Tréguier
commune française du département des Côtes-d'Armor / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Tréguier (/tʁe.gje/[Note 1]Écouter) est une commune, chef-lieu de canton du département des Côtes-d'Armor, dans la région Bretagne, en France.
Tréguier | |||||
Entrée de la vieille ville encadrée par deux pavillons qui datent du début du XVIIe siècle[1]. La maison de gauche, à l'angle du quai Jaudy et de la rue Renan, est classée Monument historique. | |||||
Blason |
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Administration | |||||
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Pays | France | ||||
Région | Bretagne | ||||
Département | Côtes-d'Armor | ||||
Arrondissement | Lannion | ||||
Intercommunalité | CA Lannion-Trégor Communauté | ||||
Maire Mandat |
Guirec Arhant 2020-2026 |
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Code postal | 22220 | ||||
Code commune | 22362 | ||||
Démographie | |||||
Gentilé | Trécorrois | ||||
Population municipale |
2 409 hab. (2021 ) | ||||
Densité | 1 585 hab./km2 | ||||
Géographie | |||||
Coordonnées | 48° 47′ 09″ nord, 3° 13′ 52″ ouest | ||||
Altitude | Min. 0 m Max. 66 m |
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Superficie | 1,52 km2 | ||||
Unité urbaine | Commune rurale | ||||
Aire d'attraction | Tréguier (commune-centre) |
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Élections | |||||
Départementales | Canton de Tréguier (bureau centralisateur) |
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Législatives | 5e circonscription des Côtes-d'Armor | ||||
Localisation | |||||
Géolocalisation sur la carte : France
Géolocalisation sur la carte : France
Géolocalisation sur la carte : Côtes-d'Armor
Géolocalisation sur la carte : Bretagne
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Liens | |||||
Site web | www.ville-treguier.fr | ||||
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Tréguier est la capitale historique du Trégor. Cathédrale, ruelles et maisons à pans de bois comptent parmi les éléments caractéristiques de cette ancienne cité épiscopale.
Description
« C'est un vrai triangle dont les côtés sont formés par le Jaudy, le Guindy et la commune de Minihy[2] ».
La petitesse du territoire communal (153 hectares) bloque l'essor de la ville (même si, en 1836, Tréguier a annexé les Buttes, le faubourg de Kerfant et la chapelle Saint-Michel qui dépendaient jusque-là de la commune voisine du Minihy-Tréguier) et a longtemps freiné le réaménagement urbain. En 1927 a été percé le boulevard Anatole Le Braz, qui passe sous les voûtes de la mairie et permet un accès direct au pont franchissant le Guindy en direction de Plouguiel[3].
Communes limitrophes
Penvénan | Plouguiel | Pleumeur-Gautier | ||
Camlez | N | Trédarzec | ||
O Tréguier E | ||||
S | ||||
Langazou (commune du Minihy-Tréguier) | Minihy-Tréguier | Pouldouran |
Hydrographie
Tréguier est située au confluent du Jaudy et du Guindy ; la Rivière de Tréguier étant la ria ou l'estuaire, large de 250 à 500 mètres selon les endroits, commun aux deux cours d'eau, Tréguier occupant le site de leur presqu'île de confluence. Ces vallées découpent le plateau du Trégor et le centre de la ville s'étant implanté sur le promontoire entre les deux vallées. Celles-ci ont découpé le plateau du Trégor et la ville s'est développée sur les deux escarpements limitant ce lambeau de plateau jusqu'à la rive droite du Guindy et la rive gauche du Jaudy. Longtemps, les rives opposées du Jaudy et du Guindy opposées à Tréguier n'ont été reliées à la cité que par des bacs (bacs de Canada, attesté dès 1619, l'origine du nom est inconnue, et de Saint-Sul) pour franchir le Jaudy, ou au prix d'un assez long détour via un petit pont à hauteur du village du Guindy, pour rejoindre Plouguiel en franchissant le Guindy.
« Dès le XIVe un passeur de bac assurait la liaison très régulièrement entre Tréguier et la presqu’île : la redevance, droit féodal typique, était versée à l’évêque auquel appartenaient les deux rives, y compris le moulin. »
Tréguier est une ville-port de fond de ria, comme le sont de nombreuses autres villes bretonnes comme Dinan, La Roche-Derrien, Morlaix, Landerneau, Quimper, Quimperlé, etc., donnant sur la Manche toute proche[4].
Le port, situé à 9 km de la mer, a une activité attestée dès le Moyen Âge (des bateaux de faible tirant d'eau pouvaient alors remonter l'estuaire et un trafic de sable, de pierre, de blé ou de lin créa à cet égard un véritable négoce jusqu'à la fin du XVe siècle. Situé sur la rive gauche du Jaudy juste avant la confluence avec le Guindy, il est désormais accessible, grâce à sa profondeur, à des bateaux d'assez fort tonnage et, si c'est encore un port de commerce au trafic modeste, c'est désormais surtout un port de plaisance équipé de cinq pontons flottants et d'une capacité d'accueil de 330 places[5].
Voies de communication
Tréguier n'est pas desservi par une voie expresse. La D 786, ancienne route nationale devenue départementale, la relie à Saint-Brieuc (direction vers ou depuis Rennes et Paris) et à Lannion où se trouve l'aéroport le plus proche.
Les gares les plus proches sont celles de Paimpol, Lannion, Guingamp et Saint-Brieuc.
Climat
Pour des articles plus généraux, voir Climat de la Bretagne et Climat des Côtes-d'Armor.
En 2010, le climat de la commune est de type climat océanique franc, selon une étude du CNRS s'appuyant sur une série de données couvrant la période 1971-2000[6]. En 2020, Météo-France publie une typologie des climats de la France métropolitaine dans laquelle la commune est exposée à un climat océanique et est dans la région climatique Finistère nord, caractérisée par une pluviométrie élevée, des températures douces en hiver (6 °C), fraîches en été et des vents forts[7]. Parallèlement l'observatoire de l'environnement en Bretagne publie en 2020 un zonage climatique de la région Bretagne, s'appuyant sur des données de Météo-France de 2009. La commune est, selon ce zonage, dans la zone « Intérieur », exposée à un climat médian, à dominante océanique[8].
Pour la période 1971-2000, la température annuelle moyenne est de 11,4 °C, avec une amplitude thermique annuelle de 9,9 °C. Le cumul annuel moyen de précipitations est de 832 mm, avec 13,6 jours de précipitations en janvier et 6,9 jours en juillet[6]. Pour la période 1991-2020 la température moyenne annuelle observée sur la station météorologique la plus proche, située sur la commune de La Roche-Jaudy à 5 km à vol d'oiseau[9], est de 11,8 °C et le cumul annuel moyen de précipitations est de 887,1 mm[10],[11]. Pour l'avenir, les paramètres climatiques de la commune estimés pour 2050 selon différents scénarios d’émission de gaz à effet de serre sont consultables sur un site dédié publié par Météo-France en novembre 2022[12].
Typologie
Tréguier est une commune rurale, car elle fait partie des communes peu ou très peu denses, au sens de la grille communale de densité de l'Insee[Note 2],[13],[14],[15]. Elle appartient à l'unité urbaine de Tréguier, une agglomération intra-départementale regroupant 4 communes[16] et 6 521 habitants en 2017, dont elle est ville-centre[17],[18].
Par ailleurs la commune fait partie de l'aire d'attraction de Tréguier, dont elle est la commune-centre[Note 3]. Cette aire, qui regroupe 2 communes, est catégorisée dans les aires de moins de 50 000 habitants[19],[20].
La commune, bordée par l'estuaire du Jaudy, est également une commune littorale au sens de la loi du , dite loi littoral[21]. Des dispositions spécifiques d’urbanisme s’y appliquent dès lors afin de préserver les espaces naturels, les sites, les paysages et l’équilibre écologique du littoral, comme le principe d'inconstructibilité, en dehors des espaces urbanisés, sur la bande littorale des 100 mètres, ou plus si le plan local d’urbanisme le prévoit[22],[23].
Occupation des sols
L'occupation des sols de la commune, telle qu'elle ressort de la base de données européenne d’occupation biophysique des sols Corine Land Cover (CLC), est marquée par l'importance des territoires artificialisés (83,2 % en 2018), en augmentation par rapport à 1990 (71,3 %). La répartition détaillée en 2018 est la suivante : zones urbanisées (83,2 %), zones agricoles hétérogènes (8,5 %), eaux continentales[Note 4] (8,3 %)[24]. L'évolution de l’occupation des sols de la commune et de ses infrastructures peut être observée sur les différentes représentations cartographiques du territoire : la carte de Cassini (XVIIIe siècle), la carte d'état-major (1820-1866) et les cartes ou photos aériennes de l'IGN pour la période actuelle (1950 à aujourd'hui)[Carte 1].
Le nom de la localité est attesté sous les formes monasterium Sancti Tutuali Pabut vers 1050, Sanct Pabu-Tual en 1086, Saint Pabu vers la fin du XIIe siècle, Seintpabu en 1230, Lantreguer en 1267, Lantriguier en 1296, Landreguer en 1330, Landriguier en 1376, Lantreguier et Tréguier en 1394, Lantreguer en 1441 et en 1468, Ploelantreguer en 1437 et en 1486, Ploelantreguier en 1543, Ploulan-Treguier en 1663[25].
Antérieurement le lieu était dénommé « Saint-Pabu », Pabu étant l'un des noms sous lesquels est connu saint Tugdual. Le monastère est dénommé « Saint Tutual Pabu » dans la Chronique de Nantes compilée vers 1050 et un acte de 1086[26] parle de Hugues de Saint Pabu-Tual, évêque de Tréguier (« episcopus Trigarensis »).
Trégor → Tréguier procèdent du nom des Tricorii > Trechor, ethnonyme gaulois dont le sens est « les trois troupes, les triples armées »[27], correspondant peut-être à trois peuplades gauloises[28],[29]. Il est composé de tri « trois » semblable au breton tri « trois » et corios (pluriel corii) proche du vieil irlandais cuire « troupe, armée » et du vieux breton cor- (élément de composé) « troupe »[27]. Tricorii rappelle immédiatement Petrucorii « les quatre armées » qui ont laissé leur nom au Périgord[27] et à Périgueux selon un processus similaire. Les Tricorii ne sont mentionnés ni parmi les peuples armoricains ni parmi ceux de Grande-Bretagne.
Le lieu entre dans l'histoire ou dans la légende vers 532-535 avec le moine gallois Tugdual qui y aurait fondé un monastère dénommé Lan Trécor en breton, devenu « Landreger », toponyme qui donnera son nom actuel à la ville[3], mais ce toponyme (sous la variante Landreguer) n'apparaît qu'en 1330.
Le nom en breton de la commune est Landreger.
Saint Tugdual et la création de l'évêché
Tréguier provient du démembrement de la paroisse primitive de l'ancienne Armorique, Ploulandreguer, qui englobait aussi outre le territoire de Tréguier, celui de Minihy-Tréguier[25].
Tugdual est consacré évêque de Landreger vers 542. Il fut le premier évêque d'un siège épiscopal particulièrement important en Bretagne jusqu'à sa suppression lors de la Révolution française. Nous ne savons en réalité que peu de choses de l'existence de Tugdual, même pas la date précise de sa mort qui serait survenue un en 553, 559 ou 564. Il serait le fils d'Alma Pompa (sainte Pompée) et de Hoël Ier, 8e roi d'Armorique. Originaire de Grande-Bretagne, Tugdual aurait émigré en Armorique accompagné de sa mère. Il semble qu'autour de son monastère se soit rapidement constituée une importante agglomération.
C'est ainsi que Tréguier fut et demeure une étape obligée du Tro Breiz, pèlerinage aux sept saints fondateurs bretons.
L'ancienne cathédrale, probablement en bois, n'a laissé aucune trace ; on suppose qu'elle était située à peu près au même emplacement que l'édifice actuel et était dédiée à saint André.
En 848, Nominoë, roi de Bretagne, fit de cet évêché-abbaye un évêché séculier et Tréguier resta siège d'évêché jusqu'en 1790. Peu de temps après surviennent les premières raids vikings commandées par Hasting (en réalité Hásteinn, dont le nom est systématiquement latinisé en Hastingus, d'où la forme moderne Hasting). La ville est abandonnée quand un certain Gratien entreprit de relever la cathédrale (970) dédiée cette fois-ci à saint Tugdual. La tour nommée Hastings ou Hasting ferait référence au nom d'un chef Viking à qui la tradition attribue la destruction de Tréguier à la fin du IXe siècle, et non du célèbre Hasting[30], en réalité, cette tour date du XIIe siècle et aucun mobilier archéologique ne vient conforter l'hypothèse d'une présence viking à Tréguier.
Moyen Âge
La cité est nommée Saint-Pabu (autre nom de saint Tugdual) ou des variantes de ce nom du XIe siècle au XIIIe siècle.
Un autre ecclésiastique est à l'origine de la renommée de la ville : Yves de Kermartin, plus connu sous le nom de Yves de Tréguier ou saint Yves, le saint patron des avocats, né vers 1253 à Minihy, au manoir de Kermartin, défenseur des pauvres contre la puissance des riches. La cathédrale actuelle, de style gothique, fut ainsi édifiée (à partir de 1339 par l'évêque Richard du Poirier, en ce qui concerne le corps de l'église) à la gloire de saint Yves (canonisé en 1347) qui y fut enterré même si la guerre de Succession de Bretagne paralysa un temps les travaux qui durèrent près d'un siècle (1339-1435).
La paroisse de Tréguier « parrochia Trecorensis » est citée dès 1330. En 1412, Tréguier obtient le statut de ville[C'est-à-dire ?]. Un sénéchal ducal puis royal existait dans la ville dès 1260 et jusqu'en 1576. Par la suite, l'évêque de Tréguier, qui portait aussi le titre de « comte de Tréguier » avait pouvoir de haute et basse justice. Le revenu de son évêché était de 20 000 livres[31].
« Il se forma naturellement une petite ville autour de l'évêché, mais la ville laïque, n'ayant pas d'autre raison d'être que l'église, ne se développa guère. Le port resta insignifiant ; il ne se constitua pas de bourgeoisie aisée »[32].
De 1450 à 1479, fut construit autour de cette cathédrale un cloître gothique qui abrite le tombeau de plusieurs défenseurs et religieux de la cité épiscopale dont Jean V, duc de Bretagne et Saint Yves, le patron des avocats. Ce cloître a même accueilli le marché de la ville, les marchands payant redevance aux chanoines.
Vers 1505, la duchesse Anne de Bretagne, reine de France, effectue un pèlerinage sur le tombeau de saint Yves.
Entre 1589 et 1592, la ville de Tréguier est ravagée à plusieurs reprises par les Ligueurs. Cette période de l'histoire de la Bretagne est synonyme de guerre de religion entre catholiques radicaux (soutenus par les Espagnols) et protestants (soutenus par le roi de France et l'Angleterre). Les catholiques faisaient partie de la Ligue ou Sainte Union et étaient dirigés par Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, les protestants et royalistes par le roi Henri IV. Tréguier se rangea du côté des royalistes ainsi que la ville de Lannion. La fin de cette guerre en 1598 aboutit à la reddition de Mercœur et par la proclamation du fameux édit de Nantes. Entre 1604 et 1616, Adrien d'Amboise est évêque de Tréguier.
XVIIe et XVIIIe siècles : une cité religieuse
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, Landreger était divisée en deux paroisses, celle de Saint-Sébastien de la Rive (« parochia Sancti-Sebastiani aliter de Ripa ») à l'est de la cathédrale et celle de Saint-Vincent de L'Hôpital à l'ouest de la cathédrale. La partie rurale, au sud, constituait le fief de l'évêque de Tréguier et forma par la suite la paroisse du Minihy-Tréguier[25].
« Les couvents pullulèrent à partir du XVIIe siècle. Des rues entières étaient formées des longs et hauts murs de ces demeures cloîtrée. L'évêché, belle construction du XVIIe siècle, et quelques hôtels de chanoines étaient les seules maisons civilement habitables. Au bas de la ville, à l'entrée de la Grand'Rue, flanquée de constructions en tourelles, se groupèrent quelques maisons destinées aux gens de mer »[32].
Les plans de Tréguier à l'époque montrent l'importance des constructions religieuses dans la ville entre le XVe et le XVIIIe siècle, avec de nombreux lieux de culte souvent aujourd'hui disparus (chapelle Saint-Ruellin, chapelle Saint-Fiacre, chapelle Saint-Michel, couvent Saint-François) ou existant encore comme l'Hôtel-Dieu fondé en 1654, tenu par les « Religieuses hospitalières de la Miséricorde de Jésus » qui suivaient la règle de saint Augustin (Augustines)[33] qui soignent les malades et recueillent les enfants abandonnés, auxquels s'ajoutent au XVIIe siècle un séminaire fondé en 1646 par l'évêque Balthasar Grangier de Liverdis et tenu par les lazaristes auquel s'ajoute un collège enseignant de la sixième à la classe de philosophie et destiné à la formation des futurs séminaristes, en 1625 le couvent des Ursulines, en 1667 le couvent des Sœurs de la Croix, en 1782 celui des Paulines) en plus de la cathédrale, du cloître, du palais épiscopal, des demeures des chanoines du chapitre de la cathédrale, les hôtels de la psalette (école de psaumes, chants religieux), de la chantrerie (chorale), etc.[3]. Il existait aussi au XVIIIe siècle un « hôpital général » tenu par les Paulines qui faisait en fait fonction d'hospice pour enfants et vieillards. « Les garçons hospitalisés font de la toile, les filles filent le lin et l'étoupe » écrit René Durand[34].
Sur le plan économique et commercial, la ville s'est peu développée, comme étouffée par l'existence d'un clergé dont la présence est partout sensible, ce qui a amené Renan, en son temps, à parler de Tréguier comme d'un « vaste monastère ».
Les Pardons de saint Yves étaient un moment très important dans la vie de la ville: « Ce jour-là, les hôtels regorgeaient de clients, et aussi les maisons particulières louaient aux voyageurs venus de toutes les diligences des environs. Les prêtres, arrivant en foule de tous les pays d'alentour, emplissent le séminaire qui déborde jusqu'en l'église où plus d'un bon abbé passe la nuit dans les stalles du chœur » écrit Constant de Tours en 1892. Il poursuit: « Dès le matin du grand jour, l'animation est extraordinaire : guirlandes de verdure, fleurs, décorations aux couleurs jaunes et noires […], arcs de triomphe […]. Des mendiants invraisemblables, un peuple de bohémiens en guenilles, grouille le long des chemins semés de fleurs : lépreux, nains, estropiés, amputés qui n'ont même plus une main à tendre et à qui l'on jette l'aumône dans une sébille posée à terre devant eux[35] ».
Cette impression est partagée par d'autres, par exemple Michel Salomon à la fin du XIXe siècle : « Bientôt je m'engageai dans une de ces longues rues bordées de couvents qui font la grave physionomie de Tréguier. Et bientôt après un détour, au fond d'une place plantée d'arbres, je vis se profiler sous un ciel pâle la silhouette de la cathédrale. […] Elle domine, elle écrase tout, altière au milieu de cette ville épiscopale dont elle fut la vie[36] ».
À la fin du XIXe siècle également, André Petitcolin écrit à propos de Tréguier : « L'ancienne cité épiscopale a l'austérité monacale […]. Elle est ville par ses demeures armoriées, ses tours carrées […] ; elle est village par ses granges, ses pigeonniers, ses cours de fermes[37] ».
Ernest Renan a décrit ainsi Tréguier : « Une ville tout ecclésiastique, étrangère au commerce et à l’industrie, un vaste monastère ou nul bruit du dehors ne pénétrait, où l’on appelait vanité ce que les autres hommes poursuivent, et où ce que les laïques appellent chimère passait pour la seule réalité. »
Révolution
En 1789, Tréguier est en majorité favorable aux idées nouvelles. Cela étant, certains s'opposent à ce mouvement révolutionnaire ; c'est le cas de l'évêque de Tréguier, Augustin-René-Louis Le Mintier. Comme il s'est exilé en Angleterre avec son valet, c'est une de ses fidèles, Ursule Taupin, qui va être victime de la Terreur et être guillotinée place du Martray pour avoir abrité chez elle des prêtres réfractaires. Son mari, Pierre Taupin, valet de l'évêque exilé, revient à Tréguier pour se venger. Soupçonné d'avoir assassiné dans son lit le chef du tribunal révolutionnaire qui a condamné sa femme, il va par la suite semer l'effroi dans tout le Trégor[38]. Finalement attrapé, condamné et envoyé au bagne en Guyane, il s'en échappe et revient une nouvelle fois à Tréguier, pour prendre la tête d'une armée de chouans. Il est abattu au cours du combat de Tréglamus en 1800, lors d'une embuscade.
Au cours de l'hiver 1794, le bataillon des volontaires d'Étampes mit à sac tous les monuments religieux de la ville : ainsi disparurent presque tout le mobilier, la statuaire, l'orfèvrerie, les vitraux…
La cathédrale servit d'écurie et fut tellement saccagée qu'elle ne put servir au culte imposé de l'Être suprême (reconnaissance d'un être suprême et de l'immortalité). Ce culte s'opposait au culte de la Raison instauré par Chaumette en 1793.
XIXe siècle
Ernest Renan décrit la déchéance de Tréguier à la suite de la Révolution : « La Révolution, pour ce nid de prêtres et de moines fut en apparence un arrêt de mort. (...) Le Concordat supprima l'évêché. La pauvre ville, décapitée, n'eut même pas un sous-préfet ; on lui préféra Lannion et Guingamp, villes plus profanes, plus bourgeoises. (...) L'ancien séminaire servit à l'établissement d'un collège ecclésiastique très estimé dans toute la province[32].
La Restauration redonne à Tréguier une certaine importance religieuse : si la ville n'est plus siège d'évêché, un nouveau séminaire s'y ouvre après la tourmente révolutionnaire dès 1816, installé dans un premier temps dans l'Auberge du Lion d'Or, puis dans l'ancien collège, avant de réintégrer les locaux de l'ancien séminaire lazariste ; c'est là que le jeune Ernest Renan fit ses études secondaires entre 1832 et 1838 (un musée lui est dédié dans la maison qui le vit naître en 1823). Une nouvelle chapelle y est inaugurée en 1897. Ce collège où étudia Renan fut détruit en 1911 et se trouvait à l'emplacement de l'actuelle Place de République.
Le XIXe siècle est la période où Tréguier connaît un certain développement économique grâce aux cultures de légumes primeurs et à son activité portuaire. La pêche des poissons, crustacés, coquillages (huîtres) en Rivière de Tréguier y est active comme le prouve une réglementation datant de 1853[39]. En 1896, 230 bateaux montés par 390 hommes participent à la pêche aux huîtres sur les bancs naturels (la pêche ne dure que quelques heures un jour de mars) de la Rivière de Tréguier[40]. Cette activité décline progressivement : en 1904, 108 bateaux et, en 1905, 87 bateaux de Tréguier et des environs participent à la pêche aux huîtres par dragage[41]. On y arme aussi pour la pêche à la morue dans les parages de l'Islande.
Mais la commune n'a pas les moyens de s'ériger en véritable cité si l'on en croit ce témoignage daté de 1885 environ : « Tréguier est tout en bois et mal bâti. Ses rues sont raides, son pavé fatigant. Sa cathédrale est d'un gothique grossier, et par-dessus cela aussi sale que peut l'être une église bretonne[42] ».
Des descriptions plus flatteuses existent aussi : Anatole Le Braz, qui arrive par la Rivière de Tréguier, a écrit : « Tréguier surgit, lumineuse, poussée d'un seul jet, ainsi qu'une ville de rêve, avec les teintes pourprées de ses vieux toits, son peuple de clochetons et la flèche de sa cathédrale, toute rose […]. Tréguier m'apparût ce jour-là comme une cité merveilleuse au milieu d'un paysage enchanté »[43].
La situation en presqu'île de confluence de la ville était depuis toujours une gêne pour les communications terrestres vers les rives opposées du Guindy et du Jaudy: aucun pont n'existait et seuls des bacs permettaient de rejoindre Trédarzec. En 1834, la construction de la « passerelle Saint-François » permet aux piétons et aux chevaux de franchir le Guindy, donc d'accéder plus aisément à Plouguiel et en 1835 la construction du premier pont suspendu en Bretagne, le « pont Canada », à péage, dénommé ainsi car construit à l'emplacement de l'un des deux bacs qui partait d'un lieu-dit ainsi appelé, permet de franchir le Jaudy[44]. En 1832, M. Ozou, négociant à Tréguier propose ce projet. En 1833, débute la construction du pont, qui est achevé en . Le le pont Canada est ouvert à la circulation. La construction de ce pont suscita une vive opposition des habitants de La Roche-Derrien car il empêchait désormais la remontée des bateaux jusqu'à cette localité, c'est pourquoi il fut détruit en 1886, remplacé temporairement par un bac, puis par un pont métallique n'entravant pas la navigation car il disposait d'une travée mobile, lui-même remplacé[45] après la Seconde Guerre mondiale, en 1954[46]. En 1921, s'y est ajouté le pont du chemin de fer.
Le Guindy fut lui franchi par un ensemble de deux ponts : les Ponts Noirs, le premier, supportant une route, a été mis en service en 1893, et le second a été construit pour une des lignes des Chemins de fer des Côtes-du-Nord par Louis Auguste Harel de La Noë.
Le premier de ces ouvrages a été détruit en 1972, le second en 1952.
XXe siècle
La ville et le port sont ainsi décrits en 1904 : « Tréguier s'offre d'abord sous l'aspect de rues qui, de la place centrale, dégringolent avec une déclivité brusque jusqu'au semblant de port, à sec dès que commence à se produire le reflux. Un ou deux bateaux y somnolent. Ils y restent des jours, des jours, car surtout au pays trégorrois, les affaires sont lentes. Jadis régnait la richesse ; mais je ne sais quel air de lassitude et de renoncement pèse sur Tréguier. On dirait une ville pétrifiée[47] ».
Tréguier est desservie par le rail entre 1905 et 1948 par les Chemins de fer des Côtes-du-Nord. Tréguier était le point de jonction de deux lignes de chemins de fer départementaux, celle de Lannion à Tréguier par Petit Camp, et celle de Plouëc (voie étroite) elle-même reliée à Guingamp (voie normale, d'où un problème du transbordement des marchandises). Dans les années 1920, une voie ferrée dite d'« intérêt local » fut mise en place de Tréguier à Plouha.
- Les Ponts noirs, ponts ferroviaires du début XXe siècle.
- Les « Ponts Noirs », ponts ferroviaires.
- Pont Canada construit en 1954 sur le Jaudy, et le port de plaisance à l'arrière-plan.
Querelles entre laïcs et catholiques au début du XXe siècle
Si Théodore Botrel chante « Le clocher de Tréguier[48] » en 1900, les premières années du XXe siècle vont voir cléricaux et laïcs s'opposer vivement à Tréguier.
La loi du 1er juillet 1901 sur les associations qui soumet les congrégations à un régime d'exception décrit au titre III de la loi a d'importantes conséquences à Tréguier, entraînant la fermeture des écoles congréganistes. Une École supérieure de filles est créée en 1905 et une de garçons en 1908, ancêtre de l'actuel lycée. La loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 provoque dans cette ville de violentes émeutes (querelle des inventaires) : l'inventaire des biens du Petit Séminaire est à cet effet conduit sous la direction du sous-préfet protégé par cinq brigades de gendarmerie et de quelques soldats et aura pour conséquence immédiate l'expulsion des enseignants qui trouveront refuge au collège Saint Joseph de Lannion.
En 1903, une violente controverse à propos de l'érection de la statue d'Ernest Renan éclate à Tréguier[49],[50]. Le projet émane d'un groupe républicain « Les Bretons de Paris » et ne convainc pas immédiatement la municipalité car de son vivant Ernest Renan était fort mal vu par une bonne partie de la population de la ville, mais la décision est finalement prise par le Conseil municipal le , rencontrant aussitôt la vive opposition des milieux conservateurs et de Mgr Fallières, évêque de Saint-Brieuc et de Tréguier. De proche en proche les surenchères verbales, l’obscurantisme et l’intransigeance des parties en présence vont transformer le projet d’éloge littéraire en une ardente offensive républicaine destinée à réduire l’influence cléricale. La statue entérine en effet un authentique hommage à la Libre-pensée, au philosophe de la Raison et de la Science, à l'auteur de La Vie de Jésus, honni par l’Église. Le , le Président du conseil Émile Combes vient en personne inaugurer la statue[51] et prononce un discours[52].
Les catholiques de Bretagne protestent (« Cœur de Jésus, sauvez la France, et délivrez-nous de M. Renan » récitait-on du vivant de Renan[53]) lancèrent une souscription nationale qui permit la réalisation par les Ateliers Yves Hernot de Lannion du « Calvaire de protestation » , dit aussi « Calvaire de réparation », sur les quais de Tréguier. Il fut inauguré en la solennité du Pardon de Saint Yves le par l'archevêque de Rennes, le cardinal Labouré. On peut lire sur le socle, en breton et latin, en réponse à Renan, la parole du centurion romain au pied de la croix, rapportée par les Évangiles : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. » Ce calvaire symbolise l'église ultramontaine triomphante du XIXe siècle confrontée aux Radicaux de la IIIe République[54],[50].
- Inauguration du calvaire de protestation (1904) (1re photo).
- Inauguration du calvaire de protestation (1904) (2e photo).
- Forces de l'ordre devant le calvaire de protestation (1904).
Les guerres du XXe siècle
Le monument aux morts porte les noms des 144 soldats morts pour la Patrie[55] :
- 94 sont morts durant la Première Guerre mondiale ;
- 46 sont morts durant la Seconde Guerre mondiale ;
- 2 sont morts durant la guerre d'Algérie ;
- 2 sont morts durant la guerre d'Indochine.
Première Guerre mondiale
Le Monument aux Morts de Tréguier fait état de 94 soldats Morts pour la France, dont 8 marins qui ont péri en mer[56].
Un centre d'aviation de l'US Navy, destiné à combattre les sous-marins allemands[57], s'est installé à Tréguier (en fait à Plouguiel en 1917-1918[58]), mais pendant quelques mois seulement.
L'Entre-deux-guerres
Dans son roman Sophie de Tréguier, qui obtint le Prix populiste en 1933, Henri Pollès, né à Tréguier en 1909, décrit notamment les préjugés, le poids des coutumes et de la tradition, et l'atmosphère de religion bretonne et populaire de Tréguier vers la fin du XIXe siècle[59].
Seconde Guerre mondiale
Le Monument aux Morts porte les noms des 46 soldats tombés au Champ d'Honneur. 6 d'entre eux ont péri en mer.
En , les combats pour la libération de Tréguier ont été longs et violents :
- le , la quinzaine de gardes maritimes allemands, font sauter deux grues sur le port et incendient des bateaux de pêche avant de se replier sur Pontrieux sous la pression de la résistance locale : les Trécorrois en liesse se croient libérés... mais, dès le lendemain, 200 Allemands reviennent en force car ils n'ont pas pu s'échapper du Trégor pour fuir les troupes alliées ;
- le , quatre avions américains bombardent Tréguier, visant le Gollot où les Allemands sont cantonnés, faisant 5 morts parmi la population civile et des dégâts matériels importants en ville. La voie de chemin de fer aux environs de la gare est touchée.
Des résistants du maquis de Plouisy occupent ce jour-là brièvement la ville, libérant une vingtaine de Russes qui étaient prisonniers des Allemands au château de Bilo[60] ; - le , les FFI du maquis de Bégard et les résistants trécorrois obtiennent la reddition des Allemands. Tréguier est libéré pour la deuxième fois pendant quelques heures. Mais le même jour, soixante nouveaux soldats allemands réoccupent la ville et ce n'est que le que l'arrivée de troupes américaines ajoutée aux attaques des résistants permet la libération définitive de la ville après un ultime bombardement qui détruira une partie de la gare, 2 locomotives, 2 automotrices et 6 wagons. Les Américains font sauter le « pont Canada » (qui ne fut reconstruit qu'en 1954) car 300 soldats allemands occupent toujours l'autre rive du Jaudy.
Le le groupe A du 15th Cavalry Reconnaissance Squadron américain, qui était le matin sur une ligne Lanvollon - Pontrieux - La Roche-Derrien-Lannion, aidé par environ 300 résistants FFI, libère Tréguier (130 Allemands sont tués) et la majeure partie de la région, les Allemands gardant momentanément toutefois le contrôle de Lézardrieux et de Paimpol, ville qui ne fut libérée par les résistants que le [61].
Les combats du pour anéantir la présence allemande dans les parages de Tréguier provoquent ce jour-là l'explosion du pont du chemin de fer[62].