Entropie (thermodynamique)
fonction d'état en thermodynamique / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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L'entropie est une grandeur physique qui caractérise le degré de désorganisation d'un système. Introduite en 1865 par Rudolf Clausius, elle est nommée à partir du grec ἐντροπή, littéralement « action de se retourner » pris au sens de « action de se transformer »[2].
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Unités SI | joule par kelvin (J/K) |
---|---|
Dimension | M·L 2·T −2·Θ −1 |
Base SI | kg⋅m2⋅s−2⋅K−1 |
Nature | Grandeur scalaire extensive |
Symbole usuel | S |
Lien à d'autres grandeurs |
|
Conjuguée | Température thermodynamique |
En thermodynamique, l'entropie est une fonction d'état extensive (c'est-à-dire, proportionnelle à la quantité de matière dans le système considéré). Elle est généralement notée , et dans le Système international d'unités elle s'exprime en joules par kelvin (J/K).
La notion d'entropie est introduite en 1865[3] par Rudolf Clausius dans le cadre du deuxième principe de la thermodynamique classique, d'après les travaux de Sadi Carnot[4]. Clausius montre que le rapport , où est la quantité de chaleur reçue par un système thermodynamique et sa température thermodynamique, est inférieur ou égal[alpha 1] à la variation d'une fonction d’état qu'il appelle entropie.
La thermodynamique statistique fournit un nouvel éclairage à cette grandeur physique abstraite : elle peut être interprétée comme la mesure du degré de désordre d'un système au niveau microscopique. Plus l'entropie du système est élevée, moins ses éléments sont ordonnés, liés entre eux, capables de produire des effets mécaniques, et plus grande est la part de l'énergie inutilisable pour l'obtention d'un travail, c'est-à-dire libérée de façon incohérente. Ludwig Boltzmann exprime en 1872 l'entropie statistique en fonction du nombre d’états microscopiques, ou nombre de complexions (également nombre de configurations), définissant l’état d'équilibre d'un système donné au niveau macroscopique : (formule de Boltzmann, où est la constante de Boltzmann).
Cette nouvelle définition de l'entropie n'est pas contradictoire avec celle de Clausius. Les deux expressions procèdent de deux points de vue différents, selon que l'on considère le système thermodynamique au niveau macroscopique ou au niveau microscopique.
Au XXe siècle, le concept d'entropie est généralisé et étendu à de nombreux domaines, notamment :
- l'entropie de Shannon dans le cadre de la théorie de l'information en informatique ;
- l'entropie topologique et l'entropie métrique de Kolmogorov-Sinaï, dans le cadre de la théorie des systèmes dynamiques en mathématiques.
Principes de la thermodynamique classique
Le premier principe de la thermodynamique est un principe de conservation. Pour un système thermodynamique donné, il énonce que toute transformation doit se faire de telle sorte que les variations d'énergie interne du système et du milieu extérieur se compensent algébriquement – ce qui équivaut à la conservation de l'énergie totale (somme de celle du système et de celle du milieu extérieur) :
où l'énergie interne du système et celle du milieu extérieur sont comptées algébriquement avec la convention des signes affectant une valeur positive à l'énergie effectivement reçue. Si l'on s'en tient au premier principe, les échanges d'énergie entre le système et le milieu extérieur peuvent avoir lieu dans n'importe quel sens, ce qui contredit l'intuition tirée d'un grand nombre d'observations de la vie quotidienne. Il semble au contraire qu'un grand nombre de transformations couramment observées aient toujours lieu dans un sens déterminé, l'évolution spontanée des systèmes dans le sens contraire n'étant jamais constatée :
- lorsque deux corps n'ayant pas la même température initiale sont mis en contact, le transfert thermique se fait du plus chaud vers le plus froid et à l'équilibre thermique, lorsque les deux corps ont la même température, c'est bien le corps initialement le plus chaud qui s'est refroidi et le plus froid qui s'est réchauffé, pas l'inverse ;
- de même, à une pression atmosphérique normale (1 atm), la glace fond au-dessus de 0 °C en recevant de la chaleur du milieu extérieur – on ne voit jamais la glace transférer son énergie à l'extérieur et ainsi rester solide dans ces conditions de température et de pression ;
- lorsqu'un gaz contenu dans un compartiment est mis en contact avec un autre compartiment préalablement vidé, les molécules de gaz se répartissent de manière homogène entre les deux compartiments – on ne les voit jamais se rassembler spontanément dans l'un des deux en laissant l'autre vide.
Ces observations concernant le sens des transformations spontanées n'entrent pas dans le champ d'application du premier principe. C'est le second principe de la thermodynamique qui en rend compte, à travers les variations de l'entropie, fonction d'état extensive (en cela similaire à l'énergie interne) conçue spécifiquement dans ce but. Le second principe est un principe d'évolution qui introduit la notion d'irréversibilité des phénomènes physiques. Il énonce que toute transformation d'un système thermodynamique donné doit se faire de telle sorte que l'entropie globale augmente, ou à la rigueur reste constante (ce cas limite correspond à une transformation réversible). Autrement dit, les variations d'entropie du système et du milieu extérieur doivent se compenser de telle sorte que leur somme soit positive, ou nulle dans le cas réversible :
où désigne l'entropie créée au cours de la transformation, l'entropie du système et celle du milieu extérieur au système.
En vertu de ce deuxième principe, deux cas peuvent se présenter concernant le signe de la variation d'entropie du système considéré :
- soit il s'agit d'un système isolé, c'est-à-dire qu'il n'échange rien (ni matière, ni aucune forme d'énergie) avec le milieu extérieur, dans ce cas (théorique) l'entropie du milieu extérieur ne varie pas au cours de la transformation () et donc l'entropie du système lui-même ne peut qu'augmenter, ou à la rigueur rester nulle si la transformation est réversible : ;
- soit le système n'est pas isolé (cas d'un système réel qui échange énergie et/ou matière avec l'extérieur), auquel cas son entropie peut éventuellement diminuer au cours de la transformation () mais alors uniquement sous réserve que l'entropie du milieu extérieur augmente davantage en valeur absolue (), de telle sorte que la somme des deux variations reste positive – ou nulle dans le cas réversible.
L'énoncé du second principe ne dit rien de la nature physique de l'entropie. La fonction S n'est considérée à ce stade que comme un objet calculatoire, une quantité algébrique que l'on peut évaluer (dans certains cas favorables cf. infra) pour déterminer si une transformation donnée d'un système donné est spontanément possible. Ce n'est qu'avec l'approche statistique – développée ultérieurement par Maxwell, Gibbs et Boltzmann – que cet objet abstrait a été progressivement relié aux propriétés de la matière à l'échelle microscopique (atomique ou moléculaire) grâce à la célèbre formule de Boltzmann, qui exprime l'entropie en fonction du nombre de micro-états accessibles du système.
Transformations réversibles et irréversibles
Une transformation affectant un système thermodynamique est dite réversible si elle est quasistatique et s’effectue sans frottement entraînant un phénomène dissipatif de chaleur. Dans ces conditions, la transformation peut être considérée comme étant constituée d’une succession d’états d’équilibre. Si on inverse le sens de la contrainte responsable de la transformation, on repasse par les mêmes états d’équilibre puisqu’il n’y a pas eu de phénomènes dissipatifs. On peut en conséquence modéliser la transformation et décrire parfaitement, à chaque instant, l’état d’équilibre du système. Une transformation réversible est donc un modèle idéal dont on peut se rapprocher, dans les transformations réelles, en s’assurant que la transformation soit très lente, le déséquilibre des variables d'état très faible et en minimisant les frottements. Une transformation réversible qui serait filmée pourrait être projetée à l'envers (c'est-à-dire de la fin au début) sans que la séquence paraisse anormale. C'est par exemple le cas, en première approximation, pour une balle en caoutchouc qui rebondit une fois sur un sol dur, il serait difficile de distinguer si le film est projeté à l'endroit ou à l'envers. Une transformation réversible se traduit par l'égalité :
À l'inverse, les transformations réelles (ou transformations naturelles) sont irréversibles à cause de phénomènes dissipatifs. En toute rigueur, le rebond d'une balle de caoutchouc est accompagné de frottements lors du choc au sol et de frottements lors du déplacement dans l'air, aussi faibles soient-ils ; ces frottements dissipent de l'énergie et, après plusieurs rebonds, la balle finit par s'arrêter. Le film à l'envers serait choquant puisque la balle rebondirait de plus en plus haut. De même dans le cas d'un œuf s'écrasant sur le sol, le film projeté à l'envers montrerait l'œuf brisé se reconstituer puis monter en l'air. On trouve dans cette irréversibilité une manifestation de la flèche du temps. Un système irréversible ne peut jamais spontanément revenir en arrière. L’énergie perdue par le système sous forme de chaleur contribue à l’augmentation du désordre global mesuré par l'entropie. Une transformation irréversible se traduit par l'inégalité :
Inégalité de Clausius
Considérons un système siège d'une transformation quelconque (par exemple d'une réaction chimique ou d'un changement d'état), posons :
- la pression du système et du milieu extérieur (en équilibre mécanique permanent) ;
- la température du système et du milieu extérieur (en équilibre thermique permanent) ;
- le volume du système ;
- le volume du milieu extérieur ;
- une quantité infinitésimale de travail reçu par le système ;
- une quantité infinitésimale de chaleur reçue par le système.
On peut donc écrire pour le système :
Étant donné le premier principe, on a le bilan énergétique global sur le système et le milieu extérieur :
d'où l'on tire pour le milieu extérieur :
Le système et le milieu extérieur étant supposés former un système global isolé, nous avons la relation sur les volumes :
d'où la variation élémentaire de travail :
Le travail reçu par le milieu extérieur est donc l'opposé du travail reçu par le système ; de même, la chaleur reçue par le milieu extérieur est l'opposée de la chaleur reçue par le système (règle des signes).
L’entropie est une fonction d’état. Cela veut dire que sa valeur est déterminée dès que l’état d’équilibre du système est établi. Il peut être écrit pour le milieu extérieur, qui n'est le siège d'aucune transformation (pas de réaction chimique, pas de changement d'état…) :
Pour le milieu extérieur, puisque , nous avons par conséquent la relation , d'où l'on tire :
Cette relation est valable si T est la température commune du système et du milieu extérieur. Mais si ces températures sont différentes, Tsys pour le système et Tfront pour la température de la frontière avec le milieu extérieur, la variation d'entropie est
Pour une transformation réversible, la création d'entropie étant nulle nous avons :
Pour une transformation irréversible il y a création d'entropie, le bilan entropique est positif :
On obtient l'inégalité de Clausius pour les transformations irréversibles :
Du point de vue du système, la variation d'énergie interne vaut :
avec on peut écrire :
Dans le cas d'une transformation réversible :
Dans le cas d'une transformation irréversible :
Le terme a été appelé chaleur non compensée par Clausius.
Conséquence de l’inégalité de Clausius sur le travail fourni par un système
Considérons une transformation effectuée à la température , qui fait passer un système thermodynamique d’un état initial à un état final d’équilibre. La variation d’entropie du système, associée à cette transformation, peut s'écrire :
La transformation peut être réversible ou irréversible. Si la variation de la fonction d'état entropie est la même quel que soit le chemin emprunté, il n’en est pas de même pour la chaleur et le travail qui dépendent du chemin suivi et seront donc différents : et .
Appliquons le deuxième principe :
nous obtenons : .
Appliquons le premier principe de conservation de l’énergie interne :
On déduit que .
Comme vu plus haut, le travail reçu par le milieu extérieur est l'opposé du travail reçu par le système () ; aussi pour l'extérieur :
On en déduit que le travail utile reçu par le milieu extérieur est plus important lorsque la transformation est réversible que lorsqu'elle est irréversible. La différence est dissipée sous forme de chaleur.
Remarques :
- Les frottements sont une cause importante d’irréversibilité ; la lubrification des pièces en contact et en mouvement dans un ensemble mécanique comme un moteur (conçu pour fournir du travail) permet de les minimiser. Sans lubrification, on observe un échauffement des pièces et une perte de rendement, conséquence de la dissipation d'une partie de l'énergie en chaleur plutôt qu'en travail.
- La vitesse est un facteur d’irréversibilité : la récupération de travail mécanique décroît à mesure que la vitesse d'un véhicule s'accroît. Ainsi, pour une même quantité de carburant, plus un véhicule se déplacera rapidement, plus la distance qu'il pourra parcourir sera réduite.
- Une pile électrique fournit plus de travail électrique si son fonctionnement se rapproche de la réversibilité (faible courant de fonctionnement délivré sous une tension proche de celle de la pile en équilibre, c'est-à-dire non connectée). En revanche si on court-circuite les électrodes, on ne récupère pratiquement que de la chaleur, libérée dans la pile.