Élisée Reclus
géographe et écrivain français / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Élisée Reclus, de son nom complet Jacques Élisée Reclus, né le à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) et mort à Thourout en Belgique le , est un géographe et militant anarchiste français.
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L'Homme et la Terre, Histoire d’une montagne (d) |
Communard, théoricien anarchiste, c'est un pédagogue et un écrivain prolifique. Membre de la Première Internationale, il rejoint la Fédération jurassienne après l'exclusion de Michel Bakounine. Avec Pierre Kropotkine et Jean Grave, il participe au journal Le Révolté.
En , avec d'autres professeurs démissionnaires, il crée à Bruxelles l'Université nouvelle.
Précurseur de la géographie sociale, de la géopolitique, de la géohistoire, de l'écologisme et de l'écologie, il était également végétarien, naturiste, partisan de l'union libre et espérantiste.
Ses ouvrages majeurs sont La Terre en 2 volumes, sa Géographie universelle en 19 volumes, L'Homme et la Terre en 6 volumes, ainsi que Histoire d’un ruisseau et Histoire d'une montagne. Penseur vivant de ses écrits, il publie également près de 200 articles géographiques, 40 articles sur des thèmes divers et 80 articles politiques dans des périodiques anarchistes.
Une famille protestante
Son père Jacques Reclus, né en 1796, est un pasteur calviniste français (tout d’abord rémunéré par l’État, puis indépendant) et est aussi quelques années professeur au collège protestant de Sainte-Foy-la-Grande. Le pasteur a, avec son épouse Zéline Trigant-Marquey (1805-1887), quatorze enfants (il y eut peut-être encore trois fausses couches), dont trois filles qui meurent jeunes.
Élisée Reclus est le frère de l'ethnographe et militant anarchiste Élie Reclus, du géographe Onésime Reclus, de l'officier de marine et explorateur Armand Reclus, du chirurgien Paul Reclus[n 1].
Les années de formation
Quatrième enfant du pasteur Jacques Reclus, Élisée est élevé jusqu'à l’âge de 8 ans par ses grands-parents maternels, à La Roche-Chalais en Dordogne, à la suite de la décision prise par son père de ne plus être pasteur rétribué. En 1838, il regagne le foyer parental, à Orthez.
En 1842, alors qu'il est âgé de douze ans, son père, qui souhaite le destiner à une charge de pasteur, l’envoie rejoindre son frère Élie à Neuwied, en Prusse sur les bords du Rhin, dans un collège tenu par des pasteurs luthériens Frères moraves[3]. Mais Élisée supporte mal le caractère superficiel de l’enseignement religieux de cette école : il rentre en 1844 à Orthez en passant par la Belgique. Son séjour à Neuwied n'est cependant pas entièrement négatif : il a l’occasion d’y apprendre des langues vivantes (allemand, anglais, néerlandais) et le latin, ainsi que d’y rencontrer des personnalités qu’il reverra plus tard.
Avec son frère aîné Élie, jusqu'en 1847, il loge pendant quatre ans (1844-1848) chez la sœur de sa mère, Louise Trigant (1812-1897) épouse du riche notaire Pierre Léonce Chaucherie (1811-1885), à Sainte-Foy-la-Grande où il est inscrit au collège protestant de cette ville pour y préparer le baccalauréat[3], obtenu à l'université de Bordeaux à l'été 1848. Il rencontre vraisemblablement à cette période un ancien ouvrier parisien ce qui lui permet de lire Saint-Simon, Auguste Comte, Fourier et Lamennais[4].
En 1848-1849, Élisée et Élie suivent des études de théologie à la faculté de théologie protestante de Montauban[4]. Ils en sont exclus à l'été 1849 pour des raisons politiques, à la suite d’une fugue qu’ils font en juin vers la Méditerranée. C’est sans doute au cours de ces années qu’il prend goût à ce qui devait devenir sa conception de la géographie sociale. Élisée perd très vite la foi et est séduit par les idéaux socialistes de son époque[5]. Il décide alors d’abandonner définitivement les études théologiques. Il se rend cependant au collège de Neuwied, où il est engagé comme maître répétiteur (1850).
Il est à nouveau déçu par l’atmosphère du collège, qu’il quitte pour se rendre à Berlin en 1851. Vivant assez chichement de leçons de français, il s’inscrit à l’université et, pendant un semestre, il y suit notamment les cours du géographe allemand Carl Ritter dont il devient le disciple[5].
À l'été 1851, Élisée retrouve son frère Élie à Strasbourg et ensemble ils décident de rentrer à Orthez (via Montauban) en traversant la France, à pied, ce qui a certainement contribué à former son caractère. Acquis dès cette époque aux idées politiques progressistes et anarchistes, il écrit son premier texte d'inspiration libertaire, Développement de la liberté dans le monde[4], où il évoque « l'anarchie, la plus haute expression de l’ordre ». L'article est publié, vingt ans après sa mort, en 1925, dans Le Libertaire[6]
Premier exil
À Orthez, apprenant le coup d'État du 2 décembre 1851, les deux frères manifestent publiquement leur hostilité au nouveau régime et leur engagement républicain. Menacés d’être arrêtés, ils s’embarquent pour Londres où ils connaissent l’existence miséreuse des exilés. Élisée ne reverra la France qu’en 1857[7]. À Londres, il prend la mesure de l’humiliation qu’engendre la pauvreté. Élisée vit chichement de quelques leçons. En Irlande, où il est en 1853 régisseur d'un domaine agricole à Blessington, dans le comté de Wicklow, il découvre la pauvreté de la campagne irlandaise encore très marquée par la grande famine de 1847 et la dureté de la domination coloniale anglaise[7].
En , il s’embarque pour La Nouvelle-Orléans où il arrive en . Il y exerce divers petits métiers dont celui d’homme de peine, puis est embauché comme précepteur des trois enfants d’une famille de planteurs d’origine française, les Fortier. C’est au cours de cette période qu'il est confronté à une nouvelle situation de domination, la société esclavagiste des planteurs. Révolté par la condition des esclaves dont il vit indirectement pendant près de deux ans (1854-1855), il sera un partisan indéfectible des Nordistes durant la guerre de Sécession[7].
Il forme le projet de s’installer en Amérique du Sud comme agriculteur et de faire venir auprès de lui son frère Élie et sa femme, mariés à Bordeaux en 1855. En , il part donc pour la Colombie (alors Nouvelle-Grenade), par Cuba et la province colombienne du Panama. Il essaie pendant sept mois (-) de s’installer comme planteur de bananes, de café et de canne à sucre. Peu doué pour les affaires, sans capitaux suffisants pour créer son exploitation, affaibli par les fièvres, l’échec est total. Il quitte la Colombie en grâce à l’argent envoyé par son frère aîné qui lui permet de payer ses dettes et son billet pour le retour[7].
Géographe et socialiste
En , Élisée arrive en France et se fixe chez son frère Élie, à Neuilly-sur-Seine (partie occidentale du 17e arrondissement de Paris en 1860). Les deux frères y rencontrent Auguste Blanqui et Pierre-Joseph Proudhon[6]. Tout en donnant des cours de langues étrangères, Élisée s’engage dans ce qui allait par la suite devenir sa principale occupation : il entre à la Société de géographie le .
Fin 1858, il retourne à Orthez en compagnie de son père qui revient d’Angleterre, où il est allé chercher des aides financières pour un asile de vieillards qu’il a créé à Orthez. Le , il est initié dans la loge maçonnique, Les Émules d’Hiram, du Grand Orient de France[8]. Il n’y est jamais actif et au bout d’un an il s'éloigne de la franc-maçonnerie. Le , il se marie civilement avec Clarisse Brian[9] et il retourne à Paris où il forme un ménage communautaire avec son frère Élie, marié à leur cousine germaine paternelle Noémi Reclus (1828-1905).
De 1859 à 1868, il contribue à l'influente Revue des Deux Mondes où il donne des articles de géographie, de géologie, de littérature, de politique étrangère, d'économie sociale, d'archéologie et de bibliographie, qui sont fort remarqués[3]. Fin , la maison Hachette recrute Élisée pour rédiger des guides pour voyageurs (guides Joanne), dont le Guide du voyageur à Londres et aux environs (1860), ce qui l’amène à parcourir la France et divers pays d'Europe occidentale (Allemagne, Suisse, Alpes italiennes, Angleterre, Sicile, Pyrénées espagnoles). Son premier livre tout à fait personnel, Voyage à la Sierra Nevada de Sainte-Marthe, un récit de son aventure colombienne, est publié chez Hachette en 1861[4].
En 1862, Élisée se rend à Londres à l’occasion de l’Exposition universelle, dont il signe le guide Joanne chez Hachette. De 1863 à 1871, les deux frères font de fréquents séjours à Vascœuil (Eure, Normandie) chez leur ami Alfred Dumesnil (1821-1894), gendre de Jules Michelet. Adèle Dumesnil, la fille de l'historien, étant décédée en 1855, Alfred Dumesnil, veuf, épouse en 1871 Louise Reclus (1839-1917), sœur d'Élisée et d'Élie qu'il employait depuis 1863 comme gouvernante de son château de Vascœuil et préceptrice de ses deux filles Jeanne Dumesnil (1851-1940) et Camille Dumesnil (1854-1940).
Le , il est parmi les fondateurs de la Société du Crédit au Travail, banque dont le but est d’aider à la création de sociétés ouvrières[4]. En , avec son frère Élie Reclus, il est l’un des vingt-sept fondateurs de l'Association générale d’approvisionnement et de consommation, l'une des premières coopératives parisiennes s'inspirant du modèle de la coopérative Équitables Pionniers de Rochdale. Élisée est élu secrétaire de L’Association, bulletin international des coopératives, fondé le . Il collabore à La Coopération, qui lui succède. En 1866, il fait partie avec Élie d’une société coopérative d’assurances sur la vie humaine créée à Paris sous le nom de L’Équité[6],[4].
Militant de la Première Internationale et communard, La Terre
En , les deux frères Élie et Élisée adhèrent à la section des Batignolles de l’Association internationale des travailleurs fondée le à Londres (AIT, Première Internationale)[6].
En novembre de la même année à Paris, Élie et Élisée rencontrent Bakounine avec qui ils entretiennent des liens amicaux et politiques forts. Ils militent ensemble à la Fraternité Internationale, société secrète fondée par Bakounine. En 1865, Élisée se rend à Florence, où il revoit Bakounine et fait la connaissance de révolutionnaires italiens[6].
En 1867, Élisée participe à deux réunions internationales : du 2 au , deuxième Congrès de l’Association internationale des travailleurs à Lausanne et du 9 au , premier Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté à Genève. Du 21 au il participe activement au 2e Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté, à Berne. Il y fait une intervention que l’on considère généralement comme sa première adhésion publique à l’anarchisme. Élisée, Mroczkowski[n 2], Bakounine et quelques autres s’opposent à la majorité des congressistes sur la question de la décentralisation. Ils en tirent les conséquences et quittent la Ligue[9].
Parallèlement, Élisée publie chez Hachette en 1867 et 1868 (datés 1868 et 1869) les deux volumes d'un magistral traité de géographie générale, La Terre, description des phénomènes de la vie du globe, qui lui assure une grande renommée dans les milieux intellectuels européens et sera, a posteriori, la première œuvre de sa vaste trilogie géographique avec la Nouvelle Géographie universelle (1875-1893) et L'Homme et la Terre (1905-1908).
En 1868, il adhère à l’Alliance internationale de la démocratie socialiste fondée par Bakounine et admise, en , par le conseil général de l’Association internationale des travailleurs, au nombre des sections genevoises[9]. Le et le à Londres, Élisée assiste, à titre d’invité, à deux séances du conseil général de la Première Internationale.
En 1869, il publie chez Pierre-Jules Hetzel son Histoire d’un ruisseau. Soucieux de donner un foyer à ses filles, confiées à deux de ses sœurs à la suite de la mort de sa femme Clarisse le , Élisée et Fanny L'Herminez, une institutrice venue d'Angleterre, déclarent s’accepter librement l’un l’autre pour « époux » le lors d'une réunion de famille[9] à Vascœuil.
Durant la guerre franco-prussienne de 1870, puis la Commune de Paris, Élisée s’engage activement dans l’action politique et militaire. À l'automne 1870, pendant le siège de Paris par les Prussiens, il s’engage comme volontaire au 119e bataillon de la Garde nationale, puis dans le bataillon des aérostiers dirigé par le photographe Nadar[9] qui devient un ami intime. En décembre, il participe, avec André Léo, Benoît Malon et son frère Élie Reclus, à la création du journal La République des travailleurs[6]. Il tente de se présenter aux élections législatives du à Orthez, sans succès (il n'a pas eu le temps de faire inscrire sa candidature). Après la proclamation de la Commune, le 18 mars 1871, il s'engage comme volontaire dans la Fédération de la Garde nationale[3]. Le [4], à l'occasion d'une sortie confuse à Châtillon, il est fait prisonnier le fusil à la main par les Versaillais[3],[9].
Emprisonné au camp de Satory[9] à Versailles, il est rapidement transféré en rade de Brest, au fort de Quélern, puis sur l’île Trébéron, avant de revenir en banlieue parisienne pour y être jugé. Il connaît en tout une quinzaine de prisons en onze mois de captivité[6] (-).
Refuge en Suisse
Le , le 7e Conseil de guerre le condamne à la déportation[3], simple (transportation) en Nouvelle-Calédonie[9].
Sa renommée scientifique, ainsi que les réseaux créés par son frère Élie dans les milieux intellectuels et coopératifs britanniques, valent à Élisée une pétition de soutien regroupant essentiellement des scientifiques britanniques et réunissant une centaine de noms (dont Charles Darwin) : le , la peine est commuée en dix années de bannissement[3]. Élisée Reclus se refuse à signer un recours en grâce. Sa peine sera remise le [9].
Il n'est pas encore sorti de prison qu'il fait paraître une chronique de Géographie générale en 25 épisodes (du au ) dans La République française, le quotidien de Léon Gambetta, auquel sont liés son beau-frère Germain Casse comme journaliste (et député en 1873), et comme administrateur Paul Frédéric Hickel, notaire et frère cadet de son ami intime décédé Gustave Hickel. Cette série d'articles géographiques constitue un trait d'union entre l'épisode de la Commune et le début de la parution en feuilleton hebdomadaire de sa Nouvelle Géographie universelle, le .
À la suite de sa commutation de peine, Élisée, sa compagne et ses deux filles séjournent en Suisse, à Lugano (1872-1874)[3],[10].
Élisée assiste au congrès de la Paix de Lugano (), et fonde une section internationaliste en 1876 à Vevey, avec son ami cartographe Charles Perron, qui dessine pour lui dans la Nouvelle Géographie Universelle. La section publie un journal, Le Travailleur, prônant notamment l'éducation populaire et libertaire[11].
En , sa compagne Fanny meurt en couches, ainsi que leur nouveau-né prénommé Jacques : Élisée et ses filles quittent le Tessin et s'installent au bord du lac Léman, dans le canton de Vaud : à La Tour-de-Peilz (1874-1875), Vevey (1875-1879), puis Clarens (1879-1890). Le , il s'unit à Ermance Gonini, veuve d’un cousin Trigant-Beaumont de la mère des Reclus, et mère adoptive d'une fille d'un couple de sauniers charentais, Sophie Guériteau, dite Georgette Gonini (qui s'unira en 1889 au graveur William Barbotin). Héritière d’une petite fortune, Ermance fait construire une maison à Clarens, au bord du lac Léman (1876-1879), où la famille s’installe de 1879 à [6].
Communiste anarchiste
En Suisse, il est membre de la Fédération jurassienne où il acquitte sa cotisation de membre « central »[6]. Il entretient des relations suivies avec Bakounine dont il publie et préface, en 1882, Dieu et l'État[4], puis avec Pierre Kropotkine[10] dont il fait la connaissance en [6]. Une grande amitié le lie en outre à James Guillaume[6].
En 1873 et 1874, il collabore à l’Almanach du peuple, et en 1877, à La Commune. Le à Lausanne, il affirme son communisme libertaire lors d’une réunion commémorative de la Commune de Paris[6]. Le , à Berne, il assiste aux obsèques de Bakounine et prononce un discours funèbre[9]. Au printemps 1877, il lance à Genève la revue Le Travailleur avec son camarade et collaborateur Charles Perron, ainsi que Nikolaï Joukovski et Alexandre Oelsnitz, dans laquelle ils se déclarent « an-archistes »[6].
Amnistié en 1879, il reste à Clarens où il collabore au journal Le Révolté dirigé à Genève par Pierre Kropotkine et François Dumartheray[5],[6], puis par Jean Grave. Les persécutions de la police suisse conduisent au transfert du titre à Paris en 1885.
Les 9 et , il participe au congrès de la Fédération jurassienne. Il y définit son communisme libertaire, « conséquence nécessaire et inévitable de la révolution sociale » et « expression de la nouvelle civilisation qu’inaugurera cette révolution », et qui implique notamment « la disparition de toute forme étatiste » et « le collectivisme avec toutes ses conséquences logiques, non seulement au point de vue de l’appropriation collective des moyens de production, mais aussi de la jouissance et de la consommation collectives des produits » (Le Révolté, )[6].
En 1883, les autorités tentent de l'impliquer dans le procès des 66 mené, à Lyon, contre Kropotkine. Il est présenté comme son collaborateur dans l'organisation du « parti anarchiste international », alors que l'anarchisme, par définition, ne se prête guère à une discipline ni à une hiérarchie. Il écrit au procureur général pour se mettre à sa disposition et finalement les poursuites sont abandonnées[3].
Nouvelle Géographie universelle
Pendant toute cette période, il rédige certains de ses grands textes géographiques : Histoire d’une montagne (1876, puis 1880 pour l'édition définitive chez Pierre-Jules Hetzel), ainsi que les premiers volumes de sa Nouvelle Géographie universelle, dont la publication est poursuivie régulièrement chez Hachette de 1875 (1er volume daté 1876) à 1893 (19e volume daté 1894)[5]. Le manuscrit de l'ouvrage est aujourd'hui conservé à la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel[12]. Lorsque E. Reclus retourne à Paris en 1890, il confie la « mappothèque » (collection de cartes) créée pour la Nouvelle Géographie universelle à Charles Perron, puis en fait don en 1893 à la ville de Genève. En 1904, C. Perron devient conservateur de ce dépôt cartographique et, en 1907, soit deux ans après la mort de Reclus, C. Perron fonde le musée cartographique, destiné à une pédagogie populaire de la géographie[13].
Il continue aussi à voyager (Italie, Algérie, États-Unis, Canada, puis Brésil, Uruguay et Argentine). En , il se rend à Naples et y rencontre le révolutionnaire hongrois Kossuth. En , Élisée et sa famille reviennent en France et se fixent en banlieue parisienne à Nanterre (1890-1891), Sèvres (1891-1893), enfin Bourg-la-Reine (1893-1894)[4]. En Italie, Élisée Reclus identifie la villa de Pline dans un ancien village nommé Lierna[14] surplombant un rocher sur la rive du lac de Côme, dite la Villa Commedia[15], aujourd'hui détruite[16] ; d'autres croient que ce n'était pas loin mais plus près du lac et sur les pentes d'un rocher culminant sur l'eau[17]. Sur cette zone, en 1876, un ancien trottoir romain a été trouvé[18], démontrant le lien avec la présence de la « Villa Commedia » mentionnée[19] par Pline : (…l'une de ces deux villas)[15],[16],[17].
La Nouvelle Géographie universelle lue en français ou en traduction dans le monde entier, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud aussi bien qu'en Australie, en Perse ou en Chine, lui vaut une célébrité internationale, unique pour un géographe de langue française et qui en fait, de son vivant, un égal en renommée planétaire de Victor Hugo ou de Louis Pasteur[20]. Elle lui fait également recevoir, entre autres, les prestigieuses distinctions de trois sociétés savantes : en , la grande médaille d’honneur annuelle de la Société de topographie de France alors présidée par le contrôleur général de l’armée Léonard Martinie ; en , et « à titre exceptionnel » car normalement réservée aux explorateurs, la grande médaille d’or de la Société de géographie de Paris[4] ; en , la médaille d’or annuelle (Patron’s Medal) de la Royal Geographical Society de Londres.
Bruxelles et l’Université nouvelle
En 1892, à la suite de la condamnation de Ravachol, les anarchistes sont de plus en plus étroitement surveillés par la police, et Élisée Reclus a presque achevé sa Nouvelle Géographie universelle, si bien qu'il décide d’accepter une proposition de l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui lui offre une chaire de géographie comparée en lui décernant le titre d'agrégé de la Faculté des sciences[3].
Ses cours doivent commencer en , mais deux événements modifient son entrée dans une carrière professorale en Belgique. Le , Auguste Vaillant lance une bombe à la Chambre des députés à Paris. Recherché parce qu'il a reçu la visite de Vaillant peu avant l'attentat, son neveu Paul Reclus est en fuite. Le géographe est jugé moralement coresponsable de l'attentat par les autorités judiciaires françaises. Au même moment, un texte de Reclus intitulé « Pourquoi sommes-nous anarchistes ? »[21] est diffusé sur le campus bruxellois. Dans ce texte, il condamne la bourgeoisie, les prêtres, les rois, les soldats, les magistrats qui ne font qu’exploiter les pauvres pour s’enrichir. C'est un véritable appel à la révolution : l’unique moyen d’arriver à l’idéal anarchiste, c’est-à-dire à la destruction de l’État et de toutes autorités, par « l'action spontanée de tous les hommes libres »[22].
En sa séance du , le conseil d'administration de l'ULB prie Élisée Reclus de reporter son cours sine die, ce qui provoque la démission du recteur de l'université Hector Denis et de plusieurs professeurs. L’idée apparaît de créer une institution concurrente, la « Nouvelle » Université libre de Bruxelles ou Université nouvelle, répondant mieux aux convictions philosophiques matérialistes et positivistes. Plusieurs professeurs étrangers se déclarent prêts à venir y donner cours. Le , alors que l’Université libre de Bruxelles est fermée pour une durée indéterminée, les premiers cours de la Nouvelle Université sont donnés, rue du Persil à Bruxelles, dans les locaux de la loge maçonnique Les Amis philanthropes, elle-même à l’origine de la fondation de l’ULB en 1834. L'Université nouvelle est fondée officiellement le : elle est ouverte aux théories positivistes et basée sur le libre examen[22]. Ses professeurs ne reçoivent aucune rémunération. Élisée Reclus s'installe à Ixelles, en banlieue Sud de Bruxelles, ainsi que son frère Élie brièvement emprisonné le à Paris en raison de la fuite de son fils aîné Paul Reclus ; Louise Dumesnil, sœur d'Élie et Élisée et veuve d'Alfred Dumesnil depuis , vient s'installer auprès de ses deux frères : à quelques rues de distance, tous trois ainsi que l'épouse d'Élie, Noémi Reclus, forment à Ixelles une communauté familiale, à l'instar de celle formée à Paris entre 1857 et 1871.
Les cours d’Élisée Reclus attirent énormément de monde, une manifestation étudiante suit sa première conférence. Son frère Élie y donne des cours d'ethnographie religieuse. Des personnalités éminentes y enseignent : Émile Vandervelde, Louis de Brouckère, Paul Janson, Edmond Picard, etc[23],[24],[22].
L’Université nouvelle existe jusqu’en 1919, date à laquelle elle fusionne avec l’Université libre de Bruxelles, mettant fin au conflit entre libéraux doctrinaires et progressistes[22].
La rencontre avec Alexandra David-Néel
En 1886, Élisée Reclus rencontre Eugénie David, une jeune fille appelée à devenir célèbre par la suite sous le nom Alexandra David-Néel[4]. Elle est la fille d'un de ses amis, Louis-Pierre David et fréquente les Reclus à Paris de 1889 à 1894[25], et assiste à ses conférences à l'Université nouvelle de Bruxelles à partir de cette année-là[26]. Une forte amitié se noue entre elle et Élisée, qui ne cesse qu'à la mort de ce dernier. Il a sur sa jeune admiratrice une influence certaine : le premier ouvrage écrit par Eugénie David (Pour la vie, sous le pseudonyme d'Alexandra Myrial) parait en 1901 avec une préface d'Élisée Reclus. Ils s'écrivent à plusieurs reprises, notamment lors du séjour d'Alexandra à Hanoï, en 1895.
Grand Globe, cartes globulaires, L'Homme et la Terre
Fin , Élisée se rend à Florence pour témoigner dans un procès d’anarchistes italiens, qui sont relaxés. Le , il a la douleur de perdre sa fille cadette, dont il recueille à Ixelles, avec sa sœur Louise Dumesnil, les trois enfants.
De 1895 à 1898, il se lance dans un projet de construction d'un Grand Globe, une maquette de plus de 127,5 mètres de diamètre, destinée à représenter fidèlement la Terre par une même échelle du 1:100 000 pour la surface et les reliefs, et qui devait être érigée sur la colline parisienne de Chaillot pour l'Exposition universelle de 1900[27].
Élisée Reclus décrit ainsi son projet :
« Des milliers de vues, de paysages, de types d'hommes et d'animaux, de scènes caractéristiques seront placées en diorama mouvant dans les panneaux intérieurs de l'enveloppe, en face même des formes géographiques correspondantes figurées sur la convexité du globe. Nous assisterons ainsi à toutes les manifestations de la vie sur terre, dont nous parcourrons du regard les étendues. Nous la verrons s'animer, se transformer et l'harmonie se fera dans notre imagination entre la terre, ses phénomènes de toute nature, ses plantes et ses habitants[28]. »
Faute des financements nécessaires (environ 20 millions de francs-or[29]), le projet restera à l’état d‘ébauche et ne verra finalement pas le jour. Outre Reclus, il devait réunir Charles Perron, l’architecte-voyer de la ville de Paris Louis Bonnier et le biologiste, sociologue et urbaniste écossais Patrick Geddes[11], dont Élisée et Élie sont amis.
À leur retour de l’Athènes du Nord, où ils ont admiré la vitalité de ses réalisations, les deux frères publient en 1896 un texte élogieux [30], et le projet de globe terrestre géant pour la colline de Chaillot s’inscrit dans la même veine que l’Outlook Tower[31], monument-phare de la rénovation du centre historique d’Édimbourg déjà édifié par Geddes en 1892.
Tout comme Élisée, Geddes est un penseur universel et un pionnier de l’écologie, établissant des passerelles théoriques et pratiques entre biologie, sociologie, urbanisme et environnement, dans une approche didactique et pluridisciplinaire qui articule constamment le local et le global.
« Kropotkine et Geddes, le Russe et l’Écossais, furent, bornant l’Europe à l’est et à l’ouest, les deux repères permanents de la “géographie intime” d’Élisée[32]. »
Paul Reclus restera très lié à Patrick Geddes, grand francophile qui viendra terminer sa vie à Montpellier où il a fondé le Collège des Écossais, et dont le second fils, Arthur, épousera Jeannie Colin, petite-fille de Jeannie Cuisinier, la seconde fille qu’Élisée eut avec Clarisse Brian.
Le , Élisée Reclus fonde l'Institut d'études géographiques ou Institut géographique, qui dépend de l'Université nouvelle et forme les étudiants par des excursions et la rédaction de mémoires originaux.
Quatre mois plus tard, le , il crée aussi une Société anonyme d’études et d’éditions géographiques Élisée Reclus en association avec des capitalistes belges. Elle fera faillite le . La société publie d'une part divers mémoires de géographie entre 1899 et 1905[33], et d'autre part quelques exemplaires de « cartes globulaires » ou « disques globulaires ». Ce sont des cartes planes en couleur, mais gravées sur un support métallique convexe qui figure, à l'échelle, la courbure de la surface terrestre ; 36 feuilles assemblées constitueraient un globe terrestre à l'échelle du dix-millionième. Cette représentation d'un genre nouveau est conçue par le cartographe belge Émile Patesson et Élisée Reclus qui, en 1902 et 1903, tente d'intéresser à leur diffusion les Sociétés de géographie de Paris, Londres et Berlin, sans grand succès.
Entre 1896 et 1901, Élisée fournit en outre plusieurs mémoires importants à des revues françaises, belges, suisses ou anglaises[n 3]
En 1903, il demande à son neveu Paul Reclus de s'établir à Ixelles pour l'aider à achever et éditer L'Homme et la Terre, qu'il rédige depuis 1895 sous le titre provisoire L'Homme, géographie sociale. Grâce à son frère géographe Onésime Reclus, ce dernier grand ouvrage est publié en feuilleton périodique puis en 6 volumes par la Librairie universelle à Paris, pour l'essentiel après sa mort (1905-1908) et sous le contrôle vigilant de Paul Reclus[7],[34]. À l'initiative du pédagogue libertaire Francisco Ferrer, L'Homme et la Terre commence à être traduit en espagnol dès 1906.
Œuvre de géographie sociale appliquée à l'histoire de l'humanité, L'Homme et la Terre est aussi ce qu'on nomme aujourd'hui un ouvrage de géohistoire, et encore de philosophie de l'histoire et d'anthropologie historique. Si certains géographes du début du XXe siècle ont pour cela rechigné à y voir un ouvrage de géographie[35], inversement, il fait tout aussi bien d'Élisée Reclus un historien original et pénétrant, ignoré jusqu'à présent par une profession historienne pour laquelle il est seulement géographe : les cloisonnements disciplinaires dont se jouait Élisée Reclus ont ainsi provoqué une double exclusion de ce titre majeur, chez les géographes et chez les historiens. En 1927, dans les colonnes du quotidien communiste L'Humanité, l'écrivain Henri Barbusse déclare pourtant que selon lui, « il existe un grand livre d’histoire universelle, une œuvre capitale, admirable, et qui surplombe toute la production actuelle. C’est L'Homme et la Terre d’Élisée Reclus[36]. »
Fruit de quarante ans de travail, la « trilogie » géographique d'Élisée Reclus comprend en 1908, dans des formats différents, trois grands ouvrages qui totalisent 27–1 volumes et 22 218 pages : La Terre, 1867-1868 (datés 1868-1869), 2 vol., 1 554 p., 7 % du total ; la Nouvelle Géographie universelle, la Terre et les hommes, 1875-1893 (datés 1876-1894) et 1894, 19–1 vol., 16 977–39 p., 77 % du total ; L'Homme et la Terre, 1905-1908, 6 vol., 3 648 p., 16 % du total.
Disparition sans cérémonie
Durant les toutes dernières années de sa vie, Élisée Reclus, qui souffre d’angine de poitrine, voyage encore (France, Pays-Bas, Londres, Berlin).
Fin , il apprend la révolte des marins du cuirassé Potemkine, ce qui constitue l’une de ses dernières joies.
Il meurt le à Thourout (en néerlandais : Torhout), près de Bruges. Conformément à ses dernières volontés, aucune cérémonie n’a lieu : seul son neveu Paul Reclus suit le cercueil[37],[38].
Il est enterré dans la fosse commune du cimetière d'Ixelles, commune faisant partie de l'agglomération de Bruxelles, (aujourd'hui région de Bruxelles-Capitale) où le corps de son frère Élie, mort l’année précédente, se trouvait déjà, conformément à leurs volontés[39]. Dix jours plus tard, l'épouse de ce dernier, Noémi Reclus, morte à Ixelles le , les y rejoint.