Francisco Franco
militaire et homme d'État espagnol / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Franco Bahamonde est un nom espagnol. Le premier nom de famille, paternel, est Franco ; le second, maternel, souvent omis, est Bahamonde.
Francisco Franco Bahamonde[2] ([fɾanˈθisko ˈfɾaŋko βaaˈmonde][3]), né le à Ferrol (Galice) et mort le à Madrid, est un militaire et homme d'État espagnol, qui instaura en Espagne, puis dirigea pendant près de 40 ans, de 1936 à 1975, un régime dictatorial nommé État espagnol.
Francisco Franco | ||
Francisco Franco en 1964. | ||
Fonctions | ||
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Chef de l'État espagnol | ||
– (39 ans, 1 mois et 19 jours) |
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Président du gouvernement | Lui-même Luis Carrero Blanco Torcuato Fernández-Miranda (intérim) Carlos Arias Navarro |
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Prédécesseur | Manuel Azaña (Président de la République, indirectement[1]) | |
Successeur | Alejandro Rodríguez de Valcárcel (président du Conseil de régence) Juan Carlos Ier (roi d'Espagne) |
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Président du gouvernement d'Espagne | ||
– (35 ans, 4 mois et 9 jours) |
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Chef de l'État | Lui-même | |
Prédécesseur | Francisco Gómez-Jordana Sousa (président de la Junte technique de l’État en zone soulevée) José Miaja (président du Conseil national de Défense en zone républicaine) |
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Successeur | Luis Carrero Blanco | |
Biographie | ||
Nom de naissance | Francisco Paulino Hermenegildo Teódulo Franco y Bahamonde |
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Surnom | Le « Caudillo » | |
Date de naissance | ||
Lieu de naissance | Ferrol (Espagne) | |
Date de décès | (à 82 ans) | |
Lieu de décès | Madrid (Espagne) | |
Sépulture | Valle de los Caídos (1975-2019) Cimetière de Mingorrubio (depuis 2019) |
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Nationalité | Espagnole | |
Fratrie | Nicolás Franco Ramón Franco |
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Conjoint | Carmen Polo | |
Enfants | Carmen Franco y Polo | |
Religion | Catholicisme | |
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Présidents du gouvernement d'Espagne Chef de l'État espagnol |
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Issu d’une famille d’officiers de marine, Franco intégra l’Académie d’infanterie de Tolède puis fut versé en 1912 dans les troupes du Maroc où, en participant à la guerre du Rif, il manifesta des qualités de meneur d’hommes et de tacticien et forma les unités de la Légion espagnole nouvellement créée. Promu général de brigade à l’âge de 34 ans, au lendemain du débarquement d'Al Hoceima, il fut affecté ensuite à Madrid puis nommé directeur de la nouvelle Académie militaire de Saragosse. Après la proclamation de la république en 1931, il fut nommé chef d’état-major en 1933 et à ce titre dirigea la répression de la révolution asturienne de 1934.
Le 17 juillet 1936, Franco, relégué aux îles Canaries par le gouvernement du Front populaire, se rallia à la dernière minute, à la suite du meurtre de José Calvo Sotelo, à la conspiration militaire en vue de réaliser un coup d’État. Celui-ci, qui eut lieu le , échoua mais marqua le début de la guerre civile espagnole. À la tête des troupes d’élite marocaines, le général Franco réussit à briser le blocus républicain du détroit de Gibraltar et avec l’aide allemande et italienne, débarqua en Andalousie, d’où allait débuter sa conquête de l’Espagne. La Junte de défense nationale, comité collégial hétéroclite des différents chefs militaires de la zone nationaliste, le nomma au poste de généralissime des armées, c’est-à-dire de commandant suprême militaire et politique, en principe pour la seule durée de la guerre civile. Bénéficiant de l’appui des dictatures fascistes et de la passivité des démocraties, l'armée nationaliste remporta la victoire, proclamée fin après la chute de Barcelone et celle de Madrid. Le bilan est lourd (entre 100 000 et 200 000 morts) et la répression s'abattit sur les vaincus (270 000 prisonniers, 400 000 à 500 000 exilés).
Dès , le général Franco avait intégré la Phalange espagnole et les carlistes dans son armée, et neutralisé les courants disparates, parfois adverses, qui le soutenaient, en les corsetant dans un mouvement unique. À partir de 1939, celui qu'on appelle le Caudillo, le généralissime ou le chef de l'État, instaure une dictature militaire et autoritaire, corporatiste, sans doctrine claire, si ce n’est un ordre moral et catholique, marqué par l’hostilité au communisme et aux « forces judéo-maçonniques », et soutenu par l'Église catholique. Bien que d'abord soutenu par les régimes fascistes et nazis, Franco louvoie durant la Seconde Guerre mondiale, maintenant la neutralité officielle de l’Espagne, tout en soutenant les puissances de l'Axe, notamment en consentant à l’envoi de la division Azul pour combattre sur le front de l'Est. La victoire alliée acquise, le général Franco écarta les éléments les plus compromis avec les vaincus, tels que son beau-frère Serrano Súñer et la Phalange, et mit en avant les soutiens catholiques et monarchistes de son régime. L’ostracisme international de l’immédiat après-guerre fut vite tempéré par la guerre froide tandis que la position stratégique de l’Espagne assurera finalement au général Franco la survie de son régime avec l'appui de l’Argentine, des États-Unis et du Royaume-Uni. À l’intérieur, le Caudillo jouait sur les factions rivales pour maintenir son pouvoir et fit de l'Espagne de nouveau une monarchie dont il était le régent, prenant notamment en charge l'éducation de Juan Carlos, fils de Don Juan, prétendant au trône d'Espagne. Ses gouvernements successifs seront des exercices d’équilibriste, résultats d’un savant dosage entre les différentes « familles » du Movimiento Nacional.
Après que le système autarcique, qui proscrivait les investissements étrangers et les importations, eut provoqué de graves pénuries, accompagnées de corruption et de marché noir, Franco consentit vers la fin de la décennie 1950 à confier le gouvernement aux technocrates, selon la manière dont ils étaient nommés à l'époque, membres de l'Opus Dei qui mirent en œuvre, avec l'aide économique des États-Unis (concrétisée lors de la visite du président Eisenhower à Madrid en 1959) la libéralisation de l’économie espagnole, au rythme de plans « de stabilisation et de développement », avec pour résultat un rapide redressement économique et une croissance hors norme dans la décennie 1960.
En 1969, Franco désigna officiellement Juan Carlos comme son successeur. Les dernières années de la dictature sont notamment marquées par l’irruption de nouvelles revendications (ouvrières, étudiantes, régionalistes notamment basques et catalanes), des attentats (qui coûtent la vie au premier ministre Carrero Blanco), la prise de distance de l’Église après Vatican II et par la répression contre les opposants.
Franco meurt le , après une longue agonie ponctuée par de multiples hospitalisations et opérations à répétition. Juan Carlos de Bourbon, acceptant les principes du Mouvement national, est alors proclamé roi. Enterré sur décision du nouveau Roi à Valle de los Caídos, la dépouille de Franco a été transférée en au cimetière de Mingorrubio, où est enterrée son épouse, sur décision du gouvernement de Pedro Sánchez dans le cadre de l'élimination des symboles du franquisme et pour éviter les actes d'exaltation de ses partisans.
Naissance et milieu
Francisco Franco vint au monde le 4 décembre 1892 dans le centre historique de Ferrol, dans la province de La Corogne[4]. Ferrol et ses environs sont peut-être une des clefs pour saisir la figure de Franco[5]. Petite ville endormie qui ne comptait au début du XXe siècle que quelque 20 000 habitants[6], Ferrol hébergeait alors la plus grande base navale du pays, en plus d’importants chantiers navals[7]. Dans la paroisse castrense (=de l’armée), exemple accompli d’endogamie sociale[8], les militaires gradés constituaient une caste privilégiée et isolée, et leurs enfants, dont les Franco, vivaient dans un milieu clos, presque étranger au reste du monde, et peuplé exclusivement d’officiers, généralement de la marine[9],[10].
La perte de Cuba à la suite de la guerre hispano-américaine de 1898 permet d’expliquer en partie les rudimentaires idées politiques de Franco[11]. Ferrol plus particulièrement, dont toute l’activité était axée sur l’envoi de troupes et le commerce avec les colonies d’outre-Atlantique, fut l’une des villes les plus frappées par cette défaite. Aussi l'enfance de Franco se passa-t-elle dans une ville déchue, parmi des militaires retraités ou invalides, réduits à l’indigence, où les communautés professionnelles s’étaient repliées sur elles-mêmes, enfermées dans une sorte de rancœur réciproque[12]. La défaite signa ainsi le divorce entre société militaire et société civile[13] ; dans les milieux militaires et dans une partie de la population, la résistance dont avait fait preuve une flotte pourtant obsolète et mal équipée était considérée comme le résultat de l’héroïsme de quelques militaires qui avaient tout sacrifié à la patrie, et la défaite comme la conséquence de l’attitude irresponsable de quelques politiciens corrompus qui avaient délaissé les forces armées[14],[15]. La réflexion postérieure de Franco sur le désastre de 1898 le fera se rallier aux thèses du régénérationnisme, idéologie qui postulait la nécessité de réformes profondes et le rejet du système hérité de la Restauration[16].
Ascendances et famille
Francisco Franco est le fils d’une lignée de six générations de marins, dont quatre nés à Ferrol même, au sein d’une communauté qui ne concevait l’existence des hommes que comme une vie au service du drapeau, dans la flotte de guerre de préférence[17].
Après sa mort, des rumeurs ont circulé à propos de supposées origines juives de la famille Franco, bien qu’aucune preuve concrète ne soit jamais venue corroborer une telle hypothèse. Une quarantaine d’années après la naissance de Franco, Hitler chargea Reinhard Heydrich de mener des investigations pour essayer d’élucider la question, mais sans résultat[18]. Du reste, aucun document ne laisse entrevoir de la part de Franco une quelconque préoccupation à l’égard de ses origines[19].
Parents
Durant son enfance, le jeune Franco était confronté à deux modèles contradictoires, celui de son père, libre-penseur faisant fi des conventions, délibérément impie et ostensiblement fêtard et coureur de femmes, et celui de sa mère, parangon de courage, de générosité et de piété[19]. Le père, Nicolás Franco y Salgado-Araújo (1855-1942), était capitaine dans la marine, et parvint à la fin de sa carrière au grade d'intendant-général de la marine, ce qui équivaut à peu près au grade de vice-amiral ou de général de brigade et représentait en l’espèce une fonction purement administrative, mais qui semble avoir été de tradition dans la famille[20],[21]. Ayant été affecté à Cuba et dans les Philippines, il avait adopté les habitudes de l’officier des colonies : libertinage, jeux de casino, ripailles et beuveries nocturnes[20]. Pendant qu’il était en poste à Manille, âgé alors de 32 ans, il avait engrossé Concepción Puey, âgée de 14 ans, fille d’un officier de l’armée de terre[22],[23],[24],[25]. À Ferrol, il s’adapta difficilement à l’atmosphère bien-pensante de la Restauration[19],[23], et passait des journées à boire, à jouer et à palabrer, et avait coutume de rentrer tard, souvent éméché et toujours mal luné[26]. Il se comportait de façon autoritaire, à la limite de la violence, n’admettant pas la contradiction, et les quatre enfants — Francisco dans une mesure moindre, étant donné son caractère introverti et effacé — souffraient de ces rudes manières[27]. Il avait coutume de convier ses fils et quelques-uns de ses neveux à des promenades dans la ville, le port, et les environs pendant qu’il les entretenait de géographie, d’histoire, de la vie marine et de sujets scientifiques[22],[28].
Le père allait gagner tous les titres à l’hostilité de son fils Francisco : sans jamais aller jusqu’à un engagement politique ou idéologique affirmé, il se montrait volontiers anticlérical, était résolument hostile à la guerre du Maroc, avait affirmé à Madrid ses convictions libérales, et estimait que l’expulsion des Juifs par les Rois catholiques était une injustice et un malheur pour l’Espagne[29],[30]. Politiquement classé comme libéral de gauche, le père se déclara d’emblée hostile au Mouvement national, et même après que son fils est devenu dictateur, demeura très critique à son encontre tant en public qu’en privé. Il n’avait pas su reconnaître le génie de son deuxième fils et ne lui avait jamais exprimé le moindre sentiment d’admiration[31],[32].
L’atmosphère confinée de Ferrol et le malaise du couple le conduisirent sans doute à solliciter, ou à accepter, une affectation à Cadix en 1907, puis une mutation à Madrid, en principe pour deux ans. Cependant Nicolás ne reviendra jamais, s’étant mis en ménage avec une jeune femme, Agustina Aldana, institutrice de son état, qui était l’antithèse de son épouse, et avec qui il vécut jusqu’à la mort de celle-ci en 1942[26]. Cet abandon du foyer conjugal fut à l’origine du conflit entre Nicolás et son fils Francisco et de la rupture définitive du dialogue entre le père et le fils[33]. Les frères de Francisco, devenus adultes, pour qui le père avait toujours eu une prédilection, visitaient leur père de temps à autre, mais rien n’indique que Francisco Franco l’ait jamais fait. Francisco était celui qui était le plus fortement attaché à leur mère, et les traits de caractère qui se manifesteront ultérieurement — son désintérêt pour les relations amoureuses, son puritanisme, son moralisme et sa religiosité, sa répugnance à l’alcool et aux festins — faisaient de lui une antithèse de son père et l’identifiait pleinement à sa mère[34].
Au contraire du père, la mère de Franco, María del Pilar Bahamonde y Pardo de Andrade (1865-1934)[35], issue d’une famille ayant elle aussi une tradition de service dans la marine, était extrêmement religieuse et très respectueuse des us et coutumes de la bourgeoisie d’une petite ville de province. Presque aussitôt après les noces, les conjoints ne se faisaient déjà plus d’illusions sur leur affinité de couple et Nicolás ne tarda pas à reprendre ses habitudes d’officier des colonies[36], tandis que Pilar, résignée et débonnaire, épouse digne et admirable, de dix ans plus jeune que son mari, qui vivait et s’habillait avec une grande austérité[37] et n’avait jamais un mot de reproche[38], se réfugia dans la religion et dans l’éducation de ses quatre enfants, leur inculquant les vertus de l’effort et de la ténacité pour progresser dans la vie et monter socialement, et les exhortant à la prière[39]. Franco, plus qu’aucun de ses frères, s’identifia à sa mère, de qui il apprit le stoïcisme, la modération, la maîtrise de soi, la solidarité familiale et le respect pour le catholicisme et pour les valeurs traditionnelles[40], encore que, comme le souligne Bartolomé Bennassar, il n’ait pas adopté ses qualités premières qu’étaient la charité, le souci des autres, et le pardon des injures et des offenses[41].
Fratrie et clan
La fratrie gardera une importance notable pour Franco, qui conservera toujours le sens du clan, c’est-à-dire de la famille, élargie à quelques amis d’enfance. Les Franco Bahamonde ne se confondaient pas au type courant de Ferrol et de leur milieu social[42], la famille comprenant en effet :
- Nicolás Franco (1891-1977) : son frère aîné. Ingénieur naval, il devint le principal conseiller de Franco au début de la guerre civile. Il termina sa carrière comme ambassadeur à Lisbonne puis comme homme d'affaires[43],[44],[45].
- María del Pilar Franco (1894-1989) : sa sœur. Membre de la Phalange espagnole, elle ne joua cependant aucun rôle politique. Ses deux livres de souvenirs ont été des succès de librairie[46],[47].
- Ramón Franco (1896-1938) : son frère cadet. Aviateur célèbre et populaire, de convictions républicaines, il n'en rallia pas moins son frère aîné après le coup d'État de . Il périt le dans un accident d'hydravion[43],[48].
Dans la parentèle est à signaler encore plusieurs cousins orphelins, enfants d’un frère du père, desquels le père de Franco accepta d’assumer la tutelle, en particulier Francisco Franco Salgado-Araújo, dit Pacón, né en juillet 1890[49],[8], avec qui Franco partagea les mêmes jeux, les mêmes loisirs, les mêmes études, les mêmes écoles et académies, qui fut à ses côtés au Maroc, puis à Oviedo, et qui pendant la Guerre civile devint le secrétaire, ensuite le chef de la maison militaire de Franco, et aussi son confident[50], Luis Carrero Blanco.
En dehors du cercle familial, le clan Franco comprenait :
- Camilo Alonso Vega, qui, entré à l’académie de Tolède en même temps que Franco, retrouva celui-ci au Maroc, puis rejoignit en 1917 Franco et Pacón à Oviedo. Pendant la guerre civile, il commanda l’une des unités de choc de l’armée nationaliste, et devint par la suite directeur de la Garde civile, ministre de l’Intérieur de 1947 à 1959, et capitaine général[51].
- Juan Antonio Suanzes, fils du directeur du collège de la marine à Ferrol, qui sera fait par Franco ministre de l’Industrie et du Commerce, puis directeur de l’Institut national de l'industrie (INI)[52].
- Pedro Nieto Antúnez, Ferrolan, officier de marine, qui n’appartenait pas au cercle des amis d’enfance et d’adolescence, mais devint le compagnon préféré du Caudillo lors de ses parties de pêche. Après l’assassinat de Luis Carrero Blanco, Franco voulut lui confier le poste de chef de gouvernement, mais le clan du Pardo et le Bunker y firent obstacle[53].
- Ricardo de la Puente Bahamonde, cousin germain, qui ayant refusé en de rallier le Mouvement et de livrer l’aérodrome de Tétouan fut jugé en conseil de guerre et exécuté sans que Franco ne tente de le sauver[54].
Franco ne renouvellera guère son environnement social et n’élargira ce milieu initial qu’à quelques compagnons d’armes rencontrés au Maroc ou à un collaborateur occasionnel[26].
Scolarité
Enfant, puis encore à l’Académie de Tolède, Franco fut la cible des railleries des autres enfants en raison de sa petite taille (1,64 m à l’académie de Tolède[55], finalement 1,67 m[56]) et de sa voix zézéyante et haut perchée[28]. Constamment, on le désignait par quelque diminutif : dans son enfance, on le surnommait Cerillito (diminutif de cerillo, chandelle)[57], puis, à l’Académie, Franquito (± Francillon)[58], lieutenant Franquito, Comandantín (à Oviedo)[59], etc. Dans ses Memorias, Manuel Azaña se laissa aller lui aussi à l’appeler Franquito[60].
Malgré l’insuffisance des ressources de la famille, les trois frères reçurent la meilleure instruction privée alors disponible à Ferrol[61], celle dispensée par le collège du Sacré-Cœur[8], où Francisco ne se distingua pas par des qualités exceptionnelles, ne faisant montre de quelque talent qu’en dessin et en mathématiques, et manifestant aussi quelque aptitude à certaines tâches manuelles[61]. Ses professeurs ne perçurent aucun signe prémonitoire ; le directeur de l’école, interrogé vers 1930, brossa le portrait suivant : « un travailleur infatigable, d’un caractère très équilibré, qui dessinait bien », mais au total, « un enfant très ordinaire ». Il n’était ni studieux, ni dissipé. Il n’échoua à aucun des examens correspondant aux deux premières années du bachillerato[62]. Selon le témoignage d’un de ses camarades de collège, « il était toujours le premier à arriver et se plaçait à l’avant, seul. Il esquivait les autres ». On percevait chez les trois frères Franco, mais à un degré plus élevé chez Francisco, une ambition démesurée, qui était encouragée par l’entourage familial[63].
Formation militaire
À Ferrol
Lorsqu’il eut atteint ses 12 ans, Franco fut inscrit — ainsi que son frère Nicolás auparavant et que son cousin Pacón au même moment que lui — à l’école navale préparatoire de Ferrol, dirigée par un capitaine de corvette, dans l’espoir d’entrer plus tard dans la marine[64]. Ces centres de préparation à l’académie navale dispensaient un enseignement de bien meilleure qualité, parce qu’il existait, observa Franco lui-même, « plusieurs académies, avec un nombre d’élèves limité, dirigées par des officiers de marine ou des militaires. […] Parmi elles, je choisis celle qui était dirigée par un capitaine de corvette, don Saturnino Suanzes » (père de Juan Antonio Suanzes, son aîné d’un an et condisciple, futur directeur de l’Institut national de l'industrie)[65],[28]. Les cours de cet établissement se donnaient à bord de la frégate Asturias, dans la rade de Ferrol. Pacón note que son cousin était le plus jeune de tous les élèves, et qu’il se distinguait surtout en mathématiques et par son excellente mémoire[66].
Mais alors même qu’il attendait la convocation au concours d’entrée, au , survint l’annonce inopinée de la fermeture de l’Académie navale de Ferrol[67],[68]. Après la défaite à Cuba, le commandement de la marine se retrouva avec un excédent d’officiers et limita aussitôt l’accès à l’Académie[69]. Fermé en 1901, l’établissement avait rouvert ses portes en 1903, puis les avait fermées de nouveau en 1907[70],[68]. À Francisco, l’Académie d’infanterie de Tolède tiendra lieu de substitut, tandis que son frère Ramón, né en 1896, fera carrière dans l’aviation[71],[72].
À l’Académie de Tolède
Quittant pour la première fois sa Galice natale, Francisco Franco entreprit fin juin 1907 en compagnie de son père le voyage de Tolède pour participer au concours d’entrée à l’Académie. Il découvrit alors une tout autre Espagne et conservera un souvenir précis de ce voyage initiatique qui lui donna une première et rapide vision de l’Espagne, en l’occurrence de la Castille aride et dépeuplée[73],[69].
Franco, l’un des plus jeunes de sa promotion, passa les épreuves du concours « avec beaucoup de facilité » ; il est vrai que ces épreuves étaient d’un niveau élémentaire. Quoique la promotion cette année-là ait été nombreuse (382 futurs cadets), un millier d’autres avaient été ajournés, et parmi eux son cousin Pacón, pourtant son aîné de deux ans, qui ne devait pouvoir entrer à l’académie que l’année suivante[74],[68]. Depuis cet instant, l’armée était devenue la véritable famille de Franco, d’autant que sa famille biologique se délitait, car c’est en cette même année 1907 que son père abandonna le foyer conjugal[75].
Néanmoins, Franco se souviendra avec amertume de son incorporation dans l’Académie, ayant été en effet la cible des bizutages (novatadas), auxquels à cette époque-là nul ne pouvait se dérober : « Triste accueil qui nous était offert, nous qui venions plein de désir de nous incorporer dans la grande famille militaire »[76]. Le jeune Franco se souviendra des bizutages comme d’un « véritable calvaire » et critiquera l’absence de discipline interne et l’irresponsabilité des directeurs de l’académie à mélanger des cadets d’âges si différents, à telle enseigne que Franco interdira formellement les bizutages après qu’il a été nommé en 1928 premier directeur de la nouvelle Académie générale militaire de Saragosse[77],[78],[79] et qu’il assigna à chacun des nouveaux candidats un mentor personnel choisi parmi les cadets plus âgés[78]. Son apparence puérile, son manque de prestance physique, son côté appliqué et introverti, et sa voix aigrelette l’avaient désigné comme l’une des victimes préférées des anciens. Une brimade qu’on lui fit subir à deux reprises consista à cacher ses livres sous un lit. La première fois Franco fut sanctionné pour cela ; la récidive déclencha sa fureur et c’est alors qu’il aurait lancé un chandelier à la tête de ses persécuteurs. Il se serait ensuivi une rixe et la convocation du jeune cadet chez le directeur. Franco expliqua alors qu’il considérait cette brimade comme une offense à sa dignité personnelle, mais assuma la responsabilité de la rixe et tut les noms des provocateurs, de sorte qu’il n’y eut pas de sanction contre d’autres élèves, ce qui lui valut l’estime de ses camarades[80],[81],[82].
Franco sera plus tard assez critique au sujet de l’enseignement qui lui fut dispensé et longtemps après n’épargnera pas certains de ses anciens maîtres[83]. Cet enseignement s’appuyait en premier lieu sur la mémorisation, et comme Franco possédait une bonne mémoire, il n’eut pas grand peine à réussir ses examens, encore que ses notes ne fussent pas exceptionnelles[84].
L’enseignement prédominant provenait de vieux manuels militaires français et allemands déjà obsolètes. Le Règlement provisoire pour l’instruction tactique publié par l’Académie de Tolède en 1908 et qui fut la bible de la génération de Franco considérait encore comme évidente la supériorité de l’infanterie sur les autres armes, alors que toutes les autres armées d’Europe étaient alors très attentives au développement de l’artillerie et des appuis logistiques[84],[85],[86]. L’armée espagnole, fort faible en armements et équipements, n’était pas préparée pour opérer au même niveau que les meilleures armées contemporaines[84], et la campagne de Melilla, lancée deux ans après l’entrée de Franco à l’Académie militaire, accentua encore le sentiment général d’inadéquation de l’enseignement aux combats que nécessitait la défense des derniers territoires coloniaux[87].
Il semble que Franco ait manifesté dès cette époque une dilection pour la topographie et les techniques de fortification[84] et qu’il aimait l’histoire, déplorant le désintérêt des cadres de l’Académie pour le passé illustre de Tolède[88]. Régulièrement, de longues randonnées étaient effectuées, où les cadets quittaient la ville à cheval et en musique, puis étaient logés pour la nuit dans les modestes foyers de paysans, « où nous commencions à connaître de près les grandes vertus et la noblesse du peuple espagnol ». En 1910, le périple de fin d’études conduisit les cadets en 5 jours de Tolède à Escorial[89].
En , la cérémonie solennelle de remise des brevets aux 312 cadets eut lieu dans le patio de l’Alcazar. Francisco Franco se classait au 251e rang sur les 312 de sa promotion[90],[91],[92]. Sa note finale parmi les plus faibles n’était pas la conséquence de mauvaises notes, mais des critères du classement qui tenaient davantage compte de l’âge et des qualités physiques[93]. On peut remarquer du reste que le major de sa promotion, Darío Gazapo Valdés, n’était que lieutenant-colonel en 1936, au moment du coup d’État, auquel il participa à Melilla, tandis que le numéro deux de la promotion n’était, lui, que commandant d’infanterie à Saragosse[94]. Dans la même promotion, on relève les noms de Juan Yagüe, qui deviendra l’un de ses appuis les plus fermes de Franco lors de sa conquête du pouvoir en 1936, et de Lisardo Doval Bravo, futur général de la Garde civile et exécuteur de basses œuvres pour le compte de Franco. Agustín Muñoz Grandes, autre futur collaborateur, faisait partie de la promotion suivante[95]. Aussi plusieurs de ceux qui tiendront les premiers rôles sous le long règne de Franco ont été les compagnons de ses jeunes années[96].
Avant la Première Guerre mondiale, la seule expérience de combat possible pour les jeunes officiers européens étaient les conflits coloniaux, et, dans le cas de l’Espagne, le Maroc était le seul champ de bataille où acquérir renommée et gloire, et une promotion rapide pour mérites de guerre[97],[93]. Comme tous ceux de sa promotion, Franco avait donc d’abord demandé une affectation au Maroc, mais une disposition législative récente interdisait d’y envoyer les sous-lieutenants frais émoulus. Pour beaucoup, ce ne sera que partie remise, car le Rif sera un tombeau pour nombre d’hommes de la 14e promotion : selon les calculs de Bennassar, 36, soit environ 12 %, seront tués au Maroc, et Rafael Casas de la Vega avance même le chiffre de 44[98].