Conflit nord-irlandais
conflit politique en Irlande du nord dans la seconde moitié du XXe siècle / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Le conflit nord-irlandais, appelé aussi « The Troubles »[Note 4] (en français : Les Problèmes ; en irlandais : Na Trioblóidi ; en scots : The Truibils), est une période de violences et d'agitation politique en Irlande du Nord dans la seconde moitié du XXe siècle. Il débute à la fin des années 1960[Note 1] et est considéré comme terminé entre 1997 et 2007 selon les interprétations[Note 2]. La violence continue cependant après cette date, mais de façon occasionnelle et à petite échelle, tandis que la plupart des groupes belligérants déposent les armes.
Date | 1968[Note 1]-1998[Note 2] |
---|---|
Lieu | Irlande du Nord |
Issue |
Cessez-le-feu Accord du Vendredi saint Accord de Saint-Andrews |
Royaume-Uni
Irlande |
Républicains | Loyalistes |
Forces armées britanniques 509 (+5) RUC 301 (+18) NIPS 24 (+2) Ulster Defence Regiment 196 (+40) Armée territoriale 7 Police britannique 6 Royal Air Force 4 Royal Navy 2 Garda Síochána 9 Armée irlandaise 1 |
PIRA 290 (+14) INLA 37 (+6) OIRA 27 (+2) IPLO 9 Saor Éire 3 RIRA 2 |
UDA 89 (+4) UVF 62 (+5) LVF 3 RHC 2 |
Le conflit commence dans la seconde moitié des années 1960 par un mouvement pour les droits civiques contre la ségrégation confessionnelle que subit la minorité catholique. L'opposition entre républicains et nationalistes (principalement catholiques) d'une part, loyalistes et unionistes (principalement protestants) d'autre part sur l'avenir de l'Irlande du Nord entraîne une montée de la violence qui dure pendant trente ans. Elle est le fait de groupes armés républicains, comme l'IRA provisoire dont le but est de mettre fin à l'autorité britannique en Irlande du Nord et de créer une République irlandaise sur l'ensemble de l'île, et loyalistes, comme l'Ulster Volunteer Force formée en 1966 pour stopper ce qu'il perçoit comme la détérioration du caractère britannique du pays, mais aussi d'émeutes populaires et des forces de sécurité de l'État britannique (armée et police). La collaboration entre les forces de sécurité britanniques et les paramilitaires unionistes, niée par les gouvernements successifs, est désormais admise[1].
Le conflit nord-irlandais est diversement défini par plusieurs de ses acteurs, soit comme une guerre[F 1],[F 2], un conflit ethnique[2], une guérilla[3] ou une guerre civile[4]. Bien que l’on oppose les communautés catholiques et protestantes, il ne s’agit pas d’un conflit religieux, le fond du problème étant l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni ou à la république d’Irlande. L'action des groupes armés républicains (principalement l'IRA provisoire) est considérée comme du terrorisme par les forces de sécurité britanniques[5], mais aussi comme une révolution, une insurrection ou une résistance militaire à l'occupation et à l'impérialisme britannique par leurs partisans[F 3]. Les historiens sont partagés sur ces qualifications[6],[F 4], certains refusant l'usage du terme « terrorisme »[CAIN 2],[7].
Ce conflit affecte la vie quotidienne de la plupart des Nord-Irlandais, ainsi qu'incidemment celle des Anglais et des Irlandais du Sud de l'île. En plusieurs occasions entre 1969 et 1998, la situation manque de se dégrader davantage, par exemple en 1972 après le Bloody Sunday à Derry/Londonderry ou pendant la grève de la faim de prisonniers en 1981, quand se forment des mobilisations massives et hostiles des deux parties.
En 1998, un processus de paix apporte une fin au conflit en s'appuyant sur l'accord du Vendredi saint. La reconnaissance par le gouvernement britannique pour la première fois de la « dimension irlandaise », le principe que le peuple de l'île d'Irlande dans son ensemble puisse résoudre les problèmes entre le Nord et le Sud par consentement mutuel, sans intervention extérieure[8], permet d'obtenir l'accord des loyalistes et des républicains. Elle établit aussi en Irlande du Nord un gouvernement consociatif, composé obligatoirement d'unionistes et de nationalistes.
La colonisation anglaise
Avant la colonisation britannique, l'Irlande n'a pas connu d'invasion, si ce n'est une petite incursion de Vikings, vite assimilés, aux VIIIe et IXe siècles. En 1155, une bulle pontificale d'Adrien IV (seul pape d'origine anglaise) donne l'Irlande à Henri II d'Angleterre en vue de rétablir les liens ténus entre l'Église irlandaise et Rome. Néanmoins, le roi d'Angleterre n'intervient dans l'île qu'en 1167 pour soutenir Dermot MacMurrough. En 1175, l'autorité anglaise sur l'Irlande est reconnue officiellement[9],[10].
L'installation anglaise se cantonne d'abord au Pale[11]. L'assimilation de ces colons anglais aux coutumes irlandaises est perçue comme dégradante par la Couronne, qui fait voter, en 1366, les « statuts de Kilkenny », établissant une ségrégation entre colons et indigènes[12]. La véritable colonisation débute avec la dynastie des Tudors. Des terres sont confisquées dès 1556 en vue de créer des colonies de peuplement, les « Plantations », tandis que s'affirme le pouvoir anglais sur l'île[11].
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, plusieurs révoltes éclatent, en partie contre la constitution de l'Église anglicane en religion officielle en 1560. Elles sont soutenues par les « Vieux Anglais » et les « Vieux Écossais », descendants de colons du XIIe et XIIIe siècles, fidèles au catholicisme. Malgré le soutien de Rome, les différentes rébellions échouent. Les terres de leurs chefs sont confisquées, relançant ainsi la politique de Plantation. Ces nouveaux colons (les « Nouveaux Anglais », anglicans, et les « Nouveaux Écossais », presbytériens) s'installent en particulier dans la province du Nord-Est, l'Ulster. La conquête cromwellienne de l'Irlande puis la victoire du prétendant protestant au trône d'Angleterre Guillaume d'Orange sur son concurrent catholique Jacques II confirment cette implantation britannique[13].
Entre 1695 et 1727 sont promulguées les « Lois pénales », un ensemble de discriminations économiques, sociales et politiques vis-à-vis des catholiques. Une persécution religieuse, certes modérée, touche catholiques et English Dissenters. Le clergé catholique organise toutefois un culte clandestin[14].
Naissance du nationalisme irlandais, protestant et catholique
Le gouvernement britannique limite à la fin du XVIIe siècle les possibilités de développement économique et commercial de l'île[14]. Au sein de l'élite coloniale protestante, peu à peu éloignée du pouvoir politique et religieux, naît un premier nationalisme irlandais[15]. En 1759, Henry Flood crée le Parti patriotique irlandais. À la fin du XVIIIe siècle, la situation économique des Irlandais, en particulier celle des catholiques, s'améliore, et, en 1783, le Parlement d'Irlande obtient une plus grande autonomie. La Révolution française inspire certains nationalistes, tel Wolfe Tone qui crée en 1791 la Society of the United Irishmen. Créé en 1795, l'Ordre d'Orange regroupe les protestants loyaux à la couronne britannique. Tandis qu'en Ulster, paysans catholiques et protestants s'affrontent au sein de sociétés secrètes — The Defenders et les Peep O'Day Boys — une rébellion éclate en mai 1798, menée par la Société des Irlandais unis. Elle échoue par faute d'alliance réelle entre nationalistes catholiques et protestants. Rejeté un an avant, les Acts of Union, mettant fin à la relative autonomie de l'Irlande, sont adoptés le 7 juin 1800[16].
Lorsque l'Irlande est intégrée au Royaume-Uni, plus de 90 % des terres sont possédées par les colons[17]. L'avocat catholique Daniel O'Connell obtient en avril 1829 la fin de nombreuses discriminations contre les catholiques[18]. Pacifiste, il durcit pourtant ses positions en fondant onze ans plus tard la Loyal National Repeal Association[19]. Le soutien des masses catholiques à son action transforme le paysage du nationalisme irlandais auparavant majoritairement protestant. Les anglicans et les presbytériens au contraire se rapprochent de la Couronne. Des organisations républicaines comme Young Ireland tentent néanmoins de rapprocher les deux communautés autour d'idées indépendantistes[20]. Certaines se laissent tenter, sans succès, par la lutte armée[21].
Le problème agraire qui suit la Grande famine de 1845-1849 et la diffusion des idées séparatistes et républicaines agitent l'Irlande dans la seconde partie du XIXe siècle, tandis que des organisations secrètes, comme l'Irish Republican Brotherhood, fondée en 1858, se lancent dans des campagnes d'attentats et d'assassinats[22],[23]. À partir de 1870, les partisans d'une solution politique, tel le protestant Charles Parnell, militent pour l'application d'un Home Rule, autrement dit, permettre une autonomie complète à l'Irlande[24]. Les élections pour le Parlement du Royaume-Uni de 1885 en Irlande donnent la victoire à l'Irish Parliamentary Party (aussi connu comme le Home Rule Party), tandis que les unionistes s'organisent contre toute forme d'autonomie[25]. Les différents projets de Home Rule sont rejetés en juin 1886 puis en septembre 1893 et forment un des principaux thèmes de campagne au Royaume-Uni[26].
Les réformes agraires de la fin du XIXe siècle redonnent la propriété des terres aux Irlandais (ils en possèdent les deux tiers en 1914)[24], mais le mouvement nationaliste change de forme. Des organisations comme la Ligue gaélique, fondée en 1893, diffusent désormais un nationalisme plus culturel qu'économique[27], tandis que James Connolly crée en 1896 le Parti socialiste républicain irlandais, alliant socialisme et nationalisme[28]. Moins révolutionnaire, Arthur Griffith forme le Sinn Féin en 1905[29].
La partition de l'Irlande
Au début du XXe siècle, l'Irlande est agitée par les mouvements nationalistes, républicains et rapidement par leurs répliques unionistes, le parlement britannique ayant finalement accepté de mettre en place un Home Rule, ou Government of Ireland Act en 1914, qui confère une relative autonomie de l'Irlande dans le Royaume-Uni[F 5]. Les deux camps se préparent à une montée de la violence et s'organisent en milices, multipliant entraînements militaires et stocks d'armes : les Ulster Volunteers de l'unioniste Edward Carson en 1912, les Irish Volunteers de l'Irish Republican Brotherhood et l'Irish Citizen Army du syndicat Irish Transport and General Workers' Union l'année suivante. Alors que le mouvement républicain se divise sur l'attitude à adopter pendant la Première Guerre mondiale[F 6], une partie y voit l'occasion d'un soulèvement. Le , environ 750 membres des Irish Volunteers et de l'Irish Citizen Army proclament la République irlandaise à Dublin en s'emparant de plusieurs bâtiments stratégiques. C'est l'« Insurrection de Pâques », Easter Rising en anglais. Si la population n'a d'abord pas soutenu les insurgés, elle sympathise avec leurs idées après une répression sanglante lors de laquelle la plupart des chefs de la rébellion sont passés par les armes. Le Sinn Féin, petit parti opposé à l'usage de la force, est accusé par les Britanniques d'être à l'origine de l'insurrection. Il devient un important parti politique nationaliste à sa suite, avec la montée en puissance en son sein des républicains[30].
Le Sinn Féin remporte une large victoire électorale lors des votes de décembre 1918. Refusant de siéger au Palais de Westminster, 26 de ses 105 députés[Note 5] se réunissent en Dáil Éireann à Dublin et proclament l'indépendance de la république d'Irlande le . Le jour même ont lieu les premiers affrontements. L'Irish Republican Army, réorganisation des Irish Volunteers, organise la lutte armée contre les forces britanniques[30], tandis que des « soviets », des conseils des travailleurs, s'organisent dans certaines villes[F 7]. Une trêve bilatérale est acceptée en 1921, et le , Michael Collins et Arthur Griffith signent le Traité anglo-irlandais, partageant l'île entre l'Irlande du Nord et l'État libre d'Irlande. Bien qu'accepté par le Dáil Éireann (les élections du donnent la victoire au pro-traité), le traité est refusé par la majorité des Volunteers de l'Irish Republican Army. Une partie intègre l'armée officielle tandis que l'autre, opposée au traité, continue le combat. Le 28 juin 1922 éclate la guerre civile entre les anciens compagnons d'arme[31]. Le , convaincue de sa défaite, l'Irish Republican Army, par la voix d'Éamon de Valera, décide d'un cessez-le-feu[F 8].
Au sein de l'État libre, proclamé officiellement le [F 8], s'opposent le Fianna Fáil d'Éamon de Valera et le Fine Gael de William Cosgrave tandis que le Sinn Féin perd tout soutien populaire. Séparée un temps du Sinn Féin[F 9], l'Irish Republican Army, divisée entre les partisans d'un tournant plus socialiste et ceux d'une unique activité militaire, tente de survivre politiquement en fondant le Saor Éire[F 10]. Arrivés au pouvoir en 1932, Éamon de Valera et le Fianna Fáil s'appuient sur l'Irish Republican Army pour contrer les Chemises bleues, un mouvement fasciste ; ils organisent une véritable guerre économique contre le Royaume-Uni[F 11]. Ce même gouvernement interdit pourtant l'Irish Republican Army par la suite[F 12]. Établie en 1937, la Constitution irlandaise transforme l'État libre en Éire et affirme ses revendications sur l'Irlande du Nord ainsi que la place centrale de l'Église catholique, preuve d'un conservatisme craint des protestants[F 13]. Le , à la suite de la victoire d'une coalition formée du Clann na Poblachta, du Fine Gael et de l'Irish Labour Party, l'Irlande sort du Commonwealth, décision reconnue par le Royaume-Uni le 3 mai avec l'Ireland Act[32].
Au nord-est de l'Irlande, pendant la Guerre d'indépendance, les B-Specials, les Black and Tans et les anciens Ulster Volunteers organisent de véritables pogroms anti-catholiques[33]. Le projet de séparer l'Ulster du reste de l'île avait déjà été proposé par Lloyd George en 1916. C'est chose faite en 1920 : les comtés d'Antrim, d'Armagh, de Derry et de Down, à majorité protestante, ainsi que les comtés de Fermanagh et de Tyrone, à majorité catholique[34], sont placés sous le contrôle du Parlement d'Irlande du Nord par le Government of Ireland Act 1920[F 14]. Le nouvel État organise une véritable discrimination politique, économique et sociale de la minorité catholique, tandis que s'affirment ses liens étroits avec l'Ordre d'Orange[35],[36].
Jusqu'à l'élection de Terence O'Neill en 1963, l'Irlande du Nord vit une véritable stagnation politique[37],[F 15]. L'Irish Republican Army, isolée, tente à plusieurs reprises de reprendre ses activités armées. Le , une déclaration de guerre au Royaume-Uni est suivie d'une campagne d'attentats en Angleterre. Certains de ses membres tentent même d'obtenir le soutien de l'Allemagne nazie[F 16] et, plus tard, ils se rapprochent d'autres groupes armés anti-britanniques (EOKA, Irgoun, Lehi)[F 17]. Le est lancée la Campagne des frontières qui finit en 1962, ayant fait 17 morts (onze membres de l'Irish Republican Army et six de la Royal Ulster Constabulary, la police nord-irlandaise). L'Irish Republican Army enterre alors les armes[F 18] et les vend en 1968 à la Free Wales Army[F 19].