Économie de la Tunisie
étude de l'économie tunisienne / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Cher Wikiwand IA, Faisons court en répondant simplement à ces questions clés :
Pouvez-vous énumérer les principaux faits et statistiques sur Économie de la Tunisie?
Résumez cet article pour un enfant de 10 ans
Vous lisez un « article de qualité » labellisé en 2007.
L'économie de la Tunisie est inscrite dans un processus de réformes économiques et de libéralisation à partir de 1986 après trois décennies de dirigisme et de participations de l'État à l'économie. Avec, à partir du 1er janvier 2008, l'ouverture à la concurrence mondiale par l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange conclu avec l'Union européenne en 1995, l'économie tunisienne fait face à des défis de mise à niveau de pans entiers de son économie tout en bénéficiant d'une croissance économique annuelle soutenue de l'ordre de 5 % par an depuis une dizaine d'années.
Économie de la Tunisie | |
Siège social de Amen Bank : émergence des services dans l'économie tunisienne. | |
Monnaie | Dinar tunisien (TND) |
---|---|
Année fiscale | Année calendaire |
Organisations internationales | Banque mondiale, FMI et OMC |
Statistiques | |
Produit intérieur brut (parité nominale) | 39,96 milliards $ (2017) |
Produit intérieur brut en PPA | 137,7 milliards $ (2017) |
Rang pour le PIB en PPA | 78 (2017) |
Croissance du PIB | 1,2 % (premier semestre 2023)[1] |
PIB par habitant en PPA | 11 900 $ (2017) |
PIB par secteur | agriculture : 10,1 % industrie : 26,2 % services : 63,8 % (2017) |
Inflation (IPC) | 9,1 % (juillet 2023)[2] |
Pop. sous le seuil de pauvreté | 15,2 % (2015)[3],[4] |
Indice de développement humain (IDH) | 0,731 (élevé ; 99e) (2021)[5] |
Population active | 4 054 000 (2017) |
Population active par secteur | agriculture : 14,8 % industrie : 33,2 % services : 51,7 % (2014) |
Taux de chômage | 15,6 % (deuxième trimestre 2023)[6] |
Principales industries | Pétrole, mine, tourisme, textile et chaussure, agroalimentaire et boissons |
Commerce extérieur | |
Exportations | 13,82 milliards $ (2017) |
Biens exportés | Vêtements, produits semi-finis et textiles, produits agricoles, biens mécaniques, phosphate et produits chimiques, hydrocarbures, équipements électriques |
Principaux clients | 2017 : |
Importations | 19,09 milliards $ (2017) |
Biens importés | Textiles, machines et équipements, hydrocarbures, produits chimiques, aliments |
Principaux fournisseurs | 2017 : |
Finances publiques | |
Dette publique | 70,3 % du PIB (2017) |
Dette extérieure | 30,19 milliards $ (2017) |
Recettes publiques | 9,876 milliards $ (2017) |
Dépenses publiques | 12,21 milliards $ (2017) |
Sources : The World Factbook[7] |
|
modifier |
L'économie de la Tunisie est historiquement liée à l'agriculture (blé, olives, dattes, agrumes et produits de la mer), aux mines et à l'énergie (grand producteur de phosphates et dans une moindre mesure d'hydrocarbures), au tourisme (6,5 millions de touristes en 2006) et aux industries manufacturières (textiles, agroalimentaire et électro-mécaniques) dans une perspective extravertie (grand nombre d'entreprises industrielles totalement ou partiellement exportatrices). Ainsi, son économie diversifiée la distingue de celle de la plupart des États des régions africaine, nord-africaine et moyen-orientale. Par rapport aux autres pays du Maghreb (Algérie et Maroc), elle se hisse à la deuxième place pour le revenu par habitant[8],[9] et deuxième pour le niveau de développement derrière l'Algérie[10]. De plus, la Tunisie est l'un des seuls pays de la région à être entré dans la catégorie des « pays à revenus moyens ».
L'économie tunisienne, qui bénéficie désormais d'un degré d'insertion dans les échanges mondiaux parmi les plus élevés du monde[11], est distinguée au Forum économique mondial sur l'Afrique, tenu du 13 au , comme la 1re économie la plus compétitive d'Afrique, devançant l'Afrique du Sud, et la 29e sur 128 au niveau mondial[12].
Nationalisations (1956-1961)
À la proclamation de l'indépendance en 1956, le pays ne dispose pas des atouts de ses voisins maghrébins : terres agricoles moins productives, infrastructure portuaire moins développée, marché intérieur étriqué, épargne faible et écornée par l'émigration des populations d'origine européenne et relations avec les milieux d'affaires français réduits, chômage élevé et équipement industriel embryonnaire[13]. Le taux de croissance annuel de 4,7 % des années 1950 à 1954 tombe même à 2,8 % durant la période d'autonomie puis d'indépendance (jusqu'en 1960)[14]. La priorité établie par le nouveau président Habib Bourguiba est alors de libérer l'économie nationale du contrôle français qui avait favorisé l'agriculture et l'extraction minérale, mais avait, en grande partie, négligé l'industrie[15],[16], la Tunisie étant alors le pays le moins industrialisé du Maghreb[17].
Entre 1956 et 1960, presque la totalité des 12 000 fonctionnaires français travaillant pour l'administration tunisienne sont rapatriés. Pour affirmer le contrôle public dans les secteurs-clefs, le gouvernement crée la Société nationale des chemins de fer tunisiens en 1956, prend en main la direction du secteur bancaire et quitte la zone franc en 1958 et nationalise, entre 1959 et 1960, les sociétés d'électricité, de gaz naturel et d'eau.
En 1959, elle prend ses premiers contacts avec la Communauté économique européenne (CEE) et, en 1960, nationalise les sociétés de transport : le gouvernement acquiert 50 % de la compagnie aérienne Tunisair et crée la Compagnie tunisienne de navigation. Dans le même temps, par la promulgation de la loi no 58-109 du , le dinar tunisien devient la monnaie officielle et remplace le franc tunisien à un taux de 1 dinar pour 1 000 francs. Tout cela n'est toutefois pas encore synonyme d'une orientation socialiste, l'objectif étant de renforcer le contrôle du nouvel État indépendant tout en maintenant une politique libérale basée sur la promotion de l'investissement et du commerce extérieur. Ainsi, pendant les cinq premières années, l'État offre des incitations fiscales et des facilités de crédit afin de motiver le secteur privé à jouer un rôle plus important[16].
Expérience socialiste (1961-1969)
Au début des années 1960, les phosphates produits dans la région de Gafsa — de faible teneur en acide phosphorique et nécessitant leur transformation en superphosphates — et l'huile d'olive constituent les principales sources de revenus extérieurs tandis que les revenus touristiques sont inexistants avec à peine 52 700 visiteurs étrangers en 1962[18]. Le seul grand projet industriel, les Industries chimiques maghrébines basées à Gabès, servira de pôle de développement du sud du pays avant l'avènement du tourisme[19].
Dans ce contexte, l'importance croissante de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) dans les choix économiques par l'action de son secrétaire général, Ahmed Ben Salah, mène le pays vers l'adoption de mesures collectivistes dans l'économie[15]. En 1961, les responsables politiques optent pour cette nouvelle stratégie et commencent à élargir le contrôle étatique sur tous les domaines de l'économie. Cette réorientation est marquée par deux décisions importantes prises durant cette période : la première est la création d'un grand ministère du Plan auquel sont ajoutés les ministères de l'Économie, des Finances, de l'Agriculture, du Commerce et de l'Industrie[20]. Ben Salah en prend la direction et contrôle ainsi la totalité de la politique économique[15] avec l'assistance d'une équipe de jeunes économistes dont Mansour Moalla. La deuxième est l'adoption d'un plan de développement courant sur dix ans (1962-1971) lequel est basé sur les résolutions du congrès de l'UGTT de 1956. Les objectifs principaux de ce plan sont la « décolonisation économique », l'amélioration du niveau de vie de la population, la réduction de la dépendance des capitaux extérieurs (et donc une meilleure autosuffisance) et la création d'un marché national. Cette phase est le témoin d'une accélération du processus de collectivisation, en particulier dans le secteur agricole.
En mai 1964, l'Assemblée nationale décrète l'expropriation des terres en possession étrangère — appartenant principalement à des familles françaises mais aussi italiennes — afin d'établir 300 fermes coopératives d'État. La France gèle alors toute aide financière à la Tunisie, plongeant ainsi le pays dans une crise économique sérieuse. En juillet 1966, le président Bourguiba effectue une tournée en Europe et aboutit au lancement de négociations qui conduisent à la signature d'un premier accord commercial le à Tunis[21]. Paradoxe toutefois puisque le taux de collectivisation atteint alors 90 % dans le secteur agricole[15],[22]. En août, le secteur public englobe le commerce de gros et le commerce de détail, une partie importante de l'industrie et du secteur bancaire ainsi que les transports, l'électricité et les mines qui étaient déjà sous le contrôle de l'État[15]. Seul le secteur du tourisme, que les autorités commencent à développer, échappe à une gestion entièrement étatique.
Capitalisme sous contrôle (1970-1981)
L'expérience coopérative dure jusqu'en septembre 1969 lorsque Bourguiba suspend Ben Salah de ses fonctions à la suite de la parution d'un rapport confidentiel de la Banque mondiale sur le déficit des entreprises publiques[23] et aux pressions de l'aile pragmatique du parti. Les coopératives seront toutefois maintenues jusqu'en mars 1970 et le mouvement aura engendré une série de créations industrielles et lancé l'implantation de l'activité touristique illustrée par la création de la Société hôtelière touristique et de transport[24]. Avec l'arrivée d'Hédi Nouira, pragmatique gouverneur de la Banque centrale hostile au collectivisme[25], au ministère de l'Économie puis au Premier ministère, la Tunisie se réoriente vers l'économie de marché et la propriété privée[15]. Avec l'appui financier de la Société tunisienne de banque d'Abdelaziz Mathari[26], le nouveau gouvernement encourage alors un retrait de l'État du secteur industriel en l'ouvrant à l'investissement privé. Nouira procède également à la création de nouvelles institutions dont le but est de promouvoir le secteur privé, telles que l'Agence de la promotion de l'industrie, avec l'objectif de rationaliser, moderniser et simplifier la politique industrielle.
Durant la décennie des années 1970, la Tunisie connaît une expansion du secteur privé et un développement rapide de l'emploi manufacturier, encouragé par la prolongation et l'élargissement de l'accord avec la CEE grâce au commissaire Claude Cheysson[21]. Le pays enregistre ainsi une croissance moyenne de 8,4 % par an et voit quadrupler le revenu par habitant qui passe de 314 à 1 351 dollars[27]. Toutefois, la structure de l'industrialisation se caractérise par une concentration sectorielle et régionale. À la fin de 1977, 54 % des investissements et 87 % des emplois créés se trouvent dans le domaine du textile et l'industrie de l'habillement et du cuir. En outre, les nouvelles entreprises sont concentrées dans peu de régions, ce qui renforce davantage les disparités régionales et encourage les migrations vers le nord-est du pays[22] et l'urbanisation[28]. En réalité, le retour à une économie de marché est moins décisif qu'annoncé : la Tunisie maintient largement le subventionnement de certains prix[29], le secteur financier est entièrement géré par le gouvernement et l'économie est protégée par des droits de douane très élevés et des restrictions d'importation. Cependant, l'économie bénéficie de résultats positifs bénéficiant des deux chocs pétroliers (1973 et 1979), qui font augmenter les prix du pétrole et des phosphates, mais aussi grâce à une production agricole en hausse et à des recettes touristiques plus élevées[15],[16]. Dans ce contexte de relance économique, le secteur public demeure dominant mais recule avec une dissociation progressive entre des secteurs ouverts à une dose de concurrence extérieure et ceux destinés au marché intérieur et qui bénéficient de rentes de situation[30]. Cette timide ouverture permet la création de nouveaux emplois et, par conséquent, le développement d'une meilleure mobilité sociale de la jeunesse nouvellement instruite et la croissance d'une classe moyenne[31].
Crise économique (1982-1986)
La Tunisie est trop dépendante des recettes pétrolières et est pénalisée par son endettement extérieur, grevant les finances publiques qui assurent jusque-là le subventionnement des prix. De plus, elle n'a pas de base productive suffisante pour être en mesure d'absorber le surplus de travailleurs et d'exporter une gamme de produits diversifiée et compétitive. Le manque d'investissement de l'État dans les infrastructures entrave encore la croissance et dissuade les investisseurs privés[15].
C'est pourquoi le VIe plan de développement (qui commence en 1982) est conçu pour introduire les ajustements économiques nécessaires pour préparer la Tunisie à une période marquée par la baisse des recettes pétrolières. L'investissement se dirige principalement vers les industries non-pétrolières. Par ailleurs, la dette extérieure et la balance des paiements sont sévèrement contrôlées, l'investissement public réduit et la consommation soumise à des mesures restrictives par un gel des salaires et des restrictions supplémentaires à l'importation. Pourtant, la plupart des objectifs du plan n'aboutissent pas : la croissance du produit intérieur brut (PIB) reste sous les 3 %, le déficit du compte courant s'élève à 7,8 % du PIB et la dette extérieure s'élève à 56 % du PIB. En janvier 1984, suivant les recommandations du Fonds monétaire international, le gouvernement augmente le prix du pain et de la semoule. Après une semaine d'émeutes et de répression, Habib Bourguiba renonce aux augmentations, mais l'orientation générale de l'économie n'avait pas changé : désengagement de l'État et quête de compétitivité à l'exportation en s'appuyant sur l'avantage comparatif d'une main-d'œuvre bon marché et d'une fiscalité complaisante[32].
En outre, entre 1985 et 1986, le prix du pétrole baisse, une série de sécheresses frappe le pays et le salaire des travailleurs diminue. En 1986, la Tunisie connaît sa première année de croissance négative depuis son indépendance. Les agitations sociales augmentent de façon dramatique pendant cette période et l'Union générale tunisienne du travail, qui critique ouvertement la politique économique adoptée par le gouvernement, organise des grèves et des manifestations contre l'augmentation du chômage et la politique salariale[15],[16]. Pour y faire face, le président Bourguiba nomme Rachid Sfar Premier ministre, négocie le premier programme national d'ajustement économique ou « Plan d'ajustement structurel » (PAS) et reconnaît enfin la réalité de la crise qui se traduit par l'aggravation de la situation économique et financière. En 1986, le gouvernement se met officiellement d'accord avec le Fonds monétaire international (FMI) sur la mise en place de ce PAS en signant un accord sur un programme de reprise économique sur 18 mois. En 1988, on accorde à la Tunisie le recours à des fonds étendus pour une période de trois ans. Par la suite, la période de prêt est étendue plusieurs fois jusqu'en 1992, mettant en évidence la confiance de l'organisation en l'aptitude du gouvernement à mettre en œuvre une réforme structurelle de l'économie[16]. L'un des objectifs du PAS est la cession totale ou partielle de certains services publics au profit de banques ou de groupes privés.
Libéralisation de l'économie (1987-1995)
La stratégie du programme est mise en œuvre dans les VIIe et VIIIe plans de développement. Le premier de ces plans est mis au point avec la coopération du FMI et de la Banque mondiale. Il a pour but d'atteindre une stabilité macro-économique et d'introduire les mesures initiales d'une libéralisation structurelle tout en réduisant la dépendance de l'exportation du pétrole. Les résultats ne sont pas stables à cause de la vulnérabilité de l'agriculture et des effets de la Guerre du Golfe. Néanmoins, le plan peut être considéré comme fructueux : les grands déséquilibres internes et externes sont maîtrisés, la dette extérieure reste raisonnable et une croissance du PIB de 4,3 % en moyenne est réalisée[16]. L'objectif principal du plan suivant est d'accroître l'efficacité et de promouvoir les mécanismes du marché. En même temps, le plan est conçu pour surmonter les conséquences sociales et politiques de ses mesures. Les dépenses publiques sont concentrées aux secteurs de la santé, de l'éducation, du logement et des services. La croissance du PIB atteint 4,5 % par an au lieu des 6 % prévus[16].
Dès le début des années 1980, le gouvernement considère aussi la privatisation des entreprises étatiques pour mettre fin à leur endettement. Le gouvernement ne lance cependant pas de véritables programmes avant 1987. La privatisation se traduit dans un premier temps par la vente de petites et moyennes entreprises avec un bon historique bancaire à des acheteurs tunisiens présélectionnés. Les secteurs concernés sont surtout le tourisme, les matériaux de construction, les textiles, l'industrie agroalimentaire et la pêche, la mécanique et l'électrotechnique[16]. Ratifiant le GATT en 1990 puis adhérant à l'Organisation mondiale du commerce en 1995, la Tunisie doit alors développer la compétitivité de ses produits et améliorer ses avantages comparatifs, pour augmenter les exportations de ses produits et avoir un accès plus libre aux marchés internationaux, par la mise à niveau globale de son économie. De plus, un accord d'association signé avec l'Union européenne le et entré en vigueur le 1er mars 1998 engendre dès 1996 le démantèlement progressif des barrières douanières jusqu'au 1er janvier 2008[33],[34]. Dans le même temps, deux zones de libre-échange sont créées à Zarzis et Bizerte : la première est spécialisée dans le secteur pétrolier et voit le jour en 1995 et la deuxième comprend l'industrie et la construction, la réparation de bateaux, la démolition et plusieurs services. Dans ces zones, le terrain appartient à l'État mais il est géré par une entreprise privée. De plus, le gouvernement encourage l'industrie manufacturière produisant uniquement pour l'exportation en lui donnant la possibilité de s'implanter partout dans le pays tout en travaillant sous le règlement des zones de libre-échange.
Ces réformes économiques sont aujourd'hui montrées en exemple par les institutions financières internationales. Néanmoins, le chômage continue de menacer le développement économique et se trouve aggravé par une population active grandissante. En 1997, 63 % des chômeurs étaient âgés de moins de 29 ans et 49 % étaient en chômage de longue durée[35].
Mise à niveau de l'économie (1995-2010)
Le processus de mondialisation qui affecte la Tunisie, comme tant d'autres pays en développement, est conçu par le gouvernement comme un « ordre naturel », c'est-à-dire qu'il est obligatoire pour le pays de s'y adapter sous peine de forte dégradation de sa situation économique. Ce discours s'inscrit directement dans la continuité de la rhétorique bourguibienne du développement et du rôle de l'État comme garant de l'unité nationale. La politique d'ouverture mise en route a permis une reprise durable de la croissance économique, contrairement à ce que vivent d'autres pays de la région, mais a contribué dans le même temps à déstructurer le tissu économique en le divisant entre les secteurs concurrentiels et ouverts vers l'extérieur — et bénéficiant, selon la Banque mondiale, de « généreux privilèges » sous la forme de cadeaux fiscaux[36] — et les secteurs fragilisés par un processus d'ouverture auquel ils n'ont pas préparés[37], notamment dans le secteur stratégique du textile qui représentait près de 50 % des exportations nationales en 2004[36]. La nature même de ce processus, dirigé par l'État tunisien, a permis à ce dernier de conserver une capacité d'intervention importante — il était à l'origine de 49,6 % du total des investissements en 1997[35] — et de développer de nouveaux secteurs dont celui de l'industrie mécanique et des nouvelles technologies où les ingénieurs tunisiens bénéficient, à compétences égales, d'un salaire moindre que leurs collègues européens. Dès lors, l'un des atouts du pays, selon le ministre de l'Industrie et des PME Afif Chelbi, a été de « miser sur la qualité et exploiter au mieux l'atout de la proximité géographique et culturelle »[36].
Depuis le lancement du nouveau programme de privatisation en 1987, le gouvernement a totalement ou partiellement privatisé 217 entreprises publiques ou semi-publiques en décembre 2008, dont de grands établissements publics comme Tunisie Télécom, pour une recette globale de 6,013 milliards de dinars, avec une place particulière accordée au secteur des services (53,9 % des entreprises) et de l'industrie (37,8 %)[38]. Cette politique a conduit à une modernisation des techniques de production et des procédures de gestion des entreprises et donné un coup de fouet à l'investissement direct étranger[38]. Toutefois, elle n'a pas permis d'augmenter significativement l'investissement productif et la création d'emplois[38]. Par ailleurs, un rapport de la Banque mondiale daté de juin 2004 avait épinglé les « interventions discrétionnaires du gouvernement » et le « pouvoir des initiés » qui affaiblissaient, selon elle, le climat des affaires et les éventuelles prises de risque des investisseurs étrangers[31]. Ce phénomène est renforcée par les créances douteuses des banques publiques tunisiennes, encore majoritaires sur le marché, qui pourrait expliquer en partie le niveau modéré bien que croissant des investissements étrangers. Dans ce contexte, le secteur privé « reste de taille modeste » et se trouve encore majoritairement composé de petites et moyennes entreprises (PME) familiales qui, selon les statistiques de l'Institut national de la statistique[39], contribuaient tout de même à 72 % du PIB en 2006 contre 63 % en 1997 et employaient trois millions de personnes ; elles réalisaient à la même époque 85 % des exportations et 56 % du volume total des investissements malgré leur dépendance financière à l'État, eu égard au taux élevé du crédit bancaire et aux conditions difficiles pour l'accès au crédit dans un système bancaire majoritairement public malgré les appels du Fonds monétaire international à l'accélération de la réforme et de la privatisation du secteur bancaire.
Par ailleurs, l'absence de préparation de plusieurs secteurs à l'ouverture a conduit au maintien d'un niveau de chômage élevé et variant selon les sources de 13 % à 20 %[36] en raison de la différence entre le nombre des nouveaux emplois créés chaque année et l'augmentation régulière de la population active (85 000 nouveaux travailleurs pour 60 à 65 000 emplois créés). Pourtant, le chômage ne touche pas que les populations les plus vulnérables : le taux de chômage des diplômés de l'enseignement supérieur est ainsi en augmentation depuis plusieurs années[40]. Alors qu'il était de 4 % en 1997 et de 0,7 % en 1984[35], il atteint 20 % contre une moyenne nationale de 14 %, voire près de 60 % dans certaines filières selon une enquête de la Banque mondiale[41]. Entre 1997 et 2007, leur nombre a été multiplié par trois, passant de 121 000 à 336 000, l'économie n'ayant pas réussi à grossir au même rythme que l'effort de formation, les difficultés de l'enseignement supérieur (marquées par l'écart entre la hausse du financement et la croissance exponentielle du nombre d'étudiants) ne faisant qu'accroître ces problèmes. Une réforme du Code du travail de 1994 a également « favorisé la flexibilité du travail et le développement des emplois précaires »[31] et les différences entre régions et entre catégories socioprofessionnelles auraient tendance à s'accroître avec le temps : la Banque mondiale met ainsi en avant, selon un calcul du plafond de revenu différent de celui retenu par les autorités tunisiennes, une hausse absolue de l'effectif des personnes considérées comme « pauvres » malgré une baisse relative de leur proportion au sein de la population[42]. On peut ainsi constater que l'ouverture du marché tunisien a remis en cause les bases sur lesquelles le régime politique s'est bâti jusque-là, contraignant celui-ci à adapter ces stratégies pour développer l'économie et assurer l'équilibre social. Par ailleurs, le chômage persistant et les difficultés liées à la lente restructuration de l'État laissent une partie de la population en marge du développement économique qui est pourtant le principal fondement de la politique gouvernementale. Toutefois, des réseaux permettent encore de tempérer d'éventuels mécontentements.
Népotisme sous Ben Ali
À partir du début des années 1990, de nombreuses voix accusent un certain nombre de personnes proches du couple présidentiel de prendre le contrôle de plusieurs pans du tissu économique[43],[44]. Le groupe, constitué des familles du président Zine el-Abidine Ben Ali et de son épouse Leïla, mettent progressivement la main sur plusieurs secteurs par le biais de détournements, d'intimidations et de spoliations, amassant quelque 3,7 milliards d'euros[45] : la Banque centrale de Tunisie a recensé 180 entreprises qui leur appartiennent[46]. Le système bancaire a été mis à contribution, la Société tunisienne de banque ou encore la Banque de l'habitat leur octroyant des prêts sans garantie[45], pour des crédits à hauteur de 1,3 milliard d'euros[46].
Belhassen Trabelsi, frère de Leïla, fonde une compagnie aérienne (Karthago Airlines) qui se voit attribuer indirectement les activités de fret, de charter et de catering de la compagnie publique Tunisair, notamment par le biais d'une société dirigée par Slim Zarrouk, l'un des gendres du président[48] ; lorsque la compagnie fusionne avec Nouvelair Tunisie, Trabelsi conserve la tête de la compagnie malgré les 13 % du capital qu'il détient. Son groupe, Karthago, est également actif dans les médias (Mosaïque FM) et possède plusieurs hôtels ; Trabelsi prend aussi le contrôle de la Banque de Tunisie en 2008[45]. Son neveu Imed possède, au travers de Med Business Holding, une dizaine d'entreprises actives dans divers secteurs, dont l'enseigne Bricorama[45]. De son côté, Mohamed Sakhr El Materi, autre gendre du couple présidentiel, contrôle en 2010 quelque 25 % du marché automobile grâce au concessionnaire Ennakl[45], un élément de son groupe, Princesse El Materi Holding. Il fonde la radio religieuse Zitouna FM, puis la banque islamique Zitouna, et force en 2009 la famille Cheikhrouhou à vendre son groupe de presse, Dar Assabah, qui possède les titres Assabah et Le Temps[45]. Quelques mois avant la chute du régime, il acquiert encore 25 % de l'opérateur téléphonique Tunisiana[45].
Le , douze jours après la fuite de Ben Ali à la suite de la révolution tunisienne, le gouvernement intérimaire lance une procédure judiciaire pour « acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers » et « transferts illicites de devises à l'étranger » contre le couple présidentiel et plusieurs membres de son entourage. Selon Abdelfattah Amor, président de la Commission nationale d'investigation sur les faits de corruption et de malversation, les membres de la famille présidentielle « avaient tous les droits : autorisations indues, crédits sans garanties, marchés publics, terres domaniales... »[46].
Le groupe Mabrouk nie pour sa part avoir profité de la position de Marouane Mabrouk, un autre gendre de l'ancien président, pour se développer, malgré sa croissance marquée par la prise de contrôle de la Banque internationale arabe de Tunisie, le lancement des enseignes Monoprix et Géant, de l'opérateur Planet Tunisie, de la radio Shems FM et le partenariat avec France Télécom pour lancer Orange Tunisie[45] dont il détient 51 %[46]. En conflit avec Belhassen Trabelsi, le groupe Loukil affirme pour sa part avoir subi « dix-sept contrôles fiscaux en trois ans » et estime le préjudice à cinq millions d'euros[45].
Période post-révolutionnaire (depuis 2011)
Pour l'année 2012, le programme économique du nouveau gouvernement table sur une prévision de croissance de 3,5 %[49]. Les programmes économiques des différents partis politiques ne présentent pas beaucoup de changements par rapport à la période précédente, les revendications économiques de la révolution n'ont pas encore trouvé de réponses[50].
En octobre 2022, au bord de l'asphyxie, l'économie tunisienne bénéficie d'un prêt sur quatre ans de 1,9 milliard de dollars octroyé par le Fonds monétaire international[51]. Le pays, à court de liquidité, fait déjà face à des pénuries de carburant et de denrées alimentaires[52]. Le 14 décembre 2022, le FMI annonce pourtant retirer de l'ordre du jour l'examen du dossier élaboré avec la Tunisie[53]. Ce revirement soudain met alors à mal les perspectives tunisiennes bien que le dossier n'est pour autant pas clôt[54].
En janvier 2023, Marouane Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, prévient que sans accord avec le FMI, son pays ne résistera pas à la flambée des prix et ne pourra maintenir ses taux de croissance[55].