Études de Debussy
œuvre pour piano de Claude Debussy / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Les Études (CD 143) constituent le dernier recueil pour piano de Claude Debussy, comprenant douze pièces composées entre le et le . Réparties en deux « livres » et dédiées à la mémoire de Frédéric Chopin, elles ont fait l'objet de créations partielles par les pianistes George Copeland, le à New York, Walter Rummel, le dans le cadre des concerts au profit de « l'aide affectueuse aux musiciens », à Paris, et Marguerite Long, le à la Société nationale de musique.
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Études pour piano CD 143 | |
Manuscrit du compositeur pour la première étude, pour les cinq doigts | |
Genre | Études |
---|---|
Musique | Claude Debussy |
Durée approximative | 40 min |
Dates de composition | du au |
Dédicataire | À la mémoire de Frédéric Chopin |
Partition autographe | Bibliothèque nationale de France (ms.993[1]) |
Création | Concert au profit de « l'aide affectueuse aux musiciens », Paris France |
Interprètes | Walter Rummel |
Représentations notables | |
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Composée dans la tourmente de la Première Guerre mondiale, cette œuvre est caractéristique de la « dernière manière » de Debussy — dure, concentrée, visionnaire — qu'illustrent également les deux premières Sonates et la suite pour deux pianos En blanc et noir, qui en sont exactement contemporaines.
Dans le prolongement des Études de Chopin et des Études d'exécution transcendante de Liszt, l'ouvrage aborde différents aspects de la technique pianistique, des intervalles (tierce, quarte, sixte, octave) au mécanisme digital, dans le premier cahier, jusqu'à des recherches de sonorités nouvelles dans le second.
Moins célèbres que les Préludes du même auteur, mais non moins représentatives de ses recherches dans le domaine des structures harmoniques, de la liberté de la forme et des timbres pour le piano, les Études ont longtemps souffert d'une réputation de « froideur » et de « sécheresse », avant d'être admises parmi les chefs-d'œuvre du répertoire des pianistes. Le compositeur et musicologue Guy Sacre estime que « ceux qui n'y appliquent, tout bonnement, que leurs oreilles, les aiment chaque jour davantage ».
À partir des années 1950, une nouvelle génération de compositeurs, dont Olivier Messiaen, Maurice Ohana, André Boucourechliev et Pierre Boulez, s'inspire du langage développé dans les Études de Debussy. Le musicologue Harry Halbreich considère que l'« on trouve ici ses intuitions les plus génialement révolutionnaires, les plus lourdes d'avenir. L'évolution ultérieure de la musique de piano est impensable sans leur exemple ».
Dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale et la composition de ses Études, la situation de Debussy est difficile sur plusieurs plans, même si son œuvre est généralement reconnue, applaudie partout en Europe et aux États-Unis : Pelléas et Mélisande est représenté à Bruxelles, Berlin, Francfort, Milan, Munich et New York[2]. Si les directeurs de théâtre et les organisateurs de concerts l'invitent à présenter lui-même ses œuvres, à partir de 1907[3], la carrière du compositeur présente de nouvelles difficultés.
En effet, la création du Martyre de saint Sébastien, le [4], se solde par un échec. Selon Jean Barraqué, « l'accueil fut mitigé[5] » devant le « poème prétentieusement mystique[6] » de D'Annunzio. Jeux, créés par les Ballets russes de Diaghilev, le [7], rencontre encore « un public tiède, voire indifférent : quelques applaudissements, quelques sifflets[8] ». Ce même public devait porter Stravinsky sur le devant de la scène musicale avec le scandale du Sacre du printemps, créé quinze jours après Jeux[9].
Pour les critiques et le public musical, il semble donc que Debussy « déclinait » alors que Ravel et Stravinsky « montaient »[10]. Même si, selon Vladimir Jankélévitch, « on aurait tort de croire que Ravel ait été au-delà de Debussy, dans une course aux armements où Stravinsky l'aurait devancé à son tour[11] » dans la recherche de nouveaux accords, la rivalité entre les deux compositeurs français culmine en 1913, lorsque Ravel compose ses Trois poèmes de Mallarmé en même temps que Debussy ses Trois poèmes de Stéphane Mallarmé[12]. Stravinsky se souvient qu'« en 1913, Debussy et Ravel ne se parlaient pas[12] ». Ainsi, Jankélévitch reconnaît qu'« il est possible que le durcissement des notes dans les dernières œuvres de Debussy se soit accompli en grande partie sous la pression de Ravel[13] ».
D'autre part, la situation familiale et financière du compositeur se dégrade brusquement à la suite du décès, en [14], d'un oncle très riche de son épouse Emma, qui se trouve déshéritée : ce parent « avait toujours considéré d'un mauvais œil les relations de sa nièce avec un compositeur qui, à la différence de Strauss, était incapable de gagner sa vie, sans parler de celles de sa femme et de sa fille[15] ». Il avait donc préféré léguer toute sa fortune à l'Institut Pasteur[16]. C'est pour cette raison que Debussy accepte alors toutes les invitations d'interpréter son œuvre en concerts, malgré son peu de goût pour les apparitions en public et son inexpérience de chef d'orchestre[17],[D 1].
La guerre
La déclaration de guerre du surprend Debussy, qui a consacré les six premiers mois de l'année à des voyages et à des concerts incessants[18], dans un effort frénétique pour faire face à ses obligations financières[19]. Au cours des semaines qui précèdent, durant la crise de juillet, l'attitude du compositeur oscille violemment de l'exaltation au désespoir[19]. Dans une lettre à un de ses amis, où il parle « des heures où l'on n'aperçoit guère plus que le suicide pour en sortir », il se confie en des termes qui laissent paraître sa « dépression noire » :
« Depuis longtemps — il faut bien l'avouer ! — je me perds, je me sens affreusement diminué ! Ah ! le magicien que vous aimiez en moi, où est-il ? Ça n'est plus qu'un faiseur de tours morose, qui bientôt se cassera les reins dans une ultime pirouette, sans beauté<[D 2]. »
— lettre à Robert Godet du .
Le déclenchement des hostilités a pour effet immédiat d'imposer silence à toutes ses activités musicales. Dans une lettre du à son éditeur Durand, il se considère comme « un pauvre atome roulé par ce terrible cataclysme. Ce que je fais me semble si misérablement petit ! J'en arrive à envier Satie qui va s'occuper sérieusement de défendre Paris en qualité de caporal[D 3] ». Ainsi, jusqu'à la fin de l'année 1914, Debussy reste inactif[20].
L'état dépressif du compositeur s'aggrave encore avec la poursuite des combats, lorsqu'il avait espéré en une résolution du conflit pour Noël[21]. Sa correspondance est alors marquée par un chauvinisme que ses biographes n'ont pas manqué de lui reprocher[22]. Le , il écrit dans L'Intransigeant un article patriotique sur le même ton, intitulé « Enfin, seuls !… » où la rivalité entre la France et l'Allemagne est portée sur le plan musical :
« En fait, depuis Rameau, nous n'avons plus de tradition nettement française. Sa mort a rompu le fil d'Ariane qui nous guidait au labyrinthe du passé. Depuis, nous avons cessé de cultiver notre jardin, mais, par contre, nous avons serré la main des commis-voyageurs du monde entier. Nous avons écouté respectueusement leurs boniments et acheté leur camelote. Nous avons rougi de nos plus précieuses qualités dès qu'ils se sont avisés d'en sourire. Nous avons demandé pardon à l'univers de notre goût pour la clarté légère et nous avons entonné un choral à la gloire de la profondeur. Nous avons adopté les procédés d'écriture les plus contraires à notre esprit, les outrances de langage les moins compatibles avec notre pensée ; nous avons subi les surcharges d'orchestre, la torture des formes, le gros luxe et la couleur criarde[23] […] »
— Claude Debussy, Monsieur Croche, antidilettante.
L'année 1915
Durant les premiers mois de cette année, Debussy travaille à une nouvelle édition des œuvres de Chopin pour le compte des Éditions Durand[D 4]. En effet, depuis le début de la guerre, les éditions allemandes ont été retirées du commerce. Debussy collabore donc à une publication originale, obtenant notamment de consulter le manuscrit de la Deuxième Ballade en fa majeur, op.38, appartenant à Camille Saint-Saëns[24].
Ce travail de révision le fait réfléchir très profondément sur la technique pianistique[25], en le détournant de sa maladie, qui ne cesse de progresser. Depuis 1909, Debussy souffrait par intermittences d'un cancer du rectum, dont les symptômes se sont aggravés au point où les médecins conseillent une opération, tout en reconnaissant que le mal est mortel[26].
En achevant son travail, le compositeur reçoit encore un choc personnel en apprenant la mort de sa mère, le [24]. Très affecté, Debussy s'interroge sur la signification de la mort dans sa correspondance avec ses amis, dont Paul Dukas[D 5], Gabriel Fauré[D 6], Gabriel Pierné[D 6] et le jeune compositeur Edgard Varèse[D 7], mobilisé et affecté à l'École de guerre à partir du mois d'avril[27].
Dans ce contexte de combats extérieurs et intérieurs, le compositeur sort enfin du silence en affirmant des choix esthétiques personnels, radicaux même. Signées « Claude Debussy, musicien français », les œuvres qu'il s'apprête à composer sont, selon Gilles Macassar et Benoit Mérigaud, « des œuvres de guerre, dans tous les sens de l'expression : œuvres de temps de guerre, économes, soumises à un rationnement qui concentre leurs moyens et condense leurs effets[28] », réalisant un projet qu'il nourrissait depuis 1908, lorsqu'il confiait au Harper's Weekly :
« Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi tous les gens qui étudient la musique, tous les pays qui cherchent à créer des écoles originales devraient avoir une base allemande. Il faudra à la France d'innombrables années pour sortir de cette influence, et si l'on regarde les compositeurs français originaux comme Rameau, Couperin, Daquin et autres artistes de leur temps, on ne peut que regretter que l'esprit étranger se soit imposé à ce qui eût pu être une grande école[29]. »
— Interview du Harper's Weekly, New York, le .
Composition
Les douze Études comptent parmi les dernières pièces écrites par le compositeur, en 1915[30]. Malade, il passe l'été à Pourville, en Normandie[D 8], où il retrouve un entrain passager. Dans son recueil de souvenirs Au piano avec Claude Debussy, Marguerite Long rappelle combien, « après une horrible période de dépression, de « néant », l'été 1915 l'avait retrempé dans ce qu'il appelait son élément vital, la mer. Et il ajoutait « Je veux dire la mer infinie ». Il retrouvait la faculté de penser et de travailler. Les Études en sont nées, puis devenues l'ultime message à son instrument[31] ».
Debussy compose alors la suite pour deux pianos En blanc et noir en juin-juillet[32], la Sonate pour violoncelle et piano fin juillet et début août[33], puis la Sonate pour flûte, alto et harpe dans les derniers jours de septembre et au début d'octobre[34]. Toutes ces œuvres témoignent, selon Harry Halbreich, « d'une inspiration et d'une esthétique semblables[35] ».
C'est entre les deux Sonates et en réponse, selon Antoine Goléa, « à la demande expressément formulée par Jacques Durand, qui versait une pension au musicien et réclamait légitimement de la musique nouvelle en échange[36] », que les Études ont été composées, entre le et le [37]. Le compositeur et pianiste André Boucourechliev ne peut s'empêcher de songer : « À lire la partition, à la jouer (tant bien que mal), à l'écouter sans fin, on essaie d'imaginer cet homme malade qui, à bout de forces, sur quelque méchante table, à Pourville, rêve ces sons et les crée… Force herculéenne de cet autre moi qui plane au-dessus du moi quotidien[38] ».
La correspondance du compositeur permet de dater précisément certaines pièces[39], telle l'étude pour les agréments ([D 9]) ou l'étude pour les sixtes (, jour de son cinquante-troisième anniversaire[40]). Le musicologue Heinrich Strobel le voit « saisi d'une véritable fureur créatrice[41] ». Le , Debussy peut écrire à son éditeur : « Hier soir, à minuit, j'ai copié la dernière note des Études… Ouf !… La plus minutieuse des estampes japonaises n'est qu'un jeu d'enfant à côté du graphique de certaines pages, mais je suis content, c'est du bon travail[D 10] ».
Le , Debussy subit une opération chirurgicale pour son cancer, qui l'affaiblit considérablement[D 11]. Selon Jean Barraqué, « il est symptomatique de sa ferveur patriotique que les très rares apparitions qu'il fait en public pendant ses dernières années soient à l'occasion de concerts destinés aux œuvres de guerre[25] ». Durand publie les deux livres d'Études au cours de l'année 1916[42],[D 12].
Présentation
Selon Jean Barraqué, les deux livres traitent d'aspects différents de la technique pianistique : « Le premier cahier semble avoir pour objet le mécanisme digital. Le second volume propose — et ceci représente, par rapport à la littérature de cette forme, une acquisition originale — une étude des sonorités et des timbres » aboutissant, selon son expression, à une « véritable anthologie auditive[43] ».
André Boucourechliev propose une approche plus subtile encore : « Les six premières Études ont moins trait à un vrai problème pianistique, supposé résolu d'avance, qu'à un principe, un cadre librement décidés, assurant aux formes saccadées une unité certaine. On pourrait même se demander si le titre d'Études n'est pas une ruse de guerre : on neutralise le danger de rupture excessive sous le prétexte d'un propos technique[38] ».
Livre I
1. pour les « cinq doigts », d'après monsieur Czerny
2. pour les tierces
3. pour les quartes
4. pour les sixtes
5. pour les octaves
6. pour les huit doigts
Livre II
7. pour les degrés chromatiques
8. pour les agréments
9. pour les notes répétées
10. pour les sonorités opposées
11. pour les arpèges composés
12. pour les accords
En étudiant les manuscrits du compositeur, Paul Roberts observe que « l'ordre prévu pour les Études était complètement différent, à l’origine, et la division en deux livres n'était pas prévue. Debussy montre un instinct parfaitement logique pour l'équilibre et la clarté de ton[texte 1],[44] ».
Dans le contrat signé le avec les éditions Durand, l'ordre annoncé pour les Études présentait encore des titres différents pour deux des douze pièces[D 13] :
1. pour le Gradus ad Parnassum
2. pour les sonorités opposées
3. pour les accords
4. pour les arpèges mélangés
5. pour les huit doigts
6. pour les sixtes
7. pour les octaves
8. pour les quartes
9. pour les degrés chromatiques
10. pour les notes répétées
11. pour les tierces
12. pour les agréments
Pédagogie et liberté
- François Couperin vers 1700.
- Frédéric Chopin en 1849.
- Franz Liszt en 1858.
Les Études de Debussy s'inscrivent naturellement dans une tradition musicale marquée par des considérations de technique pianistique. Or, selon Jean Barraqué, « les études proposées à l'entraînement des élèves pouvaient rebuter ceux-ci lorsqu'elles étaient signées par ces gymnastes des doigts que connut le XIXe siècle. Mais Chopin et Liszt avaient donné d'admirables lettres de noblesse musicale à un genre destiné à la pédagogie. Debussy assume cette filiation[43] ».
Plus proches des Vingt-quatre études de Chopin que des Douze études d'exécution transcendante de Liszt, dans leur souci de « gommer les marteaux du piano[45] », les Études de Debussy offrent de redoutables défis techniques sans jamais cesser d'être parfaitement musicales. Dans ses lettres à son éditeur, le compositeur déclare que « ces Études dissimulent une rigoureuse technique sous des fleurs d'harmonie[D 14],[46] ». Le , il ajoute qu'« en deçà de la technique, ces Études prépareront les pianistes utilement à mieux comprendre qu'il ne faut pas entrer dans la musique qu’avec des mains redoutables[D 15],[note 1],[25],[47] ».
Cependant, les musicologues s'accordent à reconnaître que « Debussy observe la règle du jeu[43] ». Comme ses prédécesseurs, il assigne à chaque étude une difficulté particulière : « ce propos est tenu, joué, exploité, une acrobatie suprême » avec, dans le second Livre, « non un intervalle, non un cas pianistique, mais une situation plus générale. Davantage de risque, plus d'invention, plus de génie. Moins de pédagogie, plus de liberté[48] ». Selon le pianiste Paul Crossley, Debussy « redécouvre, réinvente presque : l'aspect, l'émotion, la sonorité de ces pièces ne ressemblent à ceux d'aucune autre dans la littérature pianistique, y compris, curieusement, les autres pièces de Debussy[49] ».
Antoine Goléa considère qu'« à la réflexion, cette façon de faire peut paraître curieuse et obéissant très peu, en réalité, à des considérations de technique pianistique[50] ». Cependant, pour Alfred Cortot, « de chacun de ces secs arguments scolaires, Debussy extrait une telle diversité d'effets, il emploie si ingénieusement la musicalité de ces successions d'intervalles ou de formules volontairement identiques, il les fait évoluer avec une telle indépendance d'écriture, un sens si fin de la poésie naturelle du piano que, loin de paraître résoudre un problème déterminé, ces études, l'une après l'autre, donnent l'impression de traduire, sans rigueur, une inspiration qui ne pouvait trouver mode plus naturel de s’exprimer[51] ».
Dédicace
Les Études sont dédiées à la mémoire de Frédéric Chopin — « du moins théoriquement », observe André Boucourechliev, « car la dédicace au Polonais a été occultée dans l'édition[52] ». Le compositeur avait d'abord songé à François Couperin[53], retrouvant dans ces Études « l'esprit de la danse baroque » selon le pianiste Philippe Cassard[54]. Le 15 août, il fait part à son éditeur de ses hésitations : « J'ai autant de respectueuse gratitude à l'un que l'autre de ces deux maîtres, si admirables devineurs[D 16] ». Ce serait ainsi « non sans quelque méfiance[D 17] » que les douze pièces paraissent en hommage à Chopin, Debussy redoutant que la comparaison se fasse à son désavantage[26].
Selon Émile Vuillermoz, « ce sont des pages d'une haute valeur technique et pédagogique mais, comme les Études de Chopin, ce sont des chefs-d'œuvre de musique pure[55] ». André Boucourechliev considère, malgré tout, que ces douze Études « n'ont rien à voir avec les fameuses Vingt-quatre car, pour être vouées chacune à une situation pianistique précise, elles n'apportent en rien un matériau de travail pour les pianistes. Autant celles de Chopin sont indispensables à toute aspiration au progrès, autant celles de Debussy s'adressent à un musicien accompli, résumant tout ce qu'il sait faire ou est supposé savoir faire[56] ». Heinrich Strobel souligne combien « l'aspect technique » des problèmes proposés par Études « ressort plus nettement que chez Chopin. Malgré la parenté de leurs natures, c'est en quoi se manifeste la différence des époques et des générations[57] ».
Dans ses souvenirs, Marguerite Long témoigne de la grande admiration que Debussy portait envers la musique de Chopin[58] et confirme que, plutôt qu'à Couperin, il avait préféré lui dédier son œuvre : « Chopin est le plus grand de tous, répétait-il, car, avec un seul piano, il a tout trouvé[59] ! »
Comparant les Études de Chopin et celles de Debussy, Philippe Cassard retrouve des « difficultés techniques tout aussi nombreuses et sadiques, tournant autour d'idiomes instrumentaux (tierces, octaves, notes répétées, etc.) mais jamais démonstratives, requérant en réalité plus d'agilité et de réflexes que de puissance et d'exhibitionnisme[60] ».
Le philosophe et musicologue Vladimir Jankélévitch considère autrement la nécessité du projet des Études, répondant à « la vocation essentiellement novatrice de la musique de Debussy. Il y a chez Debussy comme une volonté de ne pas rebrousser chemin, de ne jamais prendre appui sur le passé, d'éviter précisément la chose attendue ou prévue[61] » : « Ce parti pris de ne jamais s'imiter soi-même et de décevoir l'attente explique sans nul doute le langage déroutant et si profondément non conformiste d'Ibéria et des Douze Études[62] ».
Préface
L'édition imprimée est précédée d'un « amusant avant-propos, où Debussy se justifie, avec son ironie et son goût du paradoxe habituels — selon Harry Halbreich — de n'avoir pas noté de doigtés[42] » :
« Quelques mots…
Intentionnellement, les présentes Études ne contiennent aucun doigté, en voici brièvement la raison :
Imposer un doigté ne peut logiquement s'adapter aux différentes conformations de la main. La pianistique moderne a cru résoudre cette question en en superposant plusieurs ; ce n'est qu'un embarras… La musique y prend l'aspect d'une étrange opération, où par un phénomène inexplicable, les doigts se devraient multiplier…
Le cas de Mozart, claveciniste précoce, lequel ne pouvant assembler les notes d'un accord, imagina d'en faire une avec le bout de son nez, ne résout pas la question, et n'est peut-être dû qu'à l'imagination d'un compilateur trop zélé[note 2],[63] ?
Nos vieux Maîtres, — je veux nommer « nos » admirables clavecinistes — n'indiquèrent jamais de doigtés, se confiant, sans doute, à l'ingéniosité de leurs contemporains. Douter de celle des virtuoses modernes serait malséant.
Pour conclure : l'absence de doigté est un excellent exercice, supprime l'esprit de contradiction qui nous pousse à préférer ne pas mettre le doigté de l'auteur, et vérifie ces paroles éternelles : « On n'est jamais mieux servi que par soi-même ».
Cherchons nos doigtés !
C.D. »
Ces derniers mots inspirent à Vladimir Jankélévitch le commentaire suivant : « Cherchons nos doigtés ! écrit Debussy en tête de ses Douze Études pour piano. Ce qui revient à dire : débrouillez-vous ! Faites ce que vous pourrez. Il n'y a pas de tabous… Tout est permis, dès l'instant qu'une musique nouvelle est en jeu, qu'un message nouveau va être délivré[64] ».
André Boucourechliev y voit tout de même une mise en garde : « Les Études, si elles présupposent un grand pianiste, ne concèdent pas à l'interprète une marge de liberté qui lui serait propre, pour la bonne raison que cette liberté est déjà accaparée par le compositeur lui-même. Toute déviation à l'égard du texte risque de verser dans un romantisme auquel ce texte tourne le dos[56] ». De fait, dans ses Études, « Debussy ne se raconte pas. Au contraire, il nous offre à voir un monde de formes et de couleurs en mouvement. Sa toile est l'espace sonore autour de l'instrument[65] ».