Haroun Tazieff
géologue et volcanologue français (1914-1998) / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Cher Wikiwand IA, Faisons court en répondant simplement à ces questions clés :
Pouvez-vous énumérer les principaux faits et statistiques sur Haroun Tazieff?
Résumez cet article pour un enfant de 10 ans
Vous lisez un « bon article » labellisé en 2022.
Pour les articles homonymes, voir Tazieff.
Haroun Tazieff (en russe : Гарун Тазиев, Garoun Taziev ; en tatar : Harun Taciev, cyrillique : Һарун Таҗиев), né le à Varsovie (Empire russe) et mort le à Paris (France), est un volcanologue, spéléologue, ingénieur des mines, écrivain, cinéaste et homme politique, né russe puis naturalisé successivement belge (1936) et français (1971).
Conseiller régional de Rhône-Alpes | |
---|---|
- | |
Conseiller municipal de Grenoble | |
- | |
Conseiller général de l'Isère | |
- | |
Secrétaire d'État Gouvernement Laurent Fabius | |
- |
Naissance | |
---|---|
Décès | |
Sépulture | |
Surnom | |
Nationalités | |
Formation | |
Activités |
Parti politique | |
---|---|
Sports | |
Distinctions | Liste détaillée |
Tazieff est considéré comme un des pionniers de la volcanologie moderne, qui prend son essor au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Grâce aux nombreuses expéditions qu’il mène sur les volcans du monde entier à partir des années 1950, il contribue à développer cette science, dont il défend une approche multidisciplinaire en collaborant notamment avec chimistes et physiciens. Ses travaux de recherche sont novateurs et concernent principalement le rôle moteur des gaz dans les mécanismes éruptifs ainsi que l'apport de la volcanologie à la confirmation de la théorie de la tectonique des plaques. Pendant toute sa carrière, il reste un adepte des mesures sur le terrain ; avec son équipe, il met au point de nombreux instruments, dont plusieurs deviennent des éléments de référence en la matière. Il développe également l'analyse des risques dus aux éruptions volcaniques et milite en faveur de la prévention auprès des populations. Son caractère reconnu comme difficile l'engage dans de nombreuses controverses scientifico-médiatiques, la plus célèbre étant celle liée à l'éruption de la Soufrière de Guadeloupe en 1976, et à la crise politique qui s'est ensuivie.
De 1981 à 1986, sous la présidence de François Mitterrand, il devient commissaire puis secrétaire d'État chargé de la prévention des risques naturels et technologiques majeurs en France. Il met en place le système d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ainsi que les premiers plans d'exposition aux risques naturels prévisibles.
Il se fait connaître mondialement par l'écriture et la réalisation de nombreuses œuvres de vulgarisation scientifique sur les volcans. Il fait partie des pionniers du long métrage documentaire, avec notamment Les Rendez-vous du diable (1958) et Le Volcan interdit (1966), films pour lesquels il obtient de nombreux prix.
Jeunesse
Enfance et éducation (1914-1932)
Haroun Tazieff naît le à Varsovie[1], capitale polonaise alors sous tutelle de la Russie tsariste. Tazieff aime à définir ses origines par l'expression « tutti frutti » : en effet, sa mère, une chimiste et docteure en sciences politiques polonaise, et son père, médecin russe, ont eux-mêmes des racines multiples[1].
Son père, Sabir Tazieff (1885-1914), est un Tatar musulman, né dans la steppe de l'Asie centrale russe, à proximité de Tachkent (dans l'actuel Ouzbékistan)[2],[3], le patronyme Tazieff étant la russification de Tadji, prénom d'un aïeul de Sabir. Sabir, officier médecin dans le corps dit « étranger » de l'armée impériale, qui deviendra la « Division sauvage » du grand duc Michel Alexandrovitch de Russie, est tué sur le front aux premiers jours de la guerre de 1914-1918.
Sa mère, Zénitta Illiassovna Klupta (1886-1984), naît à Daugavpils, ville balte de l'Empire russe (dans l'actuelle Lettonie), d'un père médecin juif, Illias Klupt, et d'une mère chrétienne orthodoxe, Sophie Arianoff, fille du gouverneur germano-balte de la forteresse locale, Sava Filipovitch von Arian[3]. Zénitta devient docteure en sciences naturelles et chimie, et licenciée en sciences politiques de l'université libre de Bruxelles, où elle fait la connaissance de Sabir. Ils se marient dans cette ville en 1906. Ils ont un premier enfant, Salvator, qui ne vit que deux mois. En 1913, ils s'installent à Varsovie où naît leur second enfant, Haroun. La guerre ayant éclaté, Sabir étant parti au front, Zénitta décide de déménager avec son fils pour Petrograd, plus loin des combats[4]. Zénitta Illiassovna Tazieva (de son nom complet une fois mariée) n'apprend la mort de son mari qu'en 1919, une fois la guerre terminée.
Sympathisante bolchévique, Zénitta profite de l'ordre nouveau instauré par la révolution russe pour être envoyée en 1919 par le parti à Tbilissi (Géorgie) où elle travaille au service administratif du recensement des populations[4]. Mais rattrapée une fois de plus par la guerre, civile cette fois-ci, elle émigre de nouveau avec son fils, en 1921. Tout d'abord à Paris, où le jeune Haroun Tazieff désormais apatride (il le reste durant quinze ans, n'obtenant la nationalité belge qu'à sa majorité en 1936[HT 1]) fréquente l'école communale d'Asnières. C'est là que Zénitta rencontre Robert Vivier, un romancier et poète belge de renom. Robert Vivier et Zénitta Tazieva se marient à Neuilly-sur-Seine, en . Vivier fait de Haroun son fils adoptif et son légataire universel[5]. Tazieff avait coutume de dire de Vivier qu'il était son « plus que père »[6]. Haroun Tazieff suit ensuite ses parents pour poursuivre sa scolarité à Bruxelles, en Belgique. Haroun, une fois adolescent, est élève tour à tour au lycée Montaigne de Paris puis à l'Athénée royal de Bruxelles[7]. Il rêve alors d'explorations polaires sur les traces de Scott, Shackleton et Nansen[HT 2].
Activités sportives (1932-1939)
Lycéen et étudiant, Haroun Tazieff pratique régulièrement de nombreux sports. Il est footballeur affilié au Daring Club de Bruxelles de 1930 à 1932, puis à partir de 1935 à Gembloux-Sport pendant ses études à la Faculté d'agronomie[8] de la même ville. Il s'initie aussi à l'escalade sur les falaises des bords de Meuse et pendant ses vacances d'été, il participe à des voyages de groupe de jeunes dans les Alpes suisses et françaises, où il s'adonne alors à l'alpinisme ainsi qu'à des excursions géologiques[4]. Au cours d'un séjour en Angleterre, il découvre le rugby, qu'il pratique assidûment puis de façon sporadique tout au long de sa vie[HT 2].
C'est cependant dans la boxe qu'il excelle. Il devient champion universitaire de Belgique, sélectionné pour les Jeux olympiques de Berlin en 1936. Il n'y va pas, sa mère lui ayant interdit de défiler devant Adolf Hitler. Il deviendra également champion du Katanga, province du Congo belge, à la fin des années 1940, alors qu'il y travaille comme ingénieur des mines. Sa carrière de boxeur compte 49 victoires en 53 combats[HT 2].
Les années de guerre (1939-1945)
En 1938, Tazieff obtient le diplôme d'ingénieur agronome de la faculté des Sciences agronomiques de Gembloux, cursus au cours duquel il s'est spécialisé dans l'entomologie forestière[4]. L'année suivante, il effectue son service militaire dans l'armée belge et, lorsque la guerre éclate, il est mobilisé dans une unité d'élite de l'armée belge, les chasseurs ardennais[9]. Il est blessé par un éclat d'obus et passe plusieurs semaines à l'hôpital. Il s'engage ensuite dans la résistance tout en obtenant, en 1944, son diplôme d'ingénieur géologue et d'ingénieur des mines de l'université de Liège, où il s'était inscrit après la fermeture de l'université libre de Bruxelles sous l'autorité occupante allemande. L'inscription à ces cours lui permet ainsi d'échapper provisoirement au service allemand du travail obligatoire (STO) et lui procure une couverture. La journée, il étudie sur les bancs de l'université ; la nuit, il fait dérailler des convois allemands sous le surnom de Kim[10]. C'est au cours de cette période de la résistance qu'il se met en couple avec une amie d'enfance, Betty Lavachery (née Limbosch), directrice d'une maison d'enfants à Lasne, dans l'ancienne abbaye d'Aywiers, où elle cache de jeunes Juifs[11]. Vers la fin de la guerre, Tazieff et Lavachery participent aux réseaux du Groupe G pour l'évasion de parachutistes venus d'Angleterre et de prisonniers soviétiques évadés des mines de charbon de Belgique et du nord de la France[HT 2].
Carrière scientifique
Liste des postes occupés :
- Assistant de faculté en entomologie (1938).
- Assistant de minéralogie (professeur E.M. Denaeyer) à la faculté des sciences de l'université de Bruxelles en 1944.
- Assistant de géologie appliquée et de géophysique professeur (professeur I. de Magnée) à la faculté des sciences de l'université de Bruxelles en 1945.
- Ingénieur aux mines d'étain du Katanga (Congo belge), en 1945.
- Géologue au service géologique du Congo belge de 1946 à 1948.
- Assistant de géologie appliquée et de géophysique (professeur I. de Magnée) faculté des sciences de l'université de Bruxelles 1949 et 1950.
- Chargé de cours à la faculté des sciences de Paris, à partir de 1953.
- Chargé de cours (volcanologie) à l'université libre de Bruxelles, de 1957 à 1960, où il crée et anime le Centre national de volcanologie.
- Directeur du laboratoire de volcanologie de l'Institut de physique du globe de Paris en 1958.
- Expert de l'UNESCO au Chili (1961), au Costa Rica (1964), en Indonésie (1964-1965) et en Islande (1973).
- Chargé de cours (volcanologie) à la faculté des sciences de l'université Paris-Sud 11 - Orsay en 1965.
- Chargé de cours (volcanologie) à la faculté des sciences de l'université de Paris VI en 1966.
- Responsable de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1967.
- Maître de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1969.
- Directeur de recherche au CNRS, au laboratoire de volcanologie du Centre des faibles radioactivités de Gif-sur-Yvette, spécialisé dans les gaz éruptifs, 1972.
- Président du conseil scientifique de l'Institut international de recherches volcanologiques (I.I.R.V.) (Rome, Catane, Pise).
- Responsable du service volcanologique de l'Institut de physique du globe de Paris et responsable de la surveillance de la montagne Pelée à la Martinique et de la Soufrière (Guadeloupe de 1973 à 1976).
- Chargé de mission au ministère de la Recherche et de l'Industrie en 1981.
- Président du Comité supérieur des risques volcaniques de 1988 à 1995.
Éruption au Congo belge (1945-1948)
À l'issue de la guerre, Haroun Tazieff a 31 ans et cherche un but à sa vie. Il décide de partir au Congo belge, d'abord en tant qu'ingénieur des mines pour la prospection de gisements d'étain et de zinc au Katanga, puis en se faisant engager un an plus tard par le service géologique de la colonie afin de dresser la carte géologique de la région du Kivu[10]. C'est dans cette région qu'il a l'occasion, en 1948, d'observer au plus près l'éruption d'un volcan né quelques jours auparavant, qu'il baptise du nom du lieu-dit le plus proche, Kituro, cratère voisin du Nyamuragira. C'est une révélation pour lui et, dès lors, il décide de consacrer sa vie à la volcanologie[HT 2]. Il décrit lui-même ce moment : « Ce fut le coup de foudre… Le spectacle seul d’une éruption est tellement extraordinaire, tellement formidable au sens étymologique du terme, qu’il envoûte ceux à qui il est donné de le contempler[12]. »
Tazieff organise plusieurs expéditions autour des coulées de lave du volcan en éruption. Il observe également par bateau le front de la coulée de lave ayant atteint le lac Kivu. Pour la première fois, il assiste à des éruptions phréatiques, là où le magma en fusion vaporise l'eau, phénomène qu'il sera le premier à décrire scientifiquement. Il entreprend ensuite l'ascension d'un autre volcan de la région, le Nyiragongo, et découvre au fond du cratère sommital un lac de lave permanent. Mettant à profit ses compétences d'alpiniste[10], il inaugure avec son ami Armand Delsemme, un astronome belge rencontré à l'université de Liège et également en poste dans la région, des descentes au plus profond de la bouche du volcan congolais afin d'y effectuer des prélèvements d'échantillons de lave et de gaz. Enfin, les deux amis réalisent les premières spectrographies de flamme volcanique jamais réalisées[13].
Débuts de volcanologue et d'écrivain (1949-1951)
De retour en 1949 de son affectation au Congo, Tazieff enchaîne plusieurs postes d'assistant de géologie à l'université de Bruxelles auprès du professeur Ivan de Magnée. À l'époque, la volcanologie n'est pas encore considérée comme une science à part entière et il doit donc poursuivre sa nouvelle carrière de volcanologue en parallèle et par ses propres moyens[HT 2]. Il se rend en voiture avec un ami dans le sud de l'Italie, pour y étudier le Vésuve et les volcans des îles Éoliennes. Il emporte avec lui une caméra légère de 16 mm. À son retour il diffuse ses films au sein du cercle universitaire bruxellois. Puis l'Etna entre en éruption à la fin de l'année 1949. Il repart immédiatement et revient quelques mois plus tard avec un nouveau film. Il le présente d'abord en Belgique, puis il se rend à Paris pour présenter l'ensemble de ses courts métrages dans un circuit de conférences. Il trouve ainsi une nouvelle source de financement[HT 2] et commence à se faire connaître.
En 1950, à la suite d'un accident, il se retrouve immobilisé pendant de longues semaines, frôlant l'amputation d'un pied[4]. Il tire profit de ce repos forcé pour écrire. En 1951, il publie Cratères en feu, œuvre fondatrice dans laquelle il relate ses aventures sur les volcans et où il décrit ses émotions face au spectacle de la nature. D'autres publications suivent tout au long de sa carrière. Il obtient le prix de l'Académie française quelques années plus tard et se voit surnommé le « poète du feu »[10].
Expéditions tous azimuts (1951-1952)
La nouvelle notoriété de Tazieff lui permet de rencontrer des personnalités déjà établies, telles que Paul-Émile Victor, explorateur du Groenland, ou Max Cosyns, inventeur et spéléologue belge, dont il suit les conseils et rejoint les expéditions[10]. Il devient ainsi l’un des fers de lance d'une nouvelle génération d'explorateurs et de scientifiques. Il accompagne tout d'abord Jacques-Yves Cousteau sur la Calypso, dès 1951, pour une expédition en mer Rouge, dont ils dressent ensemble les premières coupes bathymétriques et géologiques[HTcom 1]. Tazieff constate que le plancher de cette mer est symétrique, en forme de double escalier au centre duquel les éruptions volcaniques sous-marines sont permanentes. Il envisage de continuer cette exploration à terre, en Afar, région dont il pressent le rôle clef, mais d'autres projets se présentent déjà à lui. C'est au cours de ces navigations en mer Rouge que la fameuse équipe de plongeurs de la Calypso le surnomme Garouk, déformation de son prénom en imitant l'accent slave de sa mère[10].
La même année, il rejoint l'équipe franco-belge du physicien Max Cosyns qui explore le plateau calcaire du massif de la Pierre-Saint-Martin, dans les Pyrénées françaises[HT 3]. L'expédition dépasse les 500 m de profondeur dans le gouffre de La Pierre Saint-Martin que Georges Lépineux et Jacques Labeyrie avaient découvert l'année précédente, établissant ainsi un nouveau record du monde. L'expédition suivante, en 1952, est très médiatisée et suivie au jour le jour par les journalistes et le grand public[14]. Lors d'un accident, le spéléologue Marcel Loubens fait une chute aux pieds de Tazieff et Labeyrie à cause d'un défaut de conception du treuil et meurt sans avoir pu être ramené à la surface[15]. De ces expéditions spéléologiques, Tazieff tire le livre Le Gouffre de La Pierre Saint-Martin[HT 4].
Succès cinématographique (1953-1958)
En 1953, Haroun Tazieff s'installe à Paris et devient chargé de cours à la faculté des sciences de Paris[16]. Il enchaîne les campagnes d'étude sur des volcans actifs, au Congo belge où il retrouve son volcan fétiche le Nyiragongo[17] mais aussi des Açores à l'Indonésie, en passant par le Japon et le Mexique. Soucieux de partager ses découvertes avec le grand public et sur les conseils de Paul-Émile Victor, il se lance dans le projet de réaliser un film long métrage. Il trouve un compagnon de route en la personne du peintre et spéléologue Pierre Bichet, promu cadreur pour l'occasion et, de 1955 à 1957, il parcourt le globe avec lui, allant de volcan en volcan[18]. En 1958, ils réalisent un premier film long métrage, Les Rendez-vous du diable[19], primé à plusieurs occasions[1].
Essor de la volcanologie (1959-1966)
De 1957 à 1960, Tazieff dirige à l’université libre de Bruxelles un éphémère Centre national de volcanologie spécialement conçu pour lui[HT 3]. L'indépendance du Congo belge en 1960 faisant perdre aux yeux du gouvernement belge la raison d'être de ce centre, ce dernier voit ses budgets supprimés. Dans le même temps, en 1958, il est nommé directeur du laboratoire de volcanologie nouvellement créé au sein de l'Institut de physique du globe de Paris, où il occupe également divers postes d'enseignant jusqu'en 1967. En 1961, il participe au lancement de l'Institut international de volcanologie de Catane, en Sicile, dont le but est l'étude et la surveillance des volcans de la région, ainsi que la prévention auprès des populations locales[4].
Ayant assuré des sources pérennes de financement, Tazieff multiplie alors les campagnes de terrain. Il devient un spécialiste de l'étude sur le vif des phénomènes éruptifs[10]. Il considère qu'il faut effectuer le maximum de mesures directes durant l'éruption du volcan, celles-ci apportant des informations impossibles à récolter pendant les phases calmes. En compagnie du volcanologue italien Giorgio Marinelli et des chimistes Yvan Elskens et Franco Tonani, il effectue plusieurs missions scientifiques sur le Stromboli et l'Etna, où l'équipe teste les nouveaux instruments d'analyse de gaz volcaniques qu'elle a mis au point. Tazieff révèle l'importance des éruptions volcaniques sous-marines qu'il fut le premier à observer, filmer, décrire scientifiquement et analyser. Tout d'abord de 1957 à 1958 aux Açores (Faial)[20], puis lors de la formation spectaculaire de l'île de Surtsey en 1963, au large de l'Islande. Il met au point son style et sa méthode : mesures physiques et géochimiques des gaz volcaniques, couplées à l'enregistrement sur vidéo de toutes les phases de l'éruption. Ces archives filmées permettent à la fois de réanalyser scientifiquement l'évolution des phénomènes et de réaliser des films à destination du grand public. Il reprend la même démarche durant toute sa carrière, notamment pour les lacs de lave qu'il découvre (Nyiragongo, Erta Ale, Erebus). Il comprend le rôle majeur joué par l'eau et définit les phénomènes d'éruption phréatique et phréatomagmatique qu'il observe à la Soufrière de la Guadeloupe, au plateau de Dieng, ou encore au lac Nyos. Ses publications scientifiques en la matière font encore référence[21].
Dans les années suivantes, il se consacre à une série d'expéditions volcanologiques dans des environnements extrêmes (vallée des Dix mille fumées en Alaska, Éthiopie, Congo), ainsi qu'à d'autres volcans plus connus comme l'Etna, le Stromboli, ou la Soufrière de la Guadeloupe. C'est au cours d'un voyage d'étude sur l'Etna en 1966 qu'il rencontre le jeune Maurice Krafft qui fait partie d'un groupe d'étudiants venu en support. Mais les deux hommes marqués chacun par un fort caractère sont incompatibles et ne travailleront jamais ensemble[3]. Malgré ce caractère réputé difficile, Tazieff travaille toujours en équipe et reste fidèle à ses collaborateurs au fil des années. Il se lie d'amitié avec d'autres précurseurs en volcanologie, notamment l'école italienne de Giorgio Marinelli et Franco Barberi avec qui il montera de nombreux projets, ou encore avec Alfred Rittmann, volcanologue suisse de vingt ans son aîné[10].
En 1966, Haroun Tazieff cumule les récompenses : prix Jean-Walter de l'Académie française, prix de l'Académie des sciences, Oscar du courage français. La même année sort en salle son deuxième long métrage, Le Volcan interdit, réalisé avec Chris Marker, qui est un énorme succès et sera nommé aux Oscars[22]. La popularité de Tazieff auprès du grand public et des médias, qui voient en lui un aventurier tout autant qu'un scientifique chevronné, est alors à son apogée[3]. Cela, ajouté à son parcours atypique (il n'a pas suivi le cursus universitaire classique avec obtention d'un doctorat dans sa spécialité), lui vaudra le rejet par une partie de la communauté scientifique[23].
Tazieff est un des premiers à s'intéresser à la prévision des dangers engendrés par les volcans. Dans les années 1960 et 1970, il mène plusieurs missions à travers le monde en tant qu'expert pour l'UNESCO, afin d'estimer et prévenir les risques éruptifs auprès des populations lorsqu'un volcan se réveille[HT 5] : Chili (1961), Costa Rica (1964), Indonésie (1964-1965), Islande (1973), Équateur (1976), Nicaragua (1977). Son intervention la plus décisive se déroule en 1964 lors de l'éruption de l'Irazú au Costa Rica. Il préconise des travaux d'urgence de terrassements et d'aménagements de digues de remblai, permettant de préserver plusieurs villages des lahars[HT 5].
Consécration au CNRS (1967-1975)
Haroun Tazieff entre au CNRS en 1967 et devient directeur de recherche en 1972. La même année, il devient directeur du laboratoire de volcanologie au sein du Centre des faibles radioactivités du CEA à Gif-sur-Yvette, entité qui se spécialise dans l'étude des gaz éruptifs[23]. Il est aussi nommé chef de service au sein de l'IPGP et responsable des observatoires de surveillance volcanologique des départements d'outre-mer. Il dirige ainsi un programme de recherches coordonnées entre ces différentes entités. La direction scientifique du CNRS cautionne de fait, sur le tard, la démarche de Tazieff en lui accordant son plein soutien et les moyens matériels dont il a besoin. Mais celui-ci reste peu adepte de la science de bureau et de laboratoire et allergique aux longues procédures administratives[3].
Il s'empresse de monter, avec ses amis de l'Institut de volcanologie de Catane, une expédition franco-italienne en Afar (Éthiopie), dont le désert des Danakil est difficilement accessible, expédition dont il a le projet depuis longtemps pour prolonger ses découvertes d'éruptions sous-marines en mer Rouge vingt ans auparavant (il a fait plusieurs tentatives avortées en 1963 et 1966)[23]. L'expédition est fructueuse, avec notamment la découverte de deux lacs de lave permanents dans le cratère de l'Erta Ale. Vu la richesse géologique de ce territoire, d'autres expéditions suivent pendant une dizaine d'années[24]. De l'aveu même de Tazieff, ces travaux de recherche en Afar sont ce dont il est le plus fier dans sa carrière[23]. Le premier enseignement est que la dorsale océanique de la mer Rouge se poursuit à terre par la chaîne volcanique de l'Erta Ale pour rejoindre le grand rift africain, confirmant la continuité de l'activité volcanique le long des frontières de plaques tectoniques[24]. Le deuxième enseignement est que, contre toute attente, les laves de l'Erta Ale sont de nature océanique et non pas continentale. Le magma remonte directement depuis le manteau terrestre. C'est donc un segment d'océan en formation et exposé à l'air libre. Ces découvertes majeures viennent confirmer la toute nouvelle théorie de la tectonique des plaques[24].
Polémiques autour de la Soufrière (1976)
La crise de la Soufrière de Guadeloupe en 1976 amène sur le devant de la scène les dissensions qui règnent entre scientifiques et politiques, mais également au sein de la communauté scientifique[25]. Tazieff s'oppose à Claude Allègre, le directeur de l'Institut de physique du globe de Paris dont il dépend, sur les risques encourus et sur les recommandations à faire aux autorités. Chacun des deux hommes représente un camp qui ne fait pas la même analyse géologique de l'éruption, de ses causes et de ses conséquences. L'accalmie du volcan après plusieurs semaines montre que Tazieff avait raison. Mais son franc-parler déplaît et la fracture restera au sein de la communauté scientifique[26].
Une fois le volcan calmé, l'affaire se termine à Paris. En , Tazieff est suspendu de ses fonctions de chef de service à l'IPGP[26]. Dans la foulée, il décide de démissionner et quitte ainsi définitivement l'Institut parisien. Tazieff ressort marqué par la tournure politique de l'affaire, et se méfie désormais de tous les gens qu'il ne connaît pas personnellement. Sa fin de carrière scientifique se fera avec les derniers fidèles[4].
Dernières expéditions (1977-1981)
En 1978 et 1980, Tazieff organise successivement deux expéditions sur l'Erebus, un volcan difficile d'accès en Antarctique, où il découvre un lac de lave permanent[27] et réussit à prélever des échantillons de fumerolles malgré une météorologie extrême et des déboires matériels qui en découlent[HT 6]. Il réalise ainsi ses rêves de jeunesse d'explorateur polaire. Ces expéditions restent cependant un demi-échec sur le plan scientifique, l'équipe ne parvenant pas à descendre jusqu'au fond du cratère pour effectuer tous les prélèvements envisagés. Un autre explorateur français, Jean-Louis Étienne, connaîtra les mêmes déboires sur l'Erebus une dizaine d'années plus tard. De cette aventure, Tazieff tire une fois de plus une œuvre écrite destinée au grand public, qui sera saluée par la critique pour sa narration vivante et pleine de poésie[HTcom 2]. C'est la dernière du genre, les œuvres suivantes ayant pour sujet l'écologie, la politique et les médias, ou les séismes.
Dans le cadre du CEA, il s'implique dans l'étude des risques sismiques en France, ce qui est l'autre grand sujet de sa fin de carrière[10]. Il prend conscience que la France métropolitaine est exposée à un risque réel de séisme destructeur. Il s'engage alors pour faire reconnaître ce danger auquel le public et les gouvernants sont peu sensibilisés à l'époque.
Il quitte le CNRS en 1981 et se consacre à sa carrière politique[4].
Carrière politique
Prémices
Impliqué dans la politique locale, Haroun Tazieff est maire de 1979 à 1989 de la petite commune de Mirmande, dans la Drôme provençale, qu'il arrive à préserver de la bétonisation touristique[28].
Responsabilités nationales (1981-1986)
C'est le soutien de Tazieff à François Mitterrand au long de la « traversée du désert » de celui-ci, autant que sa renommée mondiale de volcanologue, qui lui valent un destin national. Il est également proche de l'association écologique des Amis de la Terre, thème qui a le vent en poupe et fait irruption dans le paysage politique de l'époque. Tazieff est nommé responsable de la prévention des risques naturels et technologiques majeurs lorsque Mitterrand devient président de la République en 1981. Tout d'abord, avec la création, dans le gouvernement Mauroy, du Commissariat à l'étude et à la prévention des risques naturels majeurs[29], dont Tazieff prend la tête. Puis en 1983, en tant que secrétaire d'État aux risques naturels et technologiques majeurs dans le gouvernement Fabius. Finalement, le décret du [30] créé une délégation aux risques majeurs, le secrétariat d’État et la délégation étant rattachés directement au Premier ministre.
L'œuvre principale est la loi du [31] — relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles (art. L.125-1 à L.125-6 du Code des assurances) — qui fixe pour objectif d’indemniser les victimes de catastrophes naturelles en se fondant sur les principes de mutualisation du risque et de solidarité entre les assurés[32]. Elle comporte également dans son article 5 une autre nouveauté : l'obligation pour l'État d'élaborer et de mettre en application des plans d'exposition aux risques naturels prévisibles (PER)[33]. Ils valent servitude d'utilité publique et sont annexés aux plans d'occupation des sols (POS), conformément à l'article R 123-10 du Code de l'urbanisme. Les risques pris en compte sont les inondations, les avalanches, les mouvements de terrain (glissements, éboulements, chutes de pierre), les séismes. Ses réalisations sont déterminantes pour imposer la construction parasismique dans les régions menacées par les tremblements de terre[10].
Tazieff est également corédacteur en 1981 avec Philippe Chartier du rapport « Maîtriser l'énergie »[34] à destination du ministère de la Recherche et de l'Industrie. Ce rapport pointe du doigt le choix du « tout nucléaire » et pose les bases de la loi d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique (loi Chevènement du 15 juillet 1982). Un ambitieux programme est voté en faveur du développement des énergies renouvelables, en premier lieu le solaire et la géothermie. Cela aboutit à la création l'année suivante de l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME), devenue depuis 1991 l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)[34].
Élu régional et départemental (1988-1995)
Le poste de secrétaire d'État est supprimé dans le gouvernement Chirac de 1986, issu de la première cohabitation. Tazieff accepte quelques missions du nouveau ministre de l'Environnement Alain Carignon, qui lui propose alors de poursuivre son travail sur un département pilote. Ce sera l'Isère. Tazieff est successivement élu conseiller général de l'Isère de 1988 à 1994, conseiller municipal de Grenoble durant le mandat de maire d'Alain Carignon, de 1989 à 1995, puis conseiller régional de Rhône-Alpes de 1992 au , date de sa démission pour raisons personnelles[4]. Pour chacun de ces postes, il s'implique plus particulièrement dans les questions de prévention des risques naturels. Tazieff milite ainsi, autant au niveau national que régional ou local, pour une meilleure prévention des catastrophes auprès des populations et pour la coordination des moyens de secours (armée, sécurité civile, Samu)[35]. Par ailleurs, il critique l'urbanisation galopante dans certaines zones inondables comme la plaine du Var à Nice[36].
Tazieff ne conçoit la politique que dans son sens le plus noble : servir le pays et la société[10]. De plus, son caractère le pousse à dire la vérité, au risque de choquer. Incompatible avec le monde politique et déçu par ceux qu'il croyait être des amis, il s'en détourne progressivement, bien avant sa démission[3], et consacre ses dernières années à l'écriture de sa biographie et à la sensibilisation du public aux questions de protection de l'environnement.
Vie privée
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Haroun Tazieff se met en couple avec une amie d'enfance, Betty Lavachery. En , un enfant naturel vient au monde, Frédéric Lavachery, qui porte le nom d'épouse de sa mère mariée à Jean Lavachery, officier belge prisonnier en Allemagne jusqu'en 1945[37],[38].
Dès 1950, il se lie à Pauline de Ways-Ruart d'Elzius (1914-1953)[39], qui a de lui un enfant, lequel sera reconnu et éduqué par l'ex-mari de Pauline, François de Selys Longchamps. Tazieff épouse Pauline en 1953. Celle-ci meurt à peine quelques mois plus tard, atteinte d'un cancer foudroyant[10]. Il se remarie en 1958 avec France Depierre (morte en 2006), une amie de longue date rencontrée en 1939 lors d'un séjour dans les Alpes[37].
Tazieff est un ami proche du dessinateur belge Hergé qu'il fréquente lors de ses séjours à Bruxelles. Le dessinateur compare souvent Haroun Tazieff à Jules Verne[40]. Jean Cocteau, également proche, préfère surnommer Tazieff le « poète du feu »[41].
Mort et hommages
Haroun Tazieff meurt le (à 83 ans) à Paris des suites d'un cancer[42] et est enterré au cimetière de Passy, dans le 16e arrondissement parisien, 11e division. Sa tombe figure une fresque précolombienne : le sarcophage de Palenque.
La presse francophone, nationale et internationale, salue la mémoire de ce scientifique proche du grand public. L'Humanité voit en lui un des derniers aventuriers-explorateurs à la française, à l'instar de Cousteau ou Victor[42]. Le quotidien belge Le Soir décrit un pionnier qui a érigé la volcanologie, auparavant simple passe-temps naturaliste, en une véritable science[7]. Le journal libanais L'Orient-Le Jour retient ses succès cinématographiques et son aura auprès du grand public[19]. Le Monde rappelle ses engagements politiques écologiste et antinucléaire[41].
Les journaux anglophones, britanniques et américains, saluent avant tout le vulgarisateur et l'artiste qui a fait rêver le monde entier avec ses images spectaculaires d'éruption, et dont les films ont permis d'éduquer aux risques encourus les populations vivant à proximité de volcans. Ils reconnaissent également son accomplissement scientifique, qui, allié à son charisme, a permis de faire évoluer la perception de la volcanologie par les institutions et les autorités, et ainsi obtenir les moyens de développer cette science nouvelle[43],[44].
Certains journalistes le surnomment « monsieur catastrophe », par sa propension, d'une part, à ne vouloir étudier que des volcans représentant un danger imminent, et, d'autre part, par celle à prédire, lors de sa fin de carrière politique, des catastrophes naturelles, aussi bien d'origine volcanique que des séismes ou des inondations[44],[45].
Le volcanologue américain Alexander McBirney lui rend un hommage appuyé dans la célèbre revue scientifique Nature. Il décrit Tazieff comme un esprit brillant, iconoclaste et provocateur, tout en étant soucieux de ses responsabilités sociétales. McBirney conclut que la science moderne, qui est de plus en plus détachée de l'humain et de la réalité du terrain, aura toujours besoin de personnes comme lui[46].