Philippe II Auguste
roi de France de 1180 à 1223, inaugurateur du titre / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Philippe II dit « Auguste »[2], né le à Paris et mort à Mantes le , est le septième roi (1180-1223) de la dynastie des Capétiens et le premier monarque auquel est attribué le titre de roi de France. Il est le fils héritier de Louis VII et d'Adèle de Champagne.
Pour les articles homonymes, voir Philippe de France et Philippe II.
Philippe II | |
phillipvs dei gratia francorvm rex (« Philippe, par la grâce de Dieu roi des Francs »). Sceau de Philippe Auguste : on note la fleur de lys dans la main droite (moulage, 75 mm de diamètre, Paris, Archives nationales). | |
Titre | |
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Roi de France | |
– (42 ans, 9 mois et 26 jours) |
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Couronnement | , en la cathédrale de Reims |
Prédécesseur | Louis VII |
Successeur | Louis VIII |
Biographie | |
Dynastie | Capétiens |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Paris (France) |
Date de décès | (à 57 ans) |
Lieu de décès | Mantes (France) |
Sépulture | Nécropole royale de la basilique de Saint-Denis |
Père | Louis VII le Jeune |
Mère | Adèle de Champagne |
Conjoint | Isabelle de Hainaut (1180-1190) Ingeburge de Danemark (1193) (1201-1223) Agnès de Méranie (1196-1201) |
Enfants | Avec Isabelle de Hainaut Louis VIII Avec Agnès de Méranie Marie de France Jean-Tristan de France Philippe Hurepel de Clermont Avec la « Dame d'Arras » Pierre Charlot (illégitime) |
Religion | Catholicisme |
Résidence | Palais de la Cité |
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Rois de France | |
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Le surnom d'« Auguste » lui est donné par le moine Rigord[3], après que Philippe II a ajouté au domaine royal, en juillet 1185 (Traité de Boves), les seigneuries d'Artois, du Valois, d'Amiens et une bonne partie du Vermandois[4], et également parce qu'il nait au mois d'août. Référence directe aux empereurs romains, ce terme signifie qu'il a accru considérablement le domaine royal.
Chapelain et biographe de Philippe II, Guillaume Le Breton le nomme « Philippe le Magnanime »[5], dans sa chronique La Philippide, rédigée entre 1214 et 1224. Cette chronique est une continuation de celle de Rigord, que Philippe II lui a demandé d'expurger, la jugeant moins laudatrice qu'il le souhaitait.
Philippe Auguste reste l'un des monarques les plus admirés et étudiés de la France médiévale, en raison non seulement de la longueur de son règne, mais aussi de ses importantes victoires militaires et des progrès essentiels accomplis pour affermir le pouvoir royal et contrôler la hiérarchie féodale.
Philippe Auguste est le premier roi ayant fait porter sur ses actes, sporadiquement à partir de 1190, officiellement à partir de 1204[6], Rex Franciæ, « roi de France », au lieu de Rex Francorum, « roi des Francs »[n 1]. Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum (« Philippe, roi des Francs »), à la différence, par exemple, de Richardus rex Angliæ (« Richard, roi d'Angleterre »), mais comme Henri, roi des Romains.
Les débuts : une affirmation rapide (1179-1189)
Roi à quinze ans
La naissance de Philippe Auguste, en 1165, est accueillie comme un miracle par la famille royale. En effet, Louis VII attend depuis près de trente ans un héritier et c'est sa troisième épouse, Adèle de Champagne, qui lui donne tardivement ce fils tant espéré. Cette attente vaut au futur Philippe II le surnom de Dieudonné[8],[9]. Il est baptisé dès le lendemain de sa naissance dans la chapelle Saint-Michel-du-Palais au palais de la Cité à Paris par l'évêque Maurice de Sully en présence de trois parrains[10] et trois marraines[11],[12].
Comme tous les premiers rois capétiens depuis Hugues Capet, Louis VII, accablé par la maladie, pense à associer son fils à la couronne au printemps 1179, puis à lui laisser le pouvoir le . Mais la cérémonie du sacre est retardée à la suite d'une mésaventure de chasse du jeune prince dont la vie est menacée[13]. Jean Favier précise la nature de l'incident : le jeune Philippe s'est égaré dans la forêt et n'est retrouvé que deux jours plus tard tremblant de peur et passablement perturbé[14]. L'état de santé du prince est suffisamment grave pour que Louis VII se déplace en Angleterre, malgré sa santé déclinante, et aille se recueillir sur la tombe de Thomas Becket[15], l'archevêque de Cantorbéry mort assassiné en 1170 et devenu un saint thaumaturge[16].
Complètement remis sur pied et en l'absence de son père de plus en plus souffrant, Philippe est associé à la couronne et sacré le à Reims par son oncle l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains[17]. L'absence à la cérémonie de la reine Adèle ainsi que des trois autres oncles maternels, alors que les fils d'Henri II Plantagenêt y assistent et que surtout le comte de Flandre Philippe d'Alsace parraine l'adoubement, est symbolique du revirement des influences. La Maison de Blois-Champagne prépondérante à la fin du dernier règne cède le pas à la Maison de Flandre[14].
Pour échapper à l'emprise de sa mère et de ses oncles maternels, Philippe II se rapproche de son parrain Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui lui donne sa nièce Isabelle en mariage. Le 28 avril 1180, l'évêque Roger de Laon bénit les jeunes époux en l'abbaye d'Arrouaise près de Bapaume. Le jeudi de l'Ascension à Saint-Denis, lors de la consécration de son épouse Isabelle de Hainaut comme reine de France, il reçoit une seconde fois l'onction sainte par l'archevêque de Sens[18], Guy Ier de Noyers, successeur de Guillaume aux Blanches Mains, au grand dam de ce dernier, qui accuse d'usurpation son pair. Isabelle, fille de Baudouin V de Hainaut lui apporte l'Artois en dot. Puis, le , trois mois avant la mort de son père, il signe le traité de Gisors avec Henri II d'Angleterre. Ces deux événements renforcent la position du jeune roi face aux maisons de Flandre et de Champagne[19].
La mort de son père survient le et laisse Philippe seul roi, à quinze ans. Confronté à l'affaiblissement du pouvoir royal, Philippe se révèle rapidement à la hauteur du défi.
Expulsion des Juifs (1182)
À l'intérieur du domaine[20], l'une de ses premières décisions est totalement contraire à la politique suivie par son père : l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens[21] le [22] [23] tranche avec la protection que Louis VII avait accordée à la communauté juive[24]. La raison officiellement donnée désigne les juifs responsables de calamités diverses, mais l'objectif réel est surtout de renflouer les caisses royales, bien mal en point en ce début de règne[25]. Ces mesures ne dureront pas : l'interdiction du territoire cesse en 1198, et l'attitude conciliatrice qu'avait adoptée Louis VII redevient bientôt la norme. Cependant, le pape Innocent III condamne quelques activités des juifs en France et exhorte Philippe Auguste dans la lettre Etsi non displiceat en 1205 à les sanctionner pour montrer la ferveur de sa foi chrétienne[26] (en latin : « in eorum demonstret persecutione fervorem quo fidem prosequitur Christianam »)[27].
Du point de vue juif, la mesure fut ainsi perçue : « En l'année 4946, c'est-à-dire en 1186[n 2], il fit saisir les Juifs dans toutes les provinces de son royaume, leur ravit leur argent et leur or et les chassa de son pays. Beaucoup abjurèrent alors leur foi et recouvrèrent par là leurs fortunes et leurs biens, se mêlèrent aux chrétiens et vécurent comme eux. Les synagogues Philippe en fit des églises pour son Dieu, et avec ce qu'il avait pris, il éleva de nombreux édifices, le palais de l'Hôtel-de-ville, le mur de la forêt de Vincennes près de Paris et les Champeaux, où se tient le marché de Paris. Les Juifs de France étaient alors deux fois plus nombreux que ceux qui sortirent d'Égypte : ils émigrèrent par sept chemins de ce pays devenu cruel pour eux, et Israël devint extrêmement malheureux [29] ».
Mariage
À la fin du règne de Louis VII, le comte Philippe de Flandre avait proposé au vieux roi sa nièce Ide, fille de son frère Mathieu, comte de Boulogne. Pour renforcer son influence, il négocie au début de 1180 le mariage de sa nièce Isabelle, fille de sa sœur Marguerite et de Baudouin, comte de Hainaut. Le parti flamand, rival du parti champenois, espérait ainsi disposer d'un membre influent à la cour, tout comme l'avait fait le parti champenois, son rival, avec Adèle de Champagne dans les dernières années du règne de Louis VII[30].
Le , Isabelle de Hainaut épouse donc Philippe, le mariage religieux est célébré par les évêques Henri de Senlis et Roger de Laon[31] en l'église de l'abbaye Saint-Nicolas d'Arrouaise, dédiée à la Sainte-Trinité[32]. Les cérémonies sont célébrées au château de Bapaume[33] à proximité du territoire flamand.
Le lieu du mariage avait été tenu secret par Philippe II de France car sa mère Adèle de Champagne, ses frères et tout le parti champenois étaient contre cette alliance mais Philippe II Auguste tenait à cette union et décida de choisir un lieu en dehors des terres champenoises. Ce désaccord valut à Isabelle de Hainaut un ressentiment profond de la part d'Adèle de Champagne[34].
Un nœud de rivalités
Dès 1181, mené par le comte de Flandre, Philippe d'Alsace, avec lequel Philippe s'est brouillé, le conflit avec les barons est ranimé. Il parvient toutefois à contrer les ambitions du comte en brisant les alliances que ce dernier a nouées avec le landgrave de Brabant, Godefroy de Louvain, et l'archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg[35]. En juillet 1185, le traité de Boves confirme au roi la possession du Vermandois, de l'Artois et de l'Amiénois[36].
Les Plantagenêt sont l'autre préoccupation majeure de Philippe Auguste. Les possessions d'Henri II d'Angleterre, également comte d'Anjou, comprennent la Normandie, le Vexin, et la vaste Aquitaine. De plus, par le mariage de Geoffroy, fils de Henri II, les Plantagenêt gouvernent aussi la Bretagne. Après deux ans de combats (1186-1188), la situation reste indécise. Philippe cherche habilement à profiter des rivalités entre les fils du roi d'Angleterre, Richard, avec lequel il se lie d'amitié, et son cadet Jean sans Terre. Une paix de statu quo est finalement négociée, alors que le pape Grégoire VIII, après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187, appelle à la croisade. Philippe Auguste est peu motivé par une telle aventure mais ne peut opposer un refus au pape. Il prend la croix et invoque les dangers qui menacent son royaume pour surseoir. La mort d'Henri II en juillet 1189 clôt cet épisode. Le roi ne peut plus se dédire, il se prépare au départ en Terre sainte.
Tentative de répudiation de la reine
En 1183, Philippe Auguste, pressé d'avoir un héritier et brouillé avec Philippe d'Alsace et Baudouin V de Hainaut songe à se séparer d'Isabelle, qui n'a que treize ans.
En mars 1184, la répudiation est décidée. Une assemblée de prélats et de seigneurs réunie à Senlis va se prononcer, quand Isabelle, raconte le chroniqueur Gilbert de Mons[37], pieds nus et habillée en pénitente, fait à pied le tour des églises de la ville et implore Dieu devant le peuple qui l'aimait pour son grand cœur. Celui-ci prend fait et cause pour elle, et Philippe Auguste recule et la garde auprès de lui[38].
La troisième croisade et la rivalité avec Richard Ier dit « Cœur de Lion » (1190-1199)
Une croisade écourtée
Philippe Auguste et Richard partent ensemble pour la troisième croisade qui mobilise également la plupart des grands barons de France. Philippe embarque à la fin de l'été 1190 de Gênes, et Richard de Marseille, mais ils sont surpris par les tempêtes d'hiver en Méditerranée et doivent attendre plusieurs mois en Sicile, à Messine. Là, la rivalité entre les deux rois se ranime autour des projets de mariage de Richard, qui rompt ses fiançailles avec Adélaïde (demi-sœur de Philippe) et s'engage avec Bérengère de Navarre[39].
Philippe Auguste quitte Messine dès qu'il le peut, le . Il arrive à Acre le et participe au siège de la cité, contrôlée par les musulmans. Richard n'arrive qu'en juin, après un détour par Chypre : les renforts anglais sont les bienvenus mais les querelles reprennent immédiatement entre les deux rois. Pour aggraver la situation, ils sont tous deux victimes de maladie[n 3], causant notamment une forte fièvre, ils perdent cheveux et ongles. Philippe Auguste perd également l'usage d'un œil. Les opérations militaires avancent toutefois : les Français percent une première fois les murs d'Acre le 3 juillet, sans succès ; puis ce sont les Anglais qui échouent. Affaiblis, les assiégés capitulent le .
La croisade ne fait que commencer, pourtant Philippe décide de prendre le chemin du retour. La mort du comte de Flandre survenue le 1er juin lors du siège de Saint-Jean-d'Acre rouvre le dossier sensible de la succession flamande[46]. Le fait qu'il n'ait qu'un seul héritier l'invite par ailleurs à la prudence. C'est dans un état de santé délabré et très atteint physiquement que Philippe passe par Rome pour obtenir du pape l'autorisation de quitter la croisade. Le roi rentre à Paris le .
La succession flamande
Il s'agit là de la première préoccupation de Philippe à son retour de croisade. La mort du comte de Flandre, sans descendance, suscite les convoitises de trois prétendants : Baudouin, comte de Hainaut, Éléonore de Vermandois, comtesse de Beaumont, et Philippe Auguste lui-même.
Au terme de tractations, Baudouin est désigné comme héritier du comté de Flandre après paiement de cinq mille marcs d'argent[47]. Cependant, Philippe Auguste confirme par une charte de 1192 le Valois et le Vermandois à Éléonore, qui doivent revenir au roi après la mort de celle-ci. Enfin, le roi reçoit Péronne et l'Artois, au nom de son fils Louis, comme héritage de la reine Isabelle de Hainaut morte en 1190[48]. Les positions royales au nord sont donc considérablement renforcées.
L'affaire du mariage
Après la disparition de la reine Isabelle, Philippe Auguste sait qu'il doit se remarier au plus vite. La succession dynastique n'est en effet pas assurée : son seul fils, Louis, n'a que quatre ans et vient de survivre à une grave maladie. Le choix d'Ingeburge de Danemark répond à la nécessité pour le roi Philippe de mettre un terme aux ambitions des souverains britanniques, essayant par là de réveiller les vieilles rivalités entre Danois et Anglais, mais en vain ; cette politique française a été menée depuis bientôt un siècle par ses prédécesseurs.
Sœur du roi Knut VI, âgée de dix-huit ans, Ingeburge n'est qu'une des nombreuses épouses possibles pour Philippe. Pourtant cette union avec la maison royale danoise lui permettrait de fragiliser la dynastie anglo-normande. En effet, Ingeburge descend par les femmes du roi Harold II mort à la bataille d'Hastings contre Guillaume le Conquérant, futur roi d'Angleterre et fondateur de la dynastie anglo-normande. Philippe II pense avoir trouvé un moyen de pression avec l'antériorité des droits de sa future épouse Ingeburge, droits qu'il aurait envisagé de faire valoir par la force et avec le concours des princes danois.
Un accord est conclu sur une dot de dix mille marcs d'argent dont une large partie est versée le jour du mariage par les plénipotentiaires danois présents à la cérémonie, la princesse est amenée en France, Philippe la rencontre à Amiens le 14 août 1193 et l'épouse le jour même[49]. Le lendemain, Philippe fait écourter la cérémonie du couronnement de la reine et expédie Ingeburge au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. Le roi annonce qu'il souhaite faire annuler le mariage[50].
Les raisons de cette séparation précipitée, suivie pour Ingeburge de sept ans de captivité[n 4] et, pour Philippe, du refus absolu de reconnaître sa place de reine, sont restées inconnues et ont donné lieu à toutes les spéculations possibles de la part des contemporains comme des historiens. Les sources britanniques prétendent que le roi Philippe avait conçu un dégoût immédiat pour son épouse, ce qui est contredit par le fait qu'il se soumettra plus tard et à de nombreuses reprises à ses obligations d'époux, même lorsqu'il le nia pour n'avoir pas à reprendre Ingeburge à ses côtés en qualité de reine de France. Quant aux historiens français, ils ont pensé que les Danois avaient pour leur part rejeté tout projet d'envahir l'Angleterre, ce qui rendait le mariage de Philippe II subitement inintéressant pour lui, car d'une part il n'obtenait plus le concours des Danois pour envahir l'Angleterre et en plus il devait rendre la dot de son épouse, ce qui était au moins une aussi grande torture pour un roi qui comptait la moindre rentrée d'argent. C'est pourquoi la version selon laquelle le roi Philippe aurait été mal remis de la maladie qu'il avait contractée à la croisade ne peut être totalement écartée[52].
Toujours est-il que pour défendre l'annulation du mariage, Philippe souhaite faire valoir un lien de parenté prohibé par l'Église, comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut dont il avait également souhaité se séparer avant de reculer devant la pression populaire. Ingeburge ne pourra faire appel à un soutien populaire, puisqu'elle ne parle pas un mot de français ; elle est tout juste capable de s'exprimer dans un latin assez rudimentaire. Une assemblée d'évêques et de barons donne aisément raison au roi, qui se remarie à la hâte avec Agnès de Méranie, jeune noble bavaroise, dès juin 1196.
Mais le nouveau pape Innocent III, élu en 1198, ne l'entend pas de cette oreille. Souhaitant affirmer son autorité, il enjoint à Philippe Auguste de renvoyer Agnès et de rendre sa place à Ingeburge. En l'absence de réaction du roi, l'interdit est lancé sur le royaume à partir du et le pape excommunie Philippe Auguste[53]. Philippe laisse toutefois la cause en suspens, Ingeburge reste captive, désormais dans la tour d'Étampes. Le roi organise finalement une cérémonie de réconciliation, et l'interdit est levé par le légat pontifical Octavien lors du concile de Nesle en Vermandois le [54]. Mais la cérémonie ne rend pas tout à fait sa place à Ingeburge, et la procédure d'annulation du mariage se poursuit, Philippe étant désormais bigame. Le concile de Soissons qui se réunit en mars 1201 se conclut cependant par l'échec de Philippe Auguste, qui abrège lui-même les débats et renonce à faire casser le mariage. Finalement, en juillet 1201, Agnès de Méranie meurt à Poissy en donnant à Philippe un deuxième héritier mâle, Philippe (après avoir donné naissance à une fille, Marie, en 1198), reconnu comme tel par le pape en novembre 1201. La crise est momentanément close et la succession dynastique est assurée.
Philippe reprend la procédure d'annulation du mariage en 1205, cette fois sur motif de non-consommation dans le temps, un motif rejeté par l'Église catholique puisque Ingeburge put attester des visites régulières de son époux dans les lieux où il la retient captive. Il est probable que son opiniâtreté à obtenir la séparation tienne à la naissance en 1205 de son troisième fils, Pierre Charlot, qui resta de ce fait illégitime et dont l'éducation fut confiée en 1212 à l'Église catholique probablement après la mort de sa mère, la « dame d'Arras ».
Constatant définitivement que ces projets débouchent sur une impasse gênante, le roi met fin brutalement aux négociations de rupture en 1212 (comme en 1201) et, résigné, rend sa place, sinon d'épouse, du moins de reine en titre, à la malheureuse Ingeburge.
La lutte contre Richard Cœur de Lion
Richard Cœur de Lion poursuit la croisade après le départ de Philippe : il reprend les principaux ports palestiniens, jusqu'à Jaffa, et rétablit le royaume latin de Jérusalem, bien que la ville proprement dite lui échappe. Il négocie finalement une trêve de cinq ans avec Saladin et rembarque au mois d'. Les tempêtes d'hiver le surprennent de nouveau : échoué à Corfou, il est capturé par le duc d'Autriche Léopold V, qui le remet entre les mains de l'empereur germanique Henri VI, son ennemi. Pour la libération de Richard, l'empereur demande une rançon de cent mille marcs d'argent, plus cinquante mille marcs pour l'aider à conquérir la Sicile[55].
Philippe profite de la situation pour négocier avec Jean sans Terre, le frère cadet de Richard, qui a pris le contrôle du royaume anglo-normand. Espérant récupérer la couronne anglaise grâce au soutien de Philippe, il prête hommage en 1193. Puis, alors que Philippe Auguste attaque les possessions des Plantagenêt, Jean cède au roi de France l'Est de la Normandie (le Vexin normand), Le Vaudreuil, Verneuil et Évreux, moyennant mille marcs d'argent, par un accord écrit, en . Par sa finesse diplomatique et militaire, Philippe tient son rival en respect.
Richard est finalement libéré le . Sa mère, Aliénor d'Aquitaine, a payé les deux tiers de la rançon demandée, soit cent mille marcs d'argent, le solde devant être versé plus tard[55]. Conscient de la valeur de son adversaire, Philippe Auguste aurait écrit à Jean sans Terre : « Prenez garde à vous maintenant, le diable est lâché »[56]. La riposte de Richard est immédiate : après deux mois passés en Angleterre, il débarque en Normandie le ; s'engage alors une guerre d'escarmouches. Le 10 mai, Philippe met le siège devant Verneuil, qui refuse de se soumettre. Quand lui parvient l'annonce du massacre de la garnison française d'Évreux, que Jean, réconcilié avec son frère, vient de lui livrer, il abandonne le siège, le 28 mai, et pousse vers Évreux, qu'il détruit. De son côté, Richard reprend Loches après huit jours de siège, le 14 juin. Puis, le 5 juillet, Philippe s'apprêtant à mettre le siège devant le château de Vendôme, Richard lui dresse un guet-apens près de Fréteval, au cours duquel il s'empare des bagages de Philippe, du sceau royal et de son chartrier (événement à l'origine de la création de la garde des archives royales, appelées Trésor des Chartes).
Les deux souverains conviennent d'une trêve le , mais celle-ci n'est pas respectée. En 1195, la guerre se déplace en Berry, où les deux armées se rencontrent, près d'Issoudun. Alors que l'on s'apprête au combat, Richard va trouver Philippe et lui prête hommage pour le duché de Normandie et les comtés d'Anjou et de Poitiers. Un traité de paix est signé à Gaillon le : Richard cède Gisors et le Vexin normand à Philippe, qui lui abandonne les différentes conquêtes qu'il a faites en Normandie et ses prétentions sur le Berry et l'Auvergne.
Ayant perdu sa principale place forte avec Gisors, Richard entame la construction de Château-Gaillard, ce qui rallume la guerre. Richard prend et détruit le château de Vierzon, dans le Berry, et se fait livrer à prix d'argent le château de Nonancourt. De son côté, Philippe s'empare, à l'automne 1196, des châteaux de Dangu et d'Aumale, et reprend Nonancourt. Richard envahit le Vexin (1197-1198), ravageant les bords de Seine au-dessous de Paris. Philippe est battu en entre Gamaches et Vernon. Le , Richard s'empare des châteaux de Boury et de Courcelles, puis bat près de Gisors les troupes de Philippe, venu au secours de ces places fortes[57],[58]. Philippe manque de se faire tuer pendant la bataille. Chargeant à la tête de ses troupes, il aurait déclaré : « Je ne fuirai pas devant mon vassal »[59].
Les deux rois cherchent des soutiens, tandis que le nouveau pape Innocent III[60], qui souhaite mettre sur pied une nouvelle croisade, les pousse à négocier. Le , entre Les Andelys et Vernon, ils conviennent en présence du légat d'une trêve de cinq ans, d'ailleurs mal respectée[61]. La situation se règle brusquement : lors du siège du donjon du château de Châlus-Chabrol (Limousin) le , Richard est frappé par un carreau d'arbalète. Il succombe à sa blessure quelques jours plus tard, le 6 avril, à quarante-et-un ans et au faîte de sa gloire.
Les grandes conquêtes (1199-1214)
Les victoires face à Jean sans Terre
La succession de Richard Cœur de Lion ne va pas d'elle même. Face à Jean sans Terre, le jeune Arthur de Bretagne (âgé de douze ans), fils de son frère aîné Geoffroy II de Bretagne, mort en 1186, est un prétendant sérieux. Philippe Auguste profite de cette rivalité et, comme il avait pris position pour Jean contre Richard, il prend cette fois position pour Arthur contre Jean. Il reçoit l'hommage du duc Arthur Ier de Bretagne pour les possessions françaises des Plantagenêt au printemps 1199[62]. Ceci lui permet de négocier en position de force avec Jean sans Terre, et le traité du Goulet, en mai 1200, est favorable à Philippe Auguste. Le traité est scellé par le mariage entre Louis de France et Blanche de Castille, nièce de Jean.
Les hostilités ne cessent pas vraiment, et se concentrent désormais en Aquitaine. Philippe se rapproche donc d'une part d'Arthur, et convoque Jean, son vassal au titre du traité du Goulet, pour ses actions en Aquitaine et à Tours. Jean ne se présente naturellement pas et la cour de France prononce la confiscation de ses fiefs.
La suite se joue sur le terrain militaire. Philippe part dès le printemps 1202 à l'assaut de la Normandie tandis qu'Arthur s'attaque au Poitou. Mais le jeune duc est surpris par Jean sans Terre lors du siège de Mirebeau, et fait prisonnier avec ses troupes. Arthur de Bretagne disparaît dans les mois qui suivent, probablement assassiné début 1203. Philippe s'assure alors le soutien des vassaux d'Arthur et reprend son action en Normandie au printemps 1203. Il démantèle le système des châteaux normands, prend Le Vaudreuil, et entame le siège de Château-Gaillard en septembre 1203. De son côté, Jean fait l'erreur de quitter la Normandie pour rentrer en Angleterre, en décembre 1203. Château-Gaillard tombe le 6 mars 1204.
Philippe Auguste peut alors envahir l'ensemble de la Normandie (à l'exception des îles de la Manche) : Falaise, Caen, Bayeux, puis Rouen qui capitule et dont le capitaine et gouverneur Pierre de Préaux signe l'acte de capitulation, après 40 jours de siège, le en constatant que le secours de Jean n'arrive pas. Verneuil et Arques tombent immédiatement après et parachèvent le succès de Philippe, qui vient de prendre toute la Normandie continentale en deux ans de campagne. Philippe se tourne alors vers la vallée de la Loire, il prend d'abord Poitiers en août 1204, puis Loches et Chinon en 1205. Jean et Philippe conviennent finalement d'une trêve à Thouars, à compter du . Pour Philippe Auguste, l'objectif est désormais de stabiliser ces conquêtes rapides.
La consolidation des conquêtes
Toute la période qui s'étale de 1206 à 1212 voit Philippe Auguste s'efforcer de consolider ses conquêtes territoriales. Le cas est particulièrement violent en Auvergne. Depuis les années 1190 les conflits entre le roi de France et le comte Guy II d'Auvergne sont récurrents. Le comte se déclare tantôt vassal des Plantagenêt tantôt indépendant et à la suite de la prise de l'abbaye royale de Mozac par les troupes du comte d'Auvergne, Philippe-Auguste saisit l'occasion et lance son armée à la conquête de l'Auvergne. La guerre dure entre deux et trois ans selon les sources mais se termine après le siège de Tournoël en décembre 1213[63],[64].
La domination capétienne est acceptée en Champagne, en Bretagne mais l'Auvergne, le comté de Boulogne et la Flandre posent problème. À la suite de la conquête de 1213, la population auvergnate prend mal cette annexion et de nombreux scribes auvergnats partisans du comte Guy II d'Auvergne vont réaliser des sirventès vengeurs. Parmi ces pamphlets contre le roi de France et ses vassaux ayant mené la guerre contre Guy se retrouvent ceux du XIIIe siècle cités dans le roman de Flamenca[65].
Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, est une première source de préoccupation. Malgré les attentions de Philippe Auguste, qui marie notamment en 1210 son fils Philippe Hurepel à Mathilde, fille de Renaud, ce dernier négocie avec le camp ennemi, et les soupçons de Philippe prennent corps lorsque le comte entreprend de fortifier Mortain, en Normandie occidentale. En 1211, Philippe passe à l'offensive, il prend Mortain, Aumale et Dammartin. Renaud de Dammartin s'enfuit auprès du comte de Bar-le-Duc et ne constitue plus un danger immédiat.
En Flandre s'ouvre une période d'incertitude : Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, prend part à la quatrième croisade à partir de l'été 1202, participe à la prise de Constantinople et est élu empereur du nouvel empire latin fondé en mai 1204. Mais il est fait prisonnier par les Bulgares en 1205 et tué peu après. Philippe, frère de Baudouin et comte de Namur, qui assure la régence en Flandre, jure finalement fidélité à Philippe Auguste, contre l'avis de ses conseillers. Le roi, pour stabiliser le comté, marie la seule héritière de Baudouin, sa fille Jeanne, à Ferrand de Portugal, en 1211. Philippe pense pouvoir compter sur son nouveau vassal[réf. nécessaire].
Enfin, les affaires germaniques constituent un autre enjeu majeur. Après la mort de l'empereur Hohenstaufen, Henri VI, en 1197, un nouvel empereur doit en effet être désigné par le pape Innocent III. Deux candidats sont déclarés : d'une part, Otton de Brunswick, soutenu par son oncle Jean sans Terre et favori du pape Innocent III et, d'autre part, Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, soutenu par Philippe Auguste et couronné roi de Germanie en 1205. Ce dernier est toutefois assassiné en juin 1208 : désormais sans rival, Otton est couronné empereur en octobre 1209. Innocent III regrette d'ailleurs vite son choix puisque le nouvel empereur exprime bientôt ses ambitions italiennes. Otton est excommunié en 1210, et Philippe Auguste négocie avec Frédéric II du Saint-Empire, le fils d'Henri VI, couronné roi de Germanie à Mayence en 1212 par Siegfried II von Eppstein, évêque de Mayence, un allié que Philippe Auguste espère bien opposer à l'ambition d'Otton.
Bouvines, l'apogée du règne
L'incroyable réussite de Philippe Auguste amène bientôt ses rivaux à s'unir. L'opposition se cristallise en 1214 : on y compte naturellement Jean sans Terre et Otton de Brunswick. Renaud de Dammartin est le véritable artisan de la coalition : lui qui n'a plus rien à perdre se rend à Francfort pour trouver l'appui d'Otton, puis en Angleterre où il fait hommage à Jean, qui le rétablit officiellement dans ses possessions anglaises. Les hostilités entre Philippe et Jean reprennent immédiatement[66].
À la même époque, les premières opérations de la croisade contre les albigeois, menée par des barons, voient se quereller le comte de Toulouse et les croisés. Philippe Auguste remet cette question à plus tard et se concentre sur le danger anglais. Il réunit ses barons à Soissons le 8 avril 1213, charge son fils Louis de conduire l'expédition contre l'Angleterre[67] et obtient le soutien de tous ses vassaux, sauf un : Ferrand, le comte de Flandre qu'il a lui-même installé deux ans plus tôt. Philippe cherche alors de nouveaux soutiens, notamment auprès de Henri de Brabant. Après une période d'hésitation, le pape Innocent III choisit par contre de soutenir Jean, un soutien moral mais non négligeable. Les préparatifs du conflit se prolongent : le projet initial de Philippe, qui souhaite envahir l'Angleterre, prend l'eau lorsque sa flotte est assaillie et en partie détruite par la coalition ennemie à Damme, en mai 1213[68]. Les mois suivants voient Philippe et Louis s'acharner contre les comtés de Boulogne et de Flandre. Les villes du Nord sont presque toutes ravagées.
En février 1214, Jean sans Terre débarque enfin sur le continent, à La Rochelle, espérant prendre Philippe à revers[69]. Une stratégie qui fonctionne d'abord, puisque Jean gagne des partisans parmi les barons du Limousin et dans le Poitou. En mai 1214, il remonte jusqu'à la vallée de la Loire et prend Angers. Philippe, toujours engagé en Flandre, confie alors à Louis la riposte contre Jean. Le jeune prince se tourne immédiatement vers la forteresse de La Roche-aux-Moines[70]. À son approche, Jean est pris de panique : le soutien des barons poitevins vacille, tandis qu'on annonce que Louis est accompagné de 800 chevaliers. Le roi d'Angleterre fuit le , la déroute anglaise est totale. Mais la coalition n'a pas encore perdu : c'est au nord que tout doit se jouer.
L'affrontement final entre les armées de Philippe et la coalition, conduite par Otton, est désormais inévitable, après plusieurs semaines d'approche et d'évitement. Philippe entend couper ses ennemis des renforts en provenance d'Allemagne et tente de surprendre Otton par le nord-est. L'empereur a vent de la manœuvre et se déplace à Mortagne, à quelques lieues de l'armée royale. Philippe Auguste est conscient de son infériorité numérique, une partie importante de son armée se bat près d'Angers contre les Anglais (Elle vient d'ailleurs de remporter, le 2 juillet, la victoire de La Roche aux Moines, avec le fils du roi, le futur Louis VIII Le Lion à sa tête). Philippe, ayant observé le terrain lors de son avancée, fait mine de se replier sur Lille. Otton pense qu'il veut éviter la bataille, et ses armées coalisées pensent que l'ennemi fuit. L'armée française se dirige vers le pont sur la Marque, à Bouvines, le dimanche 27 juillet 1214, — pont que l'intendance franchit. Un dimanche, l'interdiction de combattre est absolue pour les chrétiens, mais Otton IV, excommunié en 1210, décide de passer à l'offensive, espérant surprendre l'ennemi sur ses arrières. Arrivée proche d'un étang sur sa droite et d'un bois sur sa gauche, un véritable entonnoir, l'armée française, après une pause, se retourne brusquement. Étang à gauche et bois à droite. On ne peut se battre ni dans l'un, ni dans l'autre. Elle se déploie en ligne, et sur cette ligne, l'infériorité numérique est effacée. Une perfection tactique. L'armée d'Otton, en effet, n'a plus l'espace nécessaire pour déployer ses effectifs, d'où un effet de surnombre. Entravée dans ses manœuvres, devenue bien trop nombreuse pour ne pas être obligée de se gêner puis de se piétiner, elle subit le retournement. L'aile droite française s'engage contre les chevaliers flamands, conduits par Ferrand. Puis, au centre, Philippe et Otton se font face. Dans la mêlée de cavalerie, Philippe est désarçonné, il chute, mais ses chevaliers le protègent, lui offrent un cheval frais, et le roi reprend l'assaut. Ceux des gens d'armes d'Otton qui ne voient pas et ne comprennent pas ce qui se passe en première ligne commencent à voir des fuyards se débander. Otton est sur le point d'être capturé, il s'enfuit sous un déguisement. Enfin, sur l'aile gauche, les partisans de Philippe viennent à bout de Renaud de Dammartin, capturé après une longue résistance. Le sort vient de basculer en faveur de Philippe, malgré l'infériorité numérique de ses troupes (1 300 chevaliers et 4 000 à 6 000 sergents à pieds, contre 1 300 à 1 500 chevaliers et 7 500 sergents à pieds pour la coalition[71]). La victoire est totale : l'empereur est en fuite, les hommes de Philippe ont fait cent trente prisonniers, dont cinq comtes, notamment le traître honni, Renaud de Dammartin, et le comte de Flandre, Ferrand.
La coalition est dissoute dans la défaite. Le 18 septembre 1214, à Chinon[72], Philippe signe une trêve de statu quo pour cinq ans avec Jean qui continue de harceler ses positions au sud. Le roi anglais retourne en Angleterre en 1214, contraint par le pape Innocent III d'accepter le traité qui consacrait la perte de ses possessions au nord de la Loire. Par ce traité de Chinon, Jean sans Terre abandonne toutes ses possessions au nord de la Loire : le Berry et la Touraine, avec le Maine et l'Anjou, retournaient dans le domaine royal qui couvre désormais le tiers de la France, et, singulièrement agrandi, se trouve libéré de toutes les menaces. Il dut en outre payer 60 000 livres à Philippe. Il ne conservait que le duché d'Aquitaine.
Après la victoire (1214-1223)
L'expédition anglaise de son fils Louis
La victoire est totale sur le continent, et les ambitions royales ne s'arrêtent pas là. En effet, Philippe Auguste souhaite aller plus loin contre Jean d'Angleterre. Il fait ainsi valoir que Jean doit être privé du trône, rappelant sa trahison envers Richard en 1194, et le meurtre de son neveu Arthur. Faisant valoir une interprétation de la généalogie de son épouse Blanche de Castille, mais surtout parce que les barons, voulant écarter Jean sans Terre, lui avaient proposé la couronne, le fils de Philippe, Louis, conduit une expédition en Angleterre[73]. Le débarquement a lieu en mai 1216, et Louis, à la tête de troupes nombreuses (1 200 chevaliers, plus de nombreux rebelles anglais[74]), conquiert le royaume anglais, notamment Londres où il s'installe. Seuls Windsor, Lincoln et Douvres résistent. Mais malgré l'accueil chaleureux réservé à Louis par une majorité d'évêques anglais, le soutien du pape à Jean demeure ferme, et Louis est excommunié. Finalement, Jean meurt subitement d'une grave indigestion, le 19 octobre 1216. Les barons anglais — anciens alliés de Jean ou de Louis — font alors couronner Henri III, âgé de neuf ans. Innocent III vient aussi de mourir, mais son successeur Honorius III continue de défendre les loyalistes. Les évêques retirent bientôt leur soutien à Louis et les rebelles s'assagissent. Le prince revient chercher des appuis en France début 1217 et retourne en Angleterre. Il est battu sur terre par Guillaume le Maréchal à Lincoln, puis sur mer lorsque les renforts que lui envoie Blanche de Castille sont anéantis à la bataille des Cinq-Ports[75]. Louis accepte de négocier la paix, celle-ci est conclue en septembre 1217 et son excommunication est levée.
L'attitude de Philippe Auguste quant à cette expédition est ambiguë. En tout cas, le roi ne la soutient pas officiellement. Blanche de Castille le convainc de payer pour lever une armée de secours, en menaçant de mettre ses deux fils en gage. Mais il est peu vraisemblable d'imaginer qu'il n'ait pas donné son assentiment à celle-ci, du moins à titre privé[76].
La croisade contre les Albigeois
Déclenchée en 1208, la croisade contre les Albigeois a tourné à l'affrontement entre Simon IV de Montfort, qui conduit la croisade composée de barons du Nord, et Raymond VI, comte de Toulouse, qui soutient secrètement les hérétiques. Par ailleurs, Pierre II d'Aragon a des vues sur la région et encourage le camp du comte de Toulouse avant d'être lui-même défait et tué par Simon de Montfort à la bataille de Muret, en 1213[77].
Après la bataille de La Roche-aux-Moines, Louis part une première fois pour le Midi en avril 1215, et aide Simon de Montfort à consolider ses positions. Celui-ci devient finalement comte de Toulouse, avec l'accord du pape Honorius III et de Philippe Auguste, à qui il prête hommage. Mais la ville de Toulouse résiste, son siège dure, et Simon y meurt en avril 1218. Le pape désigne son fils Amaury de Montfort comme successeur et enjoint à Philippe Auguste d'envoyer une nouvelle expédition. Louis part en mai 1219, rejoint Amaury au siège de Marmande, dont les habitants sont massacrés. Après quarante jours d'ost, Louis rentre sans avoir pu prendre Toulouse[78]. Une nouvelle expédition est envoyée par Philippe en 1221, sous les ordres de l'évêque de Bourges et du comte de la Marche, sans plus de succès[réf. nécessaire].
Cependant ces différentes expéditions sont de faible envergure. Malgré les appels réitérés de la papauté, Philippe se garde d'intervenir personnellement dans cette croisade intérieure[78] ; face au pape, il rappelle surtout et avec constance ses droits de suzerain sur le Midi. Il n'autorise son fils à se croiser qu'en 1219[78].
La paix
Après Bouvines, les opérations militaires se déroulent en Angleterre ou dans le Midi de la France. Le domaine, et plus largement l'ensemble du Nord de la Loire, reste en paix, selon les termes de la trêve conclue à Chinon en 1215, originellement pour cinq ans, et prolongée en 1220 avec la garantie de Louis, une association qui marque le début de la transition de Philippe à son fils et héritier.
Si les conquêtes par les armes cessent, Philippe étend néanmoins son influence en profitant des successions problématiques. C'est le cas en Champagne lors de l'accession de Thibaut IV, qui lui permet d'asseoir sa suzeraineté. C'est le cas surtout lorsque le roi récupère des terres, comme à Issoudun, Bully, Alençon, Clermont-en-Beauvaisis et Ponthieu.
La prospérité du royaume à la fin du règne de Philippe Auguste est établie. On estime l'excédent annuel du Trésor à 25 210 livres en novembre 1221. À cette date, le Trésor a dans ses caisses 157 036 livres, soit plus de 80 % du revenu annuel ordinaire global de la monarchie. Le testament de Philippe Auguste, rédigé en septembre 1222, confirme ces chiffres, puisque la somme de ses legs s'élève à 790 000 livres parisis, soit près de quatre ans de revenus[79]. Ce testament est rédigé alors que la santé de Philippe fait craindre sa mort, qui survient dix mois plus tard.
Mort de Philippe Auguste
Alors qu'il se trouve à Pacy, Philippe décide d'assister à la réunion ecclésiastique organisée à Paris pour la préparation de nouvelles croisades, contre l'avis de ses médecins. Après plus de 40 années de règne, Philippe Auguste ne survit pas à la fatigue de ce dernier voyage et s'éteint le , à Mantes, à l'âge de 57 ans. Son corps est amené à Paris, et ses funérailles sont rapidement organisées, à Saint-Denis, en présence des grands du Royaume. Pour la première fois, le corps du roi de France revêtu de tous les regalia est exposé à la vénération du peuple avant sa sépulture dans un rite solennel inspiré de celui des rois d'Angleterre[80]. C'est donc le premier souverain français dont la mort ait été mise en scène, marquant symboliquement le dernier acte de souveraineté du monarque[81].