Franz Liszt
compositeur et pianiste hongrois / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Franz Liszt (Liszt Ferenc en hongrois) est un compositeur, transcripteur et pianiste virtuose hongrois né le à Doborján[1] en Hongrie (empire d'Autriche) et mort le à Bayreuth en Bavière (Empire allemand).
Nom de naissance | Liszt Ferenc |
---|---|
Naissance |
Doborján, Hongrie ( Empire d'Autriche) |
Décès |
(à 74 ans) Bayreuth, Bavière ( Empire allemand) |
Activité principale | Compositeur, pianiste et chef d'orchestre |
Style | Musique romantique |
Activités annexes | Écrivain |
Maîtres | Antonio Salieri, Carl Czerny |
Élèves | Martin Krause, Alexander Siloti, Hermann Cohen, Arthur De Greef, Sophie Menter |
Conjoint | Marie d'Agoult |
Descendants | Cosima Wagner |
Famille |
Hans von Bülow (gendre) Richard Wagner (gendre) |
Œuvres principales
- Années de pèlerinage (1842)
- La Campanella (1851)
- Études d'exécution transcendante (1852)
- Rhapsodies hongroises (1846-53)
- Les Préludes (1854)
- Fantaisie et fugue sur le nom de B-A-C-H (1856)
- Sonate pour piano en si mineur (1857)
- Faust-Symphonie (1857)
- Dante-Symphonie (1857)
- Concertos pour piano nos 1 et 2 (1855, 1861)
- Danse macabre (1865)
- Christus (1872)
- Mephisto-Valse (1859-62, 1880-81, 1883, 1885)
- Réminiscences (sur des thèmes de Mozart, Bellini Donizetti…)
Liszt est le père de la technique pianistique moderne et du récital. Avec lui naissent l'impressionnisme au piano, le piano orchestral — Mazeppa, la quatrième Étude d'exécution transcendante — et le piano littéraire — les Années de pèlerinage. Innovateur et promoteur de l'« œuvre d'art de l'avenir » (la « musique de l'avenir » étant une invention des journalistes de l'époque), Liszt influence et soutient plusieurs figures majeures du XIXe siècle musical : Frédéric Chopin, Hector Berlioz, Richard Wagner, César Franck, Camille Saint-Saëns, Bedřich Smetana, Edvard Grieg et Alexandre Borodine. Aussi féconde que diverse, son œuvre a inspiré plusieurs courants majeurs de la musique moderne, qu'il s'agisse de l'impressionnisme, de la renaissance du folklore, de la musique de film ou du dodécaphonisme sériel.
Enfance
Franz Liszt grandit dans un milieu familial plutôt mélomane. De 1804 à 1809, son père, Adam Liszt, sert comme deuxième violoncelle dans l'orchestre Esterházy. Chargé à partir de 1809 de l'administration du cheptel ovin de Raiding, Adam Liszt organise des soirées musicales avec quelques interprètes locaux.
De santé fragile, Franz Liszt manque à plusieurs reprises de succomber à des fièvres. À six ans, il chante de mémoire le thème du Concerto en ut dièse mineur de Ries que son père a joué quelques heures plus tôt. Adam Liszt décide de lui enseigner le piano. En moins de deux ans, Liszt aborde l'essentiel de l'œuvre de Johann Sebastian Bach, Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig van Beethoven. Conscient de ces progrès, Adam Liszt souhaite faire de son fils un enfant prodige, sur le modèle du jeune Mozart. Grâce au soutien financier de quelques nobles hongrois, la famille Liszt s'installe à Vienne en 1822. Franz Liszt suit les cours de piano de Carl Czerny et les cours de composition d'Antonio Salieri. Ainsi préparé, il donne son premier concert public à la Landständischer Saal le . Organisé quelques mois plus tard, le concert de la Redoutensaal a inspiré une légende biographique populaire : Beethoven serait venu l'embrasser sur scène. En réalité, Beethoven n'a pas assisté à ce concert. Il semblerait néanmoins qu'il ait écouté Liszt chez Czerny et l'ait chaleureusement félicité pour la qualité de son jeu.
Devenu un pianiste reconnu, Liszt entreprend une tournée européenne en 1823. Elle est interrompue par un long séjour à Paris. Échouant à intégrer l'École royale de musique et de déclamation du fait de son statut d'étranger, Liszt multiplie les concerts privés et publics. Le 7 mars 1824, il joue au Théâtre-Italien. Son interprétation séduit la presse parisienne. Il est désormais couramment connu sous le sobriquet de petit Litz. Liszt étudie parallèlement la composition avec Anton Reicha et Ferdinando Paër. Il écrit un opéra, Don Sanche ou le Château de l'amour, qui ne connaît qu'un succès mitigé. Il conçoit également une série de douze études, première esquisse des futures Études d'exécution transcendante.
De 1824 à 1827, Liszt effectue de nombreuses tournées en Angleterre et en France. Celles-ci rapportent à Adam Liszt un revenu important : il dispose vers 1827 d'un capital de 60 000 francs qu'il investit chez les Esterházy. Au cours de l'été 1827, Liszt tombe malade et séjourne dans une ville d'eau, Boulogne-sur-Mer. Il se rétablit, son père meurt. L'absence de l'autorité paternelle met fin à sa carrière d'enfant prodige.
Voyages en Europe
À Paris, il rencontre Hector Berlioz, George Sand, Alfred de Musset, Frédéric Chopin, Honoré de Balzac, devient l'ami d'Eugène Delacroix et fait la connaissance de Niccolò Paganini, qui aura une grande influence sur le développement de son art.
En 1833 commence sa liaison avec la comtesse Marie d'Agoult (connue sous son nom de plume Daniel Stern, dans son roman Nélida notamment) qui lui donne trois enfants :
- Blandine[2] (1835-1862), qui épousera en 1857 Émile Ollivier, avocat et homme politique français. Ils auront un fils, Daniel ;
- Cosima[3] (1837-1930), née à Bellagio qui épousera le chef d'orchestre Hans von Bülow, puis le compositeur Richard Wagner ;
- Daniel[4] (1839-1859).
En 1836, Liszt entreprend une tournée à travers l'Europe (Suisse, Italie, Russie, etc.) et donne des concerts dans toutes les grandes villes. Outre ses propres œuvres — ses Rhapsodies datent de cette époque — il joue des œuvres de Chopin et de la musique allemande. Il est adulé : on lui demande la permission de baiser ses doigts à la fin de ses concerts, on récolte le fond de ses tasses dans des fioles. Ce phénomène restera célèbre sous le nom de « lisztomanie ».
Vie de compositeur
Comme en témoignent notamment ses correspondances, Liszt est un grand séducteur et connaît de nombreuses et célèbres femmes avant d'embrasser la carrière religieuse.
Après s'être séparé de Marie d'Agoult en 1844, il rencontre à Kiev en 1847 la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein qui lui conseille d'interrompre ses tournées de concert pour se consacrer à la composition. C'est en 1848 qu'il s'installe à Weimar en tant que maître de chapelle où le grand-duc Charles-Alexandre l'avait nommé en 1842. Débute alors une nouvelle période pendant laquelle il compose ses poèmes symphoniques, avec l'aide de son secrétaire particulier Joseph Joachim Raff et d'un matériel unique : le piano-melodium. Il se consacre également à la direction des œuvres de ses contemporains. Autour de lui se rassemblent de nombreux élèves — parmi lesquels Hans von Bülow, qui deviendra son gendre — auxquels il fait découvrir Berlioz, Wagner, Saint-Saëns. Toutefois, son talent et ses idées novatrices n'étant pas du goût de tout le monde, les conservateurs ne manquent pas de lui mener la vie dure, ce qui le conduit à démissionner de son poste le [5]. Jusqu'à cette date, Weimar est grâce à lui un centre exceptionnel de création et d'innovation.
Après avoir tenté sans succès d'obtenir auprès du pape la nullité de son mariage religieux, Carolyne se sépare de Liszt, qui reçoit les ordres mineurs en 1865. Il profite de son séjour à Rome pour découvrir la musique religieuse de la Renaissance.
Dernières années
Liszt se retire à Rome en 1861, et après avoir déjà rejoint le tiers-ordre franciscain[6] en juin 1857, il reçoit en 1865 la tonsure et les quatre ordres mineurs de l'Église catholique, lui donnant en France le qualificatif d'abbé. Il retourne à Pest où il doit diriger la création de son premier oratorio, Die Legende von der heiligen Elisabeth. Il se fait confectionner au couvent de Pest un habit franciscain dont il souhaite être revêtu au tombeau[7]. Sa mère, Anna, meurt le .
À partir de 1869 et jusqu'à sa mort, l'abbé Liszt partage son temps entre trois capitales : Budapest, Rome et Weimar qui correspondent à trois tendances : sa sentimentalité hongroise, son mysticisme religieux et sa musique d'influence allemande. À Budapest, pendant trois mois en hiver (source : Musée et Académie Ferenc Liszt, Budapest), il continue à recevoir des élèves gratuitement, y compris Alexander Siloti. Il met alors de côté son activité de virtuose pour se consacrer essentiellement à la composition et à l'enseignement, notamment à l'Académie royale de musique de Budapest dont il est l'un des fondateurs en 1875 (et qui sera d'ailleurs rebaptisée plus tard « Académie de musique Franz-Liszt »).
Le dimanche , Liszt, à bout de forces, assiste à la représentation d'un opéra de son gendre Richard Wagner : Tristan und Isolde. Le lendemain, il est au plus mal et se voit privé par les médecins de son cognac quotidien. Le vendredi, les tremblements et le délire le frappent : il a pour ce jour la superstition des Italiens, or l'année 1886 commence un vendredi et son anniversaire tombe cette année-là un vendredi. Le samedi, vers deux heures du matin, après un sommeil anormalement agité, le compositeur hongrois se lève en hurlant, renverse son domestique accourant pour le recoucher, puis s'effondre[8]. Malgré les soins apportés par les docteurs Fleischer et Landgraf, qui restent à son chevet jusqu'au soir, Liszt passe la journée du 31 dans une quasi-inconscience et s'éteint à 23 h des suites d'une pneumonie[9].
Il est enterré le 3 août 1886 à Bayreuth. Par de nombreuses tractations, Cosima Wagner parvient à s'assurer que la dépouille de son père, avant tout considéré comme le beau-père de Wagner, soit inhumée à Bayreuth dans l'ombre de ce dernier[10]. Le choix de ce lieu d'inhumation donna lieu à de nombreuses contestations et demandes de rapatriement, notamment à Weimar et Budapest[11].
Vie sentimentale
Caroline de Saint-Cricq
L'amour forme la troisième composante de l'âme du compositeur hongrois, et il n'aura de cesse de vouloir l'unir avec les deux autres : en l'occurrence l'art et la religion. Son père avait eu avant de mourir l'intuition du poids que celui-ci allait tenir dans sa vie : « Il craignait que les femmes troubleraient mon existence et me domineraient[12] ». Le premier émoi amoureux de Liszt remonte en fait à un concert donné à Vienne le où se produisait également une cantatrice hongroise de sept ans son aînée, Caroline Unger, qui fit sur lui, alors âgé de onze ans, une forte impression[13]. Jusqu'à la mort de son père, Franz Liszt effectue une sorte de « refoulement » de ses penchants amoureux en se réfugiant dans la religion. Or, la disparition d'Adam Liszt va l'amener à organiser des cours de piano afin d'assurer son confort matériel. L'une de ses élèves n'est autre que Caroline de Saint-Cricq, fille du ministre du commerce et de l'industrie. Avec le consentement de la mère de celle-ci, un lien se développe entre eux, les amenant à prolonger la leçon de piano jusqu'à dix heures du soir. Les biographies de Liszt parlent d'un amour platonique. Quoi qu'il en soit, la mort de Mme de Saint-Cricq, qui a pourtant déclaré avant d'expirer qu'elle souhaitait leur mariage, va mettre fin à cette idylle, car M. de Saint-Cricq refuse catégoriquement que sa fille épouse un artiste, et renvoie celui-ci en mettant fin aux leçons. Caroline se marie en 1831 avec le comte Bertrand Dartigaux, magistrat. Franz Liszt, désespéré, sombre dans une nouvelle crise mystique. Il rencontre pour la dernière fois son premier amour lors de deux concerts à Pau le 8 et le , alors qu'il se rendait en Espagne pour y effectuer une tournée[14],[15].
Marie d'Agoult
Remis sur pied par la révolution de 1830, Franz Liszt connaît des aventures éphémères avec la comtesse Platen, muse de Frédéric Chopin, ainsi qu'avec la comtesse Adèle de La Prunarède. Puis, il rencontre en 1832 Marie d'Agoult née de Flavigny dans le salon de la marquise de La Mothe Le Vayer. Il laisse tout de suite à celle-ci, pourtant froide d'apparence, une vive impression : « Madame de La Mothe Le Vayer parlait encore que la porte s'ouvrait et qu'une apparition étrange s'offrait à mes yeux. Je dis apparition, faute d'un autre mot pour rendre la sensation extraordinaire que me causa, tout d'abord, la personne la plus extraordinaire que j'eusse jamais vue[16]. » Leurs relations au cours de l'année qui va suivre sont difficiles, faites de ruptures et de réconciliations. La mort de la fille de Marie et du comte d'Agoult, Louise, met fin à ces tergiversations. En effet, lorsque Liszt, de retour de la Chênaie, vient la réconforter, Marie lui demande : « Qu'aviez-vous à me dire et qu'allez vous m'apprendre ? Vous partez ? », et Liszt de répondre : « Nous partons[16]. » Le couple s'enfuit alors en Suisse, où tous deux connaîtront deux mois de bonheur : « Personne ne savait notre nom. […] Presque partout à nous voir si semblables. […] On nous prenait pour frère et sœur ; nous en étions tout ravis. Une telle erreur ne témoignait-elle pas, mieux que tout le reste, des affinités secrètes qui nous avaient si fortement attirés l'un à l'autre[16] ? » Mais Liszt commet ensuite une double erreur : faire venir son jeune protégé Hermann Cohen, qui viole leur intimité, puis accepter, à la suite de l'insistance de son ami Pierre Wolloff, un concert à Genève, d'autant que la société genevoise est plutôt médisante à l'égard de Marie. En témoigne le journal de Valérie Boissier : « C'est une femme de 30 ans au moins, une blonde fade ![17] » Entre-temps, une fille, Blandine, est née, mais Liszt rêve d'aller à Paris pour en découdre avec la nouvelle étoile montante, Sigismond Thalberg. Il y part pour trois jours, mais rentrera deux mois plus tard, le . À son retour, l'atmosphère genevoise commençant à devenir pesante, Marie et lui décident d'aller rejoindre George Sand à Chamonix. L'année suivante, Liszt retourne à Paris pour le duel final avec Thalberg tandis que Marie s'installe chez George Sand à Nohant. Désireux de relancer leur couple, Liszt et Marie font une nouvelle échappée amoureuse en Italie. Le souvenir qu'ils en garderont l'un et l'autre sera assez différent. Pour Liszt : « Lorsque vous écrirez l'histoire de deux amants heureux, placez-les sur les bords du lac de Côme[18] » ; alors que Marie est plus circonspecte : « Je m'étonne quelquefois de le voir si constamment gai, si heureux dans la solitude absolue où nous vivons[16]. »
Lentement, la situation se dégrade[19], et Liszt saisit l'occasion des inondations de Pest de 1838 pour faire une série de concerts bénéfices dans l'empire autrichien. Alerté par un de ses amis sur la santé de Marie qui s'est dégradée, il abrège son séjour et rentre à Venise. Finalement la séparation de facto a lieu en octobre 1839 : Liszt part pour Vienne, tandis que Marie regagne Paris. Leur troisième enfant, Daniel, est encore tout jeune. Désormais, leur union n'aura plus qu'un caractère formel : Marie le rejoint lors de sa tournée à Londres, et tous deux, pendant trois ans, passent leurs vacances à Nonnenwerth. La parution en 1846 de Nélida, roman à clé où Marie peint, sous le pseudonyme de Daniel Stern, un bilan négatif de son union avec Liszt, est prétexte pour celui-ci à la rupture définitive. Le roman d'amour entre Liszt et Marie d'Agoult suscitera des jugements contrastés. Des lisztiens comme Zsolt Harsányi imputent tous les torts à Marie d'Agoult, qui, il est vrai, prêtait le flanc à la critique en écrivant dans Nélida : « Il [Liszt] sentit la supériorité morale que Nélida [Marie] prenait sur lui en cette circonstance. Cette supériorité devint chaque jour plus évidente, et aussi plus insupportable[20]. »
Selon Sabine Cantacuzène, le couple aurait eu un quatrième enfant, Charles d'Avila (qui n'a jamais ni confirmé, ni nié ce fait)[21]. Selon Georges Brătescu[22], il n'y aurait pas de raison pour Liszt de ne pas reconnaître un dernier fils, même si son couple battait de l'aile ; il est plus probable que d'Avila, en supposant que sa mère soit Marie d'Agoult, soit né de la liaison de celle-ci avec Louis Tribert, riche propriétaire de Champdeniers[23].
Carolyne de Sayn-Wittgenstein
Au début de l'année 1847, Liszt part pour Kiev où il organise un concert caritatif au bénéfice des salles d'asiles. Le prix des places est fixé à cinq roubles. Or une mystérieuse bienfaitrice en offre cent roubles. Intrigué, Liszt apprend qu'il s'agit de la princesse de Sayn-Wittgenstein, qui, vivant seule en Podolie, est venue à Kiev régler diverses affaires, et lui rend visite à Woronice (aujourd'hui Voronivtsi) en octobre après une série de concerts en Russie. Des liens forts, platoniques et artistiques, se mettent en place entre eux au cours de ce séjour : Liszt compose Glanes de Woronince qu'il dédie à sa nouvelle muse, tandis que Carolyne aurait pressenti, selon une légende non entièrement accréditée, que celui-ci serait le plus grand compositeur de son temps, en écoutant son Pater noster. Carolyne, vivant séparée de son mari, pense pouvoir obtenir aisément le divorce pour l'épouser. Ayant accepté les fonctions de maître de chapelle à Weimar, Liszt se rend début janvier dans la principauté où Carolyne doit le rejoindre, tandis que les révolutions font rage en Europe. Afin d'éviter les troubles en Pologne, le tsar décrète la fermeture de la frontière : Carolyne et sa fille, Marie, passent in extremis. Par souci des convenances, Liszt s'installe à l'hôtel Erbprinz, et Carolyne au palais de l'Altenburg.
En 1849, tous deux se rendent à Bad Eilsen où ils rédigent les principaux ouvrages de Liszt sur Chopin et la musique tzigane. Puis Liszt, las d'attendre un divorce qui ne vient pas, en dépit de l'influence de la grande-duchesse de Weimar sur le tsar, décide de s'installer avec Carolyne à l'Altenburg. Les conséquences ne s'en font pas attendre : la société conservatrice de Weimar puis la cour grande-ducale ferment leurs portes à la princesse. De la sorte, leur existence devient très précaire : « Nous étions réduits aux dix doigts de Liszt[réf. nécessaire]. » En 1854, Carolyne est bannie de Russie, et tous ses biens sont saisis. Dès lors, elle va accompagner le quotidien de Liszt pendant la décennie qui va suivre, exception faite de séjours de la princesse et de sa fille à Paris en août 1855 pendant que Liszt reçoit ses trois enfants, et à Zurich, chez Wagner, en octobre 1856. Tandis que Liszt quitte Weimar dès 1858, date à laquelle il démissionne de ses fonctions de maître de chapelle, voyageant les deux années suivantes à travers les empires habsbourgeois et français, la princesse ne part du grand-duché pour Rome, afin de plaider pour son divorce, qu'en 1860. À la suite d'avancées encourageantes, Liszt la rejoint là-bas le . Dans la nuit du 21 au 22, un émissaire papal vient les avertir qu'à cause d'un revirement de dernière minute, leur union ne pourrait avoir lieu.
Dernières liaisons sentimentales
Prenant acte de cet échec, et quoique le décès du prince de Sayn-Wittgenstein en 1864 rende maintenant l'union possible, Liszt décide de se vouer à la prêtrise (il reçoit la tonsure et les ordres mineurs en 1865 et ne sera jamais prêtre), tandis que Carolyne se consacre à sa grande œuvre théologique en vingt-cinq volumes, Les Causes intérieures de la faiblesse extérieure de l'Église, bientôt mis à l'Index pour son manque d'orthodoxie. Tous deux conservent cependant des liens d'amitié forts. Dès 1863, Liszt fait pourtant la connaissance de la baronne Olga von Meyendorff ; leur liaison sera surtout platonique. En 1869, Liszt croise Olga Janina (née en 1845), jeune comtesse, prétendument cosaque, qui s'était mise en tête de devenir sa maîtresse. Elle y parvient en s'introduisant (contre la consigne) dans la villa d'Este à Tivoli déguisée en homme, les bras chargés de fleurs pour retrouver son professeur adoré, qui avait fui la tentation provoquée par la brûlante élève. Liszt, las de ses excentricités, met un terme à leur relation. De retour d'un voyage en Amérique, elle pénètre dans la maison de l'abbé Liszt munie d'un revolver et de plusieurs flacons de poison : qu'elle ait voulu l'assassiner par dépit, ou bien, trop marquée par Tristan et Isolde, qu'elle croie à la transfiguration de l'amour par la mort, toujours est-il qu'elle n'y parvient pas. De rage, elle aurait publié un pamphlet anti-Liszt, Les souvenirs d'une cosaque[24], sous le pseudonyme de Robert Franz, suivi bientôt de quatre autres[25]. Liszt revient alors à une vie sentimentale plus calme, notamment auprès de la baronne Olga von Meyendorff qui sera sa compagne quasiment jusqu'à la fin. Quasiment, car en 1879 Liszt fait la connaissance de Lina Schmalhausen, jeune femme qui éprouve une forte passion pour le septuagénaire. Cependant, l'entourage de Liszt et en particulier Cosima cherchent à éviter que tous deux se voient trop, afin de ne pas trop le fatiguer. À la mort de Liszt, Lina héritera, de la main de Cosima, du livre de prière de ce dernier.
Entre cosmopolitisme et nationalisme
Liszt était sujet de l'empire d'Autriche, né à Raiding, dans une région à majorité germanophone du comitat de Sopron en Hongrie autrichienne, région qui forme de nos jours le Burgenland autrichien. Du côté paternel, son grand-père, Georg, était un Autrichien du nom de List, qui avait magyarisé son patronyme en Liszt ; et du côté maternel, Anna Liszt était une Allemande de Bohême née Maria-Anna Lager le à Krems an der Donau en Autriche. Liszt ne parlait qu'imparfaitement le hongrois[26], mais n'a jamais cessé d'affirmer son attachement de cœur à la Hongrie : « Il n'y a rien qui puisse m'empêcher, en dépit de ma lamentable ignorance quant au langage hongrois, à m'affirmer depuis toujours magyar par le cœur et l'esprit[27]. » De ce fait, ses origines ont fait l'objet de multiples interprétations, parfois fantaisistes : on en a fait un Italien, un Slovaque[28], voire un Français[29]. Connaissant l'impact qu'a eu sur lui la culture germanique (notamment Faust), il semble aisé d'en faire un Allemand de Hongrie.
Deux explications ont été avancées pour expliquer que Liszt se réclame d'une nation dont il ne possède ni la langue ni les origines. La première, c'est qu'au XIXe siècle, les entités nationales sont encore floues, tandis qu'au sein de l'élite se maintient un idéal multiculturel et européen hérité du XVIIIe siècle[30], d'où les multiples influences culturelles sur la musique lisztienne (allemandes, françaises, italiennes, roumaines, slaves, tziganes), le fait qu'il se sente partout chez lui (en Suisse, à Paris, à Rome, à Weimar, à Budapest, à Vienne…), ainsi qu'une double descendance française (via Blandine, qui a épousé le premier ministre républicain de Napoléon III, Émile Ollivier) et allemande (via Cosima Wagner). La deuxième explication, avancée par Coby Lubliner, serait qu'Adam Liszt se serait inventé une nationalité hongroise afin que des aristocrates hongrois (comme la famille Esterházy) lancent, par fierté nationale, la carrière de son fils, invention que Liszt aurait fini par croire : « Adam Liszt avait également une seconde raison pour réclamer une identité hongroise pour son fils et lui-même : c'était une manière de reconnaître sa dette à l'égard des nobles hongrois, qui avaient patronné la carrière de Franz depuis son premier concert à Pressburg »[31]. De fait, selon celui-ci, la nationalité réelle de Liszt ne serait ni hongroise, ni allemande, ni française, mais autrichienne, voire austro-hongroise avant la lettre.
Recherche de l'engagement
Engagement social
L'engagement de Liszt prend naissance avec la révolution de juillet, un peu sous la forme d'un remède à la crise mystique qui couvait depuis 1828. Sous le coup de l'événement, le pianiste hongrois conçoit une Symphonie révolutionnaire qui deviendra plus tard l'Héroïde funèbre. Liszt s'attache d'autre part à Émile Barrault, professeur de rhétorique qui va lui ouvrir les cercles saint-simoniens. Il va ainsi notamment faire la connaissance de Lamartine, de Lamennais et de La Fayette. Plus que Saint-Simon, c'est Lamennais qui laisse sur lui une trace durable : Liszt le connaît personnellement et devient son disciple jusqu'à la fin de ses jours. Toutes ces influences théoriques vont se traduire à la fois en écrits (De la situation des artistes et de leur condition dans la société, dans la Gazette musicale de Paris du 3 et du ) en musique (transcription de La Marseillaise, pièce Lyon sur la révolte des canuts intégrée à l'Album d'un voyageur) et en actes (concerts caritatifs). Avec le temps et des femmes, et sous le double impact de son travail de compositeur et d'interprète, cet engagement va progressivement disparaître. Ainsi, en 1848, loin de devenir le chef de la Hongrie révoltée comme le prêtait la rumeur, Liszt s'installe à Weimar tout en soutenant de loin ses compatriotes (composition de Funérailles). Si le Liszt de la maturité n'a plus la fougue de la jeunesse, celui de la vieillesse va abandonner tout engagement social pour se consacrer aux affaires religieuses.
Engagement religieux
La première crise mystique qui affecte Liszt date de 1827 et est le résultat de deux causes : la rupture de la liaison amoureuse avec son élève, Caroline de Saint-Cricq, provoqué par le père de celle-ci ; d'autre part l'exigence et l'autorité paternelles, par trop écrasantes. Le jeune Franz voudrait entrer dans les ordres, mais son père s'y oppose. La mort de ce dernier rendrait possible l'entreprise, mais l'intervention de sa mère y met fin, comme le montre une lettre datant de 1879 à Carolyne de Sayn-Wittgenstein : « Je suivais seulement en simplicité et droiture de cœur, l'ancien penchant catholique de ma jeunesse. S'il n'avait été contrarié dans sa première ferveur par ma très bonne mère et mon confesseur, l'abbé Bardin, il m'eût conduit au séminaire en 1830 et plus tard à la prêtrise […] et l'abbé Bardin, assez amateur de musique, tint peut-être trop compte de ma petite célébrité précoce, en me conseillant de servir Dieu et l'Église dans ma profession d'artiste[réf. nécessaire]. » Suivant à la lettre le conseil de l'abbé Bardin, le jeune Liszt va tenter d'unir sa profession musicale et son mysticisme : « Nous crions sans relâche qu'une grande œuvre, qu'une grande mission religieuse et sociale est imposée aux artistes[32]. » L'adultère commis avec Marie d'Agoult met fin à cette tentative.
Marie d'Agoult, sa carrière de virtuose et son travail d'administrateur à Weimar font qu'il ne retrouve le zèle religieux de sa jeunesse qu'à partir de 1860. Il écrit à Carolyne de Sayn-Wittgenstein en 1877 : « Après m'être douloureusement privé pendant trente années, de 1830 à 1860, du sacrement de pénitence, c'est avec une pleine conviction qu'en y recourant de nouveau j'ai pu dire à mon confesseur, notre curé Hohmann de Weimar : « Ma vie n'a été qu'un long égarement du sentiment de l'amour ». J'ajoute : singulièrement mené par la musique — l'art divin et satanique à la fois — plus que tous les autres il nous induit en tentation. » Dès lors, Liszt, comprenant, ou croyant comprendre qu'il avait fait fausse route jusque-là, se réfugie à Rome où il se fera membre du Tiers-Ordre franciscain. Il se met au service de la hiérarchie catholique en composant des œuvres très mal perçues : La Messe de Gran, Sainte Élisabeth, Christus. Liszt tente à l'époque, sans succès, de révolutionner la musique religieuse. À la fin de sa vie, il poursuit encore cet idéal tout en recourant à des audaces techniques de plus en plus marquées tel que dans Via Crucis. Néanmoins, il compose aussi des œuvres profanes, comme les dernières Méphisto-valses et En rêve — nocturne.
Toutes les sources s'accordent pour faire de Liszt un des plus grands pianistes de son temps[33]. Cependant, il n'existe aucun enregistrement pour pouvoir en juger[34].
Néanmoins, plusieurs indications permettent de se faire une idée de ses capacités de virtuose. D'abord sur le plan purement technique, Liszt possède une main d'une taille peu commune qui lui permet d'atteindre la douzième. Son professeur, Czerny, était, et demeure, le maître incontesté pour ce qui est de la vélocité et de l'agilité pianistique. C'est sur le plan intellectuel que la supériorité de Liszt est la plus visible. Il exécute ainsi quantité de prouesses telles que l'interprétation d'œuvres non encore déchiffrées (une sonate de Moscheles à dix ans, le concerto pour piano de Grieg à soixante), ou l'improvisation sur des thèmes donnés par le public (concert de 1847 à Kiev). Ensuite, nombre de ses œuvres requièrent de grandes facultés intellectuelles pour pouvoir être jouées correctement. En témoigne ce commentaire sur les transcriptions de Schubert : « Dans ces lieder la difficulté n'est pas seulement digitale. Elle est aussi intellectuelle. Le chant, situé dans la partie médiane […] passe constamment d'une main à l'autre, et contraint le pianiste à une gymnastique mentale assez éprouvante, et dont sont incapables, plus simplement, la grande majorité des interprètes actuels[35]. »
Paris (1827-1834)
Débuts tumultueux
Liszt a commencé la transmission de son art du piano dès la fin de sa dix-septième année dans le courant du mois de . Il occupait alors un appartement modeste de Paris au no 7 bis de la rue de Montholon. Cette période est celle qui a vu naître la première passion amoureuse de Liszt, pour une de ses élèves, Caroline de Saint-Cricq. Si l'activité de professeur du musicien bat son plein pendant cette période de bonheur, la séparation des deux amants plonge Franz dans un désespoir profond qui affecte son professorat. Après un arrêt total des leçons et une reprise douloureuse pour s'arracher à la pauvreté, le jeune homme enseignera le piano sans enthousiasme ; les lectures exprimant sa triste instruction coupent pendant des heures les périodes d'enseignement du piano. La guérison de ce mal lors de la révolution de 1830 relance le musicien dans toutes les activités relevant de son art.
Transmission de la vénération pour les grands de l'art
Après avoir assisté au concert de Paganini le , Liszt exprime l'idée ferme qu'il se forme, à ce stade de sa vie, concernant la musique : « Un moi monstrueux ne saurait être qu'un dieu solitaire et triste ». Liszt cherche alors inlassablement à faire parler son âme au piano et c'est ce qu'il enseigne à ses élèves.
Liszt écrit à cette époque à l'un de ses premiers élèves, Pierre Wolf :
« Mon esprit et mes doigts travaillent comme deux damnés ; Homère, la Bible, Platon, Locke, Byron, Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Beethoven, Bach, Hummel, Mozart, Weber, sont tous à l'entour de moi. Je les étudie, les médite, les dévore avec fureur ; de plus, je travaille quatre à cinq heures d'exercices (tierces, sixtes, octaves, trémolos, notes répétées, cadences, etc.). Ah ! pourvu que je ne devienne pas fou, tu retrouveras un artiste en moi. Oui, un artiste tel que tu les demandes, tel qu'il en faut aujourd'hui. « Et moi aussi je suis peintre », s'écria Michel Ange la première fois qu'il vit un chef-d'œuvre… Quoique petit et pauvre, ton ami ne cesse de répéter les paroles du grand homme depuis le dernier concert de Paganini[36]. »
Liszt faisait étudier les fugues de Bach à ses élèves, notamment à Valérie Boissier, qui venait accompagnée de sa mère Caroline. Celle-ci, grâce aux notes prises pendant les leçons, fournit un témoignage précieux sur les cours de piano que donnait Franz Liszt au début des années 1830. L'ensemble de ces écrits révèle, par l'attitude du professeur ainsi décrite, de nouveaux aspects de la personnalité du musicien. Tout d'abord, comme pour lui-même, il s'attache à l'expression de l'âme dans le jeu de ses élèves. Ainsi, les notes de Mme Boissier mère décrivent par exemple Liszt lisant l'ode de Hugo à son élève avant de lui faire jouer une étude de Moscheles : il voulait lui faire comprendre par ce moyen l'esprit du morceau pour lequel il trouvait de l'analogie avec la poésie.
Ensuite, par respect profond pour les grands Weber et Beethoven, il se refuse à jouer leurs œuvres en public (ne se trouvant pas encore digne d'elles) et les faire travailler à tout va à ses élèves. Selon Mme Boissier, « il s'humilie profondément devant Weber et Beethoven […] cependant, il les joue en brûlant son piano[37] ».
Genève (1836-1838)
À l'éloignement de Paris avec Marie d'Agoult pour Genève est associé un déclin de l'intérêt de Franz pour l'enseignement du piano. Ses journées se succèdent de la façon suivante : deux pour le piano et une pour les travaux littéraires ; et le grand intérêt qu'il porte aux controverses, idées et autres soirées sur les thèmes de la philosophie et de la religion ont éloigné le musicien du rôle de professeur.
À partir de 1836, un double changement se produit dans la vie de professeur du jeune Liszt. D'une part, fort de sa générosité et de son implication dans l'accès et la reconnaissance de la musique, Liszt offre spontanément au tout jeune conservatoire de Genève, un cours de piano gratuit. D'autre part, car il faut bien vivre, le musicien reprend le vieux système des leçons particulières.
Un livre de classe tenu par Franz Liszt montre qu'il avait un sens de l'humour certain :
- « 2 - Amélie Calame : jolis doigts, le travail est assidu et très soigné, presque trop. Capable d'enseigner. »
- « 5 - Marie Demellyer : méthode vicieuse (si méthode il y a), zèle extrême, dispositions médiocres. Grimaces, contorsions. Gloire à Dieu dans le ciel et paix aux hommes de bonne volonté. »
- « 8 - Julie Raffard : sentiment musical très remarquable. Très petites mains. Exécution brillante. »
- « 12 - Ida Milliquet : artiste genevoise ; flasque et médiocre. Assez bonne tenue au piano. »
- « 13 - Jenny Gambini : Beaux yeux[38] ! »
Weimar (1849-1858)
La période de retraite chez George Sand et celle des tournées dans toute l'Europe qui suivit ne fut pas propice au professorat de Liszt. À son apogée, sa carrière de virtuose nécessitait de jouer ce rôle à plein temps et l'éloignait de tout souci d'argent. Pendant la première période « weimarienne » (1848-1860), le Maître de chapelle en service extraordinaire n'a pas non plus nécessité de donner des cours de piano. Ses journées sont malgré tout encore tournées vers le don de sa personne : la composition et la préparation des concerts.
Liszt n'assure pas lui-même l'enseignement pianistique des filles qu'il a eues avec Marie d'Agoult. Lorsque le compositeur se rapproche de ses filles à Paris il les trouve « plus avancées qu'il n'en pensait, bien qu'un peu rêvassières ». Il confie à son disciple et ami Hans von Bülow de poursuivre leur enseignement du piano selon les idées qu'il prône. La correspondance laissée entre les deux hommes montre d'une part l'intérêt du père pour l'instruction de ses filles (il réclame des nouvelles des demoiselles Liszt dans ses courriers) et d'autre part l'utilisation par le professeur de la méthode de Liszt. En effet, les jeunes filles travaillent surtout les grands maîtres (Jean-Sébastien Bach et Beethoven essentiellement) mais aussi des arrangements à quatre mains (vraisemblablement de Liszt) d'œuvres instrumentales. Comme le remarquait Bülow dans sa correspondance avec Liszt à propos des œuvres instrumentales jouées à quatre mains : « Je leur en fais l'analyse et je mets plutôt trop de pédantisme que trop peu dans la surveillance de leurs études ».
Pendant toute cette période et surtout à sa fin (en décembre 1858), le cercle des élèves (et amis) du musicien comprend nombre d'interprètes qui deviendront marquants. Ainsi, ce cercle est surtout formé de Rubinstein, Klindworth, Cornélius, Bronsart et Tausig. Les années suivantes puis celles à Monte Mario ne furent pas propices à l'enseignement. Ses différentes retraites et son rapprochement de plus en plus poussé vers l'Église dans la deuxième moitié des années 1860 montrent que le musicien s'occupe de moins en moins de sa célébrité.
Seconde incarnation weimaroise (1869-1886)
À partir de 1869, Liszt, dépouillé de toutes les futilités de la vie, vit dans une petite maison de maître-jardinier où il donne de nombreux cours de piano. Moins concentré sur sa carrière que sur la piété de son existence, le musicien consacre tous ses après-midi à l'enseignement du piano, en général à plusieurs élèves rassemblés, quelquefois à tous en même temps (il eut dès la première saison plus d'une vingtaine d'élèves), s'amusant des maladresses des uns et luttant contre la propreté « conservatoire » des autres ; l'homme est aussi craint qu'admiré. L'abbé Liszt donne toutes ses leçons gratuitement et s'intéresse à la progression de tous ses élèves (de nombreuses correspondances en témoignent). Comme il est toujours adoré des femmes, cette attention égalitaire entre les élèves a parfois déclenché les jalousies. Le sexagénaire rend encore ses élèves amoureuses comme en témoigne l'histoire de la comtesse Janina qui s'est éprise follement de lui.
La vieillesse de Liszt à la villa d'Este, Budapest puis Weimar, dans sa pauvreté joyeuse, est marquée par le vol d'élèves indignes profitant de l'âge et de l'insouciance du musicien. Sa méthode musicale d'alors est décrite par une lettre de Borodine : « Liszt ne donne jamais de morceaux à étudier, il laisse à ses élèves la liberté du choix. Cependant ils lui demandent généralement conseil, pour éviter d'être arrêtés aux premières notes par une observation […] Il donne peu d'attention à la technique, au doigté, mais il s'occupe surtout du rendu, de l'expression[39] ». Il arrêtera très tard son activité de professeur (lorsque son état de santé ne la permettra plus dans les derniers mois de sa vie), comme il n'arrêtera jamais de vivre pour la musique.
La cause musicale : la musique de l'avenir
« Ma seule ambition de musicien était et serait de lancer mon javelot dans les espaces indéfinis de l'avenir… (Liszt) »
C'est en pleine tourmente révolutionnaire, alors que courent de nombreuses rumeurs, dont se fait écho la Revue et gazette musicale de Paris, que Liszt accepte le poste de maître de chapelle à Weimar. Il est rejoint quelques mois après (en juin 1848) par Carolyne qui tente alors d'obtenir le divorce. Dès son installation, son activité commence par la création le 11 novembre de l'ouverture du Tannhäuser de Richard Wagner puis celle de l'opéra entier le . En août, il organise une célébration en l'honneur du centenaire de Gœthe où il crée des pièces composées pour l'occasion (Le Prométhée) ainsi que le Lohengrin de Wagner. Peu à peu sa vie s'organise avec l'engagement de Joachim Raff comme secrétaire musical, puis l'installation à l'Altenburg, entrecoupée de séjours à Bad Eilsen (fin 1849, Liszt y écrit, en collaboration avec Carolyne, Des bohémiens et de leur musique en Hongrie) la participation à de nombreux organismes musicaux (la Neu Weimar Verein dont il est président), et enfin l'organisation de nombreux festivals musicaux à Karlsruhe, et à Ballenstedt). De nombreux disciples le rejoignent : Hans von Bülow, Cornelius, Carl Tausig.
Rapidement, Liszt devient l'introducteur privilégié de la « musique de l'avenir ». Outre Richard Wagner, il fait beaucoup pour Berlioz avec deux « semaines Berlioz » (en 1852 et en 1854, où le compositeur français dirige ses propres œuvres en alternance avec Liszt) ainsi que pour ses élèves (création en 1851 du Roi Alfred de Joachim Raff, et en 1857 du Barbier de Bagdad de Cornelius). Par ailleurs il aide à la redécouverte de chefs-d'œuvre oubliés (création de l'opéra de Schubert Alphonse et Estrella), et crée ses propres œuvres (la Sonate en si mineur par Hans von Bülow en 1857 et la plupart des poèmes symphoniques). Cependant cette activité ne rencontre pas les succès espérés. Tout d'abord parce que Liszt manque de moyens et doit sans cesse demander au grand-duc des crédits supplémentaires. Or en 1857 le grand-duc Charles-Alexandre engage un nouvel intendant, Franz Dingelstedt pour qui les priorités financières vont au théâtre, et qui lui voue par ailleurs une profonde jalousie. Ensuite, du fait des réticences de plus en plus marquées envers la « musique de l'avenir ».
Déjà en 1849, la grande-duchesse avait dû acheter des billets et les distribuer à quelques-uns de ses amis afin d'éviter que Lohengrin ne fût créé au sein d'une salle quasiment vide. Puis les contestations demeurent constantes, et connaissent une expression décisive en 1858 lors d'une cabale lancée à l'encontre du Barbier de Bagdad du protégé de Liszt Cornelius. En conséquence, Liszt renonce définitivement à ses fonctions de chef d'orchestre. Il y revient encore de manière intermittente à Weimar, mais le manifeste des tenants de la « Tradition » (Brahms, Joachim), publié en 1860 achève de le décourager.
Le soutien aux compositeurs contemporains
Liszt et Berlioz
Une étude reste à faire sur l'aide considérable que Berlioz a reçu de Liszt et la correspondance de Berlioz reste insuffisante pour le biographe, elle souffre d'un déséquilibre après que Berlioz ait brulé nombre de lettres reçues, à la suite du décès de son fils en 1867. Outre les transcriptions des œuvres de Berlioz, Liszt est également interprète dans des concerts dirigés par Berlioz qu'il qualifie « Homme de génie, homme populaire qui cependant restera toujours supérieur à sa popularité ; Berlioz l'artiste nouveau par excellence, le musicien du canon de juillet et de la France ». L'amitié des deux compositeurs est célèbre, elle fut longue, tous les écrits de Liszt et de Berlioz l'attestent, jusqu'à la découverte des opéras de Wagner que Liszt va diriger. Il écrit alors : « Son prénom Hector, ne lui a pas porté bonheur — L'Achille Wagner étant survenu en dominateur du drame musical contemporain ».
Liszt et Wagner : l'amitié artistique
La première rencontre a lieu en 1840, alors que Wagner, jeune compositeur inconnu et misérable demande de l'aide à Liszt, qui connaît déjà un succès considérable. Après quelques années d'une relation peu soutenue, la correspondance épistolaire se fait de plus en plus intense. Dans ces lettres, Wagner réaffirme sans cesse son besoin pressant d'argent. Liszt tente de satisfaire comme il peut les désirs de son protégé, dont il commence à apprécier les œuvres : en 1849, il monte Tannhäuser, qui est un succès phénoménal. En 1853, Liszt passe à Paris et en profite pour revoir ses enfants et les présenter à Wagner. La fille cadette, Cosima, se mariera plus tard avec le compositeur allemand. Il organise par ailleurs à Weimar une semaine Wagner à cette même date.
Revenu à Weimar, Liszt continue de diriger les œuvres de Wagner toujours avec le même succès, ce dont Wagner le remercie en ces termes : « Merci, ô mon Christ aimé. Je te considère comme le sauveur lui-même[40] ». La correspondance continue, s'amplifie même au cours des années, jusqu'en 1859 : alors que Wagner ne cesse de demander de l'argent à Liszt, ce dernier ne peut accéder à ses requêtes, car lui-même est en période de vaches maigres. Wagner s'en agace. La même année, surgit un autre sujet de friction : l'influence musicale de Liszt sur Wagner, influence que ce dernier a toujours refusé de reconnaître publiquement. En juin et août, peu après les premières auditions du prélude de Tristan et Iseult, le musicologue Richard Pohl a fait paraître un panégyrique dans lequel il attribue directement à Liszt la substance harmonique de l'œuvre. Le , Wagner écrit à Bülow : « Il y a nombre de sujets sur lesquels nous sommes tout à fait francs entre nous ; par exemple que je traite l'harmonie de manière tout à fait différente depuis que je me suis familiarisé avec les compositions de Liszt. Mais quand l'ami Pohl le révèle au monde entier, qui plus est en tête d'une notice sur mon prélude, c'est pour moi une indiscrétion ; ou dois-je penser que c'est une indiscrétion autorisée[41] ? » Ces tensions amènent une rupture éphémère puisque dans la même année Wagner et Liszt renouent le contact.
Les deux compositeurs se brouillent de nouveau quelques années plus tard au sujet de Cosima, la fille de Liszt, alors que Wagner s'intéresse à elle depuis quelques années. Or, la jeune fille est déjà mariée avec Hans von Bülow, ancien élève de Liszt, et a vingt-cinq ans de moins que Wagner ; celui-ci et Cosima s'avouent néanmoins leur amour. En 1870, Liszt décide alors de couper les ponts avec le couple.
Wagner tente de regagner, sous un flot d'éloges épistolaires, l'estime de « son Christ ». À la suite de quoi la correspondance reprend. Liszt pardonne aussi à sa fille. L'inauguration du Palais des festivals de Bayreuth par Wagner est l'occasion de démonstrations réciproques d'amitié. Liszt assiste en 1882 à la première représentation de Parsifal, qui suscite chez lui un enthousiasme des plus puissants : « Mon point de vue reste fixe : l'admiration absolue, excessive si l'on veut », répond-il à la princesse de Sayn-Wittgenstein, sa compagne en titre. Mais en 1883, Liszt apprend la mort de Wagner. Sa seule réaction est « Pourquoi pas ? », puis, quelques minutes après, « Lui aujourd'hui, moi demain[42] ». Liszt meurt trois ans plus tard.
Liszt et Verdi
Comme souvent dans la vie de Liszt, il s'agit là d'une relation à sens unique. Il rencontre l'art de Verdi assez tôt et entreprend une première transcription de Ernani dès 1847, alors que le compositeur italien n'avait pas encore produit de chefs-d'œuvre impérissables. Puis Liszt, très engagé à Weimar, n'a pas le temps d'approfondir cette relation. Une commande de 1859 pour une transcription de Rigoletto et du Trovatore va lui en donner l'occasion. S'ensuit une transcription de Don Carlos (1867), puis une d'Aïda (1877) (en multipliant les dissonances dans cette dernière œuvre, il tente d'intégrer Verdi à l'avant-garde musicale, ce qui n'était plus vraiment le cas). Enfin, fortement impressionné par la représentation de la seconde version de Simon Boccanegra, il en donne une de ses ultimes transcriptions, très épurée en 1881.
En revanche, Verdi ne montre guère d'intérêt envers Liszt, ne voyant en lui que le wagnérien partisan de la « musique de l'avenir ».
Liszt et Chopin
Ces deux compositeurs, assez semblables par leur parcours de musiciens originaires d'Europe centrale et émigrés en France, nourrissent des relations ambiguës, un temps conflictuelles. Franz Liszt se lie avec Frédéric Chopin dans le contexte du milieu artistique et bohème du début des années 1830. Leur admiration réciproque de musiciens atteint très rapidement les plus hauts degrés. À titre d'exemple, on peut citer l'amour de Liszt pour les Études du Polonais, lui-même admiratif de la façon de les rendre de Liszt (il déclarait vouloir lui voler sa manière de les rendre), et décidant de les lui dédier. Ou encore ce détail : la présence dans l'appartement parisien de Chopin, peu meublé, d'une petite table près du piano sur laquelle est seul posé le portrait de Franz Liszt. Dans le cercle assez restreint des fréquentations de Chopin, la génération romantique parisienne de 1830 concernant tous les arts se retrouve. Henri Heine, Hiller, George Sand, Eugène Delacroix, Giacomo Meyerbeer ou le poète Adam Mickiewicz sont les amis communs des deux musiciens. Franz est de ceux qui se seront permis d'appeler « Chopino » ou encore « Chopinissimo » le plus grand pianiste français du XIXe siècle.
Cependant, ils se brouilleront bien vite pour des raisons d'ordre privé (Liszt utilise l'appartement de Chopin en l'absence de celui-ci pour ses rencontres amoureuses) et artistiques, la critique et le public voyant en eux les représentants de deux écoles antagonistes : Liszt celle de la virtuosité transcendantale, et Chopin, celle de « la plus exquise sensibilité[43] ». Par la suite, à cette double rivalité se greffe celle de George Sand et de Marie d'Agoult.
La maladie puis la mort de Chopin effacent toutes ces rancœurs : outre ses publications à la Gazette musicale, c'est dans un manifeste intitulé De la situation des artistes que le musicien plaide sa conception des programmes musicaux en remplaçant par Mozart, Beethoven et Weber mais aussi ses amis, Berlioz et Chopin, la plate musique jouée dans les concerts en Europe.
Le décès de Chopin est avec celui de Lichnowsky (à la fin de l'année 1848) l'origine établie de L'Héroide funèbre de Liszt.
La dette de Liszt vis-à-vis de Chopin est très claire. Dès 1830, ce dernier a en effet publié sa première série de douze études, adoptant tout de suite le style qui sera le sien jusqu'à la fin de ses jours. La formation de Liszt est beaucoup plus lente : il ne se trouvera vraiment lui-même qu'à la fin des années 1840, en écrivant des ouvrages chopinien : les deux ballades, les polonaises, la bénédiction de Dieu dans la solitude. Parallèlement à la musique, le trépas de son grand ami et partenaire de travail lui inspirera une succession de 17 articles à sa mémoire, qui par la suite, accoucheront d'un livre sobrement intitulé "Chopin par Liszt" de F. Liszt. Théophile Gautier a qualifié l'ouvrage de "remarquable sous le rapport du style et de la fantaisie"[44].
Liszt et Borodine
La rencontre entre les deux compositeurs a lieu à Weimar dans la petite maison de Liszt du parc grand-ducal en 1877. La discussion des deux musiciens qui tourne autour de l'œuvre d'Alexandre Borodine exprime à merveille le tempérament de Liszt sur la musique de son temps. Alors que Franz félicite le compositeur russe pour l'andante de sa symphonie, se met au piano et accable Borodine de questions, Alexandre s'accuse d'inexpérience (son activité de compositeur ayant été précédée d'une profession de médecin) et s'autocritique à propos de ses modulations qu'il juge excessives. La réaction du vieillard ne se fait pas attendre ; Franz garde sévèrement le russe de toucher à sa symphonie et admettant qu'il est en effet allé très loin, il l'assure que c'est précisément cela son mérite. Finalement, outre le conseil de ne jamais craindre d'être original, il le gronde de ne pas avoir fait éditer ses partitions et le félicite de n'avoir jamais fréquenté de conservatoire.
Le lendemain de leur discussion, lors d'une répétition d'un concert que Liszt doit donner le soir-même dans la cathédrale, Borodine appréhende enfin le jeu de Franz dont le témoignage est resté dans une lettre écrite à sa femme à cette époque.
« Quand ce fut le tour de Liszt, il gagna le fond du chœur et bientôt sa tête grise apparut derrière l'instrument. Les sons puissants et nourris du piano roulaient comme des ondes sous les voûtes gothiques du vieux temple. C'était divin. Quelle sonorité, quelle puissance, quelle plénitude ! Quel pianissimo et quel morendo. Nous étions transportés. Quand arriva la marche funèbre de Chopin, il parut évident que le morceau n'était pas arrangé. Liszt improvisait au piano, tandis que l'orgue et le violoncelle jouaient les parties écrites. Chaque fois que le thème revenait, c'était autre chose, mais il est difficile de concevoir ce qu'il sut en faire. L'orgue traînait pianissimo les accords en tierce de basse. Le piano, avec la pédale, donnait pianissimo les accords pleins. Le violoncelle chantait le thème. C'était comme le bruit lointain des glas funèbres qui sonnent encore, alors que la vibration précédente n'est pas éteinte. Nulle part je n'ai rien entendu de semblable. […] Nous étions au septième ciel[45]. »
Lorsque Borodine revint à Weimar, un rapport identique se noue avec Liszt. Alors que les deux pianistes jouent à quatre mains les récentes compositions du Russe, Borodine supprime certains éléments de son œuvre : « Pourquoi, s'écriait Liszt, ne faites-vous pas cela ? c'est si beau[46] ». Insistant sur le fait que les modulations de Borodine étaient complètement nouvelles (elles ne se trouvaient ni chez Bach ni chez Beethoven), il soutient toutefois qu'elles n'étaient pas exemptes de tout reproche.
Liszt et Saint-Saëns
« Vous avez peu le goût de l'orgue — le « pape des instruments », cependant si vous entendiez Saint-Saëns sur un orgue digne de sa virtuosité extraordinaire je suis persuadé que vous seriez émue et émerveillée. Nul orchestre ne peut produire semblable impression : C'est l'individu en communion avec les sonorités de la terre au ciel » (). Grand admirateur et ami du compositeur, Liszt va exhorter Saint-Saëns à composer et terminer son opéra Samson et Dalila (9 années furent nécessaires) qu'il créera à Weimar en allemand le . Cette aide s'est faite sans avoir écouté une seule note de l'œuvre, tel était Liszt.