Antisémitisme en Belgique
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L’antisémitisme en Belgique comprend les actes d'hostilité contre les Juifs et la haine érigée parfois en doctrine, sur le territoire de la Belgique, à travers les époques. L’époque chrétienne produit l’antijudaïsme tandis que l'antisémitisme contemporain, comme idéologie raciste, date de la seconde moitié du XIXe siècle[Note 1]. Au XXe siècle apparaît le nazisme et plus récemment une vague d'antisémitisme a été déplorée[1],[2].
La présence juive sur le territoire durant le haut Moyen Âge est peu documentée. D'après Bernhard Blumenkranz, en Europe occidentale, les Juifs vivaient sans réelle ségrégation et au sein de la population chrétienne[3].
Lors de la première croisade, une armée formée sur le territoire de Godefroy de Bouillon et les contrées avoisinantes[4], puis rejointe par d'autres soldats, se livre aux massacres de nombreuses communautés juives, en particulier celles de Rhénanie[5].
Ces massacres annoncent au siècle suivant, une période d'hostilité chrétienne, contre leur religion. Cela est illustré par les écrits chrétiens d'érudits, sans que l'on connaisse exactement leur portée dans la société chrétienne. Les occurrences de rencontres théologiques sont principalement écrites pour décréditer le judaïsme devant une audience érudite chrétienne, comme le fait Odo de Tournai dans sa Disputation, en stigmatisant les Juifs comme étant incapables de la vérité spirituelle[6]. En 1160, témoignant déjà de l'existence d'une virulence dans l'antijudaïsme, Gauthier de Castillon, prévôt du chapitre de Tournai, rédige un pamphlet empli de haine, proférant de nombreuses calomnies à leur encontre[7],[8]. Dans la production artistique, le triptyque de Stavelot atteste de la montée de la haine avec une représentation particulièrement péjorative du personnage Synagoga, associé aux Juifs par des artistes catholiques. D'autres représentations de violence contre Synagoga, reflètent de la montée de la violence contre les Juifs européens durant cette période[9]. L'antijudaïsme représente aussi les Juifs par le symbole péjoratif d'un animal, le scorpion[5].
Le concile de Latran de 1215 organisant la société chrétienne, impose aux Juifs nombre de mesures discriminatoires : obligation de porter des vêtements se distinguant de ceux portés par les chrétiens (dont le signe discriminatoire de la rouelle), obligation de ne pas être vus en public pendant la Semaine sainte, l'interdiction d'avoir une position publique, et d'autres[6]. Les Juifs sont victimes de l'antijudaïsme de l’Église catholique et vivent désormais « en dehors » de la société chrétienne. Le testament de 1261, du duc Henri III de Brabant, soulevait déjà la question de l'expulsion des juifs de ses terres[10]. Ceux-ci sont ainsi contraints d'habiter dans des juiveries, principalement du Brabant, mais aussi dans le Luxembourg et le Hainaut[11]. Pour y échapper, certains se laissent convertir par l'Église[3]. Dans la littérature catholique du XIIIe siècle, les écrits de Jacques van Maerlant, Jan van Boendale et Dirc Potter témoignent de l'étendue de l’antijudaïsme parmi les lettrés[5].
En 1308, il est attesté des pillages contre les demeures des Juifs[3], qui sont massacrés par la croisade l'année suivante, à l'exception de ceux qui se sont réfugiés dans le château de Genappe du duc Jean II[13]. De nombreuses tueries se produisent, comme celle de Louvain, ou du château de Born, où ceux qui s'y étaient réfugiés dans les alentours seront massacrés[3]. En 1326, un Juif converti est accusé d'avoir fait saigner une image de la Vierge, et est brûlé vif. Cet épisode donnera lieu à la légende antijuive du sacrilège de Cambron[5].
Par la suite, la population juive périt lors de la peste noire vers 1348-1349 qui est accompagnée de nouveaux massacres[11] après que la secte des flagellants a répandu l'accusation selon laquelle les Juifs seraient les auteurs de la peste en empoisonnant les puits et les fontaines[13]. La rumeur se propage à travers le Brabant et les régions limitrophes, et les chrétiens commirent le massacre du Sacrement du Miracle, tuant plus de 600 personnes si l'on s'en tient à la description de Gilles Le Muisit[14]. Le comte de Hainaut en aurait profité pour récupérer les créances impayées aux Juifs. Les traces historiques attestent l'existence de divers massacres dont un seul est connu avec précision, la tuerie de Hon, près de Bavay, où deux familles sont brûlées vives le [13]. Il semblerait que les habitants juifs du Brabant aient été massacrés ainsi que ceux d’Ath. Dans le Hainaut, « on constate leur disparition sans savoir exactement si la mort ou l’exil en est responsable[13] ». On atteste également ces massacres à Anvers: « beaucoup furent pendus, brûlés sur le bûcher, battus à mort ou noyés »[10].
En 1370, les dernières familles juives sont accusées de profanation d’hosties et périssent brûlées vives sur le bûcher[11]. Différentes versions racontent le déroulement du massacre, celle de l'historien du XIXe siècle Georges-Bernard Depping, décrit par exemple des tortures de juifs qui se produisent à Enghien[15]. Abondamment relayé dans la culture belge, il donne lieu, après avoir été reconnu par l'Église catholique en 1402, à un culte antijuif des reliques qui ne prendra fin qu’à la fin du xxe siècle[16] ainsi qu’à une importante production iconographique dont une tapisserie, des vitraux et 18 tableaux[13] dans la cathédrale de Bruxelles ou les vitraux de l'église Saint-Nicolas à Enghien[17]. La conclusion d'un poème populaire rédigé à propos du massacre (vraisemblablement au XVe siècle), laisse une idée de l'étendue d'une haine génocidaire chrétienne[5].
Les Juifs disparaissent de Belgique. Dans certaines régions, ils ne sont que de passage, et ne sont que considérés comme des étrangers et menacés par la vindicte populaire sous l'emprise de l'antijudaïsme de l'Église. Ils sont exposés d'autre part à la concurrence déloyale des banquiers lombards et aux corporations de métier (desquels ils sont exclus), ainsi que contraints de payer des taxes spéciales comme les maltôtes[3]. La seule voie proposée reste la conversion[3].
Du fait des persécutions de l'Inquisition espagnole en 1492 et de l'Inquisition portugaise en 1497, des Juifs s'installent à Anvers. L'Inquisition est également imposée dans les Pays-Bas espagnols, mais dans une moindre mesure. On peut citer, par exemple l'année 1541, lors de laquelle deux personnes refusant la conversion, sont brûlées vives sur le bucher[18]. En 1549, une ordonnance de Charles Quint retire aux Juifs convertis au christianisme le droit de séjour, les Juifs y étant interdits sous peine de mort.
Au XVIIIe siècle, dans les Pays-Bas autrichiens, les Juifs sont tolérés, mais sont contraints du payement de taxes discriminatoires, excluant ceux sans ressources, tout en conservant ceux dits « utiles ». Les Juifs sont exclus du droit de bourgeoisie qui impliquait une profession de foi catholique, avec des exceptions. Philippe Pierret identifie pendant cette période un phénomène de marginalisation de la minorité juive, à la fois par les pouvoirs politiques locaux et dans les mentalités[19]. À la fin du siècle, la population juive bénéficie de la nouvelle législation de l’édit de Tolérance de Joseph II de 1781[11],[3], puis sous Napoléon Ier, le culte israélite est reconnu et s'organise en consistoire par les décrets de 1808 [20], ayant entre autres, un rôle de délation et de listage des Juifs. À noter que lors de l'invasion française de 1794, des offenses antisémites sont commises et l'anticléricalisme jacobin s'en prend au culte chrétien et au culte juif[21].
- Scène de la légende du Sacrement miraculeux, tapisserie à la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles
- La « chapelle Salazar » au centre (en blanc), construite sur l'ancienne synagogue de Bruxelles après 1370.
- Truie des Juifs sur un pilier de l'église Notre-Dame de la Miséricorde à Aarschot, fin XVe-début XVIe
- Scènes de la légende du Sacrement miraculeux, ibidem, vitraux sculptés par J.-B. Capronnier en 1870
Contexte | |
Dès le début du XIXe siècle, la Belgique est une terre d'immigration pour les Juifs en raison de la nature du Royaume, qui garantit des opportunités sociales et économiques, mais aussi des libertés constitutionnelles et un rapport de l'État avec l'Église[3]. Cependant, Yasmina Zian fait remarquer que la Belgique reste la seule en Europe à mettre au point un système de dossier individuel pour chaque étranger inscrit sur son territoire[22]. Avec l'indépendance de la Belgique, la constitution rompt radicalement avec le passé, l’identité juive relève désormais de l’espace privé. En 1836, le serment antijuif, more judaïco est abrogé[11] et la taxation extraordinaire des Juifs cesse[23]. En contrepartie, l'on témoigne de manifestations de xénophobie, d’antijudaïsme et d’antisémitisme. Concernant le culte israélite, comme le démontre Jean-Philippe Schreiber, il fut véritablement reconnu par un arrêté royal en 1876 : « Le fait que l’État ne reconnût pas formellement l’existence du Consistoire central ni celle des Communautés (…) et l’interprétation que fit le Consistoire des décrets de 1808 pour fonder son existence légale engendrèrent de nombreuses difficultés tout au long du siècle, particulièrement dans les rapports que le Consistoire central entretint avec les administrations communales et les gouvernements d’inspiration libérale »[20]. |
La fin du XIXe siècle, voit de nombreux Juifs réussir leur intégration à la société belge mais aussi des réticences à l'arrivée d'immigrés juifs de l’Est, et les répercussions de l'antisémitisme de France et d'Allemagne[24]. L'antisémitisme prend de l'ampleur et culmine avec les retombées de l’affaire Dreyfus. Certaines personnes sont ouvertement antisémites, en particulier au sein du jeune Parti ouvrier belge, comme Edmond Picard et Jules Destrée[11]. Toute sa vie politique, Edmond Picard professera la haine antisémite et le racisme[25]. Le discours de Edmond Picard de « lutte des races » établissait une distinction entre « race supérieure » et une « race sémite et parasite » et plaide ainsi pour des lois antisémites. L'anarchiste français Pierre-Joseph Proudhon, qui avait des vues antisémites marque le socialisme belge lors de son séjour a Bruxelles[26].
C'est également à travers l'antisémitisme de l'Église catholique belge et française, qu'émerge un antisémitisme racial[27] : « en réaction au fait que les Juifs se dissolvent peu à peu dans la société chrétienne »[28]. Celui-ci vient se greffer au « message chrétien » qui condamnait déjà les Juifs par divers stéréotypes.
La « question juive » passe au centre des préoccupations de la presse, lors de la deuxième moitié des années 1890. Des attaques contre les personnalités politiques juives, Ferdinand Bischoffsheim et Georges Montefiore-Levi, sont attestées[26]. Maurice Einhorn décrit l'antisémitisme belge comme « mondain », en comparaison à celui en Allemagne caractérisé plutôt comme « populaire ». Il décrit une situation d'antipathie pour les Juifs parmi certains écrivains de talent du jeune État comme Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Fernand Crommelynck ou Michel de Ghelderode[29]. Guy Jucquois et Pierre Sauvage décrivent quant à eux, la fin de siècle, comme la période du passage de la discrimination ethnique à l’antisémitisme racial. Une réaction antisémite à l’assimilation des Juifs à la société, soutenue par les milieux catholiques[30].
La Belgique voit l'arrivée de nombreux réfugiés Juifs jusqu'au début du XXe siècle. Néanmoins la nationalité ou le statut de résident permanent n'étaient pas garantis. Ainsi beaucoup de Juifs de deuxième ou de troisième génération vivant en Belgique, restaient considérés comme des « étrangers » par l'État[31]. L'antisémitisme s’exprime notamment à travers le rejet systématique de demandes de naturalisation des « étrangers juifs »[22].
Bien que peu présent dans la société belge dans son ensemble, l’antisémitisme se manifeste toutefois dans différents milieux. En 1902, le Comité Marnix se proclame ligue contre l’antisémitisme et tente de lutter contre l’antisémitisme. Pour le collectif : « ce mot d’antisémitisme n’est qu’une étiquette qui couvre l’intolérance dans son acception la plus générale, la guerre sans merci déclarée non pas seulement aux juifs, mais aux protestants, aux libres penseurs, aux francs-maçons. »[22]. Le Comité, en outre dirigé par des personnes qui ne sont pas de confession juive, témoigne d'une politique de discrimination non-officielle: « beaucoup de gens continuent pas moins à envelopper tous les juifs d’une commune antipathie, et citent de petits faits particuliers, d’histoires de portières, de racontars dépourvus de toute valeur et de tout intérêt. »[32]. Le Comité témoigne d'actes de vandalisme antisémite : « A diverses reprises ce cri de haine : « A bas les juifs ! » a été affiché sur les murs de Bruxelles »[32]. De plus, le Comité s'inquiète de campagnes ouvertement antisémites dans la presse catholique[32].
L'attention de la presse à l'affaire Dreyfus est un exemple de l'influence de l'agitation antijuive de l'étranger sur l'opinion publique belge. La presse catholique belge, — qui se distancie du discours racial —[34], défend le camp anti-dreyfusard, et des préjugés empruntés de l'antisémitisme sont adoptés. Parallèlement, une campagne conte le libéral Jan Van Rijswijck provoque une affaire en Belgique où il est accusé de comploter avec les Juifs, et les Juifs accusés de le soutenir. Les ressources historiques de la période menant à la Première Guerre mondiale ne font pas état d'une action antijuive organisée, et ce n'est qu'à la période d'occupation allemande de la Première Guerre mondiale, que l'on voit apparaître une poussée xénophobe. Les Juifs sont parfois qualifiés de « révolutionnaires » et par d'autres stigmatisations. Le mouvement flamingant qui pendant l'occupation avait collaboré avec l'occupant allemand et visait à une politique pro-flamande, adopte une approche établissant une distinction entre les Juifs « allochtones » provenant de l'immigration récente et ceux considérés « autochtones » [26].
Lorsque éclate la Première Guerre mondiale, le , la panique dans les rues se transforme en colère et en passion nationaliste et des émeutiers s'en prennent à tout ce qui est suspecté d'être Allemand. À Anvers, la communauté juive avec une importante population juive d'Allemagne est aussi victime de cette colère. Des familles sont escortées à la gare par l'armée, et la majorité des Juifs Allemands et de Galicie fuient la ville sous les insultes et les railleries, comme en témoigne l'écrivain juif Salomon Dembitzer : « les femmes et les filles belges ont levé les poings contre nous, ont lancé des injures et se sont moquées de nous »[35].
Face à la crise, de nombreux Juifs survivent grâce aux organisations de charité juives, mais par exemple l'orphelinat juif tombe à court de nourriture et il est décidé d'évacuer les enfants aux Pays-Bas. Le rabbin Armand Bloch est arrêté par les soldats allemands et condamné pour son patriotisme, la presse belge le présente en héros et il devient un symbole de la loyauté juive. Mais vite, l'image des Juifs est ternie dans la presse. Les stéréotypes associent les Juifs aux Prussiens dans une rhétorique anti-allemande et anti-juive[35]. En 1915, Fritz Norden, d’origine juive allemande publie une opinion en faveur de l’invasion allemande et est insulté avec antisémitisme dans la presse. D'après Yasmina Zian, la stigmatisation des juifs est également alimentée par l’idée que le yiddish est une langue proche de l'allemand[36]. Cependant malgré les accusations, la majorité des Juifs y compris les immigrés, restent loyaux et beaucoup se portent même volontaires pour la défense de la patrie. Après la guerre, le Consistoire brandit son patriotisme, et les organisations sionistes, initialement formées en réaction à l'antisémitisme, prennent de la popularité[35].
Pendant l'entre-deux-guerres, outre l'écho d'affaires antisémites à l'étranger, des liens entre le « sionisme », le « communisme » et la « franc-maçonnerie » sont imaginés par les antisémites. L'ont constate également une diminution de l'hostilité au Judaïsme dans la société belge. Dans la presse, on retrouve une certaine banalisation des représentations négatives sur les Juifs[36]. Les années 1920 sont marquées par l'apparition d'une attitude antijuive, distant de l’antisémitisme biologique d'Allemagne. Anvers se transforme en berceau des organisations nazies et antisémite comme la Volksverwering, Vrienden van het Nieuwe Duitschland, NSVAP, De Adelaar, Anti-Joodsch Front, Dietsche Arbeiderspartij et Nationaal Volksche Beweging[37]. Vers 1921, le journal « Het Gazet van Antwerpen » s'en prend à ce qu'il appelle le « bolchévisme et à la juiverie » et en 1924, le journal « Het Vlaams Heelal » traitait régulièrement les Juifs de « vauriens », « voleurs », « bagarreurs » ou bien « apportant des germes de maladie »[38].
L'Église désapprouvait les actes de violences racistes. Dans les années 1918, les catholiques chrétiens sont plutôt favorables mais ambigus face au sionisme, mais certains gardent l'optique de l'anti judaïsme tandis que d'autres comme le cardinal Mercier souhaitent un protectorat belge en Palestine. À partir de 1926, les catholiques visent à convertir les juifs et adoptent une position ambiguë à leur égard[26].
Dans la société belge, au sein de l’État, de son administration et de ses forces de polices, la figure négative du judéo-bolchévique est présente ainsi que celle associée aux colporteurs. Le stéréotype du Polonais communiste et petit criminel participe à la stigmatisation des juifs qui sont originaires de Pologne et de Russie. Les juifs sont ainsi victimes d’« une racialisation, d’une criminalisation qui se fait sur une base ethnique et nationale, donc xénophobe »[22]. De leur côté, les communistes établissent la Main d'Œuvre Étrangère en 1927 pour venir en aide aux réfugiés juifs, dont nombreux rejoignent ensuite le Parti communiste (PCB/KPB)[39].
Lieven Saerens décrit un « antisémitisme latent » avant les années trente. D’autre part, F. Caestecker envisage le rejet de l’étranger comme lié à la consolidation de l’État-nation d'après guerre[22]. La naturalisation des individus originaires de pays ennemis est révoquée et le processus de naturalisation est durci, tandis que les Juifs sont sujets à une surveillance policière. Cependant les Italiens, surtout à Charleroi, sont également victimes de cette politique de surveillance[22]. Ceux vivant en Belgique subissent une discrimination concernant la naturalisation : « l’une concernant les non juifs, l’autre concernant les juifs. Les secondes sont systématiquement repoussées »[32]. Alors que les enfants non-juifs reçoivent la naturalisation à l'âge de 16 ans, ceux qui sont Juifs doivent prouver leur résidence de plus de dix ans dans le pays, payer la somme importante de 5000 francs belges et recevoir l'approbation du parlement[40].
Pendant la crise des années 1930, nombre de Juifs subsistent de petits métiers et connaissent une pauvreté parfois extrême. Dès le début de la crise, des mesures économiques sanctionnent les commerçants étrangers, qui sont principalement juifs. En 1934, le commerce ambulant est visé par des taxes et par l’exigence d’un permis difficile à obtenir. En 1936, la vente au porte-à-porte est interdite pour la maroquinerie, les épices et autres. Des quotas pour la main d’œuvre étrangère et des mesures anti-immigrés sont mises en place. Beaucoup de Juifs se retrouvent sans revenus, sans indemnités de chômage et subsistent de la charité publique. Certains témoignent d'être contraint d'exercer dans « des ghettos » juifs. Beaucoup jouèrent alors un rôle dans les mouvements de grève (comme « Emiel » Akkerman)[38]. L'accueil des réfugiés est vite accompagné de la xénophobie rampante. Les organisations d'aide juive les préparent à leur ré-émigration, suivant les vœux insistants du gouvernement[41].
Immigration juive de Pologne | |
Les réfugiés juifs polonais s'installent en grand nombre dans les quartiers démunis de Bruxelles. Leur arrivée suscite de l'inquiétude dans la population, qui s'exprime aussi par des réactions xénophobes. Ces réfugiés sont parfois même victimes de rejet de la part de certains Juifs Belges intégrés[42]. Les étrangers, dont les Juifs polonais forment le plus grand groupe, sont victimes d'une animosité en raison de leur main d'œuvre bon marché et de leur concurrence aux petits commerçants. L'on peut lire par exemple dans le journal Le Soir, en janvier 1933 : « habitent dans des mansardes, des caves, des sous-sols et y pratiquent n’importe quel travail….[…]. C’est vous dire que ces étrangers se moquent aussi bien des lois sur l’hygiène que de la loi des huit heures »[42]. Le nombre de réfugiés est vite surestimé, et de nouveaux stéréotypes antisémites leur sont attachés :Quelques voix s’élèvent contre la banalisation de l'antisémitisme dont celle d’une féministe, Louise Coens qui réfute les stéréotypes : Ou encore par des personnalités politiques qui dénoncent le rexisme, tel que le député PCB, Pierre Bosson qui déclare :
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Des critiques d'ordre économique sont émises contre les Juifs, en y attachant une image stéréotypée du commerçant juif[26]. Léon Degrelle, chef du rexisme, promouvait un antisémitisme économique. Il dénonce une « abondance de l'immigration juive » comme un danger pour la société et parle notamment d'un péril de la « concurrence déloyale juive ». Il emprunte les thèmes du fascisme italien et du national-socialisme allemand et instrumentalise la Xénophobie et la crise économique que redoutent les classes moyennes, son principal électorat[43],[44]. Le parti rexiste se lance dans une campagne antijuive, déshumanisant les Juifs[45].
Le , une personne juive, Henri Buch, est nommée Juge au Tribunal de Première instance d'Anvers, entraînant l'agitation des milieux antisémites et une opposition à sa nomination. Un événement discriminatoire unique dans les annales politiques et judiciaires belges[46].
Immigration juive d'Allemagne | |
En 1933, avec l'arrivée des premiers réfugiés Juifs allemands, le Conseil des ministres décide de ne pas se montrer trop accueillant, considérant les réfugiés « illégaux », il ferme les frontières en 1939. Le gouvernement procède ensuite à des rafles jusqu'à l'été 1933, qui amène la protestante de Camille Huysmans et de Paul Baelde, ce dernier qui fait la demande de les accueillir. Le gouvernement décide toutefois de faire des « gestes humanitaires » en accueillant quelques enfants juifs et en offrant quelques aides[26]. Ils y furent accueillis dans des homes juifs, tels les homes Général Bernheim et Herbert Speyer du Comité d’Aide aux Enfants réfugiés juifs, créé par Max Gottschalk[47]. Cependant, certains enfants venus seuls sont expulsés vers l'Allemagne, ce qui provoque l'émoi d'une partie de la presse belge[38]. comme Ilex Beller, arrivé à Anvers à 14 ans et qui se retourne vers la France. Au parlement, la droite soutient la politique contre l'accueil des réfugiés, tandis que la gauche est départagée sur la question. L'opposition cite des inquiétudes économiques, politiques, identitaires et sociales. Comme argument particulièrement répandu, le refus d'accueillir des réfugiés juifs servirait à prévenir d'une montée de l’antisémitisme dans la société[45]. Des clichés antisémites virulents se retrouvent dans la presse d'extrême-droite, comme Le pays réel qui compare les réfugiés juifs à des sauterelles porteuses de maladies[45]. D'après l'historien Jean-Philippe Schreiber :
En 1938 est créé un camp de concentration, le camp d'internement pour réfugiés juifs à Merxplas. L'État considère que les persécutions raciales en Allemagne n'entrent pas dans le cadre juridique prévu pour autoriser l'accès du territoire et opte pour l'expulsion des réfugiés juifs[49]. d'autres camps sont ouverts à Marchin, Wortel, Hal et Marneffe. Ces centres sont envisagés dans un « antisémitisme ambiant », pour des réfugiés jugés indésirables. Ils servent également à empêcher que ceux-ci se mêlent à la population. Les réfugiés sont internés dans de mauvaises conditions et sont contrôlés par des gardiens relevant de l’administration pénitentiaire. Ils sont ainsi privé de leurs libertés. Les premières nécessités (les vêtements, la nourriture, les soins médicaux, etc) sont pris en charge non pas par l'État mais par les réfugiés eux-mêmes, avec un soutien d’associations communautaires, tel le Comité d’Aide et d’Assistance aux Victimes de l’Antisémitisme en Allemagne (CAAVAA). Avec l'occupation de la Belgique, nombre des hommes, des femmes et des enfants n’échappèrent pas aux rafles, aux dénonciations et à la déportation[48]. De 1939-1940 le Comité d’Assistance aux Réfugiés juifs offre aux réfugiés, le plus souvent dépourvus de moyens, un soutien matériel, une aide médicale et un conseil juridique[50]. La Nuit de Cristal constitue en Belgique, un basculement. Les persécutions nazies sont condamnées à la fois dans la presse et par des manifestations dans les rues, ce qui pousse le gouvernement à repenser sa politique d'expulsion des Juifs. Avec l'invasion de la Pologne en 1939, les Juifs d'Allemagne font face à une nouvelle poussée xénophobe, étant alors perçus comme étant une « cinquième colonne » en Belgique[45]. |
Pour Lieven Saerens, ce n'est qu'avec l'arrivée de milliers de réfugiés juifs allemands et autrichiens en 1933, que l'image des juifs se détériore à Anvers et aurait évolué « d'une ville cosmopolite à une ville intolérante ». Des organisations antisémites voient le jour, dans les milieux, catholiques, bourgeois et nationalistes. Avec l'arrivée du nazisme au pouvoir en Allemagne, les mouvements nationalistes flamands se radicalisent et adoptent également une antipathie envers les Juifs[51]. Ils sont encouragés par des agents nazis et un parti nazi se forme[52]. Les provocations antijuives se multiplient à Anvers[38], par exemple le , cinq membres de la milice Dinaso vont chercher la provocation dans le quartier juif armés de matraques, mais ils seront « pris en main et solidement rossés » par des habitants du quartier. Ce n'est que le , que l'organisation Volksverwering forte d'une centaine de personnes, parvient à défiler dans le quartier juif sans être stoppée[37]. En 1937, des menaces de mort sont distribuées dans les boîtes aux lettres de Juifs et des fenêtres de synagogues et de maisons juives sont brisées. Les incidents antisémites deviennent quotidiens et les avocats juifs sont exclus de la Conférence flamande du Barreau d'Anvers[38]. En particulier, les groupes Verdinaso et la Légion nationale lancent une série de violences contre des Juifs[26]. par exemple début 1939, environ cinq autobus chargés de membres du Verdinaso s’arrêtèrent au milieu du quartier juif pour « tuer tous les Juifs et qu’ensuite ils jetteraient tous leurs biens au feu ». La ville d'Anvers est sujette à une vague d'antisémitisme, principalement dirigée contre les Juifs dans l'industrie du diamant. En , des attaques similaires à des pogroms sont menées par des nationalistes flamands[53]. Des émeutes qui débordent et s'en prennent à des commerces juifs, « 100 personnes, traversa le quartier en hurlant des slogans antijuifs. La police tenta de calmer les gens et de les faire rentrer chez eux paisiblement. ». Le parti rexiste qui déjà utilisait une rhétorique antisémite, atteint une nouvelle virulence en 1940 avec l'utilisation des stéréotypes primaires, d'articles menaçants et par le recours à la violence contre des propriétés juives[54].
Marion Schreiber parle d'une cohabitation pacifique qu'elle illustre par l'accueil des réfugiés du Saint Louis en 1939, alors que les autres nations les avaient rejetés[55]. Anne Morelli, remet en question la perception d'« une terre d'accueil ». Elle cite une volonté de la Belgique d'empêcher l'arrivée de réfugiés juifs italiens fuyant les mesures antisémites de 1938, en rétablissant le visa obligatoire depuis l'Italie. De plus, elle considère que les Juifs fuyant l'Allemagne nazie ont fort souffert des limitations de l'asile, en particulier ceux déportés vers la France et qui ont fini dans les camps d'extermination[56]. Parmi ceux déportés dans des camps en France, figure par exemple l'artiste Kurt Lewy ou le Premier violon de l'Orchestre philharmonique de Vienne, Fritz Brunner[57].
La fin des années 1930, est marquée par une peur d’être envahi par l’étranger, une peur qui prend des allures parfois obsessionnelle pour certains Belges[42].