Constantin IX Monomaque
empereur byzantin de 1042 à 1055 / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Constantin IX Monomaque (en grec : Κωνσταντίνος Θʹ Μονομάχος, Kōnstantinos IX Monomakhos), parfois surnommé « le Gladiateur »[N 1], né vers 1000 à Antioche et mort le à Constantinople, est un bureaucrate et sénateur devenu empereur byzantin entre le et le .
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Constantin IX Monomaque | |
Empereur byzantin | |
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Mosaique à Sainte-Sophie représentant Constantin IX. Il porte l’apokombia, contenant des offrandes qu'il est de coutume que l'empereur fasse à l'Église. | |
Règne | |
- 12 ans et 7 mois |
|
Période | Macédonienne |
Précédé par | Zoé Porphyrogénète Michel V |
Co-empereur | Zoé Porphyrogénète (1028-1050) |
Suivi de | Théodora Porphyrogénète |
Biographie | |
Naissance | vers 1000 (Antioche) |
Décès | (~55 ans) (Constantinople)[1] |
Père | Théodose Monomachos |
Épouse | Inconnue Pulchérie Sklèros Zoé Porphyrogénète |
Descendance | Anna |
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Issu d'une famille de la noblesse byzantine, il arrive au pouvoir par son mariage avec Zoé Porphyrogénète, dernière représentante, avec sa sœur, de la prestigieuse dynastie macédonienne. Son règne intervient donc à la fin de cette ère d'expansion progressive et de prospérité pour l'Empire byzantin, qui rencontre alors des défis d'ampleur. Longtemps considéré comme hostile à l'armée et peu préoccupé par la défense des frontières, il a pourtant combattu des menaces nouvelles, comme les Normands en Italie du Sud, les Petchénègues dans les Balkans et les Seldjoukides en Orient. Capable d'étendre une dernière fois la frontière orientale par l'incorporation d'Ani en Arménie, il est toutefois en difficulté face à ces forces émergentes qui gagnent peu à peu du terrain.
Sur le front intérieur, ses décisions ont été largement débattues, tandis que son pouvoir est à plusieurs reprises contesté du fait de l'extinction à venir de la dynastie macédonienne. S'il sort vainqueur des différentes rébellions auxquelles il fait face, grâce à une habile maîtrise des réseaux de pouvoir, leur survenue atteste l'instabilité grandissante de la scène politique impériale, tandis que l'économie connaît des signes d'essoufflement. Reconnu pour avoir ouvert le Sénat byzantin à des pans plus vastes de la société byzantine, notamment aux marchands et commerçants, il a été vu par Paul Lemerle comme un symbole de l'ère de prospérité du monde byzantin du milieu du XIe siècle. Ainsi, il ouvre une importante école de droit, fait participer nombre d'intellectuels à son gouvernement et promeut la culture dans l'Empire. Néanmoins, d'autres historiens ont vu en lui un empereur peu préoccupé des troubles les plus urgents qui frappent l'Empire, dépensier, plus intéressé par des plaisirs futiles et qui se refuse à quitter Constantinople, ce qui peut s'expliquer par sa santé fragile.
Enfin, son règne voit la rupture avec l'Église d'Occident en 1054, un événement dont la portée reste limitée à court terme, mais qui symbolise l'écart grandissant entre Rome et Constantinople. À sa mort, l'Empire s'apprête à connaître des défis de grande ampleur qui vont jusqu'à remettre en cause son existence même. C'est probablement ce qui explique les interprétations si différentes qui ont pu émerger à propos du règne de Constantin IX, tantôt jugé responsable de l'aggravation prochaine de la situation de l'Empire, tantôt reconnu pour ses efforts afin d'y apporter des réponses plus ou moins adaptées.
Le règne de Constantin IX intervient à un moment de floraison intellectuelle de l'Empire, qu'il contribue à entretenir. De ce fait, plusieurs textes font référence à son époque. Le plus important est la Chronographie de Michel Psellos, figure majeure de son temps, chroniqueur, mais aussi acteur du jeu politique complexe du monde byzantin du XIe siècle. Psellos est un des protégés de l'empereur, qui favorise son ascension aux côtés d'autres intellectuels, et il livre au moins sept panégyriques en sa faveur[2]. Pour autant, dans sa Chronographie postérieure au règne de Constantin, il n'hésite pas à souligner les défauts du souverain, qu'il juge trop dépensier[3]. En complément de cette œuvre fondamentale, les écrits de Jean Skylitzès, dont l'ouvrage s'arrête presque à la mort de Constantin, et de Michel Attaleiatès, autres historiens principaux du siècle, permettent d'avoir une vision plus distanciée des événements. Attaleiatès reprend le jugement d'un homme porté sur les plaisirs de la vie et les distractions futiles, tout en notant le raidissement de son comportement dans les dernières années de sa vie[4]. Jean Zonaras, qui vit quelques décennies après la mort de Constantin, livre aussi des éléments sur son règne. Des textes arméniens offrent une perspective extérieure, en particulier sur les régions les plus orientales de l'Empire, tout en étant plus critiques envers Constantin et les Byzantins en général. Ainsi, Aristakès Lastivertsi dénonce les mœurs dissolues de l'empereur et son manque de réflexion dans la conduite des affaires. La simultanéité de la prise d'Ani et des premières incursions turques contribuent en grande partie au peu d'estime des chroniqueurs arméniens à l'encontre de Constantin[5].
Famille
Constantin[6] est né à Antioche[7], fils de Théodose Monomaque, juge et bureaucrate important sous Basile II et Constantin VIII. Issu d'une noble famille byzantine, il a deux sœurs, Hélène Monomaque (vers -vers ) et Euprépie Monomaque (vers -après )[8]. Cette dernière semble avoir eu une certaine présence à la cour de son frère, lui déconseillant notamment d'amener sa maîtresse au Grand Palais, sans résultats. Selon Psellos, qui loue l'intelligence d'Euprépie, elle aurait eu du mépris pour son frère, et a critiqué plusieurs de ses décisions[9].
La famille Monomaque est ancienne et remonte au moins au début du IXe siècle avec plusieurs fonctionnaires d'importance comme Paulos Monomaque, le grand-père de Constantin, ambassadeur vers les années 950, tandis que plusieurs de ses aïeux occupent des rangs prestigieux, comme ceux de magister ou de patrice, qui les placent dans les hautes sphères de la société byzantine. Théodose est d'ailleurs impliqué dans un complot contre Basile II qui aboutit à sa disgrâce temporaire. Probablement originaires d'Antioche, les Monomaques s'installent vite à Constantinople et montrent une certaine dévotion pour Saint Georges, une pratique entretenue par Constantin au cours de son règne. Si le nom de famille a des évocations guerrières, puisque Monomaque signifie « qui se bat en combat singulier », les parents de Constantin sont principalement des fonctionnaires[10],[11].
Sa seconde épouse, Pulchérie Sklèros, est la nièce maternelle de Romain III Argyre. Cette union avec une parente de l'empereur témoigne de la place élevée qu'occupent Constantin et sa famille dans la hiérarchie de l'Empire[12]. Compromis dans un complot sous le règne de Michel IV en 1035, il est exilé par Jean l'Orphanotrophe à Mytilène pendant sept ans[13],[14].
Arrivée au pouvoir
En 1042, la situation de l'Empire byzantin est atypique. Face à l'absence de représentants masculins après les morts de Basile II (962-1025) et de Constantin VIII (962-1028), la dynastie macédonienne n'est plus représentée que par les deux filles de Constantin VIII : l'aînée Zoé Porphyrogénète et Théodora Porphyrogénète. Comme la tradition politique byzantine interdit la détention du pouvoir suprême par une femme seule, à l'exception d'Irène l'Athénienne, un mariage avec Zoé devient la promesse du trône. Ainsi, en 1028, elle a épousé Romain III Argyre puis s'est éprise de Michel IV, qu'elle prend comme mari après la mort suspecte de Romain. Quand Michel meurt le , elle devient veuve à nouveau alors qu'elle est âgée d'une soixantaine d'années. Pour quelques mois, c'est Michel V, le neveu de Michel IV, qui ceint la couronne en tant que fils adoptif de Zoé. Néanmoins, il s'attire vite l'hostilité franche de l'aristocratie, contre laquelle il prend des mesures fortes, mais aussi celle de la population, quand il décide d'exiler Zoé et Théodora, incarnations de la légitimité macédonienne. Face à cette fronde généralisée, il est contraint d'abandonner le pouvoir dès le et de se réfugier au monastère du Stoudion[15].
Zoé décide alors de trouver un troisième époux et procède à une sélection. Après avoir repoussé plusieurs candidats, dont Constantin Dalassène, elle jette son dévolu sur Constantin[16], qu'elle connaît au moins depuis le règne de Romain III puisque des rumeurs affirment qu'elle entretient alors une liaison avec lui[17]. L'union est célébrée le et Constantin IX est couronné le lendemain par le patriarche. Celui-ci, s'il a consenti à un troisième mariage pour Zoé, n'a pas procédé au mariage, ce qui constitue une entorse aux règles canoniques[18]. Selon Jean Skylitzès, c'est un prêtre de la Nea Ekklesia du nom de Stypès qui a officié[14]. Le choix de Constantin peut surprendre, car il n'a pas d'expérience de la guerre ni de postes importants au sein de l'administration. Pour autant, si Constantin est qualifié d'inoffensif par Michel Psellos, Éric Limousin rappelle ses liens étroits avec tout un pan de l'aristocratie byzantine, en particulier des familles mises à l'écart par Michel IV comme les Sklèroi ou les Argyres, voire des familles plus récentes comme les Makrembolitzès[19]. Dès son avènement, il confirme l'exil de Jean l'Orphanotrophe, transféré sur Lesbos, et de Michel V, envoyé sur Chios où il meurt dès l'été suivant[20]. Probablement dans la quarantaine à son avènement, le nouvel empereur est décrit comme avenant et décide d'un grand nombre de promotions sénatoriales quand il prend le pouvoir. Selon Anthony Kaldellis, il entend placer son règne sous le sceau de « la générosité et l'indulgence »[21].
Le règne de Constantin est marqué par la prodigalité dont il fait preuve, jouissant d'un trésor impérial abondant à la suite des conquêtes de ses prédécesseurs et de l'ère d'expansion économique que connaît l'Empire dans la première moitié du XIe siècle. Alors que Zoé a été privée d'accès à ce trésor par Romain III, son troisième époux s'assure qu'elle peut en profiter autant que de besoin. Il distribue aussi un grand nombre de cadeaux, tant sous des formes monétaires que par des donations de terre ou des exemptions fiscales, en particulier pour le monde religieux.
Personnalité et vie sentimentale
Dès son accession au trône, il apparaît vite que le mariage qu'a contracté Constantin avec Zoé a pour seul but de lui permettre d'accéder à la dignité impériale. S'il a une bonne relation avec Zoé, meilleure en tout cas que celle que lui ont réservée les deux précédents époux de l'impératrice, il entretient depuis quelques années une relation avec sa cousine, Marie Sklèraina, avec qui il n'a pu se marier en raison de l'interdit pesant sur une troisième union. Bien vite, il impose la présence de sa maîtresse à la cour, ce à quoi Zoé ne s'oppose pas, d'autant qu'elle est certainement au courant de la liaison quand elle choisit Constantin comme époux[22]. Si Marie Sklèraina est d'abord cantonnée au palais des Manganes, Constantin aspire à officialiser sa relation avec elle et finit par l'élever au rang de sebaste (Augusta), ce qui l'amène quasiment au même statut que celui d'impératrice, d'autant qu'elle se montre une véritable conseillère de l'empereur dans ses choix politiques. En dépit de cette situation tout à fait inhabituelle à la cour impériale, Zoé consent à signer un traité d'amitié avec Marie Sklèraina, dont les appartements sont contigus de ceux de Constantin[23]. La cour prend alors une configuration atypique, avec l'impératrice Zoé, sa sœur Théodora dont le statut est similaire et une quasi-impératrice de fait[22]. Quand Marie Sklèraina s'éteint en 1046, Constantin semble en avoir tiré une grande affliction et il la fait enterrer dans le monastère de Saint-Georges-des-Manganes. En 1050, c'est Zoé qui meurt à son tour, mais l'événement ne trouble guère l'empereur[24]. Dans les dernières années de son règne, il prend une nouvelle maîtresse, probablement issue d'une famille de la noblesse géorgienne, élevée elle aussi au rang de sebaste après la disparition de Zoé[24].
Dans sa jeunesse, Constantin semble réputé pour sa beauté et son aspect athlétique, souligné par Michel Psellos, parfois avec emphase. Néanmoins, le même auteur met en exergue une certaine déchéance physique au fur et à mesure de son règne[25]. En effet, il souffre de plusieurs maladies dont la goutte et l'arthrite qui le handicapent dans ses déplacements et expliquent qu'il ne quitte pas Constantinople. En revanche, cela ne l'empêche pas de prendre la tête des défenseurs près des murailles quand il est assiégé par le rebelle Léon Tornikios[26].
Un empereur contesté
Le règne de Constantin IX voit la réapparition de révoltes militaires d'envergure, pour la première fois depuis les années 980[27]. La première émane du général le plus estimé de son temps, Georges Maniakès, qui bénéficie du respect et de la loyauté de ses soldats et qui se révolte face à ce qu'il perçoit comme de l'ingratitude de la part du pouvoir impérial. À cet égard, Jean-Claude Cheynet souligne qu'il ne s'appuie pas sur un groupe de partisans particuliers au-delà de ses troupes. Une fois parti d'Italie où il est gouverneur, il débarque à Dyrrachium dont il bat le gouverneur local, avant de nouer une alliance avec le chef serbe Stefan Vojislav de Dioclée[28]. Ensuite, il continue sa marche et vainc une autre armée en Bulgarie, puis prend la direction de Thessalonique. En , la bataille décisive intervient près d'Ostrovo[N 2]. L'empereur est représenté par l'eunuque Étienne Pergamos. Alors que Maniakès prend la tête de l'attaque et perce les lignes ennemies, il reçoit un coup mortel qui met un terme à son soulèvement. Étienne revient triomphant dans la cité impériale et ramène la tête du rebelle à l'empereur[29],[CH 1],[30].
À peu près au même moment que Maniakès, c'est le gouverneur de Chypre, Théophile Érotikos, qui se soulève en prenant prétexte de la fiscalité pour pousser la population locale à s'en prendre aux fonctionnaires locaux. Constantin IX doit dépêcher une flotte pour ramener l'ordre dans l'île, tandis que le rebelle est fait prisonnier et exposé au sein de l'hippodrome de Constantinople[31],[32].
Toujours en 1043, un complot est dévoilé qui implique le gouverneur de Mélitène et l'eunuque Étienne, celui-là même qui s'est opposé à Maniakès. Une fois mis au courant, Constantin IX le fait tonsurer et exiler. Quant au gouverneur, il est exhibé dans l'hippodrome, aveuglé et exilé lui aussi[32].
Le soulèvement le plus grave intervient en 1047, quand Léon Tornikios prend les armes contre l'empereur, dont il est pourtant un cousin et un proche de sa sœur Euprepeia. À l'origine au , ce sont les tagmata de Macédoine qui s'opposent à lui, peut-être en raison de leur démobilisation après la victoire contre les Petchénègues, qui les laisse sans solde là où les armées d'Orient combattent toujours[CH 2]. Si Tornikios est alors à Mélitène, il semble déjà être en contact avec les conspirateurs. Constantin parvient à retourner des officiers contre lui, le démet de son poste et le fait tonsurer[33]. Toutefois, le , à l'aide de complices, Léon Tornikios s'enfuit de Constantinople et rallie à lui les troupes de Macédoine et de Thrace, qui sont les plus importantes de la partie occidentale de l'Empire. Installé à Andrinople, il se fait couronner empereur et vise directement Constantinople, pour empêcher que l'armée d'Orient ne vienne en aide à Constantin[34].
Le , Tornikios est devant les murailles de Constantinople. En face, l'empereur prend la tête de la défense de la ville et arme une partie des habitants. Il est dans le quartier des Blachernes, à proximité directe des remparts, pour être au plus près des combats. Sa présence semble galvaniser les troupes et assure leur loyauté, car ils ne cèdent pas aux acclamations de Léon Tornikios. Si la panique semble un temps s'emparer des défenseurs, Léon Tornikios n'en profite pas et Constantin peut rapidement reprendre le contrôle de la situation. Grâce aux engins de siège qu'il a élevés sur les remparts, il peut harceler son adversaire et il n'hésite pas à armer des prisonniers pour gonfler ses effectifs[CH 3]. Bientôt, les soutiens de Tornikios s'étiolent. Quelques jours seulement après avoir mis le siège devant la ville, Tornikios se retire et tente d'assiéger Rhaidestos, seule ville thrace restée fidèle à Constantin IX, sans plus de succès. Si les troupes loyalistes d'Occident sont vaincues, bientôt, l'empereur bénéficie des renforts venus d'Orient. Cette opposition entre les armées d'Occident et les armées d'Orient, aux intérêts divergents, est alors un trait de plus en plus marqué de la vie politique byzantine que Constantin sait exploiter[CH 4]. Encerclés, les rebelles abandonnent la cause de Tornikios qui, esseulé, est livré à l'empereur. Celui-ci le fait aveugler le jour de Noël 1047 et un poète de la cour, Jean Mavropous, livre un panégyrique à la gloire de Constantin IX quelques jours plus tard[35]. Après cette révolte, le règne de Constantin ne connaît plus de rébellions d'importance, ce qui atteste sa maîtrise du jeu politique byzantin[36],[37].
En dehors de ces soulèvements militaires, Constantin doit aussi faire face à la révolte d'une partie de la capitale en 1044, qui trouve une explication partielle dans la mise en avant excessive de sa maîtresse au détriment des deux sœurs macédoniennes, qui sont très populaires et incarnent toujours la dynastie légitime des Macédoniens[38]. En outre, Constantin est critiqué pour les largesses qu'il accorderait à sa favorite[39]. Surtout, cet épisode illustre l'influence grandissante de la notabilité constantinopolitaine des marchands et des artisans, dont la richesse s'est accrue avec la prospérité de l'Empire. Deux ans auparavant, ce sont des troubles similaires qui ont renversé Michel V. Ils expriment alors sûrement un mécontentement d'être tenu à l'écart du gouvernement de l'empereur[40],[41]. Les communautés juives et musulmanes de la cité participent aussi aux émeutes et sont, pour cela, exilées à Péra, sur l'autre rive de la Corne d'Or[42],[43].
Politique militaire
Sur un plan militaire, Constantin IX met un terme à l'expansionnisme des deux derniers siècles, ce qui lui a parfois valu d'être considéré comme hostile à l'armée[44]. L'une des mesures les plus controversées de son règne est le démantèlement de l'armée du duché d'Ibérie, qui aurait gravement affaibli la frontière orientale alors même que la menace turque est croissante. Au total, 50 000 hommes auraient été démobilisés, ce qui semble considérable pour la région et concernerait donc avant tout des paysans mobilisables en temps de guerre[45]. À la place de ce « service militaire », ils sont désormais redevables de l'impôt. Selon Jean Skylitzès, une partie de la population préfère fuir plutôt que de payer cette nouvelle taxe, sans qu'il soit possible de déterminer l'exactitude et l'ampleur de ce phénomène[46]. Plusieurs chroniqueurs et historiens ont estimé que cette décision a facilité la pénétration turque dans la région et, à terme, participerait au déclin de l'armée byzantine après les réussites de l'ère macédonienne. Georg Ostrogorsky a particulièrement soutenu cette opinion et y a vu le symbole de l'hostilité de l'aristocratie civile, dont serait membre Constantin IX, envers l'armée[47]. Pour les historiens plus récents comme Jonathan Harris ou Anthony Kaldellis, cette décision ne traduit pas une volonté délibérée d'affaiblir l'appareil militaire byzantin. Au contraire, l'empereur a toujours été attentif à la défense des frontières et les Turcs ont déjà commencé leurs incursions quand il prend cette décision. Il est possible que cette armée ait été d'une efficacité toute relative. John Haldon met ainsi en rapport sa dissolution avec ses performances médiocres contre les premières incursions turques dans les années 1040[48]. À une époque où les empereurs se reposent de plus en plus sur une force professionnelle, Constantin a peut-être préféré un apport fiscal à une troupe de faible qualité. Ce choix s'intègrerait alors dans la fiscalisation grandissante de la strateia, soit la transformation d'une obligation militaire (la strateia) en une obligation fiscale, du fait de l'inadaptation des anciennes troupes locales, recrutées ponctuellement, au retour des guerres offensives à partir du Xe siècle[HA 1]. Les empereurs préfèrent une armée professionnelle ou le recrutement de mercenaires, qui vont de pair avec une simplification de l'organisation militaire de l'Empire[49]. Constantin IX a ainsi favorisé le recrutement de mercenaires d'origine occidentale, souvent qualifiés de Francs, à l'image d'Hervé Frankopoulos qui participe à plusieurs de ses campagnes et jouit d'un prestige certain dans l'Empire. Le chroniqueur Guillaume d'Apulie va jusqu'à souligner les bonnes dispositions de l'empereur envers les soldats francs[50].
Au sein de l'Empire, l'évolution en faveur d'une « démilitarisation » des thèmes s'incarne dans le passage progressif d'un gouverneur militaire (le stratège) à des administrateurs civils comme le juge (kritès) ou le praitor, une tendance dans laquelle s'inscrit l'empereur. Son administration, qui laisse une large place aux civils, intègre un nouveau poste, l’epi ton kriseon, responsable de ces administrateurs locaux, avec pour mission de contrôler leurs décisions et de prévenir les cas de corruption[44],[51],[52]. L'enjeu crucial de la réforme de Constantin en Ibérie est alors de connaître l'usage de l'impôt prélevé mais aucune information n'existe à ce sujet[53].
Ouverture sociale
Constantin IX est réputé pour sa politique d'ouverture du Sénat byzantin à des couches sociales qui en sont généralement exclues : les marchands et les artisans, qui bénéficient sûrement du dynamisme économique de l'Empire. Conformément à la tradition romaine, l'élite politique n'inclut pas les marchands, aussi riches soient-ils, et les grandes familles aristocratiques de l'Empire se distinguent avant tout par leur service de l'État, qu'il soit civil ou militaire. Au XIe siècle, le Sénat, qui regroupe l'élite de la société byzantine, semble comprendre des membres nouveaux. Michel Psellos souligne tout particulièrement le rôle de Constantin IX, puis de Constantin X, dans cette promotion alors que d'autres sources sont muettes, comme Michel Attaleiatès ou Jean Skylitzès. Le phénomène est difficile à mesurer avec exactitude, mais quelques sources attestent une certaine ouverture sociale, notamment des sceaux sénatoriaux portant le nom de familles inconnues jusqu'alors[54]. À l'époque, le gouvernement impérial pratique la vente de charges et de dignités qui permettent l'ascension sociale de leurs bénéficiaires, tout en alimentant le trésor public, au moins à court terme, d'où la tentation d'élargir le champ des privilégiés. Pour Constantin IX, qui fait face à la défiance d'une partie de la vieille aristocratie promue sous la dynastie macédonienne, c'est un moyen de s'appuyer sur une autre composante de la société byzantine[40]. Cependant, chaque charge s'accompagne d'une rente annuelle (la roga), qui, par sa durée pèse sur les finances impériales. Si l'ampleur de l'ouverture du Sénat par Constantin reste difficile à mesurer, ses successeurs sont effectivement confrontés à un nombre de plus en plus important de rogai à verser[55].
Politique religieuse et schisme avec la papauté
Tout au long de son règne, Constantin IX cohabite avec le patriarche Michel Cérulaire, réputé pour sa grande autonomie et sa capacité à se distinguer, voire à s'opposer, au pouvoir impérial. À cet égard, Jean-Claude Cheynet le qualifie de « patriarche tyrannos »[56]. Si les relations sont parfois difficiles, c'est bien Constantin qui l'a nommé au poste patriarcal à la mort d'Alexis Studite en 1043, probablement en remerciements du soutien apporté par la famille Cérulaire à sa cause[40].
Cette difficulté à contrôler le patriarche devient patente en 1054, une année marquée par un événement aux conséquences déterminantes pour l'avenir des relations entre l'Empire byzantin et l'Europe occidentale : la séparation des Églises d'Orient et d'Occident en 1054. Considérée comme une date clé, sa portée réelle a été largement relativisée depuis et elle est désormais perçue comme une étape dans un processus de distanciation entre Rome et Constantinople, entamé au moins depuis le VIIIe siècle[57],[58],[59]. Depuis plusieurs siècles, différentes controverses théologiques sont venues perturber les rapports entre les deux pôles de la chrétienté, sur fond de rivalité politique, car le patriarche de Constantinople répugne régulièrement à reconnaître la primauté papale, tandis que ce dernier s'est progressivement détourné de l'empereur byzantin au profit de puissances occidentales comme l'Empire carolingien. En plus de l'enjeu de la primauté papale, des controverses théologiques comme la querelle du Filioque à propos de la nature du Saint-Esprit sont des sujets de discorde récurrents, qui peuvent aussi s'expliquer par des différences culturelles et linguistiques. Ces divergences trouvent à s'exprimer en 1054, alors même que la papauté et l'Empire sont alliés face aux Normands. Néanmoins, c'est aussi en Italie du Sud que les querelles s'enveniment quand les représentants du patriarche entendent mettre fin à des pratiques du rite latin, notamment l'usage du pain azyme. En outre, le patriarche Michel Ier Cérulaire semble avoir fait fermer les églises constantinopolitaines affiliées au rite latin[60].
Michel Cérulaire fait figure de patriarche déterminé et doté d'une forte autonomie, tant à l'égard de Rome que de l'empereur, ce qui complique inévitablement toute négociation, même si son rôle dans la rupture a probablement été exagéré[61]. Quand le pape Léon IV envoie son légat, le cardinal Humbert reconnu pour son intransigeance, pour résoudre la crise et discuter de l'alliance avec l'Empire fragilisée par la défaite de Civitate, c'est un échec complet. Quand il a connaissance d'un pamphlet anti-latin publié par un moine du Stoudion, l'empereur a beau contraindre le coupable à se rétracter, le mal est fait[58]. Le cardinal dépose une bulle d'excommunication à l'intention du patriarche le en pleine procession, lequel réplique de la même manière à l'occasion d'un synode réuni à la hâte le . Ces événements se déroulent tandis que le pape est décédé en et que la vacance du siège papal rend potentiellement invalides les décisions de ses représentants[62]. Même si la rupture est consommée, elle n'est qu'une étape de plus dans une séparation progressive qui n'est pas encore considérée comme inéluctable et ne fait réellement sentir ses effets que bien plus tard[63],[64].
Le rôle de Constantin IX dans cette crise est imparfaitement connu. Vieillissant, il est sûrement désarçonné par l'attitude de Michel Cérulaire, qui s'appuie sur la population de la capitale, largement favorable au patriarche[58]. L'empereur a reçu avec attention les légats papaux et cherche vraisemblablement à conserver l'alliance contre les Normands. Les divergences religieuses entre Rome et Constantinople sont sûrement secondaires à ses yeux face à la nécessité d'une coalition en Italie du sud. Par ailleurs, la bulle d'Humbert est élogieuse pour l'empereur et bien dirigée contre le patriarche. Cela n'empêche pas Constantin d'y réagir assez vigoureusement, peut-être pour satisfaire une partie de l'élite politique proche de Cérulaire et de la population, dont les manifestations ont tourné à l'émeute. C'est probablement à son initiative qu'un synode est convoqué qui excommunie le cardinal Humbert, qui a refusé de s'y présenter, là aussi sans viser le pape ou le dogme catholique en tant que tel[65],[66].
En-dehors du schisme de 1054, qui fait d'abord figure d'accident diplomatique plus que de crise religieuse, Constantin IX se montre attentif au bon fonctionnement matériel de l'Église. Il fournit à la basilique Sainte-Sophie les fonds nécessaires à la tenue d'une synaxe (une assemblée de croyants) eucharistique quotidienne[67] et publie différents édits qui encadrent le statut particulier de la communauté monastique du Mont Athos. Comme beaucoup d'empereurs byzantins, il prend soin de financer la restauration, la construction ou l'entretien d'un certain nombre d'établissements religieux, à l'image du monastère tout juste fondé de la Néa Moni sur l'île de Chios, à qui il confère plusieurs avantages financiers. Il favorise aussi beaucoup le monastère de la Grande Laure de l'Athos et donne des terres du domaine impérial pour favoriser la constitution de monastères, à l'image de la Théotokos de Bessai dans la région d'Éphèse, créé par Lazare de Galèsion. Selon La Vie de Saint Niphon, Constantin IX serait également à l'origine de la restauration du monastère de Mesopotamon, près de l'actuelle Gjirokastër[68]. Mais son œuvre principale demeure la restauration à grands frais du monastère de Saint-Georges-des-Manganes à Constantinople[69].
Pratique du pouvoir et succession
Le règne de Constantin IX intervient dans une période troublée, celle d'une dynastie finissante. Avec l'extinction inéluctable de la lignée des Macédoniens, les ambitions impériales s'affrontent de plus en plus à la cour byzantine, d'abord sous la forme de la compétition pour devenir l'époux des deux dernières descendantes de Constantin VIII, ensuite pour fonder une nouvelle dynastie. La résurgence des soulèvements militaires au début du règne de Constantin Monomaque témoigne de l'instabilité qui couve. Néanmoins, il est parvenu à se maintenir sur le trône durant douze ans, sans être renversé. Pour cela, il a dû faire preuve d'habileté pour se concilier des intérêts divergents à la cour byzantine[70].
Dans la vision historique classique, il est un représentant de l'aristocratie civile et gouverne comme tel, en s'appuyant sur la bureaucratie au détriment des généraux. Pour autant, cette thèse doit être nuancée. Certes, il s'appuie sur une élite politique et intellectuelle pour gouverner, à l'image de tous les lettrés qui occupent son gouvernement[71]. Cette classe de fonctionnaires impériaux, appelés basilikoi, est régulièrement l'objet des attentions de l'empereur pour se les concilier. Pour autant, il s'est probablement appuyé dans les premières années de son règne sur les élites de la dynastie macédonienne avant de s'en détourner progressivement, ce qui favorise les révoltes de Maniakès, d'Erotikos ou de Tornikios. Il est aussi attentif à placer des eunuques, qui ne peuvent prétendre à la dignité impériale, à des postes stratégiques, à l'image d'Etienne Pergamos nommé comme général de l'armée qui combat Maniakès[CH 5]. À partir de 1044, il s'ouvre de plus en plus à l'aristocratie marchande qui a largement impulsé la révolte de 1044 qui agite la capitale. C'est tout l'objet de l'ouverture du Sénat byzantin à des familles nouvelles[40]. Éric Limousin a vu dans la capacité de Constantin IX à s'appuyer sur des pans différents de la société byzantine la caractéristique d'un homme de réseau. C'est d'autant plus nécessaire qu'il est dans l'incapacité d'établir une nouvelle dynastie puisque toute procréation avec Zoé, vieillissante, est inconcevable et qu'il n'a pas de descendant mâle d'une précédente relation. Sa légitimité est donc par nature fragile. Par cette propension à construire des réseaux d'alliances autour de la personne de l'empereur, Constantin IX tente de trouver une solution post-macédonienne qui, si elle ne lui survit pas, trouve un aboutissement avec l'avènement de la dynastie des Comnènes quelques décennies plus tard, dont les réseaux s'ancreront à la solidité d'unions matrimoniales que ne pouvait convoquer Constantin Monomaque avec autant de force[72].
Privé d'héritier naturel, Constantin échoue à organiser sa succession. Dans les derniers temps de son existence, influencé par les eunuques de sa cour, il voit en Nicéphore Proteuon, membre d'une famille alliée, un prétendant sérieux au trône impérial. Seulement, Théodora est toujours en vie et, bien que retirée dans un monastère, incarne encore, aux yeux d'une partie de la société, la légitimité des Macédoniens. Or, après la mort de Zoé en 1050, les relations entre Constantin et le clan des Macédoniens se sont distendues. Ainsi, dès que ses partisans ont connaissance du projet de succession, Théodora est informée et quitte son couvent pour la capitale[73]. Quand il meurt en (le est la date la plus souvent retenue), l'impératrice vient tout juste de reprendre les rênes du pouvoir et Nicéphore Proteuon est écarté[1],[N 3].
Souvent vilipendé par les chroniqueurs de son temps pour sa prodigalité, qu'elle soit dans ses réalisations artistiques, son train de vie et celui de la cour ou les promotions dont il gratifie nombre de ses partisans, il semble avoir resserré la discipline budgétaire dans les dernières années de son règne, alors que l'économie byzantine commence à connaître un phénomène d'inflation après des décennies de stabilité monétaire. C'est aussi à partir de 1050 que Constantin met de côté Constantin Lichoudès, l'un de ses principaux ministres et pilier d'un certain nombre de réformes[74]. Dans l'ensemble, la plupart des lettrés qui composent l'entourage proche de l'empereur sont progressivement contraints de se retirer, probablement en raison de leur programme de réformes trop ambitieux ou contraire à différents intérêts de la société byzantine[75]. Ainsi, Jean Xiphilin finit par se retirer dans un monastère de l'Olympe de Bithynie, de même que Jean Mavropous, relégué comme évêque d'un lointain diocèse d'Anatolie[76].
L'économie sous Constantin IX
Au milieu du XIe siècle, l'économie byzantine atteint son apogée médiéval. Les conquêtes successives ont abondé le trésor impérial, tandis que la monnaie byzantine règne en maître sur l'espace méditerranéen, au point d'être parfois qualifiée de dollar du Moyen Âge. Pourtant, un mouvement s'amorce sous Constantin IX[77]. Le poids des dépenses s'accroît, à l'image des générosités accordées par l'empereur détaillées précédemment. Peu à peu, la monnaie s'affaiblit et nécessite un premier mouvement de dévaluation[N 4], alors même que la force de la nomisma byzantine réside dans la permanence de sa valeur. Pendant son règne, le titre en or de l'histaménon (la pièce à la plus forte valeur) passe de 93 % à 81 % et celui du tétartéron de 93 % à 72 %, ce qui correspond à une dévaluation de 1 % par an. En parallèle de cette dévaluation monétaire, une dévaluation des dignités d'Empire se fait jour. Au fur et à mesure des promotions et de l'affaiblissement de la valeur monétaire, certains titres voient leur prestige et le pouvoir d'achat associé se réduire[75]. Sous Constantin IX, ce phénomène reste limité mais il s'accentue notablement dans les décennies suivantes, avec la création de nouveaux titres de plus en plus élevés[78]. La responsabilité de Constantin IX a fait l'objet de débats entre les historiens. Pour certains, comme Costas Kaplanis ou Anthony Kaldellis, c'est la politique de l'empereur qui est à l'origine de la dévaluation en raison de l'importance des dépenses impériales, en particulier dans la guerre des Petchénègues, ne laissant pas d'autres options pour préserver la monnaie byzantine à court terme, tout en entamant gravement à long terme son rôle de monnaie pivot dans le monde méditerranéen[77]. Cependant, d'autres analyses montrent que la dévaluation aurait eu pour cause l'intensification des échanges liée au dynamisme économique de l'Empire, qui nécessite d'accroître le volume de pièces de monnaie en circulation, au risque d'en abaisser la valeur[79]. C'est notamment la conclusion de Cécile Morrisson qui rejette la responsabilité de Constantin IX dans l'affaissement de la monnaie byzantine[80],[N 5],[81].
Enfin, si la prodigalité de Constantin a souvent été soulignée voire critiquée par ses contemporains, une inflexion sensible apparaît dans les dernières années de son règne, peut-être sous l'impulsion de nouveaux ministres puisque vers 1050 les principaux intellectuels de son gouvernement sont peu à peu relégués, remplacés notamment par un certain Jean le Logothète[82]. Attaleiatès mentionne une fiscalité bien plus agressive envers les propriétaires terriens, tandis que Jean Skylitzès, moins précis, confirme l'augmentation des impôts, en lien selon lui avec la construction de l'église de Saint-Georges-des-Manganes[82].