Code de Hammurabi
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Le Code de Hammurabi est un texte juridique babylonien daté d'environ 1750 av. J.-C., à ce jour le plus complet des codes de lois connus de la Mésopotamie antique. Il a été redécouvert en 1901-1902 à Suse en Iran, gravé sur une stèle de 2,25 mètres de haut comportant la quasi-totalité du texte en écriture cunéiforme et en langue akkadienne, exposée de nos jours au musée du Louvre (salle 227) à Paris. Il s'agit en fait d'une longue inscription royale, comportant un prologue et un épilogue glorifiant le souverain Hammurabi, qui a régné sur Babylone d'environ 1792 à 1750 av. J.-C., dont la majeure partie est constituée de décisions de justice.
Pays | Royaume de Babylone |
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Langue(s) officielle(s) | Akkadien babylonien |
Gouvernement | Première dynastie de Babylone, règne de Hammurabi (v. 1792-1750 av. J.-C.) |
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Entrée en vigueur | environ 1750 av. J.-C. |
Depuis sa découverte en 1901-1902 sur une stèle mise au jour lors des fouilles de Suse dirigées par Jacques de Morgan, cet ensemble de décisions est désigné comme un « code » et chaque décision comme autant de « lois » ou « articles » relatifs à différents aspects de la vie de la société babylonienne de la période. La nature exacte du texte est l'objet de débats : bien qu'il soit souvent présenté comme un code de lois dont les dispositions sont destinées à être appliquées dans le royaume de Hammurabi, les assyriologues qui l'ont étudié plus précisément insistent sur sa fonction politique de glorification du roi et y voient plutôt une sorte de traité juridique visant à conserver le souvenir du sens de la justice et de l'équité de Hammurabi.
Quoi qu'il en soit, y apparaissent des informations essentielles pour la connaissance de différents aspects de la société babylonienne du XVIIIe siècle av. J.-C. : organisation et pratiques judiciaires, droit de la famille et de la propriété, statuts sociaux, activités économiques, entre autres. Il convient souvent de compléter ces informations par celles fournies par les nombreuses tablettes cunéiformes de la même époque exhumées sur les sites du royaume de Babylone pour mieux comprendre le contenu du texte.
Le Code de Hammurabi est rédigé durant la période dite « paléo-babylonienne » (babylonienne ancienne), sous la première dynastie de Babylone, plus précisément vers la fin du règne du roi Hammurabi qui l'a commandité et sans doute formulé en grande partie. Celui-ci aurait régné de 1792 à 1750 av. J.-C. selon la « chronologie moyenne » qui est la plus usitée, mais il est possible qu'il faille le situer à une date plus récente (1728 – 1686 av. J.-C. selon les tenants de la « chronologie basse »), la datation absolue étant imprécise pour une période aussi reculée. Quand Hammurabi succède à son père Sîn-muballit sur le trône de Babylone, son royaume est faiblement étendu mais domine déjà des villes importantes comme Kish ou Sippar. Il est entouré de royaumes puissants : Larsa au sud, Eshnunna et Ekallatum puis Mari au nord. Après une première moitié de règne peu active sur le plan militaire, Hammurabi réussit à vaincre et annexer ses voisins, dominant alors la majeure partie de la Mésopotamie. C'est donc le véritable fondateur du royaume babylonien en tant que puissance politique de premier plan dans l'histoire du Proche-Orient ancien[1].
Du point de vue de la littérature juridique, le royaume babylonien dispose de structures judiciaires typiques de la tradition mésopotamienne : le roi est le juge suprême, les membres de l'administration (notamment les gouverneurs) ont souvent des attributions judiciaires de même que les autorités locales (conseils d'Anciens et conseils de quartiers des villes), mais il existe également des juges professionnels (dayyānum). Ces autorités rendent souvent justice de façon collégiale, après une procédure d'instruction reposant sur la recherche de preuves, notamment des témoignages et des documents écrits comme des contrats[2],[3]. Cela explique la quantité de documents juridiques connus pour cette période. Depuis au moins la période d'Ur III et le règne d'Ur-Nammu (2112 – 2094 av. J.-C.), les rois mésopotamiens ont pris l'habitude de compiler des recueils de sentences juridiques, et c'est cette tradition que reprend Hammurabi en écrivant son Code au moment où il procède à l'organisation de l'administration de ses conquêtes et où il cherche à faire passer son œuvre à la postérité[4].
Stèle du Code
Stèle du Code de Hammurabi | |
Face avant de la stèle du Code de Hammurabi au musée du Louvre. | |
Type | Stèle |
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Dimensions | Hauteur : 225 cm ; Largeur : 79 cm ; Épaisseur : 47 cm |
Inventaire | Sb 8[5]/ AS 6064[6] |
Matériau | Basalte |
Méthode de fabrication | Ronde-bosse |
Période | v. 1750 av. J.-C. |
Culture | Babylone |
Date de découverte | 1901-1902 |
Lieu de découverte | Suse |
Conservation | Musée du Louvre, département des Antiquités orientales,Richelieu, [AO] Salle 227 - Salle du code d'Hammurabi, Hors vitrine. Paris |
Fiche descriptive | Stèle du Code de Hammurabi dans la base Atlas |
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Le Code de Hammurabi est essentiellement connu par une stèle dont les deux fragments principaux ont été exhumés par Gustave Jéquier et Louis-Charles Watelin en décembre 1901 et en janvier 1902 à Suse, ancienne capitale de l'Élam, de nos jours située dans le Sud-Ouest de l'Iran (province du Khuzistan), lors de fouilles conduites par une mission française dirigée par Jacques de Morgan[7].
La stèle y avait été apportée vers 1155 av. J.-C. en compagnie d'autres monuments mésopotamiens (comme la stèle de victoire du roi Naram-Sin édifiée en l'honneur de Naram-Sin d'Akkad ou divers kudurrus) par les rois élamites qui avaient conquis et pillé les grandes villes du royaume de Babylone. L'origine exacte de cette stèle est peut-être le temple du dieu-soleil Shamash situé à Sippar, au nord de Babylone, à moins qu'elle ne provienne de cette dernière[8]. Elle est détruite à un moment puisqu'elle a été retrouvée brisée, mais il est impossible de savoir quand : son découvreur de Morgan avait supposé que c'était arrivé au moment du sac de la ville par les troupes assyriennes de 648 av. J.-C., mais il n'y a pas d'élément en ce sens. Le colophon d'une copie du prologue du Code mise au jour dans la bibliothèque du temple de Shamash à Sippar et apparemment datée du VIe siècle av. J.-C. indiquerait qu'un scribe originaire de la ville d'Agadé a fait une copie du texte de la stèle de Suse. Il croyait de façon erronée qu'elle avait été érigée là par Hammurabi lui-même, puisqu'il explique le passage copié ainsi : « Selon la teneur du texte exemplaire de la stèle ancienne que Hammurabi, roi de Babylone, a érigée à Suse ». La stèle serait donc encore visible à Suse à cette période[9].
Les fouilleurs français ont emporté la stèle au musée du Louvre, où elle est une des pièces maîtresses du département des Antiquités Orientales, tandis que le révérend père dominicain Jean-Vincent Scheil, qui a participé à sa découverte, en a publié la première traduction dès 1902[10].
La stèle mesure 2,25 mètres de haut et 55 centimètres de large environ, taillée dans un monolithe de basalte noir extrait dans les montagnes du Zagros ou de Haute Mésopotamie[11]. Son sommet cintré est sculpté en bas-relief sur le devant. Y est représentée une scène de rencontre entre le roi Hammurabi et le dieu Shamash. Le roi, représenté à gauche, se tient debout la main droite levée en signe de respect envers la divinité. Il porte une longue barbe, est coiffé d’un bonnet royal à rebord large, en vigueur depuis l'époque de Gudea (XXIIe siècle av. J.-C.), et vêtu d'une robe longue à plis verticaux. Le dieu-soleil Shamash, situé à sa droite, est assis sur un trône. Il porte la tiare à cornes caractéristique des divinités, une longue barbe et une robe à volants. Il est identifié comme le dieu-soleil par les rayons qui jaillissent au-dessus de ses épaules et les trois rangées d’écailles sur lesquelles il pose ses pieds, qui représentent les montagnes de l'Est que le soleil franchit tous les matins. Il remet au roi les insignes de la royauté, le bâton et un objet circulaire (anneau ou cercle) qui symbolisent l'équité[12]. Ce bas-relief est de facture classique par son style et sa composition ; il s'inspire notamment des scènes dites de « présentation » courantes sur les sceaux-cylindres depuis la fin du IIIe millénaire av. J.-C. La présence de Shamash est liée à sa fonction de dieu de la justice (le prologue du Code le désigne comme le « grand juge du Ciel et de la Terre »)[13].
- Sceau-cylindre avec son impression, représentant une scène de présentation d'un homme devant une divinité. V. 1850-1700 av. J.-C., musée des beaux-arts de Lyon.
- Sceau-cylindre avec impression, représentant un roi versant une libation devant Shamash, qui tient l'anneau/cercle et le bâton symbolisant l'équité. Ur, v. 1900 av. J.-C. British Museum.
- Divinité (Shamash ?) sur son trône tenant l'anneau/cercle et le bâton. Plaque en terre-cuite de l'époque paléo-babylonienne. Musée de Souleimaniye.
Le reste de la stèle porte le texte du Code, la plus longue inscription continue en écriture cunéiforme qui soit connue. Le texte est gravé en langue akkadienne (dans sa variante dite « vieux-babylonien ») dans des signes cunéiformes volontairement archaïsants, qui reprennent la graphie courante dans les inscriptions des rois d'Akkad et d'Ur III et non celle caractéristique de sa période de rédaction, un peu comme la graphie d’inspiration romaine est restée courante dans les inscriptions officielles européennes à l'époque moderne. Le choix d'inscrire le texte dans des cases procède de la même idée. La lecture se fait verticalement dans les cases, qui dans les transcriptions scientifiques sont présentées tournées à 90° dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, pour pouvoir être lues en lignes horizontales de gauche à droite. Sur la stèle, le passage d'une case à l'autre se fait de droite à gauche (de haut en bas dans les publications scientifiques), les cases étant donc regroupées en rangées (ou colonnes), lesquelles se succèdent de haut en bas. Il n'y a aucun système de ponctuation et pas de marque de césure entre les grandes sections du texte ou entre les « articles » qui sont des constructions des traducteurs modernes. Le texte comportait environ 4 000 cases à l'origine, mais sept rangées manquent en bas de la face, effacées par les Élamites, sans doute dans le but d'y graver ensuite une inscription à la gloire de leur propre roi, ce qu'ils n'ont jamais eu l'occasion de faire[14]. Si la stèle permet de connaître l'essentiel du texte, il y a donc une lacune (à partir du § 66).
Autres exemplaires
Le Code de Hammurabi était vraisemblablement gravé sur d’autres stèles disposées dans d'autres grands sanctuaires du royaume de Babylone mais qui n'ont pas été retrouvées, à moins que d’autres fragments trouvés à Suse n'en soient issus[15]. Une partie des lacunes de la stèle peut néanmoins être complétée par la quarantaine de copies d’extraits du Code inscrits sur des tablettes d'argile mises au jour sur divers sites archéologiques mésopotamiens, qui apportent également des informations sur l'existence de légères variantes du texte. Une copie du prologue présente ainsi une variante sur la forme (un registre de langue plus simple) mais aussi sur le fond (la liste des bienfaits du roi est moins complète que celle de la stèle, dénotant une rédaction antérieure de la liste). Les copies les plus récentes datent de la période néo-assyrienne (911-609 av. J.-C.), ce qui montre que le Code de Hammurabi est resté un modèle scolaire ou juridique transmis pendant au moins un millénaire. Il a également fait l'objet de commentaires ésotériques[16],[17].
- Tablette de copie du prologue du Code, première moitié du XVIIIe siècle av. J.-C. (sans doute antérieure à la rédaction de la stèle), musée du Louvre.
- Fragment d'une copie du Code, provenant de Ninive, période néo-assyrienne (VIIe siècle av. J.-C.), musée du Louvre.
Le texte du Code de Hammurabi est divisé en trois parties :
- un prologue historique en langue littéraire commémorant les accomplissements de Hammurabi en sa fin de règne ;
- les « lois » ou décisions de justice rendues par le roi ;
- un épilogue formulant la volonté que le texte transporte la parole du roi à travers les âges et ne soit pas altéré sous peine de malédictions.
Cette structure est partagée avec les deux autres « codes » de la Mésopotamie ancienne qui nous sont connus, le Code d'Ur-Nammu roi d'Ur, rédigé autour de 2100 av. J.-C.[19], et le Code de Lipit-Ishtar roi d'Isin, rédigé vers 1930 av. J.-C.[20]. En tant que texte législatif, le Code de Hammurabi partage des points communs avec d'autres textes de recueils de lois qui eux ne sont pas encadrés par un prologue et un épilogue et ne sont donc pas appelés « codes » : les lois d'Eshnunna qui datent à peu près de la même période (et étaient peut-être un « Code », mais le prologue et l'épilogue ne sont pas connus)[21], deux fragments de recueils de lois provenant du site de Hazor (en Israël), également datables de la même période[22], les lois assyriennes compilées autour de 1100 av. J.-C.[23], des recueils de lois babyloniennes du VIe siècle av. J.-C.[24], et les lois hittites; compilées et remaniées à plusieurs reprises entre 1600 et 1400 av. J.-C.[25].
- Tablette du Code d'Ur-Namma. Musée archéologique d'Istanbul.
- Tablette A des Lois assyriennes. Pergamon Museum.
La désignation de « code » qui a été donnée au texte depuis sa redécouverte moderne est plus une projection des habitudes modernes qu'un reflet des réalités antiques. Cela vaut du reste pour la plupart des autres « codes » ou recueils juridiques de l'Antiquité (Code de Gortyne, Loi des Douze Tables, etc.). Ce sont (à l'exception peut-être du Corpus Iuris Civilis), des compilations de dispositions juridiques sans visée systématique (il ne s'agit pas de codifier tout le droit), qui ont un caractère concret et pas une portée générale[26].
Dans son contexte mésopotamien, le Code se caractérise par la présence d'un prologue et d'un épilogue typiques des inscriptions commémoratives à la gloire des monarques, notamment celles vantant leur sens de la justice et de l'équité et visant à le rapporter aux générations futures, qui trouvent leurs racines dans les inscriptions relatives aux « réformes » d'Urukagina de Lagash (vers 2350 av. J.-C.). Des assyriologues ont donc interprété le Code de Hammurabi comme un document avant tout politique. Ils relativisent ainsi les interprétations traditionnelles sur la portée des « lois », qui n'auraient pas eu la portée législative de celles contenues dans les Codes modernes mais plutôt une fonction de modèle. Certains replacent les compilations de décisions de justice dans la tradition des listes à but pédagogique et technique comme il en existait pour d'autres disciplines, en faisant donc une sorte de manuel juridique[27]. Néanmoins les interprétations juridique, politique et technique du Code de Hammurabi ne s'excluent pas forcément, ce texte étant issu d'une tradition longue et combinant plusieurs objectifs[28].
Une inscription royale : Hammurabi, roi de justice
Le prologue se présente comme une inscription royale de facture classique à la gloire de Hammurabi. Il détaille les accomplissements du roi au moment où son règne touche à sa fin, notamment les temples qui ont bénéficié de ses bienfaits, en lien avec leurs divinités ; voici par exemple le passage consacré à Enlil, dieu de la royauté :
« C'est moi, Hammurabi, le pasteur nommé par Enlil. Celui qui a accumulé abondance et profusion, qui a parachevé toutes les choses pour Nippur le lien du ciel et de la terre, le pourvoyeur zélé de l'Ekur (le temple d'Enlil à Nippur), le roi compétent qui a restauré Eridu (et) qui a maintenu purs les rites de l'E-abzu (le temple d'Ea à Eridu), celui qui a pris d'assaut les quatre contrées du monde, qui a grandi le renom de Babylone, qui a contenté le cœur de Marduk son seigneur (etc.). »
— Prologue du Code[29].
Le prologue est souvent utilisé pour dresser un tableau de l'étendue du royaume après la quarantaine d'années de règne de ce souverain, qui a fait de Babylone le plus puissant royaume de la Mésopotamie alors qu'auparavant il était une puissance de second rang. Sont d'abord énumérés des couples ville-divinité ordonnés suivant un objectif politico-théologique : d'abord les divinités pourvoyeuses de la royauté, Enlil de Nippur, Ea d'Eridu et Marduk de Babylone ; puis les divinités astrales Sîn d'Ur, Shamash de Sippar et Larsa, An et Ishtar d'Uruk. La suite reprend un ordre plus géographique : villes de Babylonie centrale (Isin, Kish, Kutha, Borsippa, Dilbat, Kesh), puis des villes bordières du Tigre (Lagash-Girsu, Zabalam, Karkar, Adab, Mashkan-shapir, Malgium) et enfin les grandes villes du Nord de la Mésopotamie que Hammurabi a conquis en sa fin de règne, à savoir Mari, Tuttul, Eshnunna, Akkad, Assur et Ninive[30].
Le prologue vise donc à donner une image de Hammurabi répondant aux canons du roi mésopotamien idéal : un souverain pieux aimé des dieux, un roi guerrier qui obtient la victoire grâce à leurs faveurs, mais avant tout un « roi de justice » (šar mišarim) inspiré par les dieux :
« Lorsque l'éminent Anu, le roi des Anunnaku, et Enlil, le seigneur des cieux et de la terre, qui fixe les destins du pays, eurent attribué à Marduk, le fils aîné d'Ea, le pouvoir d'Enlil (la royauté) sur la totalité des gens, l'eurent rendu grand parmi les grands, eurent donné à Babylone un nom éminent et l'eurent rendue hors pair parmi les contrées, […] alors c'est moi, Hammurabi, prince zélé qui craint les dieux, que, pour faire apparaître la justice dans le pays, pour anéantir le méchant et le mauvais, pour que le fort n'opprime pas le faible, pour sortir comme Shamash au-dessus des têtes noires (les hommes) et éclairer le pays, Anu et Enlil ont appelé par mon nom pour procurer du bien-être aux gens. »
— Prologue du Code[31].
Le roi apparaît en quelque sorte comme une manifestation terrestre du dieu-soleil Shamash, garant de justice et d'équité[32]. L'idéal de roi de justice est notamment porté par les termes kittum, « la justice en tant que garante de l'ordre public », et mišarum, « justice en tant que restauration de l'équité »[33]. Il s'affirmait en particulier lors des « édits de grâce » (désignés par le terme mišarum), une rémission générale des dettes privées dans le royaume (y compris la libération des personnes travaillant pour une autre personne pour rembourser une dette), visant à restaurer un ordre ancien (idéalisé) en temps de crise ou bien au début du règne d'un souverain[34].
Le court épilogue du Code reprend de façon conclusive la glorification de Hammurabi initiée dans le prologue et exprime la volonté que le texte soit pris en exemple dans l'avenir, permettant au nom du souverain de perdurer. Il est suivi par plusieurs malédictions dans lesquelles sont invoqués les grands dieux babyloniens pour maudire ceux qui altéreraient le texte, ce qui est courant dans les inscriptions royales, notamment celles destinées à commémorer les constructions de temples.
L'épilogue est particulièrement intéressant pour l'analyse de la nature du texte, parce qu'il s'intéresse aux objectifs que le souverain lui assigne et à l'usage qu'il souhaite que les gens en fassent à l'avenir :
« Pour que le fort n’opprime pas le faible, pour faire justice à l'orphelin et à la veuve, à Babylone, la ville dont Anu et Enlil ont élevé le faîte, dans l'Esagil, le temple dont les fondements sont aussi stables que les cieux et la terre, pour porter les jugements concernant le pays, pour prendre les décisions concernant le pays, pour faire justice à l'opprimé, j'ai écrit mes paroles précieuses sur ma stèle et je l'ai dressée devant ma statue de « Roi de justice ». »
— Épilogue du Code[35].
Ce passage reprend l'image du souverain idéal que Hammurabi veut faire passer à la postérité, celle d'un roi juste respectant l'idéal de justice des anciens Mésopotamiens. On y apprend également que la stèle devait être déposée devant une statue, sans doute dans un temple. C'est là qu'elle devait se trouver pour ceux qui souhaitaient s'imprégner du sens de la justice et de l'équité de Hammurabi. Cela est encore une fois explicable dans le cadre des inscriptions commémoratives des rois mésopotamiens : il s'agit de glorifier le souverain et de préserver son œuvre pour l'avenir. Au lieu de mettre l'accent sur les exploits guerriers du souverain ou sur les constructions pieuses qu'il a ordonnées, le texte insiste sur son sens de la justice, qui doit lui survivre comme doivent lui survivre ses conquêtes militaires et les bâtiments qu'il a fait ériger.
Les « lois » : organisation et formation
Les « lois » du Code de Hammurabi constituent la partie la plus longue du texte, et la plus importante aux yeux des commentateurs modernes. Leur premier traducteur, J.-V. Scheil, les a découpées en 282 articles (découpage qui n’est pas explicite dans le texte ancien), en considérant que la lacune du bas de la face de la stèle va du § 65 au § 99, ce qui est peut-être trop[36]. Pour désigner ces sentences, l'épilogue du Code met surtout l'accent sur le fait qu'elles ont été prononcées par Hammurabi en tant que roi de justice dans un but de glorification. Il emploie surtout le terme awātum, qui peut être traduit par « parole » ou « cas (juridique) », ou parfois les expressions plus précises awāt mišarim, « paroles de justice »[37], ou awātiya šūqurātim, « mes paroles précieuses »[38], ou parfois dīnum, « procès », « cas », notamment sous la forme dīnāt mišarim, « sentences de justice »[39].
Ces lois sont formulées de façon casuistique : elles prennent pour point de départ un cas pour lesquelles elles proposent une solution. C'est la façon typique de raisonner des anciens Mésopotamiens, qui n'énoncent jamais de principes de portée générale. On la retrouve dans les traités scientifiques de l'époque, notamment de médecine et de divination [40]. Les propositions fonctionnent autour d'une première partie, la protase, introduite par la conjonction « si » (šumma) qui ouvre une proposition conditionnelle dans laquelle est exposé le problème, à l'aspect accompli qui est généralement traduit par un présent ou un passé de l'indicatif dans les langues modernes[41]. La seconde partie est l'apodose, qui propose la sentence à rendre, énoncée à l'aspect inaccompli, généralement traduit par un futur. Voici par exemple le § 1 :
« šumma awīlum awīlam ubbirma nērtam elišu iddīma la uktīnšu / mubbiršu iddâk
Si quelqu'un a accusé quelqu'un (d'autre) et lui a imputé un meurtre mais ne l'a pas confondu / son accusateur sera mis à mort. »
— § 1 du Code[42].
D. Charpin a identifié trois sources à l'origine de la mise en forme de ces « lois ». La première est l'exemple des recueils juridiques plus anciens, dont certains articles ont pu servir de modèles pour ceux du nouveau recueil. Une autre source est l'activité judiciaire du roi et des autres juges babyloniens. On a ainsi pu relier des comptes-rendus de jugements rapportés par des tablettes du temps de Hammurabi à des articles du Code, les premiers ayant manifestement inspiré les seconds. Enfin, un processus de systématisation à partir de cas existants a pu entraîner la création d'articles qui ne sont alors que la variation d'un cas avéré. Ainsi, les § 17 à 20 envisagent différents cas pour une personne ayant capturé un esclave fugitif : s'il choisit de le restituer, il le rapporte à son maître si l'esclave donne son nom, ou bien au palais si l'esclave ne donne pas le nom, il peut aussi le garder pour lui auquel cas il est passible de la peine de mort, ou encore voir l'esclave fugitif lui échapper à son tour[43]. Pour J. Bottéro la formulation casuistique indique que c'est une sorte de manuel de science juridique à l'image des manuels de divination, de médecine, d'exorcisme ou autres qui avaient le même type de formules et avaient vraisemblablement été constitués suivant la même démarche mêlant empirisme et systématisation[44].
Le corpus des lois est arrangé de façon thématique, par association d'idées, qui peut en gros se découper comme suit :
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Plusieurs tablettes paléo-babyloniennes reprenant des passages du Code présentent d'ailleurs un découpage explicite en rubriques : « décisions de justice sur les pêcheurs et les soldats », « décisions de justice sur les maisons », etc[46]. Cette liste thématique permet de constater que le Code ne couvre pas l'ensemble des domaines du droit couvert par les codes modernes : le fonctionnement de l'administration n’est pas évoqué, la fiscalité non plus, le traitement de l'élevage et même de l'agriculture est très succinct. C'est une des principales objections à la caractérisation de ce texte comme un « code » au sens moderne du terme[47]. Sans exclure forcément une utilisation juridique du texte sur les aspects traités, il est manifeste que la coutume couvrait les autres aspects du droit, comme nous l'apprennent certains documents judiciaires de la période.
La question de l'utilisation du Code
La question de savoir dans quelle mesure le Code de Hammurabi (et les autres textes « législatifs » mésopotamiens) était appliqué dans la pratique juridique a animé et anime encore de nombreuses discussions. Il est généralement admis que ce n'était pas un code juridique au sens moderne du texte, systématique et exhaustif (car il ne recouvre pas tous les aspects du droit babylonien de l'époque), les discussions portent surtout sur le fait de savoir s'il édictait pour les cas abordés une norme juridique destinée à être appliquée strictement dans les tribunaux du royaume babylonien. À tout le moins il était destiné à avoir une valeur de modèle, fournissant des exemples de décisions juridiques dont on pouvait s'inspirer pour rendre la justice, à l'époque de Hammurabi et dans l'avenir[48].
L'épilogue à la gloire du roi fournit des éléments d'explication :
« Que l'homme injustement traité, qui est mêlé à une affaire, vienne devant ma statue de « Roi de justice », se fasse lire ma stèle inscrite, qu'il écoute mes paroles précieuses, que ma stèle lui dévoile l'affaire, qu'il voie son cas et qu’il laisse respirer son cœur en ces termes : « Hammurabi, le seigneur qui est comme un père charnel pour les gens, s'est affairé à la parole de Marduk son seigneur et a atteint ce que souhaitait Marduk au nord et au sud ; il a contenté le cœur de Marduk son seigneur, a destiné pour toujours le bien-être aux gens et fait justice au pays. » […]
À l'avenir, que le roi qui, à un moment donné, apparaîtra dans le pays observe les paroles de justice que j'ai écrites sur ma stèle ; qu'il ne change pas les jugements que j'ai portés pour le pays, les décisions que j'ai prises pour le pays, qu'il n'enlève pas ce que j'ai gravé. […] Si cet homme a été attentif à mes paroles que j'ai écrites sur ma stèle et n'a pas écarté ce que j'ai jugé, n'a pas modifié mes paroles, n'a pas changé ce que j'ai gravé, cet homme sera un homme de justice comme moi ; que Shamash allonge son sceptre, qu'il fasse paître ses gens devant la justice. »
— Épilogue du Code[49].
S'il reste ancré dans la glorification du roi et la volonté de faire perdurer son message, ce passage souligne l'aspect pratique du texte : c'est aussi un moyen de dispenser la justice en différents lieux du royaume où le monarque ne peut être au moment présent. Il y a une véritable volonté de rendre le texte accessible, même s'il faut admettre que la nature de la stèle ne facilite pas vraiment sa lecture[50].
La question de savoir si oui ou non les sentences du Code étaient suivies dans les jugements se heurte au fait que ce document n'est jamais cité de façon explicite ou avec certitude dans des textes juridiques de la période paléo-babylonienne. Mais en général les spécialistes mésopotamiens de quelque métier que ce soit ne font pas référence aux textes techniques, même s'il y a peu de doutes qu'ils en aient fait usage[51].
Un élément de réponse se trouve dans une lettre adressée par Hammurabi à Sin-iddinam, gouverneur de la province de Larsa, l'ancien royaume d'Emutbalum, après son annexion, et retrouvée dans cette ville. Elle a trait à la mise en application du droit de Babylone dans les territoires conquis :
« Dis à Sin-iddinam : ainsi (parle) Hammurabi.
Voici que je t’envoie Eri[…] avec des fonctionnaires qui sont en poste à la porte du palais mais qui ont déserté. Quand ils t’auront rejoint, examine leur affaire, élucide leur cas et rends-leur un verdict conforme au droit (dīnum) qui prévaut maintenant dans l’Emutbalum. Veille à les traiter de manière équitable[52]. »
Il semble qu'il est ici question de l'application d'un recueil législatif babylonien (dīnum), qu'il s'agisse du Code ou d'un recueil existant avant lui, dans un territoire récemment conquis, où la loi antérieure est remplacée sur certains points (mais pas tous, les pratiques successorales suivant une coutume locale différente de celle de Babylone)[52],[53]. Des tablettes de Sippar datées de l'époque de Hammurabi et de ses successeurs indiquent que les juges locaux avaient à leur disposition des copies de comptes rendus de jugements royaux formulés de façon semblable au Code (mais abordant d'autres cas), qui semblent avoir fonctionné comme des rescrits, auxquels ils avaient recours pour rendre leurs jugements[54].
Quoi qu'il en soit, les copies postérieures du texte nous apprennent qu'il est devenu un « classique » qui a été utilisé pour la formation juridique des scribes et pour inspirer des décisions de justice bien après la fin du royaume de Hammurabi, traitement dont n'a bénéficié aucun autre code de loi mésopotamien[55]. Ainsi, plus d'un millénaire après sa rédaction le texte est encore étudié et recopié par les scribes de la Bibliothèque d'Assurbanipal à Ninive, qu'un catalogue trouvé sur place référence sous le « titre » de Décisions (de justice) de Hammurabi (dīnānī ša Ḫammurabi)[17]. Un scribe babylonien aurait effectué sa copie directement à partir de la stèle de Suse, selon une tablette mise au jour dans la bibliothèque du temple de Shamash à Sippar comprenant le prologue du Code, qui est cette fois-ci nommé d'après son incipit, « Lorsque l'éminent Anu » (Inu Anu ṣīrum), comme il est de coutume en Mésopotamie[56],[9].