Anna Livia Plurabelle
composition musicale écrite par André Hodeir / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Anna Livia Plurabelle est une œuvre d'André Hodeir pour orchestre de jazz et deux voix de femmes, écrite en 1965-1966, sur un extrait du roman de James Joyce Finnegans Wake. L'œuvre est d'une durée approximative de 53 minutes.
Sortie | 1966 |
---|---|
Enregistré |
2-12 juin 1966 ORTF |
Durée | 53 minutes |
Genre | Jazz |
Format | Œuvre radiophonique |
Compositeur | André Hodeir |
Initialement écrite comme une œuvre radiophonique pour le Prix Italia, elle a plus tard donné naissance à un disque 33 tours, plusieurs fois réédité. Devenue rare voire introuvable, l'œuvre est redevenue accessible grâce notamment à Patrice Caratini, sous la direction duquel elle fut réenregistrée en disque compact, au début des années 1990. La version originale radiophonique, en revanche, n'a jamais été publiée. Elle diffère des versions connues par le disque en ce qu'elle est bilingue, le premier tiers de l'œuvre étant en français.
Anna Livia Plurabelle sera suivi d'un second volet joycien, puisqu'André Hodeir écrira en 1972 une autre œuvre vocale, sur le monologue final de Finnegans Wake, intitulée Bitter Ending[1]. Si les deux œuvres sont parfois considérées comme constituant le diptyque joycien d'André Hodeir, elles forment néanmoins deux pièces distinctes et sont très différentes par leur effectif, Bitter Ending ayant été écrit pour un groupe de huit vocalistes (les Swingle Singers) et un quintette de jazz (trompette, saxophones alto et ténor, contrebasse et batterie), alors qu'Anna Livia Plurabelle est une œuvre pour orchestre de 23 musiciens et deux chanteuses solistes.
Circonstances
De Joyce au jazz : l’influence de Jean Paris
André Hodeir avait déjà écrit à la fin des années 1950 une pièce pour voix de soprano et orchestre de jazz intitulée Jazz cantata avec comme particularité la partie vocale intégralement écrite selon la technique du scat. Pour cette pièce, Hodeir avait inventé une langue imaginaire, n’ayant pas trouvé de texte à sa convenance. Il conservera de cette expérience une volonté de recréer une pièce vocale basée cette fois-ci sur un texte[2]. Jazz cantata peut donc être considérée comme ayant préfiguré Anna Livia Plurabelle. La composition d’Anna Livia Plurabelle s’amorce avec la découverte par André Hodeir, au début des années 1960, des écrits de Jean Paris, un professeur franco-américain de l’université de Baltimore spécialiste de James Joyce, sans doute le premier à voir des affinités entre l’auteur d’Ulysse et le jazz – comparant notamment « la prose de Finnegans Wake au scat chorus du jazz[3] ». « Il y a dans la prose de Joyce un petit côté qui ressemble à Ella Fitzgerald quand elle fait un scat chorus[4]», renchérira plus tard Hodeir. Pour Jean-Robert Masson, « l’usage que Joyce fait des allitérations, des mots contractés, du découpage rythmique de la phrase, en d’autres termes de ce caractère syncopé propre au jazz[5] » justifie en effet l’entreprise joycienne d’Hodeir.
Quant au choix particulier de l'épisode « Anna Livia Plurabelle » (conclusion de la première partie de Finnegans Wake), il est expliqué ainsi par le compositeur : « C'est le plus beau passage de Finnegans Wake. J'avais aussi dans l'oreille l'enregistrement que Joyce lui-même en a fait[4] ».
Si Hodeir s’intéresse tout particulièrement, en suivant Jean Paris, à la relation existant chez Joyce entre la langue littéraire et le scat, il s’intéresse également à la forme innovante de Finnegans Wake. Joyce s’est en effet inspiré de la théorie cyclique de l’histoire de Giambattista Vico (chaos, théocraties, aristocraties, démocraties, chaos, etc.), son roman se pensant comme « infini » car on peut « boucler » la fin et le début du livre – la dernière phrase, inachevée (« A way a lone a last a loved a long the »), s'enchaîne à la première phrase (« riverrun, past Eve and Adam’s, [...] ». Ce principe cyclique se retrouve dans Anna Livia Plurabelle d’André Hodeir sous la forme d’une « esthétique du glissement ». Le caractère musical que Joyce a voulu donner à la langue de Finnegans Wake a d’autre part pour but de rendre le roman « polyphonique » (polyphonie censée, selon Joyce « favoriser la compréhension proprement narrative du roman[6] »). Hodeir a transféré cet aspect du roman dans le caractère protéiforme de l’écriture musicale, avec une orchestration sans cesse changeante au fil des vingt-six « numéros » ou « pièces » de l’œuvre. Pour Anna Livia Plurabelle, Hodeir rêvait d’une « forme libre conçue comme une grande improvisation[7] », et Finnegans Wake s’avérait donc pour lui un terrain idéal : « De Joyce au jazz, la distance ne m’a pas paru infranchissable[2] », déclarera le compositeur.
Le Prix Italia : la commande radiophonique initiale
Le projet d’Anna Livia Plurabelle, cantate de 53 minutes pour vingt-trois musiciens et deux voix de femmes solistes (contralto et soprano), voit le jour par pure coïncidence grâce à Michel Philippot, connaissance de longue date d’André Hodeir puisqu’il avait notamment été l’ingénieur du son du premier disque du Jazz Groupe de Paris en 1954 :
« Michel Philippot, que je connaissais depuis longtemps, était devenu le responsable des commandes à France musique. Il m’a contacté en me disant : « Je voudrais que vous fassiez une pièce d’une longueur comprise entre quarante et soixante minutes, que nous pourrions faire concourir pour le prix Italia » (catégorie « Œuvres avec voix en stéréophonie »)[7] »
Le Prix Italia est un prix international organisé par la Rai ayant pour but de distinguer les programmes radiophoniques et télévisuels par leur innovation et leur qualité. Ce concours est pour Hodeir l’occasion d’obtenir une commande de la radio publique (ORTF) – commande sans laquelle une œuvre de cette dimension n’était pas concevable. Représentant la radio française, Hodeir avait néanmoins comme cahier des charges qu’une partie du texte soit obligatoirement en français, d’où l’utilisation de la seule publication (partielle) alors disponible en français de l’œuvre de Joyce.
Écrite et enregistrée pour l’ORTF, l’œuvre d’André Hodeir ne pourra finalement pas concourir pour le Prix Italia, car le règlement « stipulait que lorsqu'un pays était membre du jury dans une certaine catégorie, il ne pouvait pas présenter de candidat dans ladite catégorie[7] » – or la France était cette année membre du jury de la catégorie dans laquelle Anna Livia Plurabelle devait concourir. En dédommagement de ce préjudice, Hodeir obtiendra de la radio de pouvoir disposer de la bande de l’œuvre, afin d’en tirer un disque.
Principes de composition
Hodeir trouve dans le Finnegans Wake de Joyce une « sorte de réponse à ses questionnements formels[7] ».
« Sur le plan littéraire, j'aimais beaucoup cette œuvre. C'est le plus beau passage de Finnegans Wake. J'avais aussi dans l'oreille l'enregistrement que Joyce lui-même en a fait. Tout ça a contribué à une incitation. D'autre part, écrire une longue pièce comme ça, sur un texte n'est pas d'une évidence folle, vous n'allez pas choisir Lord Byron !... Et puis il y a un côté farfelu, irrationnel dans ce texte là qui collait assez bien avec le genre de musique que je voulais faire[4]. »
Jean-Robert Masson a quant à lui relevé le lien latent entre le « rêve architectonique, linéaire et rationnel d’Hodeir » et celui « d’éclatement syntaxique de Joyce[5] ». André Hodeir imaginait son œuvre Anna Livia Plurabelle comme se mettant au service du texte et s’est efforcé de reproduire au sein de son opéra miniature les principes d’écriture joyciens. Le « Stream of consciousness » de Joyce, comme l'indique John Lewis, trouve un équivalent musical chez Hodeir à travers le principe du glissement. Chez Joyce, le « principe de variation est l’effet du temps sur les choses elles-mêmes et sur la perception conséquemment toujours changeante que nous en avons[7] ». Ce glissement joycien va se traduire chez Hodeir par une « dérivation-amplification permanente d’un état du mot à un autre, d’un état du langage à un autre[7] ». Le glissement se retrouve partout dans Anna Livia : ainsi l’œuvre commence en français et se termine en anglais, débute dans l’atonalité et se termine dans le monde tonal, passe du parlé au chanté, du tempo marqué au tempo flou, de la couleur dure à la couleur douce et tous ces glissements figurent ainsi le mouvement des eaux. Hodeir va jusqu’à proposer un glissement stéréophonique en suggérant que les deux lavandières, comme le texte l’impose, enjambent la rivière.
« Le chef-d’œuvre d’Hodeir se caractérise par une série de glissements non concomitants. Il passe, d’une façon toute naturelle, de l’atonalité à la tonalité, du jour à la nuit, du français à l’anglais, de l’humour acide à un lyrisme extatique, de la lucidité à l’onirisme, d’une écriture contrapuntique à une écriture harmonique, de la puissance du grand orchestre à la délicatesse des petits ensembles, de la volubilité à la concision, du chant à la mélodie parlée, de la réalité au fantastique, du fait divers au mythe, de la transparence au mystère. [...] Il faut dire que le texte de Joyce se prêtait à cet art de métamorphose, à ces contrastes perpétuels[8]. »
« Invention radiophonique », « opéra miniature[9] », ou encore « cantate » ou « opéra de chambre[10] », Anna Livia Plurabelle a aussi été revendiquée par Hodeir comme une « expérience [...] de Free jazz composé[9] », car refusant de s’organiser selon des structures préétablies. « L’œuvre de jazz, comme l’homme, naît prématurée[11] », affirme Hodeir. Anna Livia Plurabelle, dit également Dominique Dumont, « existait avant d’être jouée [...] et le fait est assez rare pour une œuvre de jazz[12] ». En cela, Anna Livia Plurabelle illustre le statut paradoxal de l’œuvre chez Hodeir : à la fois œuvre de répertoire et œuvre de performance. Si la musique est selon lui contenue au cœur de la partition, elle est cependant dépendante de son époque et revêt alors un aspect différent selon le moment où elle est jouée :
« L’Histoire du jazz nous dit que le jazz est une musique qui vit sur une sensibilité d’époque, que les époques passent très vite, que les musiciens qui sont attachés à cette sensibilité d’époque passent très vite eux aussi, et que si l’on rate le moment idéal unique […] cette œuvre risque fort de n’être jamais jouée. […] L’Œuvre peut être gâtée, exactement comme un yaourt peut être gâté après une certaine date. Je crois que c’est profondément vrai. C’est cela, voyez-vous, la différence entre le compositeur de jazz et le compositeur tout court[13]. »
Argument
Anna Livia Plurabelle est le huitième chapitre – dit « des Lavandières » – de Finnegans Wake de Joyce. Paru en 1939, ce roman avait déjà été publié auparavant par fragments sous le titre Work in progress. Anna Livia Plurabelle constituait un « épisode autonome qui devait clore la première partie du futur Finnegans Wake[5] », selon Jean-Robert Masson, qui précise aussi :
« C'est évidemment la langue même (la langue mère) de Joyce, non le texte « francisé » de Soupault et de ses amis, qui a servi de trame nourricière à André Hodeir. L'auditeur curieux pourra constater, pièces en main, que, mises à part ces omissions et des contractions mineures exigées par la durée de l'œuvre musicale, c'est la totalité du texte d'ALP qui est passée par osmose dans la vaste fresque minutieusement conçue par l'auteur de la Jazz Cantata[5] »
Contrairement au disque ayant révélé l’œuvre, intégralement en langue anglaise, la version originale (radiophonique), bilingue français-anglais, montre néanmoins que Hodeir s’est appuyé non seulement sur le texte original de langue anglaise mais aussi sur la traduction française publiée en 1962, avec une introduction de Michel Butor et une note sur la traduction de Philippe Soupault, qui influença, contrairement à ce qu'avança Jean-Robert Masson, beaucoup Hodeir, autant dans sa lecture du texte joycien que dans ses principes de composition :
« Pour chaque épisode et pour chaque partie de son Œuvre en marche [Work in Progress], James Joyce adopte une catégorie de noms qui devra donner à cet épisode et à cette partie le ton, au sens musical du terme. Pour Anna Livia Plurabelle ce sont les noms des fleuves qu'il faut entendre. Dans presque toutes les phrases un mot rapport le nom d'un cours d'eau ou d'une rivière. Ces mots chargés d'un sens double seront encore comme leurs voisins enrichis de significations, d'allusions, de rappels ou de nouvelles indications... Ils sont en quelque sorte taillés à facettes[14]. »
L'argument du texte de Joyce n'a donc rien d'un prétexte à composition musicale. Il a effectivement servi à André Hodeir de modèle, un modèle qu'il a suivi de façon très serrée, en ce que dans son adaptation musicale aussi, « le rythme du récit que soutiendra encore celui du langage est comparable au cours d'une rivière tantôt rapide, tantôt dormante, tantôt même marécageuse, puis molle près de son embouchure[14] ».
Si la pochette du premier disque, américain[15] fournissait à l'auditeur l'intégralité du texte utilisé par Hodeir, sous forme de livret, le disque français[16] de 1971 résume quant à lui l'argument d'Anna Livia Plurabelle comme suit – dans un texte signé Hodeir :
Livre de la Nuit. Dans cet étrange récit qui commence au milieu d'une phrase et s'achève au milieu d'une phrase – la même phrase –, l'irrationnel, l'inconscient forcent le langage à se démasquer. Des mots nouveaux surgissent, ambigus, révélateurs. Cette œuvre nocturne, à moitié vécue, à moitié rêvée, l'éclat du jour la traverse un moment. Au début du chapitre Anna Livia Plurabelle, une lumière mouillée efface les étoiles ; le soleil vient se refléter dans l'eau de la rivière – de toutes les rivières ; elles sont toutes là, leurs noms s'accouplent aux mots les plus simples ou les plus rares. C'est dans la jungle obscure de Finnegans Wake, une pause, un entracte que vont peupler les échos de l'histoire qu'une femme qui lave du linge au bord de l'eau arrache, bribe par bribe, à une autre lavandière. Les deux femmes, de part et d'autre de la Liffey lavent, comme l'a dit Hermann Broch « le linge sale de la ville ». Or la Liffey n'est pas seulement la rivière du Dublin : elle s'identifie aussi d'une certaine manière, à l'héroïne, Anna Liva Plurabelle, dont les faits et gestes nous sont ainsi narrés, sur le mode épique, tandis que le jour décline. L'histoire d'Anna Livia Plurabelle, c'est aussi celle de son mari, HCE : de sa chute (le péché originel), de sa déconsidération, de son exil social, de sa mélancolie, de son rachat, dû à l'action courageuse et vengeresse d'Anna Livia. Et puis le soir tombe, la rivière s'élargit, on n'entend plus très bien ce que se disent les blanchisseuses d'une rive à l'autre. Elle étendent le linge ; elles croient voir passer sur le fleuve l'ombre du grand Finn, personnage de la mythologie nordique. L'une d'elles est devenue un orme, l'autre, un rocher : un phare au loin, marque les limites du fleuve et de l'océan qui se rencontrent là depuis des temps immémoriaux. La rivière : ALP : l'océan : HCE « son père froid, son père fou et froid, son père furieux et fou et froid » qui lui ouvrira, à la dernière page du live, « ses terribles bras » avant que le cycle ne recommence. Extrait des notes de pochette du disque Anna Livia Plurabelle: Jazz on Joyce, 33t/30cm, Epic, EPC 64 695, 1971. |
Gérald Merceron synthétise également le livret ainsi :
« Au bord de la rivière Liffey, qui arrose Dublin, deux lavandières se racontent avec un luxe de détails la légende et l'histoire d’Anna Livia Plurabelle, l’héroïne qui lutta pour réhabiliter son mari. Au début du récit, nous sommes à la fin d’une journée : la rivière est étroite et les deux femmes peuvent aisément échanger questions et réponses. Mais plus le récit avance, plus la rivière s’élargit. Les deux femmes s’entendent de moins en moins : des mots s’égarent, puis ce sont des fragments de phrases de plus en plus longs. La nuit tombe et les lavandières se perdent dans l’obscurité envahissante : l’une se transforme en rocher, l’autre devient un tronc d’arbre. Tout s’efface dans le brouillard et le mystère[8] »
Autant de résumés qui doivent beaucoup à la synthèse de Philippe Soupault en introduction de la première traduction française de 1962.
Orchestration
On peut recenser deux nomenclatures différentes[n 1] pour Anna Livia Plurabelle. La première comprend la distribution complète de l’œuvre originale sous la direction du compositeur (enregistrement pour la radio). La seconde correspond à la distribution pour les recréations et le réenregistrement de l’œuvre, en 1992-1993, sous la direction de Patrice Caratini.
Instrumentation et distribution originale de l'œuvre[17] – Dir. André Hodeir / André Hodeir et son orchestre | Instrumentation et distribution pour la re-création de l’œuvre en 1992[7] (version de concert) et 1993[18] (enregistrement) – Dir. Patrice Caratini / Ensemble Cassiope |
Voix solistes | Voix solistes |
Soprano : Monique Aldebert Contre-alto: Nicole Croisille | Soprano : Valérie Philippin Contre-alto : Élizabeth Lagneau |
Bois | Bois |
Flûte : Raymond Guiot Clarinette 1 : Hubert Rostaing Clarinettes 2,3,4,5 et Saxophones 1,2,3,4 : Michel Portal, Pierre Gossez, Georges Grenu, Armand Migiani | Clarinette solo : Sylvain Frydman (1992), Philippe Leloup (1993) Flûte 1 : Enzo Gieco Flûte 2 : Denis Barbier Saxophone soprano – alto – ténor ; Clarinette 1 : Jean-Pierre Solvès Saxophone soprano – alto – ténor ; Clarinette 2 : Jean-Pierre Baraglioli Saxophone ténor ; Clarinette 3 : Antoine Bélec Saxophone baryton ; Clarinette 4 : Michel Trousselet Saxophone basse – Clarinette 5 : Bertrand Auger Saxophone sopranino – soprano ; Clarinette 6 : Georges Porte Saxophone ténor ; Clarinette 7 : Philippe Duchène Saxophone alto : Sylvain Beuf Saxophone ténor ; clarinette 8 : Michel Goldberg |
Cuivres | Cuivres |
Trompette 1 et Bugle : Roger Guérin Trompettes 2 et 3 : Maurice Thomas, Christian Bellest Trombones 1, 2 et 3 : Camille Verdier, Raymond Katarzinski, Christian Guizien | Trompette 1 : Philippe Slominski Trompette 2 : Bruno Krattli Trompette 3 et Bugle : Jean Gobinet Trombone 1 : Denis Leloup Trombone 2 : Jacques Bolognesi Trombone 3 : Éric Louis |
Percussions | Percussions |
Vibraphones 1 et 2 : Michel Lorin, Bernard Lubat | Vibraphones 1 et 2 : Philippe Macé, Christine Lagniel |
Cordes | Cordes |
Violon : Jean-Luc Ponty | Violon : Philippe Arrii-Blachette |
Section rythmique | Section rythmique |
Contrebasse : Pierre Michelot, Guy Pedersen (en alternance) Batterie : Franco Manzecchi, Roger Fugen, Christian Garros, Daniel Humair (en alternance) Guitare : Pierre Cullaz | Contrebasse : Jean Bardy Batterie : Jean-Pierre Arnaud Guitare : Marc Ducret |
Orchestre
Les parties d’orchestre sont enregistrées durant vingt « services », au studio 106 de l’ORTF, étalés sur dix jours, du 2 au 12 juin 1966. Il faut noter que l’orchestre qui enregistre Anna Livia Plurabelle n’est pas un orchestre constitué (même si la plupart des musiciens se connaissaient bien et avaient presque tous déjà enregistré pour Hodeir dans des répertoires antérieurs). Les musiciens entrent donc en studio sans avoir travaillé l’œuvre lors de répétitions préalables. Déchiffrage et mise en place des différentes pièces de l’œuvre ont lieu à la radio, et celles-ci sont enregistrées dans la foulée. D’où un planning d’enregistrement assez peu confortable, et très exigeant (assez peu de séances pour une musique complexe et de longue durée). Christian Bellest, trompettiste de l’orchestre et fidèle hodeirien, se souvient en 1972 :
« Les musiciens parisiens – et pas seulement les membres de l‘ancien Jazz Groupe de Paris – éprouvent des sentiments ambivalents lorsqu’il leur arrive d’être « invités » par André Hodeir à participer à un enregistrement ou à un concert. Ils savent que la musique qui s’étalera sur leur pupitre éveillera certainement leur intérêt, musical et instrumental. Ils savent aussi que l’exécution n’en sera probablement pas de tout repos[19]. »
L’enregistrement des vingt-six pièces d’Anna Livia Plurabelle se fait qui plus est dans le désordre, en fonctions des configurations instrumentales de chaque partie, ce qui fait que les musiciens n’ont pas la possibilité d’avoir une vision d’ensemble de l’œuvre. En l’occurrence, les premières séances sont consacrées à l’enregistrement des pièces de « l’acte nocturne » – celles de la fin, avec entre autres les deux vibraphones et la guitare. Or certains musiciens moins coutumiers de la musique d’André Hodeir, n’ayant pas bien pris la mesure de la musique qu’ils avaient à jouer, se retrouvent dans une position délicate, incapables d’interpréter leurs parties respectives, d’où un début d’enregistrement chaotique et préoccupant, comme s’en souvient le compositeur :
« La première séance a été catastrophique […] : il y avait Daniel Humair à la batterie, Guy Pedersen à la contrebasse, Hubert Rostaing à la clarinette, l'américain Jimmy Gourley à la guitare, ainsi que Michel Hausser et Bernard Lubat aux vibraphones. Nous avons occupé le studio pendant quatre heures pour n'enregistrer pas une seule minute de musique ; Hausser et Gourley étaient incapables de jouer leurs parties. Je leur avais bien sûr donné les partitions à l'avance, et ils m'avaient laissé croire qu'ils les joueraient… J'étais très embêté par rapport à la production. Mais ils devaient avoir l'habitude, puisqu'ils m'ont dit : « On va remplacer la séance ». J'ai cette fois convoqué Pierre Cullaz pour la guitare (qu'il a très bien jouée), tandis que Bernard Lubat m'avait proposé un de ses amis (Michel Lorin), capable de jouer la seconde partie de vibraphone. On a enfin pu enregistrer la totalité de ce qui était prévu ce jour-là. Mais j'avais eu un coup au cœur[7]. »
Suivent les parties en plus grande formation, lors de huit séances qui mobilisent surtout les saxophones et les cuivres (trompettes et trombones), et demandent une concentration extrême et un travail minutieux, comme le relate Christian Bellest :
« Le long morceau d’orchestre en tempo rapide de la fin de la face A [la pièce XIV] a demandé une mobilisation de toutes les ressources techniques du pupitre des saxes. Je me souviens qu’après une bonne demi-heure d’essai de mise en place, personne n’était satisfait. Aussi Pierre Gossez, Georges Grenu et Michel Portal se sont enfermés dans un studio voisin, et ils n’en sont sortis qu’après une parfaite mise au point du trio de ténors, extrêmement difficile dans ce tempo[19]. »
L’organisation des séances est compliquée par le fait qu’il y a rarement plusieurs pièces de même effectif (aucune en plein effectif), et par des contraintes de disponibilités et d’incompatibilités interpersonnelles entre certains musiciens, qui obligent Hodeir à composer avec une section rythmique « tournante », mobilisant deux contrebassistes et quatre batteurs différents.
Malgré tout, l’enregistrement de toutes les pièces se termine en temps voulu le 12 juin 1966, laissant les musiciens ayant participé à l’aventure extrêmement impressionnés, et désarçonnés aussi par une musique qu’ils ne découvriront au mieux que le 25 février 1968 – date de sa première diffusion sur les ondes –, avec des parties vocales dont ils ignoraient à peu près tout lors de l’enregistrement de l’orchestre. Ainsi Bernard Lubat se souvient-il, un an et demi après son passage en studio, de sa première écoute de l’enregistrement :
« Il y a quelques mois, j’ai eu à jouer l’œuvre qu’André Hodeir avait composée pour le prix Italia. C’était une partition merveilleuse, mais aussi affreusement difficile. Comme il ne m’avait pas envoyé les partitions, j’ai dû m’isoler pendant deux heures avant de jouer. […] Ce jour-là j’étais avec [Jean-Luc] Ponty et je crois qu’on a souffert autant l’un que l’autre, mais le résultat en valait la peine. J’ai écouté l’enregistrement il n’y a pas longtemps, c’est remarquable[20]. »
Si le résultat est, selon les termes de Bernard Lubat, « remarquable », c'est sans doute aussi en raison d'une prise de son particulièrement réussie, soignée, d'une grande lisibilité et d'une remarquable cohérence, prouesse pour cette œuvre si orchestralement hétérogène, due à l'ingénieur du son Jacques Boisse, assisté de Philippe Pélissier.
Voix
Les deux vocalistes d'Anna Livia Plurabelle ont été choisies de façon à former un contraste important permettant de bien distinguer symboliquement les deux lavandières. Les deux voix sont des voix de jazz, mais la voix de soprano prend régulièrement des accents lyriques qui demandent une tessiture généralement peu utilisée en jazz, tandis que la voix de contralto nécessite d'être plus chaude et plus intérieure, avec de fréquentes restitutions presque théâtrales du texte. Ce contraste fonctionne idéalement entre Monique Aldebert, qu'André Hodeir connaissait déjà de longue date[n 2], et Nicole Croisille, dont la voix alors voilée convient providentiellement, comme s'en souvient Hodeir :
« Elle m’a dit : “C’est terrible, je ne peux plus chanter, parce que j’ai un nodule, il faut qu’on m’opère. - Au contraire, je lui ai dit, c’est exactement ce que je veux, moi. Il ne faut pas que vous chantiez à pleine voix, surtout pas ! Vous allez susurrer, ça sera très bien comme ça[7]. »
Les parties vocales ont été enregistrées une fois l'intégralité des parties instrumentales enregistrées, donc en re-recording. Étant donné la virtuosité réclamée par la partition, il était trop périlleux d'enregistrer les voix et l'orchestre en même temps, comme l'explique Hodeir :
« Les chanteuses avaient tellement peur qu’elles m’avaient dit : « Si on enregistre avec l’orchestre, on risque de le faire recommencer sans arrêt, ça va durer trois mois ! » Donc on avait enregistré toutes les parties d’orchestre avant et elles ont chanté par-dessus. Heureusement, parce que pour certains numéros, elles ont fait vingt-cinq prises[7]. »
Monique Aldebert (soprano) et Nicole Croisille (contralto) enregistrent donc, dans le même studio 106 de l'ORTF, les 31 juin et 1er juillet 1966, après avoir assisté, vivement impressionnées, à bon nombre de séances des prises d'orchestre :
« Quand j’ai vu les « pointures » qu’il y avait dans le studio ! Et quand j’arrivais, que je les voyais répéter chacun dans leur petit coin avec leurs partitions, je me suis dit « Ah... pourquoi j’ai dit oui ?! » Je n’ai pas cessé de dire [à Hodeir] :« Je ne suis pas capable de faire ça, je ne suis pas une bonne lectrice... » Je l’ai obligé à faire des choses incroyables, il ne s’y attendait pas. Je lui ai demandé de me jouer mes partitions au piano au ralenti, avec le tempo et uniquement les notes. J’avais ça et le texte, et j’étais chez moi et je bûchais comme une folle. J’ai appris ça par cœur comme si c’était une langue étrangère que je ne comprenais pas ! [...] Quand je réécoute, je me demande comment je suis arrivée à faire ça[21] ! »
On peut raisonnablement parler de performance, concernant l'enregistrement des voix, comme l'explique Christian Bellest :
« Les parties chantées représentent quant à elles un exploit peu commun. Nicole Croisille et Monique Aldebert sont un peu fâchées avec le solfège : il leur a fallu apprendre par cœur, ou presque, la musique et le texte de Joyce avant de se présenter au studio ! S'il est facile d'apprendre, avec deux doigts sur le piano, une chanson à succès, on reste confondu par l'effort de mémoire qu'exige une musique aussi complexe. Si l'on ajoute à cela que l'orchestre ne joue pas à proprement parler le rôle d'accompagnateur, mais qu'il intervient continuellement dans les parties vocales, on imagine le tour de force accompli par les chanteuses[19]. »
La version anglaise
À la suite de la déconvenue du Prix Italia, pour lequel l'œuvre n'avait finalement pas pu concourir, André Hodeir s'emploie à trouver une façon de faire exister Anna Livia Plurabelle autrement que comme une œuvre radiophonique, en cherchant à en faire un disque. Il contacte pour ce faire John Lewis, éditeur des partitions d'André Hodeir (à travers la maison d'édition MJQ-Music Inc., dont Gunther Schuller était le directeur artistique) et fondateur du Modern Jazz Quartet pour lequel Hodeir a écrit à plusieurs reprises depuis 1958 :
« J'ai envoyé ensuite la bande franco-anglaise à John Lewis, en lui demandant s'il n'y avait pas moyen qu'il en fasse un disque que l'on publierait aux États-Unis. Il m'a dit : « Oui, ce serait très intéressant, mais ce ne sera jamais accepté, ou alors il faudrait refaire la première partie en anglais ». Je lui ai répondu que ce devait être négociable. Alors ils se sont arrangés avec la Radio française, et les deux filles sont revenues au studio réenregistrer en anglais ce qu'elles avaient chanté en français[7]. »
Le réenregistrement du premier tiers de l'œuvre (les pièces I à XIII) en langue anglaise aura lieu plus d'un an après l'enregistrement initial, les 16 et 17 octobre 1967, toujours dans le studio 106 de l'ORTF, et bien sûr avec les mêmes chanteuses. Le nouveau texte occasionne dans la partition un certain nombre d'ajustements syllabiques et prosodiques relativement bénins, dans la mesure où il s'agit presque intégralement des pièces déclamées et non chantées. Si la version anglaise a le mérite de reposer entièrement sur le texte original de Joyce, on peut estimer qu'elle perd un certain nombre d'effets de relation musique-texte qui étaient particulièrement lisibles dans la version originale bilingue – et d'autant plus pour un auditeur français.
C'est néanmoins la version anglaise (de 1967) qui s'est jusqu'ici imposée comme la version de référence : c'est elle qui donne naissance au disque trois fois réédité d'Anna Livia Plurabelle (1970 aux États-Unis, 1971 et 1981 en France), et c'est elle qui fait l'objet de la recréation de 1992 – et du disque de 1993-1994 qui en découlera.
Le premier contact scénique entre l’œuvre et le public date du 9 novembre 1966, pour un concert de l’orchestre d’André Hodeir à l’amphithéâtre de la Nouvelle Faculté de Droit dans le cadre des Semaines Musicales Internationales de Paris[22]. Au répertoire figurait la pièce X d’Anna Livia Plurabelle, seul extrait possiblement autonome de l’œuvre selon son compositeur, en version instrumentale. La pièce sera jouée trois fois à Paris sous cette forme, en excluant le texte et les voix (et donc tout rapport apparent avec Anna Livia Plurabelle). La version du 9 novembre 1966 a été enregistrée et diffusée sur France Inter en 1966 dans l’émission « Jazz sur scène ». La pièce X d’Anna Livia Plurabelle sera encore rejouée à deux occasions, pour la radio en 1967 et pour un Jazz Portrait d'Henri Renaud à la télévision en 1971[7].
Vingt-six ans après l’enregistrement, le violoniste Philippe Arrii-Blachette et son ensemble Cassiopée se lancent dans le projet ambitieux de monter l’œuvre pour la première fois devant un public en version de concert. Anna Livia Plurabelle est finalement créée sur scène le 19 mars 1992 au Centre national dramatique et chorégraphique de Brest (Le Quartz) par l’ensemble Cassiopée, sous la direction de Patrice Caratini, avec Valérie Philippin (mezzo-soprano) et Elizabeth Lagneau (contralto).
Elle est jouée par le même ensemble tout au long de l’année 1992. Séduite par la première représentation publique, Ingrid Karl, de la Wiener Musik Galerie, programme Anna Livia Plurabelle le 2 octobre lors du festival Incident in Jazz à Vienne, en Autriche. L’œuvre est alors jouée en seconde partie d’un programme consacré à Bob Graettinger et joué par le N.D.R. Big-Band, au Konzerthaus de Vienne. Anna Livia Plurabelle est interprétée une troisième fois le 31 octobre au studio 104 Olivier-Messiaen de la Maison de Radio France, lors du 13e Festival de jazz de Paris. Ce concert est enregistré et diffusé sur France Musique le 8 novembre 1992.
Elle est interprétée une dernière fois en public le 4 décembre 1992 à l’Arsenal de Metz.
Dans la foulée de ces concerts, Anna Livia Plurabelle est finalement réenregistrée du 16 au 20 septembre 1993, puis 25 au 30 octobre, au studio 104 Olivier-Messiaen de la Maison de Radio France à Paris, par l’ensemble Sillages, sous la direction de Patrice Caratini. L’ensemble est constitué des mêmes musiciens que lors de la création en 1992 (alors sous le nom d’ensemble Cassiopée), à l’exception du clarinettiste Sylvain Frydman, remplacé par Philippe Leloup.
Ce nouvel enregistrement sera publié chez Label Bleu en 1994[18].
À l'occasion du centenaire de la naissance d'André Hodeir, Anna Livia Plurabelle est recrée par l'Orchestre National de Jazz de Frédéric Maurin, sous la direction de Patrice Caratini, avec Ellinoa (mezzo-soprano) et Chloé Cailleton (contralto). Le concert de recréation a lieu au studio 104 de Radio France, le 6 mars 2021 à 20h30[23].
L'œuvre d'Hodeir, si elle n'a guère rencontré son public ni gagné de grande notoriété, a cependant soulevé chez certains critiques des commentaires élogieux voire dithyrambiques. Souvent considérée comme l'œuvre la plus aboutie[24] d'Hodeir, elle a pu être définie, à la sortie du disque, comme un « chef-d'œuvre de sensualité[25] » par Alain Gerber, ou perçue comme une œuvre recelant « assez de beautés internes pour conquérir les mélomanes qui n'auraient jamais lu une ligne de Finnegans Wake »[5].
« Lorsqu'on lit Finnegans Wake avant (ou après) avoir écouté cet album (ALP), on est impressionné par l'inspiration, le souffle, le courage nécessaires pour concevoir, composer et réaliser une adaptation musicale à l'échelle de ce chef-d'œuvre littéraire, lequel, loin d'être étouffé, est sublimé par la musique qui l'épouse comme une seconde peau, au point qu'on peut oublier lequel a engendré l'autre[26]. »
Certains vont même jusqu'à en faire « l'œuvre qui manquait au jazz[26]», tandis que d'autres soutiennent qu'Anna Livia Plurabelle « plaid[e] la cause d'un jazz enfin indépendant[27]» (comprendre : vis-à-vis du jazz américain et vis-à-vis du jazz mainstream). Si l'œuvre reste néanmoins marginale et peu connue, c'est selon Alain Gerber parce que « une seule chose se vend plus mal que la laideur : c'est la beauté authentique[25]». Le disque Epic de 1971 a néanmoins reçu le Grand Prix du Disque 1972 de l'Académie Charles-Cros.
Lors de la réédition du disque original en 1981 (« heureuse réédition[28] » selon Le Monde), Monique Aldebert déclare que « Anna Livia Plurabelle brille encore aujourd'hui de toute sa fraîcheur : la patine du temps n'a fait qu'ajouter à sa beauté initiale[29]». Philippe Mignon estime quant à lui que « cette Jazz Cantata est l'un des formes les plus neuves, l'une des plus grandes réussites de la musique de jazz[30] » – tout en regrettant que les textes de Joyce n'ait pas été joints au disque.
Les recréations de 1992 en version de concert prêteront le flanc à une réception mitigée. Jean-Luc Germain, journaliste rendant compte de la première à Brest, décrit Anna Livia Plurabelle comme un « introuvable monstre du Loch Ness de la musique des quarante dernières années [qui] n'est que lumière, transparence, légèreté, équilibre[31] ». Saluant la performance des musiciens, pour une œuvre qui n'avait pas été conçue pour être jouée à la scène, il qualifie encore l'œuvre d'Hodeir de « véritable miracle pour les privilégiés littéralement bouleversés par cette bulle de pure liberté qui mit presque trente ans pour exploser à nouveau[32]». Le concert au Konzerthaus de Vienne suscite davantage de scepticisme. Le critique américain Art Lange, qui ne retient dans l'œuvre qu'un « coq à l'âne stylistique[7] », rapporte en effet que « Anna Livia Plurabelle [...] présentait deux vocalistes passant du scat à la sprechstimme, au chant pur et simple, sur un pot-pourri d'événements orchestraux, du swing type big band à l'austérité atonale classique», et déplore que « Anna n'a pas mûri avec le temps[33] ». Le concert du 31 octobre à Radio France inspire également quelques réticences à Franck Bergerot[34], qui trouve l'œuvre, sur scène, un peu datée par rapport au disque « mythique » de 1966.
Le disque de 1993 (la « version Caratini ») est globalement bien reçu par la critique, mais avec là encore des impressions mitigées. Franck Bergerot note que « curieusement, la rythmique de l'original paraît plus dynamique et de ce fait moins datée[34] ». Tout en se réjouissant d'une amélioration sur certains points (dont la voix de soprano interprétée par Valérie Philippin), il regrette certains musiciens de l'enregistrement de 1966 auxquelles l'œuvre semble en quelque sorte indéfectiblement liée, comme Jean-Luc Ponty au violon, ou encore Nicole Croisille à la voix de contralto. Laurent Cugny souligne que le changement de musiciens et l'augmentation des moyens disponibles rend les couleurs très différentes de l'enregistrement original[18]. Une différence diversement appréciée. En effet, si en dépit des nombreux mérites de la version de 1993, Pierre Fargeton estime que la version originale est « beaucoup plus swing » et « plus près de l'esprit du jazz[7]», Laurent Cugny défend quant à lui qu'Anna Livia Plurabelle « n'a pas pris une ride et nous reste comme une œuvre véritable, dont les splendeurs intactes nous sont à nouveau révélées par cette renaissance[18]».