Haut fourneau
installation destinée à désoxyder et fondre les métaux contenus dans un minerai par la combustion / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Un haut fourneau[note 1] est une installation industrielle destinée à simultanément désoxyder et fondre les métaux contenus dans un minerai, par la combustion d'un combustible solide riche en carbone. En général[note 2], le haut fourneau transforme du minerai de fer en fonte liquide, en brûlant du coke qui sert à la fois de combustible et d'agent réducteur. Bien que la fonte produite soit un matériau à part entière, cet alliage est généralement destiné à être affiné dans des aciéries.
Le haut fourneau produit de la fonte en fusion, par opposition au bas fourneau, qui produit une loupe de fer solide. Il en est pourtant une évolution directe, mais il ne s'est généralisé que lorsqu'on a su valoriser la fonte produite. Ainsi, la Chine développe dès le Ier siècle l'usage du haut fourneau en même temps que la fonderie. L'Occident ne l'adopte qu'après le XIIe siècle, avec la mise au point des méthodes d'affinage de la fonte en acier naturel. C'est là qu'il évolue vers sa forme actuelle, la généralisation du coke et du préchauffage de l'air de combustion contribuant à la première révolution industrielle.
Devenu un outil géant, sans que son principe fondamental ne change, le haut fourneau est maintenant un ensemble d'installations associées à un four. Malgré l'ancienneté du principe, l'ensemble reste un outil extrêmement complexe et difficile à maîtriser. Son rendement thermique et chimique exceptionnel lui a permis de survivre, jusqu'au début du XXIe siècle, aux bouleversements techniques qui ont jalonné l'histoire de la production de l'acier.
Qu'il soit « cathédrale de feu » ou « estomac »[SF 3], le haut fourneau est aussi un symbole qui résume souvent un complexe sidérurgique. Il n'en est pourtant qu'un maillon : situé au cœur du processus de fabrication de l'acier, il doit être associé à une cokerie, une usine d'agglomération et une aciérie, usines au moins aussi complexes et coûteuses. Mais la disparition de ces usines, régulièrement annoncée au vu des progrès de l'aciérie électrique et de la réduction directe, n'est pourtant toujours pas envisagée.
Pour un article plus général, voir Histoire de la production de l'acier.
Éléments étymologiques
Du point de vue du lexique, l'histoire du mot devance en quelque sorte l'histoire de l'objet. On rencontre en effet « haut fourneau » dès le XVe siècle, mais jusqu'au XIXe siècle, cette appellation côtoie régulièrement d'autres appellations comme « fourneau », « fourneau à fer », « fourneau de fusion », « grand fourneau », « fourneau élevé », etc. Ces noms renvoient tous à un fourneau de coulée par opposition au bas fourneau à loupe. Mais les hauteurs, qui varient de 5 à 20 mètres, ne déterminent pas le nom. Dans les relevés, nombre de fourneaux sont en effet plus hauts que des hauts fourneaux[SF 4]. Ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle, que l'objet rejoint le nom. Comme l'écrit Roland Eluerd : « Poli par quatre siècles d'histoire, le nom haut fourneau pouvait devenir le pur symbole de la modernité, superbe présent du passé au vocabulaire d'une sidérurgie où le fourneau, dressé à plus de quarante mètres, véritable signal de l'entreprise, deviendrait incontestablement le haut fourneau[2]. »
Le français correspond ainsi avec l'appellation Hochofen issue du francique. À l'inverse, le mot anglais blast furnace se réfère à une caractéristique fondamentale du haut fourneau, l'injection forcée de l'air de combustion, le « vent ».
Le bas fourneau
Le premier outil de réduction du minerai a été le bas fourneau. Dans sa forme la plus primitive, appelée « bas foyer », c'est un trou dans le sol d'environ 30 cm de diamètre, rempli de charbon de bois et de minerai. Le feu est généralement attisé au moyen d'un soufflet construit comme une outre en cuir. Au bout d'une dizaine d'heures, on démolit le four et récupère une loupe incandescente, de la taille du poing, mélange hétérogène de fer plus ou moins réduit et de scories[J 1],[SF 5]. Bien que la température atteinte, entre 700 et 900 °C, y soit suffisante pour la réduction du minerai de fer, c'est loin de la température de fusion du fer, de 1 535 °C[3].
L'évolution vers le bas fourneau « classique » consiste à surélever la construction et à la doter d'une ouverture latérale à sa base pour faciliter l'alimentation en air. Une courte cheminée facilite le rechargement du four pendant son fonctionnement, tout en activant le tirage. Des températures de 1 000 à 1 200 °C sont ainsi atteintes et les scories, devenues liquides, peuvent être extraites par l'ouverture[4].
La teneur en fer de ces scories, appelées laitier, diminue lorsque la température augmente. On attise alors le feu en renforçant le tirage naturel par augmentation de la hauteur en adossant, par exemple, la construction à un talus. De même, des soufflets permettent une alimentation en air plus efficace et mieux contrôlée. Ces « fourneaux à tirage naturel » et « à soufflets »[SF 6] produisent une loupe pesant de quelques kilogrammes à plusieurs quintaux à l'issue d'une campagne de 4 à 20 heures. Cette loupe est immédiatement débarrassée des morceaux de charbon et du laitier par un cinglage alterné avec plusieurs réchauffages, et finalement forgée pour obtenir les objets souhaités[J 2]. En Europe occidentale, ces installations et les forges attenantes, dites « renardières »[SF 7], restent répandues jusqu'au XVIIIe siècle. Elles emploient alors de 5 à 10 hommes, la capacité des bas fourneaux de cette époque se situant à environ 60 à 120 t de loupes par an, et consomment 270 kg de charbon de bois pour 100 kg de fer[J 3].
Le Japon importe le bas fourneau du continent vers le VIIIe siècle. La technique y est perfectionnée jusqu'à aboutir, au XVe siècle, au tatara. La configuration du four change suivant le produit recherché : les tataras hauts de 0,9 à 1,2 m sont destinés à la fabrication de l'acier ; au-delà de 1,2 m ils produisent de la fonte blanche qui n'est extraite du four qu'après sa solidification. La faible perméabilité des sables ferrugineux utilisés limite la hauteur à 1,6 m, et bloque donc l'évolution vers le haut fourneau. Utilisé jusqu'au début du XXe siècle, le tatara, dans sa forme finale, consiste en une structure industrielle pérenne, destinée à l'exploitation d'un four en forme de grande baignoire, et produisant quelques tonnes de métal au cours d'une campagne d'environ 70 heures, durée à laquelle on doit ajouter la construction du four[5],[J 4].
En Afrique, les traces les plus anciennes de fours sidérurgiques sont des loupes de fer et de carbone découvertes en Nubie (notamment à Méroé) et à Aksoum, et datées de 1000 – 500 av. J.-C.[6],[7]. Des bas fourneaux à tirage naturel sont utilisés sur ce continent jusqu'au début du XXe siècle. Certains, d'une hauteur de 1 à 3 m, sont aménagés dans des termitières convenablement évidées et dans lesquelles on édifie un fourneau en argile. Des tuyères en céramique insérées à la base du fourneau permettent une alimentation adéquate en air. Au bout d'environ vingt heures, on récolte une loupe grosse comme un ballon de football. De tels bas fourneaux, typiques du pays de Bassar au Togo, utilisent le minerai très pur de Bandjéli[J 1].
Invention du haut fourneau
En Chine
Les Chinois commencent à faire fondre le fer dès le Ve siècle av. J.-C., durant la période des Royaumes combattants[8] pendant laquelle les outils agricoles et les armes en fonte deviennent très répandus, tandis que les fondeurs du IIIe siècle av. J.-C. emploient des équipes de plus de deux cents hommes[9].
Le fer, issu d'une loupe obtenue au bas fourneau, est alors fondu dans des fours semblables au cubilot. Mais lorsque le fer chaud entre au contact avec le charbon de bois, il absorbe le carbone contenu dans le combustible jusqu'à s'en saturer. On obtient alors de la fonte, plus facile à fondre que le fer[note 3], homogène et débarrassée des impuretés présentes dans la loupe. Les Chinois développent l'élaboration de tous les composés du fer : outre l'affinage et le mazéage de la fonte[note 4], on fabrique au Ier siècle av. J.-C. de l'acier en mélangeant du fer et de la fonte[12],[10].
En 31 ap. J.-C., le Chinois Du Shi améliore la ventilation avec l'utilisation de la force hydraulique pour mouvoir le soufflet[13]. La combustion est plus vigoureuse et les premiers hauts fourneaux, qui produisent de la fonte directement à partir du minerai, apparaissent en Chine au Ier siècle, pendant la dynastie Han[9],[14]. Ces hauts fourneaux primitifs sont construits en argile et utilisent un additif, une « terre noire » contenant du phosphore[note 5] (peut-être la vivianite[10]) comme fondant[15]. L'amélioration de Du Shi permet aussi à l'air de combustion de traverser une charge plus haute et les fours atteignent alors des dimensions imposantes : des restes d'un creuset ovale de 2,8 × 4 m posé sur un socle de terre de 12 × 18 m, avec des vestiges d'installations périphériques (rigole, mécanisme de hissage du minerai, soufflets, etc.) ont été retrouvés[16]. Cet accroissement de taille, caractéristique du « haut » fourneau, contribue à l'obtention d'une température plus importante[note 6].
Durant la dynastie Han, la technique se développe, l'industrie du fer est même nationalisée[SF 8]. L'usage des hauts fourneaux et des cubilots reste répandu pendant les dynasties Tang et Song[18]. Au IVe siècle, l'industrie chinoise du fer limite la déforestation en adoptant la houille pour fondre le fer et l'acier. Cependant, si les procédés mis au point garantissent l'absence de contamination du métal par le soufre contenu dans la houille, il n'y a pas de traces d'un usage combiné de la houille avec le haut fourneau. En effet, seul le charbon de bois a une qualité compatible avec l'utilisation au haut fourneau, car il doit être en contact avec le minerai pour pouvoir jouer son rôle d'agent réducteur[19],[20].
Au XIXe siècle, ces hauts fourneaux ont la forme d'un tronc de cône renversé, de 2 m de haut, d'un diamètre interne évoluant de 1,2 à 0,6 m du sommet vers la base. Les murs sont en argile et renforcés d'un treillis en fer. La sole peut être inclinée d'environ 30° pour une récolte plus commode de la fonte. Il est chargé avec de la limonite ou du minerai de fer houiller et, selon la construction, avec du charbon de bois ou du coke. Le vent est injecté par une soufflante à pistons. Un tel appareil produit alors de 450 à 650 kg de fonte par jour, avec une consommation de 100 kg de coke pour 100 kg de fer produit[J 5].
Cette technologie ne disparaît qu'au début du XXe siècle. On retrouve vers 1900 un haut fourneau similaire dans le Bulacan, aux Philippines[J 6]. Plus tard encore, le « haut fourneau dans la cour » prôné par Mao Zedong pendant le Grand Bond en avant est de ce type. L'expérience n'est un échec technique que dans les régions où le savoir-faire n'existe pas, ou a disparu.
En Europe
Le bas fourneau est, pendant tout le Moyen Âge, un procédé nomade, qu'on édifie en fonction des affleurements de minerai et de la disponibilité du combustible[F 1] mais, au début du XIIIe siècle, des fourneaux plus efficaces apparaissent. Ceux-ci, en utilisant l'énergie hydraulique pour souffler l'air de combustion, deviennent plus gros et valorisent mieux le combustible. Ces « fours à masse » sont des bas fourneaux dont la cuve est conservée : l'extraction de la loupe se fait par une grande ouverture à la base du four. Un exemple abouti de ce type de four est le Stückofen[note 7],[21], de section carrée et maçonné, qui s'élève à 4 m au Moyen Âge, jusqu'à atteindre 10 m au XVIIe siècle pour ceux de Vordernberg en Styrie, alors un centre de production de fonte d'Europe centrale[J 7]. Capables d'atteindre des températures de l'ordre de 1 600 °C, ces fours pouvaient fondre partiellement ou totalement le métal. Appelés dans ce dernier cas Flussofen (c'est-à-dire « fours à fondre »), ce sont d'authentiques hauts fourneaux produisant de la fonte en fusion[SF 9].
Cette évolution, du bas fourneau vers un four à masse si élaboré qu'il peut produire de la fonte en fusion, se produit en Europe en divers endroits, du XIIe au XVe siècle[SF 10]. Le lieu et la date précise d'apparition des premiers hauts fourneaux ne sont pas encore établis avec certitude : les plus anciens hauts fourneaux européens attestés sont des vestiges de Lapphyttan, en Suède, où le complexe a été actif de 1150 à 1350[22],[23]. À Noraskog, dans la paroisse suédoise de Järnboås, on a aussi trouvé des traces de hauts fourneaux encore plus anciens, datant peut-être de 1100[24]. En Europe continentale, des fouilles ont mis au jour des hauts fourneaux en Suisse, dans la vallée de Dürstel, près de Langenbruck, et datés entre les XIe et XIIIe siècles[25]. On a aussi identifié en Allemagne un four produisant de la fonte en fusion (un Flussofen) dans la vallée de la Kerspe daté de 1275[26] et, dans le Sauerland, des hauts fourneaux originaux[note 8] et datés du XIIIe siècle[27]. Enfin, en France et en Angleterre, les cisterciens étudient et propagent les meilleures technologies métallurgiques : l'efficacité de leur fours à masse s'avère très proche de celle d'un haut fourneau[28],[29].
Une transmission de la technologie de la Chine vers l'Europe est envisageable mais n'a jamais été démontrée. Au XIIIe siècle, Al-Qazwini note la présence d'une industrie du fer dans les monts Elbourz au sud de la mer Caspienne, dont les techniques auraient pu arriver par la route de la soie[30]. Cette technologie aurait pu alors rayonner vers l'Europe, vers la Suède, suivant la route commerciale des Varègues (Rus') le long de la Volga, ou vers le Nord de l'Italie où, en 1226, Le Filarète décrit un procédé en deux temps à Ferriere[30], avec un haut fourneau dont la fonte était coulée deux fois par jour dans de l'eau pour en faire un granulé[31].
S'il est plus probable que le haut fourneau soit apparu en Scandinavie et ailleurs indépendamment des inventions chinoises[23], la généralisation du haut fourneau en Europe s'amorce dans les Pays-Bas bourguignons entre Liège et Namur au milieu du XIVe siècle[32]. C'est la mise au point d'un procédé efficace d'affinage de la fonte, la « méthode wallonne », qui permet la production massive d'acier naturel[21]. De là, les hauts fourneaux se répandent en France, dans le pays de Bray (Normandie), puis en Angleterre, dans le Weald (Sussex)[33].
Au XVIe siècle, les besoins de l'artillerie, dopés par le succès du canon à la bataille de Marignan, vont accélérer la création de grandes forges chauffées au bois. 20 à 30 sont construites tous les ans, s'ajoutant aux 460 déjà existantes. En 1546, François 1er doit en réduire le nombre pour limiter la destruction des forêts. Des bassins se dessinent, spécialistes de cette activité. Liège devient le centre métallurgique de l'Europe[34].
En effet, contrairement aux Chinois, si « les Européens ont fait de la fonte en Suède vers le XIIIe siècle, ils ne l'ont pas employée pour faire des moulages. Nous n'avons ni pots, ni poêles (pour la cuisson), ni cloches, ni plaques de foyer datant de cette époque[23]. » Outre la mise au point de méthodes d'affinage de la fonte (méthodes wallonne, champenoise, osmond, etc.), l'activité devient de plus en plus capitalistique. Les besoins en bois et en minerai, ainsi que la disponibilité de l'énergie hydraulique, sont critiques. En 1671, les bas fourneaux de Putanges, en Basse-Normandie, sont vendus en bloc pour 500 livres, pour être remplacés par un haut fourneau loué 1 200 livres par an[F 2]. Cette contrainte explique la survivance de bas fourneaux perfectionnés, comme la forge catalane qui, en France, ne disparaît qu'au début du XIXe siècle, lorsque le procédé Thomas se généralise[G 1].
Haut fourneau moderne
Fonte au coke
La production de fonte, comme sa conversion en fer, reste très contrainte par ses besoins en bois. La consommation de combustible est considérable : pour obtenir 50 kg de fer par jour, il faut quotidiennement 200 kg de minerai et 25 stères de bois ; en quarante jours, une seule charbonnière déboise une forêt sur un rayon de 1 km[35],[F 1]. Ceci ne pose pas de problème tant que les défrichages sont utiles au développement de l'agriculture, mais au XIIIe siècle une limite est atteinte : les forêts gardent un rôle nourricier important, le bois est indispensable à la construction et au chauffage et la noblesse tire des revenus de l'exploitation forestière[36],[37]. Dès lors, la coupe du bois devient de plus en plus règlementée[36].
Le charbon, comme combustible et agent réducteur, avait été adopté par les Chinois durant la période des Royaumes combattants au IVe siècle av. J.-C.[8]. Bien qu'ils aient mis au point un fourneau au charbon où ce combustible n'entrait pas en contact avec le fer[11], et que la houille ait été largement utilisée en complément du bois dans les forges au XVIIIe siècle, le remplacement du charbon de bois par cette roche dans un haut fourneau ne donnait que des fontes de mauvaise qualité[F 3].
En effet, la houille contient des éléments qui, faute de post-traitement approprié (le mazéage), modifient la qualité de la fonte. Le silicium, en limitant la solubilité du carbone dans le fer, provoque la formation de lamelles de graphite qui affaiblissent le métal[L 1]. Le soufre est plus problématique : il est un élément fragilisant et affaiblissant dès que sa teneur dépasse 0,08 %[SF 11]. Lorsqu'il se combine au manganèse, fréquent dans les minerais de fer, il dégrade considérablement les qualités des aciers[L 1]. Contrairement au cas du silicium, l'extraction du soufre dissous dans la fonte liquide est difficile car il ne peut être consumé par de l'air.
Abraham Darby réalise en 1709 la première coulée de fonte au coke[note 9], dans le petit haut fourneau de Coalbrookdale qu'il avait loué[J 8],[38] :
« Il lui vint à l'esprit qu'il était envisageable de fondre le fer dans le haut fourneau avec du charbon de terre, et, de là, il tenta premièrement d'utiliser du charbon brut, mais cela ne marcha pas. Il ne se découragea pas, transforma le charbon en cendre, comme cela est fait avec le touraillage du malt, et obtint enfin satisfaction. Mais il découvrit qu'une seule sorte de charbon de terre était la mieux adaptée[note 10] à la fabrication de fer de bonne qualité[38]… »
— T. S. Ashton, Iron and Steel in the Industrial Revolution
Communiquant très peu sur les détails du procédé[40], les Darby améliorent continuellement le procédé et la qualité de la fonte produite. Vers 1750, Abraham Darby II parvient à convertir sa fonte au coke en acier de bonne qualité[38]. Mais, avant la généralisation du puddlage au début du XIXe siècle, il n'existe alors pas de procédé capable de convertir toute la fonte produite[E 1]. L'adoption de la fonte moulée pour la fabrication d'objets résistants et bon marché est un élément clé de la révolution industrielle[41],[42].
La généralisation du coke est lente, à la fois en raison de sa qualité souvent médiocre et des réticences de certains maîtres de forges, mais également à cause du protectionnisme pratiqué par les pays producteurs (France, Allemagne…) vis-à-vis de l'expansion de la sidérurgie britannique[F 4]. En 1760, le Royaume-Uni ne compte encore que 17 hauts fourneaux au coke mais 20 ans plus tard, le nouveau procédé s'y est généralisé[43].
En effet, s'affranchissant de la faible disponibilité du charbon de bois, la production de fonte britannique explose. En 1809, un siècle après l'invention de la fonte au coke, la production annuelle atteint 400 000 tonnes, alors que celle de fonte au charbon de bois oscille entre 15 000 et 25 000 tonnes sur cette même période. Après cette date, les hauts fourneaux au charbon de bois disparaissent du pays[43], alors qu'en France et en Allemagne, la production au coke est encore très marginale malgré quelques essais encourageants (en 1769 à Hayange[40] et en 1796 à Gleiwitz[E 1]). Mais dès la fin des guerres avec l'Angleterre, le procédé se développe sur le continent[40]. La sidérurgie américaine, quant à elle, moins contrainte par la disponibilité en bois, développera l'usage de l'anthracite, abondant en Pennsylvanie, avant de l'abandonner progressivement au profit du coke[44].
Au XIXe siècle, l'utilisation du coke permet un changement radical dans la technique. Outre la disponibilité de ce combustible, sa résistance à la compression à haute température permet de conserver une bonne perméabilité au gaz réducteur[45]. La hauteur des hauts fourneaux atteint alors vingt mètres, ce qui améliore significativement le rendement thermique. L'augmentation de taille modifie aussi l'aspect du four : l'ancienne architecture pyramidale en maçonnerie est remplacée par une construction plus légère et plus solide en fer. Mieux refroidi, le revêtement réfractaire dure aussi plus longtemps[T 1].
En raison de sa qualité, la fonte au charbon de bois survit cependant, avec des productions très faibles. Bessemer, lors de la mise au point de son procédé, le destine à l'affinage de fontes suédoises au charbon de bois[46]. Au début du XXIe siècle, on rencontre encore quelques hauts fourneaux au charbon de bois d'eucalyptus, essentiellement au Brésil[47].
Vent chaud
Doper la productivité du haut fourneau en y insufflant un vent préchauffé est une démarche logique : pendant la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.), les Chinois faisaient passer l'alimentation en vent au-dessus du gueulard pour y récupérer la chaleur[48].
Pourtant, la technique se perd. Il faut attendre 1799 pour qu'un ingénieur nommé Seddeger défende l'idée, et qu'un autre, Leichs, la valide par des expériences de 1812 à 1822[49]. Mais, en 1828, lorsque l'Écossais Neilson en brevette le principe, ces recherches sont accueillies avec un certain scepticisme[50] :
« Sa théorie était en total désaccord avec la pratique établie, qui privilégiait un air le plus froid possible, l'idée communément admise étant que la froideur de l'air en hiver expliquait la meilleure qualité de la fonte alors produite. À partir de ce constat, les efforts des maîtres de forges s'étaient toujours dirigés vers le rafraîchissement de l'air insufflé, et divers expédients avaient été inventés dans ce but. Ainsi les régulateurs étaient peints en blanc, on passait l'air sur de l'eau froide et dans quelques cas, les pipes d'injection avaient même été entourées de glace. Quand donc Neilson proposa d'inverser entièrement le processus et d'employer de l'air chaud au lieu du froid, l'incrédulité des maîtres de forges est facilement imaginable[50]… »
— R. Chambers, Biographical Dictionary of Eminent Scotsmen
En effet, personne n'avait alors compris que l'avantage de l'air froid réside uniquement dans le fait qu'il est plus sec[51]. Mais Neilson, qui est un industriel, convainc les directeurs de la Clyde Iron Works de réaliser quelques essais en 1829, qui s'avèrent encourageants[50]. Il y devient vite capable d'atteindre 150 °C et, trois ans plus tard, Calder Works met en œuvre un air à environ 350 °C[49].
Même en tenant compte de la consommation en combustible du réchauffeur[L 2], de type tubulaire[G 2], la chaleur apportée permet une économie globale de coke[note 11] pouvant atteindre un tiers tout en diminuant sensiblement la teneur en fer du laitier[53]. Enfin, alors que les chercheurs débattent de l'influence du vent chaud sur le comportement chimique et physique, les industriels comprennent vite que limiter les besoins en coke permet à la fois de mettre plus de minerai dans la même cuve et de diminuer la quantité de cendres à évacuer[T 3]. À l'inverse de l'usage du coke, qui avait mis presque un siècle à supplanter le charbon de bois, le procédé est rapidement adopté[note 12].
Un avantage de l'appareil de Neilson est qu'il se contente de charbon de qualité médiocre[T 5]. Cependant, le pouvoir calorifique des gaz de haut fourneau, qui s'enflamment spontanément en sortant du gueulard, n'avait échappé à personne : dès 1814, le Français Aubertot les récupérait pour chauffer quelques fours annexes de son usine[T 6]. En effet, ces gaz contiennent une faible proportion (environ 20 % à l'époque) de monoxyde de carbone, un gaz toxique mais combustible[T 7]. En 1837, l'Allemand Faber du Faur met au point le premier réchauffeur d'air fonctionnant au gaz de haut fourneau[L 3].
Il reste encore à mettre au point une installation de captation de gaz au gueulard qui n'interfère pas avec le chargement des matières. Faber du Faur prélève ces gaz avant que ceux-ci ne sortent de la charge, par des ouvertures ménagées dans l'épaisseur de la cuve, et les collecte dans une conduite annulaire. Les charges qui se trouvent au-dessus de ces ouvertures servent alors de fermeture[L 3]. En 1845, James Palmer Budd en brevette une amélioration, en prélevant les gaz sous le gueulard[T 8]. Enfin, en 1850, apparaît à Ebbw Vale le système de fermeture du gueulard avec une cloche, qui s'impose progressivement[T 9].
Ces gaz, qui ont traversé la charge, doivent être dépoussiérés pour ne pas colmater les fours : des pots à poussière, des cyclones et des filtres épurent ces fumées jusqu'à des teneurs en poussières de quelques milligrammes par normo mètre cube[T 10]. Ces installations tiennent compte des contraintes liées à la gestion d'un gaz toxique produit en grandes quantités[L 4].
Cependant, au-delà de 400 °C, même les meilleures chaudières métalliques se dégradent rapidement. Pour encourager le développement d'un réchauffeur efficace, Neilson se contente d'une modeste redevance d'un shilling par tonne produite avec son procédé[note 13].
Si un appareil de briques réfractaires permet des fonctionnements à des températures plus élevées, la faible conductivité thermique du matériau amène à un fonctionnement fondé sur l'accumulation et la restitution de chaleur au lieu de la conduction[L 5]. Fort de ce constat, l'ingénieur britannique Cowper dépose en 1857 un brevet[SF 13]. Les premiers essais démarrent dès 1860, aux usines de Clarence[G 3] et permettent de dépasser 750 °C[54], mais les briques, empilées en quinconce suivant l'idée de Carl Wilhelm Siemens, supportent mal le cyclage thermique[49],[L 6]. Cowper réagit en proposant la même année des améliorations qui préfigurent le four définitif : la flamme est éloignée des briques, et celles-ci comportent des canaux rectilignes[49].
Si les fours continueront encore d'évoluer, les principes techniques permettant d'atteindre une température de 1 000 °C grâce à une énergie jusque-là inutilisée sont adoptés : les « cowpers » deviennent indissociables du haut fourneau[SF 14].