuel. La guerre semble proche : les canots de sauvetage sont peints de couleurs vives pour être vus plus facilement en cas d'acte de guerre. Des craintes d'attentat sont également à l'ordre du jour[68]. C'est alors que survient un drame pour la Transat : le Paris, accosté non loin, s'embrase et chavire le . Il faut en découper les mâts pour que le Normandie puisse quitter son bassin de radoub[69]. À la même époque, Pierre Thoreux quitte le commandement pour un poste logistique dans le port du Havre : ce choix n'est pas de son fait, mais sa longévité sur le navire amiral de la compagnie empêchait les autres commandants de recevoir de l'avancement. Son successeur est Étienne Payen de La Garanderie (d), qui est sur le point de devenir le dernier commandant du Normandie en service transatlantique[70].
Le 14 juillet 1939, il prononce un serment au président Lebrun au nom du Normandie, dans le cadre des cérémonies du 150e anniversaire de la Révolution française.
Seconde Guerre mondiale et destruction
Dernières traversées
voit s'approcher l'ombre de la Seconde Guerre mondiale ; la Transat décide de réduire la vitesse du Normandie afin qu'il ait suffisamment de combustible pour faire demi-tour en cas de déclaration de guerre pendant une traversée. Celle qui débute le marque un dernier temps de gloire : le réalisateur Yves Mirande tourne en effet à bord son film Paris-New York avec l'acteur Michel Simon[71]. Après une nouvelle traversée vers la France,le Normandie entame son dernier voyage le dans un climat international très tendu. Le pacte germano-soviétique vient d'être signé et le conflit semble inévitable. Le paquebot tente en cours de route de semer le Bremen par crainte d'être signalé aux sous-marins allemandss. Tout le reste de la traversée, les lumières du pont sont coupées, les rideaux fermés et le trafic radio cesse afin de rendre le navire indétectable[72].
Avec la déclaration de guerre le , il n'est plus question pour le Normandie de traverser l'Atlantique à la merci des sous-marins ennemis[73]. Le , le navire est désarmé. Le 8, une grande partie de l'équipage (principalement le personnel hôtelier) est rapatriée en France. Le reste des hommes prépare le navire à son immobilisation, de façon à préserver mobilier et machines[74].
Réquisition par les États-Unis
Pour l'équipage stationné aux États-Unis, la vie s'organise tant bien que mal : avec l'arrivée de l'hiver, la compagnie leur fournit quelques vêtements chauds, et les marins tentent de garder un lien avec leur famille. Cependant, avec la défaite de juin 1940, ce lien tend à disparaître. Par ailleurs, le , Étienne Payen de La Garanderie (d) rentre en France, laissant le commandement à Hervé le Huédé, qui servait à bord depuis plusieurs années[75].
Son entrée dans le conflit semblant s'approcher, le gouvernement américain commence à envisager de réquisitionner le Normandie pour en faire un transport de troupes. Avec l'instauration du régime de Vichy, les risques de sabotages s'accroissent pour le navire : un fidèle du gouvernement français pourrait tenter de soustraire le navire à l'effort de guerre américain[76]. Le , la prise de contrôle du paquebot est votée par le Congrès des États-Unis. Un détachement de Coast Guards embarque pour surveiller les actes de chaque membre d'équipage français pour éviter tout sabotage. Plus d'hommes sont appelés après l'attaque de Pearl Harbor, et le , les États-Unis prennent possession du Normandie en vertu du droit d'angarie[77]. L'équipage français est débarqué à l'exception des officiers et de cinq autres membres. Les protestations du commandant Le Huédé empêchent cependant les Américains de baisser le pavillon français, et les membres d'équipage sur le départ entonnent la Marseillaise, selon le récit du commandant[78].
Les nouveaux possesseurs du navire doivent encore l'apprivoiser : les plans circulent parmi les Coast Guards qui apprennent le fonctionnement du paquebot, tandis que le chef mécanicien aide à traduire les nombreuses inscriptions en français[78]. Vient également la question de savoir comment en faire usage : s'il semble au premier abord naturel de l'utiliser comme transport de troupes à l'instar des deux Queen britanniques; l'architecte naval William Francis Gibbs propose de le transformer en porte-avions et expose un projet détaillé qui n'est finalement pas retenu[79].
Les travaux débutent par l'évacuation du mobilier et de la décoration, à l'exception de ceux du théâtre, des lieux de culte et de deux appartements de luxe destinés aux officiels de haut rang. Cette évacuation a permis la préservation de la majeure partie du mobilier et de la décoration du paquebot de la catastrophe qui doit le frapper l'année suivante[80]. Le navire est réaménagé pour accueillir jusqu'à 16 000 hommes, et est renommé début 1942 USS Lafayette en hommage au Marquis de La Fayette et pour faire écho à l'histoire commune des États-Unis et de la France[81],[82].
Incendie et chavirage
Le , les travaux de réaménagement sont toujours en cours. L'opération du jour consiste notamment à retirer quatre grandes colonnes d'acier dans le grand salon, et nécessite un chalumeau. Ce jour-là, le salon, bien que débarrassé de son mobilier et de ses décors, est rempli de milliers de paquets de gilets de sauvetage en kapok (matière très inflammable), qu'une équipe chargée de poser du linoléum déplace en permanence[83]. Le découpage des deux premières colonnes se passe sans encombre, puis survient la pause déjeuner et la troisième est ensuite retirée[84]. C'est lors de l'attaque de la quatrième que l'incident survient : une gerbe d'étincelles et des morceaux de métal incandescent touchent un des paquets de gilets, soit par maladresse du porteur du chalumeau, Clement Derrick, soit parce que l'assistant chargé de protéger les paquets avec un bouclier métallique l'a retiré trop tôt[85]. Plusieurs paquets s'embrasent rapidement, et les personnes présentes, tentant d'éloigner les paquets qui semblent indemnes, ne font qu'accélérer la propagation de l'incendie[86]. De plus, aucun extincteur ne se trouvait dans le compartiment et les membres d'équipage chargés de lutter contre le feu ne sont pas prévenus à temps : il s'agit de toute façon d'hommes non formés, qui avaient bénéficié d'une promotion à un poste a priori tranquille[85].
L'incendie se propage rapidement au pont promenade, rempli de couchettes en toile, tandis que l'équipage, pris de panique, évacue le navire. Un quart d'heure après le début du sinistre, les secours sont appelés, à 14 h 49, et arrivent sur les lieux trois minutes plus tard. Le flot continu d'hommes évacuant le navire les empêche cependant d'embarquer. Par ailleurs, plus personne n'est présent pour faire fonctionner les systèmes de sécurité et l'électricité à bord[86]. Le secours vient donc des bateaux-pompes qui projettent près de 6 000 tonnes d'eau sur le navire en feu[87]. On dénombre quelques blessés dans la cohue, et un mort, Franck Trentacosta touché par un morceau d'acier projeté par une explosion. Par ailleurs, le concepteur du navire, Vladimir Yourkevitch se voit refuser l'accès sur les lieux du sinistre : il aurait pourtant pu indiquer comment maintenir le paquebot à flot malgré la carène liquide due au poids de l'eau[88].
Le navire commence à gîter sévèrement sous l'effet des tonnes d'eau déversées. Les conseils d'Hervé Le Huédé permettent de pratiquer des ouvertures qui le rééquilibrent sensiblement. Lorsque l'incendie semble éteint, vers 18 h, il apparaît que 10 000 tonnes d'eau ont été déversées sur bâbord, dont plus de la moitié stagnent encore dans les hauts du navire. Les chaufferies restent pour leur part préservées[89]. En début de soirée, le Lafayette semble sauvé : il s'est stabilisé, et l'on peut même embarquer pour évaluer les dégâts, qui ne sont importants qu'en apparence : le navire pourra être remis en état. C'est sans compter les marées : la mer se retire, puis revient, déséquilibrant le navire. À 2 h 40, il chavire définitivement[90].
Remise à flot et démolition
Après le drame vient le temps des questions. Une enquête, bien vite demandée, conclut à une simple maladresse : un chalumeau ouvert aurait enflammé des gilets de sauvetage, ce qui n'empêche pas les rumeurs de sabotage de circuler. Dans les années 1960, les mafieux Lucky Luciano et Meyer Lansky revendiquent l'incendie, perpétré par Albert Anastasia, dans le but de faciliter la libération de Luciano contre la promesse faite aux autorités de protéger le port de New York du sabotage[91]. La Navy est blâmée pour sa gestion des événements, notamment à cause de la sécurité très relâchée qui aurait pu permettre des opérations de sabotage si l'accident ne s'était pas chargé du sort du navire[92]. Très vite également apparaissent les premiers projets de renflouage, à la demande de Franklin Roosevelt et à une époque où les États-Unis subissent un certain nombre de revers dans la guerre du Pacifique. Vladimir Yourkevitch sert de consultant dans le cadre de ces opérations, de même que William Francis Gibbs[92]. Il faut de surcroît déterminer si le navire peut être récupéré ou doit être démoli. Dans tous les cas, il faudra démonter les superstructures et cheminées qui gêneraient un redressement de la coque. Les travaux commencent donc le et se poursuivent jusqu'en mai tandis que la Transat se sépare de nombreux éléments décoratifs du navire[93].
Au moment de l'incendie, le cinéaste britannique Alfred Hitchcock est en train de tourner son film Saboteur. Sans autorisation, il filme l'épave en feu sous différents angles, et inclut ces images dans le film, avec en contrechamp le sourire sardonique de l'acteur Norman Lloyd, qui joue le rôle du saboteur nazi. Le film accrédite la thèse (fausse) du sabotage. La censure américaine imposera le retrait de ces images. Les autorités américaines n'apprécient pas d'apparaître comme ayant été négligentes. Le film sera rétabli avec les scènes coupées en 1948.
Pour préparer le pompage qui devrait redresser le navire, il faut également en extraire la vase, et surtout refermer les hublots et sabords laissés ouverts lors de l'évacuation. S'engage ainsi un travail de plusieurs mois pour une équipe de scaphandriers. Le Pier 88 est également racheté par la Navy et en partie démonté pour éviter d'endommager l'arrière lorsque le redressement débutera[93]. Les opérations de nettoyage prennent plus d'un an, et c'est à partir du que le pompage débute[94]. Le , le navire est sorti de l'eau. Le , il est rendu à la Navy par la firme Merritt, Chapman and Scott qui l'a prise en charge, les échafaudages ayant été enlevés. Au total, le renflouement du paquebot a coûté 11 millions de dollars[95]. Cette prouesse technique permet de former des hommes à ce type d'opération, qu'ils reproduisent plusieurs centaines de fois jusqu'à la fin de la guerre[96].
Le navire part ensuite à Bayonne, dans le New Jersey, où un bassin de radoub l'attend pour qu'il y soit remis en état[96]. Cependant, la coque et les machines se révèlent plus endommagées que prévu. Dans ce dernier cas, il faut en construire de nouvelles, chose problématique vu la spécificité des appareils. Par ailleurs, les chantiers navals sont très occupés par les nombreuses commandes. Début 1944, le projet est abandonné[97]. Un maigre espoir subsiste encore : le président Roosevelt continue à défendre un projet de remise en état, car, pense-t-il, la destruction de Normandie sera forcément injustifiable après la libération de la France. William Francis Gibbs propose de refaire du navire un paquebot (les Américains construiront finalement leur propre paquebot plus tard, le United States)[98]. L'imminence du débarquement de Normandie et la mort de Roosevelt ont cependant définitivement raison du navire. Le , il est déclaré surplus de la Navy. Un an plus tard, alors que la France refuse de récupérer l'épave, le navire est acheté par les frères Lipsett qui obtiennent le droit de le démolir. Les opérations se déroulent du au [98]. L'opération se traduit par un profit d'un million de dollars de l'époque[99].
Aspects techniques
Architecture de la coque
La coque du Normandie fait, durant sa conception, l'objet de nombreuses études : il faut en effet construire une carène dont l'hydrodynamisme permette d'avoir une bonne vitesse. À partir de l'été 1929 et pendant un an, plus de 150 modèles sont dessinés et vingt sont testés en bassin[100].
La coque définitive est finalement proposée par un architecte russe émigré en France, Vladimir Yourkevitch. Elle s'illustre par des formes très originales : le navire est beaucoup plus large que ses concurrents, et une étrave retouchée en forme de Y pour mieux pénétrer dans l'eau et offrir le moins de résistance de carène possible. Elle est également rééquilibrée par un bulbe d'étrave et pourvue d'un brise-lames[100]. Contrairement à tous les navires contemporains, dont le Queen Mary, le Normandie ne présente en aucun endroit une coque rectiligne. Le navire est également beaucoup moins sensible au roulis, grâce à la largeur de sa coque qui n'entrave pas son hydrodynamisme[101].
D'un point de vue externe, la silhouette du Normandie est résolument moderne. L'étrave à guibre avec un dévers prononcé, ouvre un écubier logeant une ancre avec sa ligne de mouillage. Les apparaux de manœuvre et de mouillage de la plage avant sont abrités sous le pont. L'arrière se démarque des autres navires de l'époque : pas d'ouverture pour le chargement, mais une succession de terrasses incurvées. Les ponts, immenses, sont par ailleurs dispensés de tous les dispositifs habituels d'aérations et autres gigantesques manches à air. Enfin, les trois cheminées, rouges à manchette noire, les couleurs de la Transat, sont nettement plus tassées, à l'image de ce qui se fait sur les paquebots allemands Bremen et Europa à la même époque, là où le Queen Mary conserve les hautes cheminées des anciens paquebots[102]. Ces cheminées sont très particulières pour les chantiers de Penhoët : ce sont les premières qui ne soient pas maintenues en place par d'imposants haubans, et également les premières construites directement sur le navire. Auparavant, un atelier préparait les cheminées, qui étaient ensuite posées sur le pont[103]. La cheminée arrière, factice, abrite le chenil, équipé d'une copie de lampadaire parisien et d'une bouche à incendie new-yorkaise dans l'aire de promenade des animaux[104]. Le dessin novateur de ces cheminées (profil en goutte d'eau, hauteur décroissante, troisième cheminée postiche installée pour l'esthétique de la ligne) est dû au peintre de marine, écrivain et navigateur solitaire normand Durand de Saint Front, dit Marin Marie, commissionné comme consultant-styliste par la Transat. Enfin, dernière particularité, le mât avant se situe au-dessus de la passerelle et non devant, afin de ne pas gêner la veille optique[104].
Appareil de propulsion
L'appareil propulsif du Normandie inclut les dernières innovations techniques de l'époque. Comme sur toutes les grandes unités du moment, il s'agit d'un navire dont la propulsion est assurée par la vapeur. Les concepteurs doivent relever un défi inédit sur un navire de l'époque : battre les records de vitesse tout en restant économique. Construire des turbines alimentant directement les hélices, comme sur l’Île-de-France est impossible : elles seraient bien trop lourdes et encombrantes. Des turbines plus petites et tournant plus rapidement que les hélices seraient plus économiques[105].
Deux solutions sont possibles : une réduction par engrenage (avec un réducteur s’intercalant entre les turbines et les arbres d’hélices) et une transmission électrique (les turbines étant couplées à des alternateurs qui produisent du courant. Ce courant alimente alors les moteurs électriques de propulsion, la réduction étant obtenue par la différence du nombre de pôles entre l’alternateur et le moteur correspondant). La solution des réducteurs étant jugée lourde et source de vibration, c'est la propulsion turbo-électrique qui est retenue. Alsthom, créée en 1929, est choisie pour fournir l’ensemble électrique en raison de ses liens avec la compagnie General electric, qui a déjà réalisé plusieurs dizaines d'installations marines de ce type, notamment pour les porte-avions USS Lexington et USS Saratoga livrés en 1927.
Sur le Normandie, l'appareil évaporatoire est constitué par 29 chaudières principales à tubes d'eau et quatre chaudières auxiliaires, chauffant au mazout. Le combustible est stocké dans les soutes à mazout à l'intérieur de la double coque, et le navire en transporte en général 7 000 tonnes : en effet, à 56 km/h (30 nœuds), il consomme environ une tonne de mazout par km (deux tonnes par mille nautique)[106].
Les chaudières alimentent en vapeur les turbo-alternateurs qui eux-mêmes alimentent les moteurs de propulsion en courant triphasé 5,5 kV. L'installation est très compartimentée du fait des cloisons étanches réparties sur toute la longueur de la coque : chaque compartiment contient une installation particulière du système de propulsion[106]. De l'avant à l'arrière, les compartiments sont les suivants : quatre chaufferies (avant, milieu avant, milieu arrière et arrière), compartiment des turboalternateurs, compartiment des moteurs.
La marche du navire est commandée depuis une plate-forme de manœuvre située dans le compartiment des turboalternateurs d'où la vitesse des moteurs est réglée par la vitesse de la turbine (l'augmentation de la vitesse de la turbine entraînant l'augmentation de la fréquence du courant et donc la vitesse des moteurs).
Par ailleurs, le système permet une grande flexibilité : un seul turbo-alternateur peut alimenter deux moteurs. Même avec un turbo-alternateur en avarie, le navire peut continuer à faire tourner ses quatre hélices, comme lors de son voyage inaugural[107], ceci se traduisant par une légère baisse de puissance.
Dispositifs de sécurité
Le Normandie est l'objet, avant même sa mise en service, de nombreuses prestations publiques visant à vanter ses mérites et gagner les faveurs de l'opinion. Un thème est maintes fois répété : la solidité du navire à toute épreuve. Celui-ci est en effet conçu pour survivre aux chocs grâce à une double coque et des compartiments étanches.
Un point est particulièrement cité par les armateurs du navire : sa résistance au feu. À l'époque, en effet, plusieurs navires français ont coulé à la suite d'incendies, notamment le Georges Philippar et ll'Atlantique, et la Transat a elle-même failli perdre le Paris dans de telles circonstances en 1927[Note 4] : gagner l'opinion sur ce terrain est nécessaire. Le navire est donc divisé en quatre zones isolées par des cloisons étanches et des portes coupe-feu. Les plans ont été conçus de façon que les passagers ne puissent pas se perdre dans les coursives qui ne sont jamais en cul-de-sac. Des dispositifs de lutte contre le feu sont aussi répartis dans le navire. René Pugnet, commandant du navire qui assiste à sa construction, a également l'idée de faire percer des trous dans le plafond de divers espaces afin que l'on puisse attaquer le feu par au-dessus. Enfin, toutes les opérations sont contrôlées et commandées depuis un poste central (PC) sécurité où veille en permanence une équipe de marins pompiers parés à intervenir[108].
Les liens amicaux entre le patron de la Transat Henri Cangardel et Émile Girardeau, fondateur et dirigeant de la Société française radio-électrique, avaient conduit à envisager d'équiper le Normandie d'un équipement DEM (détection électromagnétique), que l'on appellera ultérieurement radar, pour prévenir les collisions avec un autre navire et détecter les icebergs, fréquents dans l'Atlantique nord et célèbres pour avoir provoqué le naufrage du Titanic. La Transat avait mis en avant les avantages de ce dispositif dans sa publicité, mais le matériel n'était pas suffisamment bien testé pour le voyage inaugural de 1935. L'équipe de la SFR chargée de ce projet, dirigée par Henri Gutton effectua d'abord des essais sur un cargo mixte, et Gutton n'embarqua sur le Normandie avec le matériel et son équipe que lors du second voyage. Ce premier radar ne fut jamais vraiment opérationnel sur le Normandie, il fallut deux années supplémentaires et une campagne de test encore à terre pour que Gutton puisse faire une démonstration vraiment convaincante auprès de la Marine française[109].
L'équipement électrique complet du paquebot sera réalisé par les ingénieurs Charles Émile Jules Brandt et son associé Émile-Albert Fouilleret, qui possédaient les établissements Brandt et Fouilleret installés du 23 à 31 rue Cavendish à Paris, avec une usine de production à Saint-Loup-de-Naud (Seine-et-Marne).
Installations
Des installations diverses pour les passagers
Les passagers du Normandie sont répartis en trois classes : la première classe (devenue classe cabine après la première saison d'exploitation), la classe touriste, et la troisième classe. La première occupe environ 70 % de l'espace du navire, dans sa partie centrale. Les touristes se trouvent en arrière, et les troisième classe encore plus[110]. La troisième classe ne transporte à l'origine que 315 passagers sur un total de 1 972, et voit sa capacité réduite à 186 places, soit 10 % de la capacité du navire. Tout est fait à bord pour la première classe qui représente la moitié de la clientèle du navire : l'équipage très important de plus de mille personnes donne un ratio de deux membres d'équipage pour trois passagers, bien plus que sur les autres navires de l'époque[111]. Si les officiers sont logés dans des cabines, les maîtres, les matelots et les agents du service général sont logés dans des postes.
Les installations du navire sont nombreuses. La première classe est centrée autour d'une salle à manger étalée sur trois ponts de haut, mais qui ne s'étend pas sur toute la largeur du navire, permettant la création de nombreuses cabines sur les côtés du navire plus populaires. Elle dispose également d'un restaurant grill, d'une chapelle, d'un grand salon, de boutiques, d'un stand de tir, d'un théâtre/cinéma, d'une piscine intérieure, d'une bibliothèque, d'un jardin d'hiver… La première classe dispose par ailleurs de plusieurs appartements de luxe portant les noms de villes normandes : Deauville, Rouen[112], etc. Le lit divan en palissandre permet d'avoir en journée une cabine salon et le soir une cabine pour dormir avec un équipier qui venait installer le lit[113].
La classe touriste n'est pas en reste, mais son salon se révèle présenter un inconvénient majeur : il n'a aucune vue vers l'extérieur. Il est ainsi déplacé sur le pont supérieur durant la refonte de 1936 dans une annexe réalisée à la place d'un espace de promenade pour la première classe[110]. Les cabines de troisième classe sont évidemment moins luxueuses, mais ses salles-à-manger, salon et pont-promenade sont tout à fait convenables[114].