Crise migratoire en Europe
crise migratoire des années 2010 caractérisée par une augmentation de migrants et réfugiés en Union européenne / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Pour les articles homonymes, voir CME.
La crise migratoire en Europe est l'augmentation, dans les années 2010 et singulièrement depuis 2015, du nombre de migrants arrivant dans l'Union européenne via la mer Méditerranée et les Balkans, depuis l'Afrique, le Moyen-Orient et l'Asie du Sud et qui en fait l'une des plus importantes crises migratoires de son histoire contemporaine[1].
Les réfugiés de la guerre civile syrienne amplifient le phénomène, avec une hausse en 2015 de plus d'un million de personnes arrivant dans l'espace Schengen, avant de retomber les années suivantes pour arriver à 122 000 migrants en 2018. Le parcours des migrants est dangereux et fait de nombreux morts, principalement en mer Méditerranée (au moins 17 000 personnes mortes ou portées disparues) et sur les routes africaines (plus de 6 000 morts).
Cette crise migratoire cause d'importantes divisions et tensions diplomatiques entre les pays d'Europe[2], qui peinent à se mettre d'accord sur l'attitude à adopter : alors que la Commission européenne cherche à imposer des quotas à chaque pays de l'Union, et qu'Angela Merkel et François Hollande poussent dans cette direction[3], des pays d'Europe de l'Est s'opposent fermement aux flux migratoires. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, considère ainsi que l'afflux d'immigrés musulmans constitue une menace pour l'identité chrétienne de l'Europe. En septembre 2016, Angela Merkel est finalement contrainte de reconnaître l'échec et l'abandon du mécanisme de répartition obligatoire. Cette révision de la politique européenne d'accueil des réfugiés est renforcée par l'accord conclu entre l'UE et la Turquie en mars 2016[4].
Les termes employés pour qualifier les migrants sont multiples et dépendent des situations. Dans certains cas, il s'agit de demandeurs d'asile ou de réfugiés, dans d'autres de personnes qui cherchent de meilleures perspectives économiques. Comme les mots employés peuvent avoir des conséquences juridiques non négligeables, l'utilisation des termes « migrants » et « réfugiés » fait l'objet d'un débat sémantique doublé d'un débat politique.
Les tentatives d'immigration en Europe ont augmenté à la suite des guerres civiles (notamment la guerre civile syrienne), des problèmes en Turquie, l'aggravation du conflit en Libye qui a contribué à l'augmentation des départs depuis ce pays, des troubles, des persécutions ou pour des raisons économiques. Elles concernent des personnes venues d'Afghanistan, d'Algérie, du Bangladesh, du Tchad, d'Égypte, d'Érythrée, d'Éthiopie, de Gambie, de Ghana, de Guinée, d'Inde, d'Irak, de Côte d'Ivoire, de Libye, du Mali, de Mauritanie, du Maroc, du Nigeria, du Pakistan, du Sénégal, de Somalie, du Soudan, de Syrie, de Tunisie, et de Zambie[5],[6],[7],[8],[9],[10],[11],[12],[13],[14],[15].
Les ambassades n'offrant pas directement le statut de demandeur d'asile, certains migrants décident de rémunérer des passeurs pour se rendre sur le territoire de l'Union européenne, en prenant des risques. Le nombre de demandeurs d'asile est ainsi passé de 435 000 en 2013 à 626 000 en 2014[16]. Début septembre 2015, les Syriens ayant fui leur pays (environ 4,282 millions) se trouvent essentiellement au Liban (27 %) et en Turquie (42,1 %)[17]. Le principal flux de migrants vers l'Europe provient de la Syrie, pays qui connaît d'importants troubles et qui se trouve « quasiment en état de guerre » à la suite de fortes tensions avec les Kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)[18].
Au cours de la période 2011-2015, la proportion de migrants originaires de pays en conflit a fortement augmenté. Pour ceux dont l'arrivée a été enregistrée en Grèce ou en Italie, le taux d'acceptation des demandes d'asile est passé de 33,5 % en 2011 à 75,7 % en 2015. Cela signifie que, sur cette période, le flux de migrants est majoritairement composé de réfugiés[19].
Entre 2007 et 2011, un grand nombre de migrants sans papiers du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Asie du Sud ont franchi la frontière entre la Grèce et la Turquie, menant la Grèce et l'Agence européenne de gestion des frontières extérieures (Frontex) à renforcer les contrôles aux frontières[20]. En 2012, l'afflux de migrants arrivant en Grèce par voie terrestre a baissé de 95 % à la suite de la construction d'une barrière sur une partie de la frontière gréco-turque ne suivant pas le cours du fleuve Maritsa[21]. En 2015, la Bulgarie a poursuivi en renforçant une barrière pour limiter l'arrivée de migrants depuis la Turquie[22] (voir frontière entre la Bulgarie et la Turquie).
D'après l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), environ 3 072 personnes sont mortes ou ont disparu en mer Méditerranée en 2014 en tentant d'immigrer en Europe[23]. Fin 2014, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, l'Union européenne accueille 6 % des réfugiés du monde[24].
Décès
L'OIM compte près de 17 000 morts et disparus en Méditerranée entre le et le . Ces 5 773 morts et 11 089 disparus ont à 86 % lieu en Méditerranée centrale, entre la Libye, la Tunisie, Malte et l’Italie, ce qui en fait selon l’OIM « la route migratoire la plus meurtrière au monde ». Le réseau United for Intercultural Action dénombre lui 34 361 migrants morts lors de leur migration vers et à travers l’Europe entre 1993 et 2018, dont 80 % de morts en mer. Les deux organisations et le Guardian soulignent que le chiffre réel est sûrement bien plus élevé, des milliers de personnes ayant disparu sans laisser de trace. Les corps retrouvés sont majoritairement enterrés dans des tombes anonymes en Europe ou dans des fosses communes en Afrique. Les ONG critiquent qu'aucun décompte officiel ne soit réalisé au niveau européen[25].
Le , une embarcation transportant environ 500 migrants clandestins africains fait naufrage près de Lampedusa. Cette catastrophe fait 366 morts.
Les accidents les plus graves ont lieu en avril 2015, avec la mort d'environ 1 200 personnes. Le premier naufrage se produit le 13 avril, suivi de plusieurs autres les 16, 19 (le plus meurtrier) et 20 avril[26],[27],[28],[29]. Beaucoup de ces navires de migrants voyageaient depuis la Libye vers l'île de Lampedusa ou le port d'Augusta (Italie)[28], bien que les incidents du 20 avril se soient produits au large de l'île de Rhodes, dans l'est de la Méditerranée.
Le , 71 personnes sont retrouvées mortes dans un camion en Autriche, près de Neusiedl am See. Les victimes seraient mortes asphyxiées et le chauffeur aurait pris la fuite[30]. Le , le corps sans vie d'Alan Kurdi, 3 ans, est retrouvé sur une plage de Turquie, ainsi que ceux de sa mère (27 ans) et de son frère (5 ans). Originaire de Kobané en Syrie, sa famille tentait de rejoindre l’Europe[31]. En septembre 2015, un article rapporte que la ville de Catane (Sicile) est débordée par cette crise migratoire. Les corps de victimes de naufrage y reposent dans des sépultures nues. Le gardien du cimetière souligne le manque de place pour l'accueil de nouveaux morts[32].
La Voix de l'Amérique publie une galerie photo en octobre 2015, montrant les résultats de la cruauté des passeurs envers les migrants africains qui tentent de gagner l'Europe : des brûlures, la gale et les abus corporels et sexuels. « Outre la privation de liberté, les passeurs leur font aussi subir les pires supplices et de nombreux migrants sont brûlés par les trafiquants dans le Sahara, de la Libye jusqu'au Tchad en passant par le Soudan et l'Égypte »[33]. La crise actuelle est également liée aux conditions de vie des camps de réfugiés turcs et jordaniens. Sur ce point, l'Europe porterait une part de responsabilité en n'ayant versé aux autorités compétentes que 50 millions d'euros sur les 4 000 promis[34],[35].
Le nombre de victimes en Méditerranée n'a cessé de croître entre 2014 et 2016, pour atteindre 5 098 cette dernière année[36]. C'est ainsi qu'en mai 2016, trois naufrages au large de la Libye provoquent la mort de près de 700 migrants[37]. Des événements semblables se sont produits en 2017. En mars, deux canots gonflables surchargés chavirent à une quinzaine de milles marins des côtes libyennes, entraînant la mort d’environ 250 personnes, d'origine africaine. Avant cette dernière tragédie, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait estimé à 440 le nombre de migrants morts en tentant de gagner l’Italie à partir de la Libye depuis le début de 2017[38].
Itinéraires
L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) compte cinq routes de voyages privilégiées par les migrants et les réfugiés : la route de l'Afrique de l'Ouest, la route de l'Ouest méditerranéen, la route des Balkans, la route de l'Est méditerranéen et enfin la route centrale qui mène de la Tunisie et de la Libye vers l’Italie. Une route alternative, la route de l'Article, a également été emprunté. Frontex publie une carte des trajets migratoires et schématise les trajets suivants :
Nom donné à la route par Frontex[39] | Point d'entrée européen concerné | Migrants décomptés (de janvier à novembre 2015) | 3 premiers pays d'origine |
---|---|---|---|
Afrique de l'Ouest | Îles Canaries ( Espagne) | 690 | Guinée, Maroc, Gambie |
Ouest méditerranéen | Espagne | 14 078 | Syrie, Guinée, Côte d'Ivoire |
Méditerranée centrale | Italie | 157 220 | Érythrée, Nigeria, divers |
Est Méditerranée | Grèce, Bulgarie, Chypre | 880 820 | Syrie, Afghanistan, Irak |
Pouilles et Calabre | Italie | 5 000 (chiffre non précisé) |
Syrie, Pakistan, Égypte |
Albanie et Grèce | Grèce | 8 645 | Albanie, Géorgie, Macédoine |
Balkans de l'Ouest | Hongrie, Croatie, Slovénie | 763 958 | Afghanistan, Syrie, Kosovo |
Europe de l'Est | Pologne, Roumanie, Slovaquie, Estonie, Lituanie, Lettonie | 1 764 | Viêt Nam, Afghanistan, Géorgie |
Les itinéraires ont toutefois changé en s'adaptant aux différentes conditions locales. Ainsi, lorsque la frontière hongroise a été fermée, les populations ont migré vers la Croatie, qui les a redirigés vers la Hongrie[40]. Face au bagotement de l'ouverture et de la fermeture des frontières, les itinéraires sont instables, ce qui a même conduit au développement d'une application pour suivre l'ouverture et la fermeture des frontières[41].
Origine des migrants
D'après Frontex, les trois principaux pays d'origine des migrants au cours de l'année 2016 sont : la Syrie (17,3 %), l'Afghanistan (10,6 %) et le Nigeria (7,4 %)[45].
Pays d'origine | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 |
---|---|---|---|---|
Syrie | 23,8 % | 27,9 % | 32,6 % | 17,3 % |
Afghanistan | 8,8 % | 7,8 % | 14,7 % | 10,6 % |
Nigeria | 3,2 % | 3,1 % | 1,3 % | 7,4 % |
Six des dix plus importants pays d'où sont originaires les immigrants sont africains : Somalie, Soudan, Soudan du Sud, république démocratique du Congo, République centrafricaine et Érythrée[46]. D'après le HCR, les cinq principaux pays d'origine des réfugiés au cours de l'année 2015 sont[47] la Syrie (50 %), l'Afghanistan (20 %), l'Irak (7 %), l'Érythrée (4 %), et le Pakistan (2 %) (chiffres provisoires, décembre 2015).
Depuis le début de l'année 2017, les cinq principaux pays d'origine des migrants sont le Nigeria, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Bangladesh et la Syrie. Depuis le début de l'année 2020, les trois principaux pays d'origine des migrants sont la Tunisie, l'Algérie et le Maroc[47].
Origine des passeurs
L'origine des passeurs qui viennent leur proposer leurs services est sensiblement différente de celle des migrants. Sur 880 personnes arrêtées en Italie pour ces faits entre janvier 2014 et août 2015[48], il y aurait 279 Égyptiens, 182 Tunisiens, 77 Sénégalais, 74 Gambiens, 41 Syriens, 39 Érythréens, 29 Marocains, 24 Nigérians et 22 Libyens[49],[50].
Évolution
L'Europe a enregistré 210 000 demandes d’asile au deuxième trimestre 2015, le pic se trouvant en juin 2015, où 88 230 demandes ont été déposées[51].
Année | Janvier | Février | Mars | Avril | Mai | Juin | Juillet | Août | Septembre | Octobre | Novembre | Décembre | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
2014 | 3 270 | 4 369 | 7 283 | 17 084 | 16 627 | 26 221 | 28 303 | 33 478 | 33 944 | 23 050 | 13 318 | 9 107 | 216 054 |
2015 | 5 550 | 7 271 | 10 424 | 29 864 | 39 562 | 54 588 | 78 433 | 130 839 | 163 511 | 221 374 | 154 975 | 118 687 | 1 015 078 |
2016 | 73 111 | 61 081 | 36 906 | 13 239 | 22 256 | 24 519 | 25 884 | 25 675 | 21 323 | 31 507 | 16 553 | 10 860 | 362 753 |
2017 | 6 909 | 10 701 | 13 378 | 15 024 | 25 938 | 27 886 | 16 100 | 9 765 | 12 998 | 13 738 | 13 216 | 12 390 | 172 301 |
2018 | 7 998 | 3 851 | 4 792 | 7 893 | 10 817 | 12 949 | 13 429 | 12 302 | 13 749 | 16 314 | 8 953 | 8 982 | 122 029 |
1 888 215 |
Pour des raisons techniques, il est temporairement impossible d'afficher le graphique qui aurait dû être présenté ici. |
Source: tableau ci-dessus |
L'année 2023 est la pire jamais enregistrée sur le plan migratoire en Europe depuis 2016. Selon l’agence Frontex, la route d’Afrique de l’Ouest devient la principale porte des entrées irrégulières dans l’Union européenne avec une augmentation de + 541 %. Les axes de la Méditerranée centrale et la route des Balkans connaissent eux des baisse des détections de passages irréguliers avec respectivement -70 % et -65 %. Pour l'axe de la Méditerranée centrale, les principaux exilés sont issus du Bangladesh, de Syrie et de Tunisie[52].
Cadre juridique
L’accueil des réfugiés est réglementé par le droit international, notamment la convention de Genève de 1951[53] (étendue par le protocole relatif au statut des réfugiés conclu à New York le 31 janvier 1967), qui engage les 145 pays signataires à accueillir toute personne qui fuit la guerre ou toute persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
À ces dispositions, s’ajoute en droit français l'asile constitutionnel (prévu dans le préambule de la Constitution de 1946 et repris par la Constitution de 1958), qui vise à protéger toute personne persécutée dans son pays d'origine pour son action en faveur de la liberté[54],[55].
En France, l'application du droit d’asile est confiée à l’OFPRA, établissement public administratif créé en 1952, chargé de l'application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés[56].
Application pratique
Dans l'espace Schengen, 26 États membres (dont 22 des 27 États de l'UE et quatre États AELE) se sont unis pour former un espace où les contrôles aux frontières intérieures (c'est-à-dire entre les États membres) sont abolis, et remplacés par des contrôles approfondis aux frontières extérieures de la responsabilité des États où se trouvent ces frontières. Le Règlement Dublin II détermine l’État membre responsable de l’examen du droit d'asile afin d'éviter d'une part que les demandeurs d'asile ne puissent choisir le pays le plus laxiste dans le contrôle en multipliant les demandes dans différents États membres, et d'autre part qu'aucun État membre ne prenne la responsabilité d'examiner une telle demande. Sauf cas spécifiques, le premier État membre où entre un demandeur d'asile et où les empreintes digitales sont prises est responsable de la demande d'asile. Si le demandeur d'asile se déplace dans un autre État membre, il peut être transféré dans l’État membre où il est entré pour la première fois. L'accord de Dublin a été critiqué pour donner trop de responsabilité aux États membres situés sur les frontières extérieures (comme l'Italie, la Grèce et la Hongrie), au lieu d'un système partageant ces responsabilités entre tous les États membres[57],[58],[59].
Dans le système Schengen, tout dépend de la façon dont les pays situés à la frontière de la zone gèrent la situation. En particulier, il s'agit de faire le tri entre les personnes qui peuvent bénéficier du droit d'asile et les autres. Théoriquement, ceux qui ne peuvent pas bénéficier du droit d'asile devraient repartir dans leur pays d'origine ou vers le pays où ils ont transité. Dans les faits, la Commission européenne reconnaît que peu repartent[60]. Le règlement de Dublin pose un problème clé de répartition des demandeurs d'asile reconnus comme tels dans l'Union européenne.
Institutions et coopération de support
Frontex est l'Agence de l'Union européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union (en abrégé « Frontières extérieures »). Son siège est installé à Varsovie (Pologne). Elle est responsable de la coordination des activités des garde-frontières dans le maintien de la sécurité des frontières de l'Union avec les États non-membres[note 1]. Frontex a été créée par le règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004[61]. L'agence est opérationnelle depuis le . Son directeur exécutif est le Français Fabrice Leggeri depuis janvier 2015[62].
L'EU Navfor Med est chargée de lutter contre les réseaux de trafiquants de migrants opérant à partir de la Libye. La force navale comprend cinq navires de guerre, deux sous-marins, deux drones et trois hélicoptères. Le quartier général est à Rome. Cette force est relativement limitée dans son action car en l'absence d'une résolution du conseil de sécurité des Nations unies, elle ne peut intervenir dans les eaux territoriales libyennes[63].
La présence de ces nombreux migrants et leur situation de détresse, ainsi que la difficulté dans laquelle se trouvaient les pays frontaliers (Italie, Espagne, Grèce, Hongrie) ont conduit à un changement de la donne politique et des paradigmes dominants dans l'Union européenne.
Toutefois, des divergences existent puisque les pays de l'Est de l'UE seraient moins attachés à la liberté de circulation que les pays de l'Ouest, et un clivage nord-sud entre les pays de transit et les pays de destination[64].
En 2017, selon l'European Stability Initiative, 509 000 requêtes de demandes d'asile, soit 72 % du total, ont été concentrées dans quatre pays : l'Allemagne, la France, l'Italie et la Grèce[64].
Controverses autour des propositions de Jean-Claude Juncker
Alors que la crise était à ses débuts et que certains pays à la mi-2015 faisaient face à un nombre de demandes d'asile important : 121 400 pour l'Allemagne, 49 095 pour la Hongrie, 24 875 pour l'Italie, 24 300 pour la France, 19 690 pour la Suède, 19 620 pour l'Autriche, 9 390 pour le Royaume-Uni, 6 185 pour la Belgique et 5 760 pour les Pays-Bas, Jean-Claude Juncker imagine de répartir les migrants entre pays selon un système de clé de répartition qui aurait conduit à la répartition suivante : 31 443 pour l'Allemagne, 24 031 pour la France, 14 931 pour l'Espagne, 9 287 pour la Pologne, 7 214 pour les Pays-Bas, 4 646 pour la Roumanie, 4 564 pour la Belgique, 4 469 pour la Suède, 3 640 pour l'Autriche[65]. C'est ainsi qu'en mai 2015, la Commission européenne propose de relocaliser 40 000 demandeurs d'asile depuis la Grèce et l'Italie vers d'autres États de l'Union européenne[66], puis le 9 septembre, 120 000 supplémentaires depuis la Grèce, l'Italie et la Hongrie, selon un pourcentage de répartition calculé à partir de chiffres objectifs : population, PIB, demandes d'asile antérieures, chômage[67].
Dans une lettre en marge de son discours sur l'état de l'Union de 2015, Jean-Claude Juncker plaide pour une nouvelle politique migratoire qui devrait, selon lui, offrir une réponse rapide, déterminée et globale à la crise des migrants. Ses propositions comprennent
- un mécanisme de relocalisation d’urgence et un mécanisme de relocalisation permanent ;
- des efforts renouvelés pour mieux gérer les frontières extérieures au travers d'un renforcement de Frontex, et la création de systèmes européens de garde-côtes et de gardes-frontières ;
- un renforcement de la mise en œuvre du régime d’asile européen commun, au travers de l'évaluation globale du règlement Dublin II et de nouvelles étapes comme le renforcement du rôle du Bureau européen d'appui en matière d'asile et la mise à disposition de voies d’entrée sûres et légales pour les personnes ayant besoin de protection. À l'inverse, il faudrait adopter une approche plus efficace de la gestion des retours pour ceux qui ne remplissent pas les conditions ou ceux qui viennent de pays « sûrs » ;
- un régime permanent de réinstallation, assorti de régimes de protection renforcée dans le voisinage proche de l’UE ainsi qu'une approche renouvelée de la gestion des migrations légales, comprenant la révision de la directive Carte bleue[réf. nécessaire].
De ce fait, Juncker souhaitait que les 28 pays membres de l'UE s'accordent sur la répartition de 160 000 réfugiés dès le mois de septembre 2015. Angela Merkel souhaitait promouvoir un accord sur une répartition « contraignante » des migrants, avec un système de quotas sans plafond (une répartition). L'Américain John Kerry a par ailleurs indiqué que les États-Unis seront prêts à accueillir de 5 000 à 8 000 réfugiés syriens à l'automne 2016[68]. Le système de clé de répartition proposé accorde par exemple 26 % des réfugiés à l'Allemagne, et 0,11 % à Malte[69].
Oppositions aux propositions de Juncker
L'opposition au Plan Juncker vient principalement des pays de l'Europe de l'Est où l'opinion publique est peu favorable à l'accueil de migrants. Alors qu'en moyenne 56 % des Européens ont des réticences à l'accueil de migrants, ce taux est de 81 % en Tchéquie, de 78 en Lettonie, de 77 en Slovaquie et de 70 en Lituanie. La Pologne se situe pour sa part dans la moyenne européenne[70]. Entre pays de l'Ouest et pays de l'Est, les débats sont vifs. Fin août 2015, le ministre autrichien de l'Intérieur avait proposé de réduire leurs aides européennes. Angela Merkel s'y est refusée pour l'instant mais l'idée semblait toujours d'actualité début septembre 2015[70] avec sa remise sur table par le Premier ministre néerlandais Mark Rutte. Ce dernier a cependant accueilli avec joie l'instauration du système de quotas, ne voulant pas diviser l'UE en deux blocs.
Le président français, François Hollande, a proposé que le sommet du 23 septembre étudie les trois possibilités suivantes[71] : aider la Turquie pour que les réfugiés restent sur son sol ; décider la création des « hotspots », qui sont des centres d'accueil et d'enregistrement des demandeurs d'asile avant raccompagnement respectueux des personnes déboutées ; et travailler à aider les pays où se trouvent les centres de migrants, pour éviter que la sortie des camps conduise à des mouvements non maîtrisables.
Accusations de manipulation du chiffre des nombres de migrants
Selon le site Politico, le chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, Martin Selmayr, a falsifié dans un mail adressé aux dirigeants de l'UE les chiffres du nombre de migrants illégaux entrés dans l'UE par la Turquie en décembre 2015, parlant d'une baisse de 52 249 migrants à fin octobre, contre 9 093 à mi-décembre. Le chiffre réel serait du triple, soit 27 069 migrants. Selon Politico, le but de cette communication, s'appuyant sur des documents inexacts fournis par Frontex, est de donner une image efficace du rôle d'État-tampon que joue la Turquie dans l'arrêt des migrations illégales, en vue de convaincre les États membres d’adopter le plan Juncker pour accueillir les migrants au sein de l'Union européenne[72].
Décisions des sommets européens
Conseil des ministres de l'Intérieur
Le lundi 14 septembre 2015, un Conseil de l'Union européenne réunissant les ministres de l'Intérieur de l'Union n'a pas pu arriver à un accord sur la répartition de 120 000 migrants actuellement stationnés en Grèce, en Italie et en Hongrie. Ce dernier est d'ailleurs le fer de lance des opposants (de l'Est) au projet. Pour son gouvernement, ce mécanisme est « inapplicable et néfaste à long terme car il créerait un appel d'air vers l'Europe ». Aucun accord global n'est intervenu. Malgré tout, il a été décidé de transférer ailleurs 40 000 migrants massés en Italie et en Grèce. Pour Paris et Berlin, ce dispositif doit être concomitant à « la mise en place rapide de hotspots (des centres d'accueil recensant efficacement les réfugiés) » et prenant leurs empreintes digitales. Des hotspots devraient être mis rapidement en place en Italie et en Grèce, qui recevront une aide à cet effet. Par ailleurs, la question du renvoi des migrants non acceptés (personnes ne répondant pas notamment aux critères du droit d'asile) a été abordée. Pour traiter cette question, il a été envisagé à la fois une meilleure coopération avec les pays voisins de l'Europe et l'établissement de centres de rétentions[73].
Le mardi 22 septembre 2015, lors du Conseil de l'Union européenne, l'ensemble des ministres de l'Intérieur a voté à la majorité qualifiée pour un arrêt de l'immigration et pour la répartition de 120 000 demandeurs d'asile syriens, irakiens et érythréens arrivés au plus tard il y a un mois en Grèce et en Italie[74]. Toutefois, en raison de l'opposition des pays d'Europe centrale, cette répartition n'est ni obligatoire, ni permanente[75],[76],[77]. « Il faut empêcher que d'autres n'arrivent », a notamment déclaré le ministre allemand Thomas de Maizière. « Nous ne devons pas envoyer le signal que nous pouvons accueillir tout le monde, tout de suite. Ce ne serait pas responsable » a renchéri le Français Bernard Cazeneuve[75].
Une minorité de pays a cependant voté contre ; il s'agit de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Roumanie et de la Hongrie[76]. La Finlande s'est abstenue. L'opération de répartition de 120 000 personnes est prévue en deux temps. Lors du premier temps, la répartition concernera 66 000 demandeurs — 50 400 de Grèce et 15 600 d'Italie — (qui s'ajoutent aux 60 000 de juin). Une offre de 54 600 places est en réserve, la Hongrie n'ayant pas souhaité participer au mécanisme[75]. Les personnes concernées ne pourront pas choisir leur destination ; 17 036 d'entre elles iront en Allemagne, alors que 1 294 seront destinées à la Hongrie. Celles qui refuseront de demander l'asile dans le pays d'accueil seront refoulées en mer Méditerranée[75]. Des hotspots seront créés et gérés par l'Union européenne en Italie et en Grèce[75]. En réaction, Melissa Fleming, de l'ONU a indiqué qu'« un programme de relocalisation ne suffira pas à stabiliser la situation à ce stade de la crise », souhaitant un renforcement des capacités d'accueil permanente[76]. Le président de la République française, François Hollande a apprécié le fait que l'Union européenne prenne ses responsabilités[78]. Le lendemain, soit mercredi, les chefs d’État et de gouvernement devraient se prononcer sur une aide financière à la Turquie qui souhaite toujours entrer dans l'Union européenne[76].
En décembre 2015, des recours demandant l'annulation de cette décision du Conseil de l'Union européenne sont introduits devant la Cour de justice de l'Union européenne par la Slovaquie[79] et par la Hongrie[80].
Réunions du Conseil européen
Les tensions entre États ont été vives. Le 23 septembre 2015, à son arrivée au Conseil européen sur les réfugiés, le président François Hollande, par exemple, a invité les pays qui, selon lui, ne partagent pas les valeurs européennes « à se poser la question de leur présence au sein de l'Union européenne ». Les débats ont surtout porté sur les solutions pour interrompre ou limiter le flux d'immigration en provenance notamment de Syrie, qui compte « huit millions de personnes déplacées à l'intérieur et 4 millions » qui ont émigré vers la Turquie, le Liban, la Jordanie, et l'Irak[81]. Il a été proposé deux solutions[81] : donner un milliard d'euros aux organisations humanitaires de l'ONU (Programme alimentaire mondial et Unicef), pour améliorer la condition des migrants dans les actuels pays d'accueil (Turquie, Liban, entre autres) ; et renforcer les contrôles extérieurs en augmentant d'1,3 milliard les crédits des agences européennes (Frontex, Europol, Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAMA)) chargées de l'immigration illégale. Par ailleurs, il a été décidé de mettre la pression sur la Grèce afin « qu'elle fasse la preuve qu'elle peut contrôler ses frontières »[81].
Les pays ont constaté que la Turquie était « devenue la porte d'entrée pour des centaines de milliers de réfugiés vers l'Europe »[82]. Aussi ils ont estimé qu'il était important de négocier avec ce pays. Mais, ce pays qui est en position de force dans les négociations avance un certain nombre de revendications. Tout d'abord la Turquie s'est vue allouer 1 milliard d'euros, mais elle estime que l'accueil des réfugiés lui a coûté 6,7 milliards de dollars depuis 2011. Aussi elle voudrait que l'aide soit portée à trois milliards. Par ailleurs, Ankara demande une libéralisation des visas pour ses nationaux[83]. François Hollande et Angela Merkel sont réticents sur ce point et ne veulent pas que les visas soient accordés sans contrôle. Enfin, la Turquie demande une accélération de son processus d'adhésion à l'Union européenne avec « l'ouverture de six nouveaux chapitres dans le processus d'adhésion … et l'inscription du pays sur la liste des pays sûrs »[82].
Les discussions ont également porté sur les hotspots (centres d'enregistrement et de tri des migrants). Les pays situés en première ligne (Italie et Grèce) sont assez réticents envers ces centres dont le rôle n'est pas encore clairement établi. Enfin, la France a proposé la création d'un corps européen de gardes-frontières, un projet qui heurte les pays de l'Est soucieux de leur souveraineté[82].