Adolf Hitler
dictateur et homme d'État allemand, chef du parti nazi, Führer et chancelier du Troisième Reich / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Cher Wikiwand IA, Faisons court en répondant simplement à ces questions clés :
Pouvez-vous énumérer les principaux faits et statistiques sur Adolf Hitler?
Résumez cet article pour un enfant de 10 ans
Adolf Hitler ([ˈadɔlf ˈhɪtlɐ][n 1] Écouter) est un idéologue et homme d'État allemand, né le à Braunau am Inn en Autriche-Hongrie (aujourd'hui en Autriche et toujours ville-frontière avec l’Allemagne) et mort par suicide le à Berlin. Fondateur et figure centrale du nazisme, il arrive au pouvoir en Allemagne en 1933, instaure une dictature totalitaire, impérialiste, antisémite, raciste et xénophobe désignée sous le nom de Troisième Reich, et se trouve à l'origine de la Seconde Guerre mondiale lors de laquelle son régime perpètre de nombreux crimes et en particulier la Shoah.
« Hitler » redirige ici. Pour les autres significations, voir Hitler (homonymie).
Ne doit pas être confondu avec Adolf Hitler Uunona.
Adolf Hitler | ||
Portrait photographique d’Adolf Hitler en 1938. | ||
Fonctions | ||
---|---|---|
Führer du Reich allemand | ||
– (10 ans, 8 mois et 28 jours) |
||
Élection | Transfert des fonctions de chef de l'État à la suite de la mort de Paul von Hindenburg[1] Ratifié par plébiscite le |
|
Chancelier | Lui-même | |
Prédécesseur | Paul von Hindenburg (président du Reich) | |
Successeur | Karl Dönitz (président du Reich) | |
Chancelier du Reich | ||
– (12 ans et 3 mois) |
||
Président | Paul von Hindenburg Lui-même |
|
Gouvernement | Hitler | |
Prédécesseur | Kurt von Schleicher | |
Successeur | Joseph Goebbels | |
Biographie | ||
Date de naissance | ||
Lieu de naissance | Braunau am Inn, Archiduché de Haute-Autriche (Autriche-Hongrie) | |
Date de décès | (à 56 ans) | |
Lieu de décès | Berlin (Allemagne) | |
Nature du décès | Suicide | |
Nationalité | Autrichienne (1889-1925) Apatride (1925-1932) Allemande (1932-1945)[2] |
|
Parti politique | NSDAP | |
Père | Alois Hitler | |
Mère | Klara Pölzl | |
Fratrie |
|
|
Conjoint | Eva Braun | |
Religion | Cf. Conceptions religieuses | |
|
||
|
||
Chanceliers d'Allemagne Chefs de l'État allemand |
||
modifier |
Établi à Vienne puis à Munich, il tente en vain de devenir artiste, en autodidacte puisqu'il échoue aux Beaux-Arts. Bien qu'ayant tenté de se soustraire à ses obligations militaires, il participe à la Première Guerre mondiale au sein des troupes bavaroises. Après-guerre, il rentre à Munich où il mène une vie assez attentiste dans cette époque troublée, avant d'adhérer au Parti ouvrier allemand (DAP, qui deviendra NSDAP, le parti nazi, en 1920). Il s'impose par ses talents d'orateur à la tête du mouvement en 1921 et tente en 1923 un coup d'État qui échoue. Il met à profit sa courte peine de prison pour rédiger le livre Mein Kampf dans lequel il expose ses conceptions racistes et ultranationalistes.
Dans les années 1920, dans un climat de violence politique, il occupe avec le parti nazi une place croissante dans la vie publique allemande, les scores duquel s'améliorant à chaque élection. Alors que la Grande Dépression fait rage, il se présente à la présidentielle de 1932 contre Hindenburg, qui est réélu. Hitler est nommé un peu plus tard chancelier, le , après des élections législatives qui ont pourtant vu baisser le score du parti nazi. Son gouvernement met très rapidement en place les premiers camps de concentration destinés à la répression des opposants politiques (notamment socialistes, communistes et syndicalistes). En , après une violente opération d’élimination physique d’opposants et rivaux — connue sous le nom de nuit des Longs Couteaux — et la mort du vieux maréchal Hindenburg, président du Reich, il est plébiscité chef de l'État. Il porte dès lors le double titre de « chancelier du Reich » et de « Führer » (guide), saborde la république de Weimar et met fin à la première démocratie parlementaire en Allemagne. La politique qu'il conduit est pangermaniste, antisémite, revanchiste et belliqueuse. Son régime adopte en 1935 une législation anti-juive et les nazis prennent le contrôle de la société allemande (travailleurs, jeunesse, médias et cinéma, industrie militaire, sciences, etc.).
L'expansionnisme du régime conduit l'Allemagne dans l'invasion de la Pologne en 1939, fait générateur du volet européen de la Seconde Guerre mondiale. L'Allemagne connaît d'abord une période de victoires militaires et occupe la majeure partie de l'Europe, mais elle est ensuite repoussée sur tous les fronts, puis envahie par les Alliés : à l'Est par les Soviétiques, à l'Ouest par les Anglo-Américains et leurs alliés, dont des forces issues des pays occupés par l'Allemagne. Au terme d'une guerre totale ayant atteint des sommets de destruction et de barbarie, Hitler, terré à Berlin dans son bunker, se suicide alors que la capitale du Reich en ruines est investie par les troupes soviétiques.
Le Troisième Reich, qui, selon Hitler, devait durer « mille ans », n'en a duré que douze mais a provoqué la mort de dizaines de millions de personnes et la destruction d'une grande partie des villes et des infrastructures en Europe. L'ampleur sans précédent des massacres — commis par les Einsatzgruppen puis dans les centres d'extermination de masse — comme le génocide des Juifs européens et des Tziganes, la mort par la faim de millions de civils soviétiques ou l'assassinat des personnes handicapées, auxquels s'ajoutent les innombrables exactions contre les populations civiles, le traitement inhumain des prisonniers de guerre soviétiques ou encore les destructions et les pillages dont il est responsable, ainsi que le racisme radical singularisant sa doctrine et la barbarie des sévices infligés à ses victimes, valent à Hitler d'être jugé de manière particulièrement négative par l'historiographie et la mémoire collective. Sa personne et son nom sont considérés comme des symboles du mal absolu.
Selon Le Petit Robert des noms propres[3], « Hitler » est une variante de « Hüttler », de l'allemand Hüttle signifiant « petite cabane » (peut avoir désigné un homme vivant près d'une cabane ; en Bavière, désignait un charpentier).
Hitler porte le nom du beau-père de son père Alois, Johann Georg Hiedler, sous une orthographe différente, mais la prononciation est très proche. Ce dernier a épousé la grand-mère de Hitler, Maria Anna Schicklgruber, après la naissance d'Alois, sans que l'on sache s'il en était le père. Alois a été déclaré à l'état civil sous le nom de sa mère, avec la mention fils illégitime, et a adopté plus tard le nom de son beau-père, sous la forme Hitler[4],[5].
Hitler fut baptisé Adolphus Hitler[6]. Au XIXe siècle, Adolf est un prénom fréquent dans les pays germanophones et scandinaves.
Selon la fiche signalétique établie par les renseignements français en 1924, le second prénom de Hitler serait Jakob (Jacques, en allemand), mais cette fiche contient diverses erreurs grossières, dont la date et le lieu de naissance de Hitler, et rien ne corrobore la thèse d'un second prénom[7].
Origines et enfance
Les sources traitant des premières années d'Adolf Hitler sont « extrêmement lacunaires et subjectives ». Les fonds d'archives, les témoins et Hitler lui-même donnent des interprétations très différentes de cette période qui s'étale de 1889 à 1919[8]. De nombreux historiens se sont même penchés sur la possibilité d'une origine juive de Hitler, en concluant néanmoins à de simples rumeurs infondées.
Adolf Hitler naît le à 18 h 30 à Braunau am Inn, une petite ville de Haute-Autriche près de la frontière austro-allemande ; il est baptisé deux jours plus tard à l'église de Braunau[n 2]. Il est le quatrième enfant d'Alois Hitler (1837-1903) et de Klara Pölzl (1860-1907). Ses parents, unis par le mariage depuis le , sont originaires de la région rurale du Waldviertel, pauvre et frontalière de la Bohême.
En 1894, la famille Hitler déménage pour Passau du côté allemand de la frontière. Un an plus tard, Alois prend sa retraite et achète une petite ferme à Fischlham près de Lambach pour se consacrer à l'apiculture[8].
Adolf fait son entrée à l'école du village le . Son maître d'école, Karl Mittermaier, témoigne : « Je me souviens combien ses affaires de classe étaient toujours rangées dans un ordre exemplaire[10] ».
Au cours de l'été 1897, le patriarche décide de revendre sa ferme et installe sa famille à Lambach. Adolf devient élève au monastère du village où ses résultats restent bons. Il y devient enfant de chœur[n 3]. En , Alois acquiert, dans le village de Leonding, une maison à proximité de l'église et du cimetière. Selon des témoins de l'époque, Adolf est un enfant qui aime le grand air et jouer aux cow-boys et aux Indiens comme de nombreux enfants de son âge[n 4]. Sa sœur Paula déclarera à ce sujet : « Quand on jouait aux Indiens, Adolf faisait toujours le chef. Tous ses camarades devaient obéir à ses ordres. Ils devaient sentir que sa volonté était la plus forte[12] ».
Les relations père-fils
À l'âge de 11 ans, en , Adolf Hitler est inscrit par son père Alois à la Realschule de Linz à quatre kilomètres au nord-est de Leonding. Ses résultats scolaires s'effondrent alors. Il finit par redoubler, le conflit entre Adolf et son père devient inévitable[13]. En effet, le père veut que son fils devienne fonctionnaire comme lui, alors que le jeune garçon souhaite devenir artiste-peintre[n 5].
« Pour la première fois de ma vie, je pris place dans l'opposition. Aussi obstiné que put l'être mon père pour réaliser les plans qu'il avait conçus, son fils ne fut pas moins résolu à refuser une idée dont il n'attendait rien. Je ne voulais pas être fonctionnaire. Ni discours, ni sévères représentations ne purent réduire cette résistance. Je ne serai pas fonctionnaire, non, et encore non ! »
— Adolf Hitler, Mein Kampf, 1925[16].
Le , Alois Hitler succombe à une crise cardiaque, un verre de vin à la main, dans la brasserie Wiesinger à Leonding[n 6]. C'est un véritable tournant dans la vie du jeune Hitler. Mais les spécialistes sont divisés sur le sentiment de Hitler vis-à-vis de la mort de son père[n 7].
La fin de l'école
Klara, devenue veuve, devient de fait la tutrice d'Adolf et de Paula Hitler âgés respectivement de quatorze et sept ans. Elle reçoit une aide de l'État de 600 couronnes et mensuellement la moitié de la pension de son défunt mari (soit 100 couronnes) puis 20 couronnes par enfant scolarisé. Son fils porte toujours la photographie de sa mère sur lui[19]. Au printemps 1903, Klara place Adolf en pension à Linz afin qu'il réussisse dans ses études. Léopold Pötsch, son professeur d'histoire, est un partisan du pangermanisme mais aucun document ne peut attester un militantisme nationaliste de la part d'Adolf Hitler à cette époque. En revanche, il baigne dans une société autrichienne d'esprit pangermaniste[n 8]. Voici le portrait du collégien Hitler qu'en brosse son professeur principal lors du procès du putsch en 1923 :
« Il était incontestablement doué, quoique d'un caractère buté. Il avait du mal à se maîtriser, ou passait du moins pour un récalcitrant, autoritaire, voulant toujours avoir le dernier mot, irascible, et il lui était visiblement difficile de se plier au cadre d'une école. Il n'était pas non plus travailleur, car sinon […] il aurait dû parvenir à des résultats bien meilleurs. Hitler n'était pas simplement un dessinateur qui avait un beau brin de crayon, mais il était capable aussi, à l'occasion, de se distinguer dans les matières scientifiques […]. »
— Eduard Huemer, 1923[21].
À la rentrée scolaire de l'année 1904, pour une raison obscure, Hitler quitte l'école de Linz pour l'établissement de Steyr à quarante-cinq kilomètres de là. Ses résultats scolaires ne s'améliorent pas et il ne termine pas sa troisième. Il prétexte une mauvaise santé, simulée ou exagérée, et finit par abandonner définitivement l'école[22]. De ces années 1904-1905, le seul document authentique connu est un portrait de Hitler fait par son camarade Sturmlechner. On y distingue « un visage maigre d'adolescent avec un duvet de moustache et l'air rêveur »[23].
Vie de bohème (1907-1913)
Parcours à Vienne
Au cours de l'été 1905, Klara Hitler vend la maison de Leonding pour s'installer en famille dans un appartement loué dans le centre de Linz au 31 de la Humboldtstrasse. Adolf reçoit de sa tante Johanna un peu d'argent de poche, qu'il utilise pour aller au cinéma et au théâtre. Il y rencontre, en , un apprenti tapissier : August Kubizek, passionné de musique[24]. À en croire son ami, bien que sans emploi, Hitler se comporte en véritable « dandy » : fine moustache, manteau et chapeau noirs et canne au pommeau d'ivoire[n 9]. Il boit de l'alcool, fume beaucoup et adhère à l'Association des amis du musée de Linz. En , sa mère lui offre un séjour à Vienne où il assiste à deux opéras de Richard Wagner : Tristan et Le Hollandais volant. Il contemple la capitale impériale qui à la fois le fascine et le met mal à l'aise : l'empereur François-Joseph représente à ses yeux le symbole du vieillissement de l'Empire. Il finit par revenir à Linz début juin[n 10]. Ses discussions avec Kubizek lui donnent envie de devenir compositeur ; il convainc sa mère d'entamer des études de musique avant d'abandonner rapidement.
En , le médecin de famille, le docteur Eduard Bloch, examine Klara et diagnostique une tumeur qui est opérée. Diminuée physiquement, Klara déménage de son appartement pour un logement à l'extérieur de Linz à Urfahr. Adolf possède sa propre chambre tandis que Klara, Paula et Johanna, la tante de Hitler, se partagent les deux autres pièces[30]. Durant l'automne, il décide enfin de se présenter à l'examen d'entrée de l'Académie des beaux-arts de Vienne ; sa mère cède à contrecœur. Hitler est refusé ; son travail est jugé « insuffisant ». Il mentionne ultérieurement cet événement dans Mein Kampf de la sorte : « J'étais si persuadé du succès que l'annonce de mon échec me frappa comme un coup de foudre dans un ciel clair[31]. »
En octobre, le docteur Bloch déclare solennellement à la famille Hitler que l'état de Klara est irréversible : sa dernière volonté est de reposer aux côtés de son mari, Aloïs, à Leonding. Elle meurt le , à l'âge de 47 ans[n 11]. August propose à Hitler de passer les fêtes de Noël avec sa famille, mais celui-ci décline l'invitation. Selon le témoignage du docteur Bloch, « Klara Hitler était une femme simple, modeste et pleine de bonté. Grande, elle avait des cheveux bruns soigneusement tressés et un long visage ovale avec de beaux yeux gris bleu expressifs […]. Jamais je n'ai vu quiconque aussi terrassé par le chagrin qu'Adolf Hitler[n 12]. »
Lorsqu'il était revenu à Linz au chevet de sa mère mourante, il n'avait pas osé lui avouer son échec à l'École des Beaux-Arts. Âgé de dix-neuf ans, Adolf Hitler est désormais un jeune homme mesurant 1,72 m et pesant 68 kilos. Entêté, il décide qu'il sera artiste peintre ou architecte et retente l'examen d'entrée à Vienne. Apparemment, à cette époque, Hitler n'est pas vraiment un nationaliste fanatique comme il le prétend dans Mein Kampf. En effet, pourquoi rejoindre une ville cosmopolite comme Vienne, aux nombreuses nationalités, plutôt que de rejoindre directement l'Allemagne[n 13] ? Vienne représente à ses yeux un défi, une porte vers une ascension sociale. Hitler est subjugué par les représentations de Felix Weingartner puis de Gustav Mahler à l'Opéra[35]. Depuis 1897, Vienne est dirigée par Karl Lueger (1844-1910), le fondateur du parti chrétien-social. Le maire est violemment antisémite et rassemble une bonne partie de l'électorat catholique[36].
Le second échec aux Beaux-Arts
Au cours du printemps 1908, August Kubizek rejoint Hitler à Vienne, où celui-ci loue un piano à queue pour parfaire ses gammes. Selon son témoignage, Hitler se prive régulièrement de nourriture afin de se rendre plusieurs fois au théâtre ou à l'Opéra. Il prétend également que Hitler ne s'intéresse guère aux filles excepté une jeune bourgeoise prénommée Stefanie[n 14]. Appelé par le service militaire, le musicien rentre à Linz en juillet. Durant l'été, Hitler rompt les liens à la fois avec Kubizek et avec le reste de sa famille résidant à Spital[n 15].
En , l'École des Beaux-Arts recale 96 élèves dont Adolf Hitler, qui « n'a pas été autorisé à passer l'épreuve ». Non pas qu'il soit mauvais dessinateur mais parce qu'il ne travaille pas assez, il est incapable de se soumettre à une discipline[39]. Il déménage en rue Felbert, puis rue Sechshauser et enfin rue Simon-Denk. Faute d'argent, il est mis à la rue[40].
Le marginal
Les registres de police de Vienne indiquent qu'à partir du , Hitler est domicilié dans un foyer pour hommes, au 27 de la rue Meldermann. Grâce à Reinhold Hanisch, un jeune homme de cinq ans son aîné, qu'il a rencontré quelques mois plus tôt dans un foyer d'accueil pour sans-abris, Hitler gagne un peu d'argent en déblayant la neige ou en portant les valises des voyageurs encombrés de la gare de l'Ouest (Westbahnhof)[41]. Il se nourrit alors d'une soupe le matin et d'un croûton de pain le soir.
Selon Mein Kampf, il aurait été manœuvre et aide-maçon mais aucun document ne le prouve. Certains témoins — dont Hanisch — insistent sur l'oisiveté de Hitler qui refuse de travailler. Grâce aux cinquante couronnes envoyées par sa tante Johanna, il fait l'acquisition du matériel d'artiste-peintre : Hanisch se charge de vendre les peintures de Hitler en format carte postale[n 16],[n 17]. Le , Angela Raubal réclame au tribunal de Linz la pension de Hitler afin d'élever dignement Paula, ce qu'il doit accepter malgré lui[44].
Antisémitisme et aryosophie
Après avoir touché le fond au cours de l'hiver 1909[n 18], le marginal Hitler vit toujours en 1912 de ses peintures vendues dans la rue. Selon Jacob Altenberg, l'un de ses marchands d'art juifs, « il avait pris l'habitude de se raser […], il se faisait régulièrement les cheveux et portait des vêtements qui, pour être vieux et usés, n'en étaient pas moins propres[46]. » Hitler participe aux débats politiques qui éclatent dans le foyer. Deux sujets le mettent hors de lui : le parti social-démocrate et la Maison de Habsbourg-Lorraine[47]. Aucun témoin ne fait état de propos antisémites de sa part. Selon Mein Kampf, il serait devenu antisémite à son arrivée à Vienne :
« Un jour que je traversais la vieille ville, je rencontrai tout à coup un personnage en long caftan avec des boucles de cheveux noirs. Est-ce là aussi un Juif ? Telle fut ma première pensée. À Linz, ils n'avaient pas cet aspect-là. »
— Adolf Hitler, Mein Kampf, 1925[48].
Cet antisémitisme soudain est contredit par diverses sources. Kubizek affirme que son ami était déjà « farouchement antisémite » en arrivant à Vienne mais de nombreuses anecdotes qu'il rapporte sont clairement douteuses. Selon Reinhold Hanisch, travailleur autrichien qui l'a côtoyé à l'époque, Hitler ne serait devenu antisémite que « plus tard » ; ce témoin insiste ainsi sur l'amitié entre le futur Führer et Joseph Neumann, un jeune Juif rencontré au foyer viennois pour hommes de la rue Meldermann. Toutefois, Ian Kershaw doute de la véracité des dires de Hanisch : selon l'historien, Hitler est bel et bien antisémite lors de son séjour viennois, mais il s'agit d'une « haine personnalisée » et intériorisée tant qu'il a besoin des Juifs pour vivre. Il semblerait donc, mais sans réelle preuve, que son antisémitisme exacerbé ne soit apparu qu'à la fin de la guerre en 1918-1919, lorsqu'il « rationalis[e] sa haine viscérale en une vision du monde »[n 19].
Outre des brochures antisémites, Hitler lit alors très probablement la revue Ostara de Jörg Lanz von Liebenfels : selon Nicholas Goodrick-Clarke, « l'hypothèse d'une influence idéologique de Lanz sur Hitler peut être acceptée » ; ce dernier aurait « assimilé l'essentiel de l'aryosophie de Lanz : le désir d'une théocratie aryenne prenant la forme d'une dictature de droit divin des Germains aux cheveux blonds et aux yeux bleus sur les races inférieures ; la croyance dans une conspiration, continue à travers l'histoire, de ces dernières contre les héroïques Germains, et l'attente d'une apocalypse dont serait issu un millénium consacrant la suprématie mondiale des Aryens[50] ». Ian Kershaw, pour sa part, pense également que la revue figurait parmi les lectures courantes de Hitler à cette époque, mais conclut plus prudemment sur la nature précise de l'influence de Lanz sur ses convictions[51]. Il est en revanche improbable que Hitler ait connu alors l'aryosophe Guido von List et, s'il a pu être attiré par les aspects politiques de la pensée de List les plus similaires à celle de Lanz, il n'a jamais manifesté d'intérêt pour ses théories occultistes[52].
La vie à Munich
Au printemps 1913, Adolf Hitler caresse l'espoir d'aller étudier à l'Académie des beaux-arts de Munich. Pour ses vingt-quatre ans, il attend la perception de son héritage paternel, de 819 couronnes[n 20]. De plus, ayant omis de s'inscrire en 1909 pour effectuer son service militaire, il pense à présent que l'administration autrichienne l'a oublié et qu'il peut passer la frontière tranquillement. Le , habillé correctement, portant une valise et accompagné d'un homme, le commis Rudolf Häusler, il quitte le foyer pour la gare. En plus d'être une ville d'art, Munich lui paraît familière car elle est proche de sa région natale[54]. Arrivés sur place, Häusler et Hitler louent une chambre au 34 Schleissheim. Häusler montre ses papiers autrichiens, Hitler se déclare apatride[55].
En , Hitler reçoit l'ordre de se rendre au consulat d'Autriche dans les plus brefs délais pour rendre compte de sa désertion. Il explique qu'il se serait présenté à l'hôtel de ville de Vienne où il s'est fait enregistrer, mais que la convocation ne serait jamais arrivée. Qui plus est, il a peu de ressources et est affaibli par une infection. Le consul croit en sa bonne foi et le , Hitler est définitivement ajourné devant la commission militaire de Salzbourg. Pendant longtemps, la présence de Häusler aux côtés de Hitler à Munich sera gommée, car il est l'un des rares témoins à connaître le rappel à l'ordre de l'armée autrichienne à Adolf Hitler qui n'a toujours pas fait son service militaire. Hitler ne souhaitait pas dévoiler cet épisode embarrassant. En réalité, il avait fui l'Autriche en refusant de porter les armes pour les Habsbourg[56].
Comme à Vienne, Hitler vit de ses peintures. Il aime reproduire l'hôtel de ville, des rues, des brasseries, des magasins. Il vend chaque tableau entre cinq et vingt marks, soit une centaine de marks par mois. Dans Mein Kampf, Hitler déclare avoir beaucoup lu et appris en politique à cette époque, mais aucun document ne le prouve. Peut-être fréquente-t-il les bars et les brasseries où il discute de politique[57].
Soldat pendant la Première Guerre mondiale
Le , l'archiduc François-Ferdinand, héritier du trône Austro-Hongrois, est assassiné à Sarajevo par un étudiant serbe. Le , la mobilisation générale est proclamée à Berlin. Le roi de Bavière, Louis III, envoie un télégramme à Guillaume II pour l'assurer de son soutien militaire.
Août 1914
Le , au lendemain de la déclaration de guerre du Kaiser, des milliers de Munichois se pressent sur l'Odeonsplatz pour applaudir le roi de Bavière. Une photographie immortalise l'événement et Hitler y figure[n 21]. Dans Mein Kampf, il se déclare heureux de partir en guerre. C'est pourtant oublier qu'il a tenté de se dérober à l'armée autrichienne quelques années plus tôt. D'après son livret militaire, il ne se serait présenté que le au bureau de recrutement. Il est définitivement incorporé le comme « volontaire » dans le 1er bataillon du 2e régiment d'infanterie de l'armée bavaroise. Le départ du 16e régiment d'infanterie de réserve bavarois (régiment List, du nom de son colonel, Julius von List[59]), dans lequel il vient d'être incorporé pour le front est fixé au . Le train atteint la frontière belge le puis arrive à Lille le 23[n 22].
Combats
Le soldat Hitler connaît son baptême du feu le à Kruiseyck, lors de l'assaut de Geluveld, près d'Ypres[61]. Au , son bataillon est décimé : sur 3 600 hommes, 611 seulement restent opérationnels. Après seulement quelques jours en première ligne, il est affecté comme estafette le . Le précédent, il était nommé gefreiter, ce qui ne correspond pas, comme le proposent divers historiens, au grade de caporal[n 23] mais à celui de Première classe, sans prérogative de commandement sur d'autres soldats[63]. Pour récompenser son courage (pour avoir ramené à l'abri, en compagnie de son coéquipier Anton Bachmann, le commandant du régiment, Philipp Engelhardt), Hitler est proposé par l'adjudant Gutmann à la décoration de la croix de fer de deuxième classe[n 24] (et il recevra la première classe en 1918). Il a la position d'estafette auprès de l'état-major de son régiment : il va chercher les ordres des officiers pour les transmettre aux bataillons. En période de calme relatif, l'estafette Hitler sillonne la campagne des environs de Fournes pour peindre des aquarelles[n 25].
En 1918, au campement, Hitler qui était dans les ordres du lieutenant von Tubeuf fit face Pour la première fois à Rudolf Hess lors de sa dernière mission en tant que fantassin.
Réputé pour son caractère difficile, il est néanmoins apprécié de ses camarades. Lui proposer de « coucher avec des Françaises » le met hors de lui, puisque cela serait « contraire à l'honneur allemand »[66]. Il ne fume pas, il ne boit pas, il ne fréquente pas les prostituées. Le soldat Hitler s'isole pour réfléchir ou lire[67]. Les quelques photographies connues de cette période présentent un homme pâle, moustachu, maigre et souvent à l'écart du groupe. Son véritable compagnon est son chien Foxl et un jour il s'angoisse à l'idée de ne pas le retrouver : « Le salaud qui me l'a enlevé ne sait pas ce qu'il m'a fait[68]. » Hitler est un véritable guerrier fanatique, aucune fraternité, aucun défaitisme ne doivent être tolérés. Il écrit :
« Chacun d'entre nous n'a qu'un seul désir, celui d'en découdre définitivement avec la bande, d'en arriver à l'épreuve de force, quoi qu'il en coûte, et que ceux d'entre nous qui auront la chance de revoir leur patrie la retrouvent plus propre et purifiée de toute influence étrangère, qu'à travers les sacrifices et les souffrances consentis chaque jour par des centaines de milliers d'entre nous, qu'à travers le fleuve de sang qui coule chaque jour dans notre lutte contre un monde international d'ennemis, non seulement les ennemis extérieurs de l'Allemagne soient écrasés, mais les ennemis intérieurs soient aussi brisés. Cela aurait plus de prix à mes yeux que tous les gains territoriaux. »
— Adolf Hitler, lettre à Ernst Hepp, 5 février 1915[48].
Blessures
Le , un obus explose dans l'abri des estafettes : Hitler est blessé à la cuisse gauche. Il est soigné à l'hôpital de Beelitz près de Berlin. Après quelque temps au bataillon de dépôt, il demande à rejoindre son régiment ; le , il arrive à Vimy[n 26]. A la fin du mois de , son régiment obtient deux semaines de permission, Hitler part pour Berlin. Dans la nuit du au 14, au lieu-dit La Montagne à Wervicq-sud[70], il est gravement gazé. Il est envoyé à l'hôpital de Pasewalk en Poméranie. Lors du procès à Munich en 1923, il explique :
« C'était une intoxication par l'ypérite, et pendant toute une période j'ai été presque aveugle. Après, mon état s'est amélioré, mais en ce qui concerne ma profession d'architecte je n'étais plus qu'un estropié complet, et je n'aurais jamais cru que je pourrais un jour lire de nouveau un journal. »
— Adolf Hitler, procès de Munich (1923)[n 27]
Alors que l’Allemagne est sur le point de capituler, la révolution gagne Berlin et la Kaiserliche Marine se mutine. Le Kaiser Guillaume II abdique et se réfugie aux Pays-Bas. Le socialiste Philipp Scheidemann proclame la République. Deux jours plus tard, le nouveau pouvoir signe l’armistice de 1918.
Le séjour de Hitler à Pasewalk est un tournant dans sa vie. Il raconte dans Mein Kampf qu'étant incapable de lire les journaux, c'est par un pasteur venu l'annoncer aux convalescents qu'il apprend le la nouvelle de l'instauration d'une république en Allemagne. En larmes, il s'enfuit, dit-il, vers le dortoir : il se dit alors comme « frappé par la foudre » puis saisi d'une « révélation »[n 28]. De son lit d’hôpital, alors qu'il a retrouvé l'usage de ses yeux, Hitler est anéanti par cette annonce et redevient aveugle. Il affirme dans Mein Kampf y avoir eu une vision patriotique et avoir sur le coup « décidé de faire de la politique ». Un mythe s'est construit sur cette « cécité hystérique » soignée par le médecin psychiatre Edmund Forster, spécialiste des névroses de guerre, qui aurait entrepris une hypnothérapie sur Hitler à la suite de laquelle se seraient structurées la paranoïa, la psychose et la vision patriotique du futur Führer[73], éléments invérifiables car le rapport médical de Hitler a disparu et le docteur Forster, surveillé par la Gestapo, s'est suicidé en 1933[74].
Attentisme
Hitler arrive à Munich le . Sans famille, sans travail et sans domicile, sa préoccupation est de rester dans l'armée. Le , il part pour le camp de prisonniers de Traunstein dans le sud de la Bavière comme gardien militaire. Puis, le camp est supprimé, le soldat Hitler est renvoyé dans sa caserne le et arrive à Munich autour du [75]. À Munich, les combats de rue s'intensifient, les ouvriers en armes défilent dans la ville et Kurt Eisner, le premier Ministre de Bavière, est assassiné en pleine rue par un étudiant nationaliste. « Homme de confiance » de son état-major, Hitler est nommé en avril à la tête de la commission d'enquête de son régiment sur les événements révolutionnaires. Mais, comme le fait remarquer L. Richard, contrairement à ce qu'il déclare dans Mein Kampf, l'armistice n'a pas été pour lui la « révélation » politique de sa vie. Il ne s'est pas précipité au-devant des événements mais a profité de sa proximité avec les officiers. Il n'a pris aucun engagement politique particulier (ni Freikorps ni garde civique bavaroise). Le soldat Hitler d'alors n'est pas un militant dynamique, ni un fanatique antisémite ; c'est un adepte de l'attentisme[76].
Toute sa vie, Hitler adhère au mythe du « coup de poignard dans le dos », diffusé par la caste militaire, selon lequel l'Allemagne n'aurait pas été vaincue militairement, mais trahie de l'intérieur par les Juifs, les forces de gauche, les républicains. Jusqu'à ses derniers jours, le futur maître du Troisième Reich reste obsédé par la destruction totale de l'ennemi intérieur. Il veut à la fois châtier les « criminels de novembre », effacer et ne jamais voir se reproduire cet évènement traumatique, à l'origine de son engagement en politique.
Un héros de propagande
L’image du combattant héroïque de la Grande Guerre façonnée par Hitler dans Mein Kampf puis par la propagande nazie de la fin des années 1920 fait l’objet en 2011 d’une étude approfondie par l'historien Thomas Weber, appuyée sur les archives du régiment List dont l'histoire officielle a été publiée en 1932. Dans son ouvrage La Première Guerre d'Hitler[77], il conclut à une large part de mystification, notamment due aux récits hagiographiques de Hans Mend et de Balthasar Brandmayer. Son régiment avait une très médiocre valeur militaire (unité peu entraînée, mal équipée, composée pour l'essentiel de paysans démotivés[78],[79]) et n’a pas été engagé dans des combats décisifs. Hitler lui-même et la propagande auraient brodé par la suite sur l’image de l’estafette héroïque en première ligne, or Hitler a une mission d'estafette de régiment transportant les dépêches quelques kilomètres derrière la ligne de front et non d'estafette de bataillon ou de compagnie[79]. Hitler aurait surtout été attaché à conserver son affectation auprès du commandement de son régiment, qui lui permettait de se tenir aussi protégé que possible des dangers de la ligne de front.
Une expérience fondatrice contestée
Thomas Weber insiste également sur les incohérences entre ce que révèle son étude à partir des sources disponibles sur le « régiment List » (notamment les lettres et cartes expédiées par le soldat Hitler[80]) et l’image propagée par Hitler lui-même selon laquelle la Première Guerre mondiale aurait été pour lui un événement idéologiquement et politiquement décisif. S'opposant fortement aux conclusions antérieures de l'historien australien John Williams[81], il relève que « si cette approche était fondée, Hitler devrait être le personnage principal de cette histoire régimentaire de 1932 et non une figure fugace d'arrière-plan, cantonnée à un rôle presque insultant de second couteau[82] » et conclut qu’à l’issue de la guerre, « son atterrissage dans les rangs ultranationalistes et contre-révolutionnaires semble avoir été dicté par des considérations de pur opportunisme autant que par de solides convictions »[83].