Géopolitique de la Russie
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La géopolitique de la Russie concerne l’étude des leviers de puissance et l’analyse des facteurs historiques, géographiques, économiques, de sécurité et de politique intérieure qui sous-tendent la politique étrangère de la Russie. Le poids et l'orientation géopolitiques de la Russie sont très liés à la situation géopolitique d'ensemble en Europe. La Russie appartient à la sphère européenne, bien davantage qu'à la sphère asiatique. Son histoire, sa population, sa culture et sa géographie économique l'ancrent en Europe. Pour immense qu'elle soit, la partie asiatique du pays n'est que très peu peuplée et peu propice au développement ne serait-ce qu'en raison de sa géographie et de son climat.
Date | De 1991 à nos jours |
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Fin de l'URSS, la Russie lui succède sur le plan international, fondation de la CEI | |
et | Traité de sécurité collective signé par neuf pays de la CEI |
Adhésion de la Russie au FMI et à la Banque mondiale | |
Guerre du Dniestr : la Transnitrie de facto indépendante de la Moldavie | |
Fin du retrait des troupes russes d'Europe de l'Est | |
Entrée en vigueur du traité Start I | |
Entrée des troupes russes en Tchétchénie | |
Traité d'amitié entre la Russie et l'Ukraine | |
Crise de solvabilité de l'État russe | |
La Russie s'oppose aux bombardements de l'OTAN en Serbie | |
Reprise de la guerre en Tchétchénie | |
Traité sur la création de l'Union de la Biélorussie et la Russie |
Nouvelle élection de V. Poutine à la présidence | |
Entrée de la Russie à l'OMC | |
Annexion de la Crimée par la Russie | |
Début intervention militaire russe en Syrie | |
Sommet sur l'Ukraine en « format Normandie » |
- | Seconde guerre du Haut-Karabagh |
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Nouvelle crise russo-ukrainienne | |
Début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie |
Dans la géopolitique mondiale, le rôle politique et militaire de la Russie est décorrelé de ses faibles poids économique et démographique, notamment en raison d'un réseau diplomatique et d'une image hérités de l'époque soviétique. Elle est en effet l'État continuateur de l'URSS et a hérité de son statut de membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies. Après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, elle traverse une période instable jusqu'au début des années 2000 avec l'instauration d'un régime autoritaire tant en matière de politique intérieure que de relations extérieures polarisé sur la personne de Vladimir Poutine. Le pouvoir cherche à donner de la Russie l'image d'un pays fort et indépendant, capable d'initiatives unilatérales sans crainte des réactions internationales, et communique activement sur sa dissuasion nucléaire et sa puissance militaire conventionnelle.
Sur le plan économique, démocratique, ainsi qu'en matière de droits de l'homme, la Russie représente un modèle peu attractif pour de nombreux anciens pays du bloc de l'Est qui se sont rapprochés de l'Europe occidentale en intégrant notamment l'Union européenne. Les pressions diplomatiques, énergétiques et militaires exercées par les autorités russes ont également provoqué des craintes dans ces pays qui ont cherché davantage de sécurité à travers l'OTAN. Si la Russie n'a de ce fait jamais retrouvé en Europe l'étendue de la zone où l'URSS exerçait quasiment sans frein son influence durant la guerre froide, elle a depuis renoué avec sa politique expansionniste. Ne pouvant rivaliser en termes d'attractivité, elle mise alors sur un soutien aux régimes autoritaires et des interventions armées. Elle a ainsi organisé des opérations militaires conduisant à l'occupation progressive de huit territoires européens en Moldavie, en Géorgie et en Ukraine et mène désormais une politique de déstabilisation des pays les plus fragiles de l'UE. Dans le même temps, elle cherche en Asie, et surtout auprès de la Chine, un appui dans sa politique à l'égard des États-Unis et de l'UE et un soutien à son développement économique qui requiert de très lourds investissements dans les contrées inhospitalières de Sibérie et de l'Arctique.
Héritage de l'histoire impériale et soviétique
La vision géopolitique des dirigeants de la Russie d'aujourd'hui s’enracine dans le temps long. L’histoire de l'ancien Empire russe est utilisée pour légitimer les objectifs de pouvoir et d’influence de Moscou dans le monde, afin de protéger son territoire, d'en sécuriser les abords proches et de s'affirmer comme une puissance mondiale.
Avec 17 millions de kilomètres carrés, ce qui en fait le plus vaste pays du monde, la Russie dispose d'une superficie deux fois supérieure à celle des États-Unis ou à celle de la Chine. Puissance continentale, la Russie occupe le centre de l’Eurasie, un concept aujourd'hui majeur dans les représentations géopolitiques russes. Cette position centrale lui offre des possibilités naturelles d’extension dont pendant trois cents ans la maison Romanov a profité. Elle se traduit aussi par de longues frontières terrestres à l’Ouest, au Sud et à l’Est avec des voisins toujours perçus comme menaçants qui créent un sentiment d’encerclement. Au Nord, l'océan glacial Arctique dont la valeur géostratégique est accrue par le réchauffement climatique est aussi une zone de contact avec l'Amérique du Nord[1].
Pour construire et défendre l’Empire, le régime tsariste est fortement autocratique et militarisé aux dépens d’une société civile asservie. L’État soviétique conserve ces caractéristiques fondamentales d’un pouvoir autoritaire centralisé, cette fois entre les mains du seul Parti communiste, qui donne la priorité au secteur militaro-industriel. Après l’effondrement des années 1990, un nouvel État russe fort renaît sous la direction de Vladimir Poutine qui développe depuis le début du XXIe siècle une vision géopolitique inspirée de la grandeur russe historique et d’une vision du monde largement fondée sur les théories du Heartland et de l'eurasisme. La Russie des Tsars était un empire, le Royaume-Uni et la France avaient un empire. La vision de Poutine est fondée sur une conviction : la disparition de l'URSS a été « le plus grand désastre géopolitique du XXe siècle »[1].
La « grande stratégie » russe se construit aussi sur une opposition à l'Occident. Le document officiel publié fin 2016 relatif aux principes de la politique étrangère russe, Foreign Policy Concept of the Russian Federation, pose comme postulats de base aux relations internationales « l'émergence d'un système international multipolaire » dans lequel « les tentatives des puissances occidentales pour maintenir leurs positions dans le monde […] conduisent à une plus grande instabilité des relations internationales et à des turbulences croissantes sur le plan mondial et régional »[2]. Cette opposition est nourrie par la nostalgie des années Brejnev où la puissante Union soviétique traitait en pleine guerre froide d'égal à égal avec les États-Unis et par l'avancée vers l'Europe de l'Est et les Balkans de l'OTAN et de l'Union européenne qui ont été rejoints entre 1999 et 2009 par une dizaine de pays anciennement du bloc de l'Est ou, pire encore, de l'URSS elle-même[1].
Les crises en Ukraine et en Géorgie en sont la conséquence directe, car la Russie ne peut accepter que ces pays si proches et si liés à son histoire rejoignent le camp occidental. La détérioration marquée des relations entre Moscou et les capitales occidentales depuis 2010 s'accompagne d'un usage croissant des leviers du « soft power » et de la guerre hybride. Aux États-Unis et en Europe, elle alimente deux écoles de pensée opposées : la première soutient que les occidentaux sont les premiers responsables de l'évolution anti-occidentale du Kremlin et du caractère agressif de la politique étrangère russe pour avoir largement empiété sur son « étranger proche » et pour avoir humilié la Russie en lui refusant de prendre une place de choix au sein d'une vaste communauté atlantique qui reconnaîtrait sa prépondérance sur l'ancienne zone d'influence de l'URSS. La seconde école insiste sur la longue histoire expansionniste de la Russie et la tradition autonomiste et nationaliste de la politique russe[1].
Dans un long article paru en , Vladimir Poutine explique que « les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses sont tous des descendants de l'ancienne Rus' de Kiev, qui était le plus grand État d'Europe » du milieu du IXe au milieu du XIIIe siècle[3]. Un exposé historique suit jusqu'à la formation de l'Union soviétique et le choix de Lénine en 1922[4] de « former un État d'union en tant que fédération de républiques égales ». Poutine affirme que « le droit pour les républiques de se séparer librement de l'Union, […] inclus dans […] la Constitution de l'URSS de 1924, [a constitué] la bombe à retardement la plus dangereuse, qui a explosé au moment où le mécanisme de sécurité fourni par le rôle dirigeant du PCUS a disparu »[3]. L'auteur conclut que « l'Ukraine moderne est entièrement le produit de l'ère soviétique, un fait est clair : la Russie a été volée »[3].
Effacement de la Russie dans les années 1990 comme grande puissance
Après la dissolution de l'URSS le , la Russie est réduite aux frontières existantes du temps des premiers Romanov avec à peu près la même population qu'en 1917. Les accords d'Alma-Ata signés par les onze ex-Républiques soviétiques créent la Communauté des États indépendants (CEI) et établissent la Russie en tant qu'État successeur de l'Union soviétique aux plans du droit international et de la possession des armes nucléaires[5]. Près de 25 millions de russes se retrouvent dans les États postsoviétiques. Créée pour compenser cette perte, la CEI regroupe onze États postsoviétiques. Elle est vue comme le moyen de construire un « empire libéral » dans lequel la Russie bénéficiera de sa position économiquement et politiquement dominante. Mais un courant conservateur et eurasiste favorable à un contrôle fort voire à la réannexion de certains de ces territoires se développe au Kremlin. Il provoque la méfiance des dirigeants de ces nouveaux États et empêche finalement que la CEI ne devienne une communauté d’États forte selon un modèle proche de celui des Communautés européennes[1].
La politique étrangère de Boris Eltsine, principalement tournée vers l'Occident, s'explique d'abord par la situation catastrophique du pays, obligé de composer avec Washington et d'obtenir l'aide du FMI et de la Banque mondiale, auxquels la Russie adhère en 1992[6],[7].
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La désorganisation de l'État russe, la chute du Produit intérieur brut et la faiblesse des rentrées fiscales sont à l'origine de la crise financière russe de 1998. Son déclenchement direct résulte d'une crise de solvabilité, provoquée par la perte de valeur des actifs possédés par les banques, liée à la chute de la bourse de Moscou, mais également par la crainte chez les investisseurs étrangers d'une dévaluation du rouble[10],[11].
Les dirigeants de l'ex-URSS cherchent d'abord dans les années 1990 à tirer leur pays du marasme et s’en tiennent à une diplomatie prudente. Les engagements pris en matière de réduction des armements nucléaire (traité Start I[12]) et conventionnel sont observés à la lettre et des coupes sombres sont effectuées dans le budget militaire, contraignant la Russie à se tenir éloignée de toute aventure internationale. À la tête de la Russie jusqu’à la fin de 1999, Boris Eltsine ne fait sortir la diplomatie russe de sa réserve prudente qu’en de rares occasions, lorsque le prestige de la Russie est trop gravement menacé, notamment dans l'ex-Yougoslavie[13].
Cependant, le Kremlin développe peu à peu une stratégie inscrite dans des représentations géopolitiques cohérentes, fortement teintées de nationalisme néo soviétique et d'eurasisme, et centrée sur la revendication d'un « Étranger proche » dont la première formulation remonte à 1992[1]. L'expression désigne les quatorze autres ex-républiques soviétiques. En 1993, Boris Eltsine exige sans succès que les organisations internationales y compris l'ONU reconnaissent à la Russie des droits particuliers en tant que garant de la paix et de la stabilité de ces ex-républiques soviétiques. Les tensions deviennent visibles en 1999 avec le premier élargissement de l'OTAN à trois pays de l'ex-bloc de l'Est — Hongrie, Pologne et Tchéquie — et plus encore avec l'intervention militaire de l'OTAN en Serbie[14],[15] pour mettre fin au conflit du Kosovo entre les communautés Serbes et Albanaises[16],[17].
Acceptation difficile des nouvelles frontières
La question des frontières est centrale dans la conscience collective russe. Durant l’Empire, elles n’ont cessé d’évoluer, le plus souvent dans le sens de l’agrandissement du territoire. Beaucoup de Russes ne se reconnaissent pas dans les frontières de 1991, dépourvues de légitimité historique. Elles sont issues des limites administratives internes de l’URSS, largement définies de manière arbitraire et modifiées à plusieurs reprises. La question de la Crimée, rattachée à l’Ukraine en 1954 par N. Khrouchtchev à l'occasion de la célébration du 300e anniversaire du traité de Pereïaslav à l'origine de l'union entre les deux pays, est plus que toute autre révélatrice de la difficulté de la Russie à accepter une frontière qui la coupe d’une partie de son histoire. Les frontières avec l’Estonie et la Lettonie sont aussi un sujet de contentieux, entretenu par la forte présence de Russes dans ces pays, qui ne trouve pas de solution dans les années 1990. Après 1991, quelque 25 millions de Russes (17,4 % du total des Russes de l’Union soviétique) qui résident dans d’autres États de l’ex-URSS se retrouvent coupés de leur pays d’origine. Plusieurs millions d’entre eux émigrent en Russie dans les années 2000[18].
L'Ukraine occupe une place particulière pour les dirigeants russes. Son histoire se confond avec celle de ses relations avec la Russie : les Ukrainiens voient avant tout la spécificité de leur culture et de leur identité nationale ukrainiennes, tandis que les Russes privilégient la théorie du « berceau slave commun » et mettent en avant la réunification des deux pays en 1654[19]. Un traité d'amitié avec l'Ukraine est finalement signé le [20], complété par des accords relatifs au partage de la flotte de la mer Noire et aux facilités d'utilisation de bases navales par les Russes en Crimée[21]. Mais la Russie est fréquemment accusée d'infiltrer l'administration et l'économie ukrainienne et de favoriser l'élection de dirigeants politiques qui leur soient favorables[19],[22]. En dépit de ce traité de paix, confronté à la révolution ukrainienne et à la destitution du président ukrainien Viktor Ianoukovytch, V. Poutine finira en 2014 par faire le choix de la crise ouverte en annexant la Crimée et en soutenant les séparatismes dans la guerre du Donbass pour empêcher l'Ukraine de se rapprocher davantage de l'Ouest[23]. Fin 2021, la crise ukrainienne ravive les tensions dans les relations entre la Russie et les Occidentaux[24]. En décidant de sauter le pas de la conduite d'une invasion de l'Ukraine à partir du , Moscou provoque des réactions sans précédent en Europe et aux États-Unis. Sylvie Kauffmann écrit dans Le Monde que « l’Europe baigne dans cette zone grise qui n’est pas encore la guerre, mais qui n’est plus la paix »[25].
La première urgence dans les années 1990 est de consolider la Russie au sein de ses nouvelles frontières. La dislocation de l’URSS exacerbe les aspirations des communautés ethniques qui réclament une plus grand autonomie ou aspirent à la sécession pure et simple : c’est le cas en Russie des peuples musulmans du Caucase (Tchétchènes, Ingouches, Kabardes, Tcherkesses) ou de Russie centrale (Tatars, Bachkirs). Il ne peut être question de laisser la république autonome de Tchétchénie prendre son indépendance, au risque qu’elle fasse figure d’exemple. Avec le soutien tacite des Occidentaux, Eltsine engage fin 1994 une offensive militaire qui va durer presque deux ans et faire des dizaines de milliers de morts[26].
Le deuxième objectif est de démontrer aux Russes hors les frontières qu'ils ne sont pas oubliés[13]. Aux abords de la Russie, dans les États de l'Étranger proche, Moscou encourage ou du moins soutient les mouvements indépendantistes de communautés russes qui débouchent sur des conflits meurtriers au Haut-Karabagh, en Transnistrie[27], en Abkhazie, et en Ossétie du Sud-Alanie[18].
Par ailleurs, plusieurs litiges frontaliers dont certains très anciens comme ceux opposant Moscou à Pékin ou à Tokyo, ont pesé ou pèsent encore sur les rapports de la Russie avec ses voisins. Le conflit avec la Chine concernait de larges territoires situés à l'Est et à l'Ouest de la Mongolie. Les pourparlers, difficiles, aboutissent en 1991 et en 1994 à des accords qui mettent fin à la plus grande partie de ce contentieux. Des accords définitifs sont trouvés entre 2004 et 2008 qui mettent un terme à des décennies de négociations sur la délimitation des 4 300 km de frontière commune[28],[29]. Avec le Japon, la question des îles Kouriles bloque toujours fin 2020 la signature d'un traité de paix[18],[30].
Les dirigeants occidentaux ont plutôt tendance à soutenir B. Eltsine et V. Poutine dont l'action va dans le sens de la reconstitution d'un espace géopolitique stable et d'une démocratisation encore toute relative dans des pays qui n'ont jamais connu d'autre cadre institutionnel que ceux de l'autoritarisme et du totalitarisme, et où toute une partie de la nomenklatura s'est simplement reconvertie dans les affaires[13].
Faisant suite aux attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme relance la coopération entre la Russie et l'Occident qui laisse les mains libres à Poutine en Tchétchénie. La Russie soutient les résolutions 1373, 1377 de 2001 du Conseil de sécurité de l'ONU qui fondent la lutte internationale contre le terrorisme[31],[32],[33].
Renaissance d'une puissance indépendante et offensive dans les années 2010
Pour un article plus général, voir Géopolitique de l'Europe au XXIe siècle.
Le poids et l'orientation géopolitiques de la Russie sont en premier lieu déterminés par la situation géopolitique en Europe. La Russie appartient à la sphère européenne, bien davantage qu'à la sphère asiatique. Son histoire, sa population, sa culture et sa géographie économique l'ancrent en Europe. Pour immense qu'elle soit, la partie asiatique du pays n'est que très peu peuplée et peu propice au développement ne serait-ce qu'en raison de sa géographie et de son climat.
Alors que le panslavisme classique repose sur une vision de la Russie centrée sur l'Europe, l'eurasisme repose sur l'idée d'un empire du Milieu russo-touranien dont le centre gravité est déplacé vers l'Est, englobant l'Asie centrale et s'étendant jusqu'au Pacifique[34]. Fortement soutenue par Poutine, l'Union économique eurasiatique est une des concrétisations de la vision géopolitique actuelle de la Russie[35].
Dans les années 2000, Vladimir Poutine réussit à canaliser à son profit les tendances nationalistes et populistes d'une opinion qui n'a pas complètement rompu avec le passé communiste et garde la nostalgie d'une époque où l'URSS partageait avec les États-Unis la gestion des affaires internationales. De pair avec le redressement du pays, la diplomatie russe s’affirme davantage dans les Balkans et surtout s’oppose avec une extrême rigueur à toute tentative de sécession dans la région du Caucase. Peu soucieux des réactions occidentales, il entreprend avec un certain succès mais au prix de lourdes pertes une guerre sans merci contre les rebelles tchétchènes[13].
Mais la poursuite de l'extension vers l'Est de l'OTAN et de l'Union européenne ruine les ambitions russes sur l'« Étranger proche » et achève de détériorer les relations avec les Occidentaux. Souvent cité, le discours de Poutine du 10 février 2007 est clairement anti-occidental[36]. La Russie intervient militairement en Géorgie en 2008 pour éviter qu'un État de plus ne bascule dans le camp occidental. Les interventions dans le Donbass et en Crimée de 2014 relèvent de la même logique. Les débuts de la présidence de Barack Obama se traduisent par une brève embellie qui se concrétise par la signature du traité New Start sans lendemain[1].
Depuis 2008, la diminution relative de la puissance des États-Unis par rapport à la Russie et la Chine, donne à Moscou l'opportunité de réaffirmer avec une assurance accrue ses intérêts vitaux en Eurasie, au nord du Moyen-Orient, dans l'Arctique et en Europe centrale et méridionale, entraînant une montée des tensions entre la Russie et le monde occidental[37]. À la fin des années 2010, les principaux acquis de cette résurgence de la Russie sur la scène internationale sont les suivants[37] :
- Sur le théâtre européen, la Russie intervient militairement en 2008 pour séparer l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud de la Géorgie, puis en 2014 pour annexer la Crimée et fomenter le séparatisme dans le Donbass en Ukraine, tirant ainsi parti d'actions antérieures visant à dégrader la souveraineté de ces États[alpha 1]. Ce faisant, Moscou a effectivement mis un terme à la perspective d'un nouvel élargissement de l'OTAN vers l'Est.
- La Russie poursuit la construction de nouvelles infrastructures énergétiques qui réduisent la capacité de l'Ukraine et d'autres États d'Europe centrale à influencer les exportations d'énergie russes vers l'Europe, tout en renforçant les liens économiques avec les principaux États européens, notamment la France, l'Italie et l'Allemagne.
- La Russie a pu lancer l'Union économique eurasiatique en 2015 et faire les premiers pas vers l'intégration régionale sous sa direction, plutôt que sous la direction des institutions occidentales.
- L’intervention de la Russie en Syrie et d’autres opérations hors de sa zone d'influence directe ont également démontré la possession de capacités de projection de puissance au-delà de sa région immédiate et sa capacité à soutenir ces opérations.
- La modernisation militaire de la Russie a permis à Moscou de développer des stratégies de déni d'accès et d'interdiction de zone[38] dans les bassins de l’Arctique, de la Baltique et de la mer Noire, avec pour effet d'augmenter les risques et les coûts de toute activité américaine ou alliée dans ces zones.
Au début des années 2020, bien qu'elle ait perdu en Europe l'essentiel de la zone où elle exerçait quasiment sans frein son influence durant la guerre froide au temps de l'URSS, la Russie profite des faiblesses de l'Union européenne qui n'est pas unifiée sur le plan des relations extérieures et de la défense[39] pour imposer son agenda en Ukraine, en Biélorussie, en Géorgie et dans une moindre mesure au Kosovo. Mais l'invasion de l'Ukraine début 2022 provoque un sursaut d'unité européenne et occidentale ainsi qu'une détérioration dramatique des relations avec la Russie dont les conséquences ne pourront s'évaluer que dans la durée[40].
Toutefois la capacité de la Russie à étendre davantage son influence en Europe et dans le monde est limitée par le fait qu'elle s'appuie essentiellement sur des leviers traditionnels de puissance militaire et de subversion politique, tandis qu'elle peine à porter à un haut niveau ses capacités touchant aux vrais leviers d'influence du XXIe siècle que sont la puissance économique, le degré d'avancement technologique et le leadership moral[41].
« Grand partenariat eurasiatique »
Bien que l'orientation européenne de la Russie soit forte jusqu'au début des années 2000, un partenariat stratégique est conclu avec la Chine dès 1996 et le groupe de Shanghai institué dans la foulée avec la Chine et trois pays d'Asie centrale[42].
Le « pivotement vers l'Est » de la politique étrangère russe est annoncé par Poutine durant la campagne présidentielle de 2012. Il se traduit par de nouvelles initiatives dans trois directions clés : développement économique des régions d'Extrême-Orient de la Russie, relance des liens avec les ex-RSS d'Asie centrale et développement de liens politiques et économiques plus étroits avec la Chine et les pays d'Asie de l'Est et du Sud[43],[44]. Avec les ex-RSS d'Asie centrale, Moscou a toujours fait le choix de créer des liens voire une intégration par une stratégie d'alliances sans recourir à un interventionnisme musclé qui ruinerait son rapprochement avec Pékin et les autres puissances régionales[45].
En 2016, Poutine introduit le concept de « Grand partenariat eurasiatique » ( Greater Eurasia en anglais) dont le périmètre pourrait inclure à terme, d'ouest en est, certains des pays de l'UE, les pays de la CEI et des pays d'Asie dont nommément la Chine, l'Inde et le Pakistan. L'Union économique eurasiatique (UEE) — formée depuis moins de deux ans — en serait un des centres[46]. L'ambition poursuivie est de créer un lien inter-organisationnel et supra-régional entre l'UEE, l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et l'Union européenne, sous l'égide d'un « Grand partenariat eurasiatique » dans lequel la Russie jouerait un rôle central, rendu légitime par sa position au centre de l'Eurasie et son histoire[47]. Les objectifs sont de promouvoir — une fois de plus — l'influence de Moscou sur le territoire de l'ex-URSS, et de former un vaste ensemble géopolitique isolant les États-Unis et ceux de ses alliés qui resteraient attachés au modèle occidental « dépassé » de l'ordre libéral démocratique. Le « Grand partenariat eurasiatique » offre l'avantage d'être potentiellement un cadre où les relations entre la Chine et la Russie ne seraient pas trop déséquilibrées, cette dernière y apportant ses atouts sur le plan de la sécurité collective tandis que sur le plan purement économique le déséquilibre est total en faveur de Pékin. Le « Grand partenariat eurasiatique » est avant tout un concept géopolitique qui nourrit la représentation que la Russie se fait d'elle-même d'être une grande puissance[44]. Fin 2020, les acquis de cette initiative russe et ses perspectives de concrétisation sont limités[46].
L'amélioration des relations entre Moscou et Pékin est à fin 2020 le succès le plus marqué du tournant asiatique de la politique étrangère russe. En partie basée sur une relation personnelle forte entre Vladimir Poutine et Xi Jinping, la coopération diplomatique et militaire s'intensifie au fil des années entre les deux pays. La Russie et la Chine ne sont pas toujours d'accord, mais elles ne s'opposent jamais ouvertement. Elles coopèrent dans les structures de gouvernance mondiale et régionale en Asie, et promeuvent le principe de la souveraineté de l'État et de la non-ingérence tout en minimisant les normes libérales telles que les droits de l'homme ou la démocratie dont les Occidentaux se font les chantres[43],[46].
Le partenariat entre les deux pays réduit au niveau le plus bas depuis des siècles le risque d'agression entre eux et laisse à chacun les mains libres pour pousser sa stratégie à l'égard de ses autres voisins. Pour autant, le déséquilibre économique croissant entre la Russie et la Chine dont les intérêts vitaux sont de plus loin d'être les mêmes que ceux de la Russie, sont porteurs d'importantes limites structurelles à la relation sino-russe qui demeure une coopération mais pas une alliance privilégiée, de nature comparable à celle qui existe entre les États-unis et les Européens membres de l'Alliance atlantique[43],[41],[48].