Histoire de Nauru
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L'histoire de Nauru est celle d'une petite île de 21 km2 isolée au sein du Pacifique central et qui forme aujourd'hui un État indépendant : la république de Nauru. Les événements antérieurs à sa colonisation à la fin du XIXe siècle sont peu connus faute de sources écrites et en la quasi-absence de données archéologiques. Les faits postérieurs sont quant à eux intimement liés à l'histoire de son unique ressource : le minerai de phosphate.
L'une des hypothèses quant à l'origine des habitants de Nauru veut que cette population ait des origines à la fois mélanésiennes, micronésiennes et polynésiennes, les traits de cette dernière population dominant[1]. D'autres observateurs soulignent les ressemblances entre les Nauruans et les populations micronésiennes de l'est de l'archipel des Carolines[1]. Elle est découverte par les Européens le lorsque le capitaine britannique John Fearn s'approche de l'île[2]. Elle est alors successivement colonisée ou occupée par différentes puissances : l'Allemagne en 1888, l'Australie en 1920, le Japon de 1942 à 1945 puis à nouveau l'Australie en 1947. Nauru acquiert son indépendance le puis rejoint l'Organisation des Nations unies en 1999.
À partir de 1906, le gisement de minerai de phosphate de l'île est exploité par différentes compagnies coloniales ou étatiques. Le phosphate constitue quasiment la seule source de revenus de l'île durant presque un siècle et assure aux Nauruans un niveau de vie très élevé pendant plusieurs décennies. La non-anticipation de l'épuisement des réserves, conjuguée à des politiques économiquement imprévoyantes, plongent Nauru dans la faillite et l'instabilité politique à compter du début des années 1990. Essayant de diversifier ses sources de revenus, Nauru s'engage dans des expédients désespérés comme le blanchiment d'argent, la vente de passeports[3] ou la marchandisation de ses votes dans les instances internationales. L'arrivée depuis 2004 d'une nouvelle majorité au gouvernement et d'une nouvelle politique économique semble apporter une meilleure transparence dans les finances de l'État nauruan.
Les origines des Nauruans restent floues en l'absence de récit fondateur présentant l'arrivée de ses habitants. De nombreux indices plaident pour une implantation ancienne et de multiples vagues de peuplement, comme pour la plupart des îles[4]. L'une des hypothèses suppose des origines tant mélanésiennes, que micronésiennes et polynésiennes, ce dernier apport étant dominant[1]. Une autre hypothèse, s'appuyant sur la linguistique, souligne les liens des Nauruans avec les populations micronésiennes de l'est de l'archipel des Carolines. La langue nauruane contient cependant nombre d'éléments distincts qui la singularisent fortement par rapport aux autres langues micronésiennes[1], une spécificité s'expliquant par l'isolement géographique de Nauru, éloignée de plusieurs centaines de kilomètres des archipels les plus proches à l'est, tandis que dans les autres directions, d'immenses étendues d'eau entourent l'île, avec de forts courants océaniques orientés est-ouest ne permettait la navigation que depuis les îles Gilbert[4]. Nauru se trouvait ainsi à la fin d'une chaîne de communication partant de cet archipel ; s'il était possible de parvenir jusqu'à ses rivages, il n'était pas possible d'en repartir[4]. Ceci explique que l'on retrouve un certain nombre d'apports gilbertins dans la culture nauruane, jeux de ficelle, techniques de pêche, cosmogonie, alors que l'inverse ne se vérifie pas[4].
Lors de leur arrivée, les Nauruans s'installent le long de la bande côtière et dans la dépression de la lagune Buada, délaissant le plateau nauruan qui est improductif[1]. Ils sont répartis entre treize communautés côtières et un village implanté au bord de la lagune Buada dans l'intérieur, une disposition qui est à l'origine de l'organisation administrative actuelle en quatorze districts[4]. On estime que la population totale de l'île oscille alors entre 1 000 et 1 400 habitants, son accroissement naturel étant régulé par les périodes de sécheresse affectant régulièrement l'île[1]. En dehors de ces épisodes de faible pluviosité durant lesquels la disette menace, les conditions de vie sont bien meilleures à Nauru que dans beaucoup d'autres îles du Pacifique telle l'île voisine, Banaba, grâce à la profusion de ressources naturelles[1]. Outre les divisions territoriales, qui façonnent l'identité des habitants, ces derniers sont répartis en douze clans matrilinéaires et exogames[4], symbolisés de nos jours par le nombre de branches de l'étoile blanche du drapeau de Nauru[5], et en trois classes sociales, les temonibe comprenant la classe dirigeante, les amenename d'un rang moindre et les itsio, un groupe asservi constitué de réfugiés et de prisonniers de guerre[6].
Initialement les Nauruans tirent leurs moyens de subsistance de leur écosystème. Le cocotier dont on trouve d'importantes plantations sur la côte est un véritable « arbre de la vie » pour les Nauruans : sa sève, le toddy, est la principale source de vitamines sur l'île ; le contenu de son fruit, stocké, sert à surmonter les périodes de sécheresse ; les autres parties de l'arbre sont utilisées pour construire les maisons des îliens, confectionner des ustensiles, des vêtements, des tapis[6]. Le fruit du pandanus est un autre élément important de la diète des habitants[6]. Ils pratiquent aussi la pisciculture pendant des centaines d'années, capturant des poissons-lait dans le lagon et les relâchant dans la lagune Buada, au centre de l'île, et dans la lagune d'Anabar[7]. La pisciculture conditionne l'organisation sociale des différentes tribus : les exploitations sont partagées entre elles au moyen de murets, l'élevage des poissons est confié aux hommes qui pataugent régulièrement dans les bassins pour oxygéner l'eau et la charger en nutriments, les enfants ont interdiction de déranger les poissons lorsqu'ils se baignent dans les plans d'eau[7].
Premiers contacts avec les Européens
Comme pour la plupart des sociétés traditionnelles, l’entrée en contact des Nauruans avec des Européens a pour conséquence une ouverture vers le monde occidental. Cette interaction entre deux mondes se traduit par l'introduction de nouveaux produits : armes à feu, alcool, outils en métal, tabac que les insulaires commencent à échanger contre des produits locaux, essentiellement le coprah et la noix de coco, puis à acheter grâce à l'argent dont l'usage se répand. Ces changements conduiront à une déstructuration de la société traditionnelle, qui est par ailleurs régulièrement décimée par des maladies inconnues jusqu'alors comme l'influenza, la dysenterie et la tuberculose contre lesquelles les défenses immunitaires des Nauruans sont déficientes[8].
En 1798, au cours d'un voyage le menant de la Nouvelle-Zélande aux mers de Chine méridionale et orientale, le capitaine britannique du baleinier Hunter, John Fearn, est le premier Européen à s'approcher de Nauru[8]. Il la baptise Pleasant Island, en français « île Agréable », ce qui résume la bonne impression que lui fait cette île dont les habitants, qui viennent spontanément à la rencontre de son bateau à bord de nombreuses pirogues, ne sont ni armés, ni ornés de tatouages comme c'est souvent le cas en Océanie[8]. De son bateau, qu'il ne quitte pas, il observe les nombreux habitants qui se pressent sur les plages et il en conclut que l'île est populeuse[8]. Après ce bref contact, Nauru retrouve son isolement pendant plusieurs décennies.
Les premiers Européens à poser le pied sur l'île et à y vivre sont des repris de justice, des déserteurs de baleiniers, des vagabonds et des contrebandiers[8]. Patrick Burke et John Jones, deux bagnards irlandais échappés de l'île Norfolk destinée aux criminels déportés en Australie par le Royaume-Uni, sont les premiers à arriver sur l'île en 1830[8]. En 1837, cinq déserteurs de baleiniers débarquent sur l'île et rejoignent les huit autres Européens déjà présents[8]. John Jones commence alors à se comporter en dictateur vis-à-vis des autres Européens et des Nauruans[8]. Il dépouille de leurs biens les cinq nouveaux arrivants et empoisonne, tue par balle ou abandonne sur des pirogues à la dérive ceux qui se montrent rétifs à son autorité ou qu'il soupçonne de comploter contre lui[8]. Offensés par John Jones, les Nauruans le bannissent sur Ocean Island, aujourd'hui Banaba, à 300 kilomètres à l'est de Nauru[8]. Il tente de revenir au bout de quelques mois, mais les Nauruans le repoussent[8].
En 1845, seuls deux Européens vivent sur Nauru, dont William Harris, arrivé sur l'île en 1842[8]. Il s'intègre à la population, adopte ses coutumes et fonde une famille[8]. À partir de 1852, les Nauruans, encouragés par certains Européens, commencent à se livrer à des actes de piraterie et les navires évitent autant que possible d'approcher l'île[8]. Ce changement d'activité des Nauruans est une des conséquences de l'inefficacité croissante de la coutume nauruane de gestion des conflits par la négociation[8].
Guerre tribale
L'introduction des armes à feu déséquilibre les rapports de force entre les tribus nauruanes et les accrochages sporadiques au sujet de discordes se muent rapidement en une guerre tribale[9]. Elle se déclenche en 1878, lorsqu'un jeune chef est tué accidentellement par balle au cours d'un mariage[8]. L'escalade est alors rapide, chaque famille disposant d'une arme à feu et désirant se venger[8]. Contrairement aux autres conflits qui avaient été résolus, celui-ci ne trouve pas d'issue[8]. Une forme de guérilla commence alors à émerger où chaque incursion dans un territoire ou un village, chaque nouveau mort est prétexte à des combats au cours desquels même les femmes et les enfants sont abattus[8].
Le , un navire de la Royal Navy britannique s'approche de l'île pour évaluer la situation[8]. Le contrebandier nommé William Harris monte alors à bord du navire et raconte qu'une guerre fait rage, que les belligérants sont régulièrement ivres et que le « roi » de l'île, Auweyida, souhaite l'arrivée de missionnaires sur l'île[8].
Six ans plus tard, Frederick Joseph Moss, de passage à Nauru à bord d'une goélette, le Buster, venue charger du coprah[8], rapporte que les habitants sont amicaux, bien que tous les hommes portent une arme à feu[8]. Le conflit est toujours en cours, malgré l'exaspération des Nauruans : ils souhaitent cesser la guerre, mais aucune tribu ne fait suffisamment confiance aux autres pour y mettre un terme[8]. La seule solution, de l'aveu des Nauruans et de William Harris, est un désarmement total et l'établissement d'une mission chrétienne qui puisse garantir la paix[8].
L'instabilité sur Nauru n'ayant pas profité au commerce, l'Allemagne accepte alors d'annexer l'île le pour en assurer le contrôle et la pacifier, mettant ainsi fin à cette guerre civile[8].
Colonie allemande
Administration
À la fin du XIXe siècle, Nauru devient une colonie allemande à la suite de différentes étapes.
La première est l'établissement des sphères d'influence allemandes et britanniques dans le Pacifique occidental et central face à la colonisation croissante de différents territoires de cette région du globe par ces deux puissances[10]. Par cet accord, Nauru revient alors aux Allemands le [10].
La seconde est l'annexion officielle de Nauru, alors peuplée d'environ 1 300 habitants[3], à l'Empire allemand le , ceci sous prétexte de mettre fin à la guerre civile qui y fait rage depuis dix ans[11]. La première présence allemande arrive sur l'île seulement le 1er octobre : 87 hommes armés ainsi qu'un missionnaire des îles Gilbert y sont amenés par un navire de la marine allemande[8]. Le commissaire allemand, en tant que représentant du Kaiser, prend alors plusieurs mesures pour pacifier l'île. Il nomme Auweyida, chef de Boe, et son épouse Eigamoiya roi et reine de Nauru, titre qu'ils garderont jusqu'en 1920[réf. nécessaire]. Alcool et armes à feu sont interdits[8] et les chefs tribaux arrêtés : ils serviront de moyen de pression sur les Nauruans afin qu'ils cessent les combats. En effet, les autorités les somment de restituer toutes les armes sous peine de voir leurs chefs tribaux exécutés[8]. Le lendemain, 765 armes à feu et plusieurs milliers de munitions sont rendues, mettant un terme définitif à la guerre civile[8].
La dernière étape de la prise de possession de Nauru par les Allemands se déroule le sous la forme d'une cérémonie d'annexion : le drapeau allemand est déployé en présence du « roi » Auweyida[8]. Cette acquisition d'un nouveau territoire renforce la position stratégique de l'Allemagne dans le Pacifique occidental où elle dispose déjà de plusieurs colonies. D'abord intégrée au protectorat allemand des îles Marshall, Nauru est ensuite rattachée à la Nouvelle-Guinée allemande en 1906 à la suite d'un nouveau découpage administratif[12].
L'administration allemande est néanmoins toujours restée extrêmement réduite, disposant cependant d'une certaine autonomie. Ainsi, à partir du , un bureau postal ouvre à Nauru, disposant de ses propres cachets lui permettant d'oblitérer le courrier de ses administrés[13]. Le bureau postal allemand fermera le à la suite de l'occupation britannique[13].
Influence culturelle
Aux premières heures de l'installation européenne, la petite administration coloniale se préoccupe peu de diffuser la culture allemande auprès des habitants. De son côté, si elle tient à la disposition de ses employés une bibliothèque de mille ouvrages[14], la Pacific Phosphate Company se concentre surtout sur les profits qu'elle génère grâce à l'exploitation du sol. Aussi, ce sont les missions religieuses qui assurent le développement des mœurs métropolitaines sur le territoire.
Les premières d'entre elles sont appelées Liebenzeller Mission et sont animées par des missionnaires protestants venus à Nauru dans le seul but d'évangéliser la population. Le premier d'entre eux est Philip Delaporte, un Germano-Américain débarqué de Hawaï avec sa famille en 1899. C'est lui qui propose la première traduction de la Bible en langue nauruane ainsi que les premières adaptations dans ce langage de plusieurs ouvrages de catéchisme ou consacrés à l'histoire de l'Église chrétienne. C'est également lui qui publie les premiers livres scolaires et le premier dictionnaire bilingue, le « Dictionnaire de poche nauruan-allemand », en allemand Taschenwörterbuch Deutsch-Nauruisch, un ouvrage de 65 pages et de 1 650 mots paru en 1907.
La démarche est reprise peu après par les évangélisateurs catholiques arrivés à Nauru en 1902. Après avoir fondé leurs propres missions puis érigé la première église catholique de l'île, ceux qui sont envoyés par les Missionnaires du Sacré Cœur[14] développent eux aussi des considérations culturelles envers la population parallèlement à leurs activités religieuses. C'est ainsi que le deuxième dictionnaire bilingue est écrit par un catholique allemand arrivé dans l'île en 1904, Alois Kayser. Le troisième, intitulé « Dictionnaire colonial allemand », sera quant à lui publié par Paul Hambruch au terme de deux séjours passés dans l'île en et de septembre à .
De fait, c'est bien la logique colonisatrice qui permet au christianisme et aux mœurs et usages occidentaux de se populariser chez les Nauruans : alors que le mariage chrétien commence à supplanter la polygamie, les danses traditionnelles jugées trop sexuelles sont interdites, les pagnes sont remplacés par les vêtements et les frictions corporelles à l'huile de noix de coco sont abandonnées[8]. Ces bouleversements culturels ne vont pas sans problèmes socio-démographiques.
Les changements dans l'hygiène et l'afflux d'Européens entraînent une recrudescence des maladies. Par exemple, en 1907, la dysenterie fait 150 victimes[8], soit un chiffre considérable étant donné la population de l'île à l'époque : le premier recensement effectué à Nauru en 1890 indique que le territoire ne comptait alors que 1 294 Nauruans et 24 missionnaires gilbertins et leurs familles[8]. On dénombrait 574 hommes pour 720 femmes, indice que la démographie nauruane était toujours marquée par la guerre civile plusieurs années après son terme[8].
Activité économique
Aux débuts de la colonisation de Nauru, l'île est de fait gérée par la Jaluit Gesellschaft[15], en français « Compagnie Jaluit », une firme allemande qui finance la colonisation en échange de privilèges commerciaux[16]. Le coprah extrait du cocotier étant à l'époque la principale ressource des îles de l'océan Pacifique, les Allemands tentent de valoriser Nauru en exploitant cette denrée[3],[8]. Afin d'assurer une pérennisation de la présence allemande sur l'île, ils y construisent un hôpital, des chambres froides, une usine de production d'eau gazeuse ainsi qu'un générateur électrique et l'allemand devient peu à peu la langue d'usage.
En 1900[17], un géologue néo-zélandais, Sir Albert Ellis, travaillant pour le compte de la compagnie britannique Pacific Island Company, découvre fortuitement que l'île ainsi que celle d'Ocean Island, aujourd'hui Banaba, possèdent d'importantes quantités de minerai de phosphate[Note 1][8]. Comme la Jaluit Gesellschaft possède les droits d'exploitation du sous-sol, elle les cède en 1906 à la Pacific Island Company au prix de 2 000 livres sterling comptant et prend une participation importante dans cette entreprise[8] qui devient la Pacific Phosphate Company[18]. Cette dernière remplace ainsi la Jaluit Gesellschaft dans son rôle de principal acteur économique de Nauru. De plus, pour chaque tonne de minerai de phosphate extrait, la Pacific Phosphate Company verse une redevance à la Jaluit Gesellschaft ainsi qu'en moindre proportion aux Nauruans[8].
L'extraction du minerai de phosphate, facilitée par la construction d'une ligne de chemin de fer mise en service à partir de 1907[19], peut alors commencer dès 1906[20] : des travailleurs sont amenés des îles Gilbert, de Chine[3] et de la colonie allemande des Carolines pour servir de main-d'œuvre, les Nauruans se montrant peu enclins à travailler dans les mines à ciel ouvert[21],[22]. À la veille de la Première Guerre mondiale, la population de Nauru est composée de 30 Allemands, 70 Britanniques, 1 400 Nauruans et environ 1 000 chinois et Caroliniens[23]. Le commerce du minerai de phosphate devient vite productif : la première année d'exploitation, 11 000 tonnes de minerai de phosphate sont envoyées vers l'Australie[8] et jusqu'en 1913, 138 725 tonnes de minerai de phosphate sont extraites et exportées via 46 navires.
Première Guerre mondiale
Au début de la Première Guerre mondiale, à la suite de la déclaration de guerre du Royaume-Uni contre l'Allemagne le , Nauru subit le même sort que les autres colonies allemandes qui sont attaquées par les Alliés. Ce territoire, extrêmement isolé et situé dans une région qui ne constituera qu'un théâtre mineur de la Grande Guerre, n'a cependant pas connu d'affrontements graves, la prise de pouvoir par l'Australie s'y est effectuée sans qu'une goutte de sang ne soit versée[23].
L'administrateur allemand de Nauru, tenu au courant des évènements grâce à l'émetteur radio de l'île, ne divulgue pas aux habitants l'annonce de la déclaration de guerre entre le Royaume-Uni et l'Allemagne. En effet, celle-ci compte en son sein une forte minorité de sujets britanniques, principalement australiens, susceptibles de prendre parti pour l'ennemi. Le , il proclame la loi martiale. Une force d'autodéfense constituée de Nauruans est mise en place les semaines suivantes durant lesquelles rien ne se produit. Cependant, sur cette île coupée du monde, les vivres viennent à manquer et il est décidé d'envoyer une mission de secours sur Ocean Island, aujourd'hui Banaba. Cette demande d'aide est refusée par les autorités britanniques de l'île. Prenant acte de ce refus au retour du bateau, le gouverneur de Nauru demande aux sujets britanniques présents sur Nauru d'évacuer l'île, arguant du fait de ne pas disposer de suffisamment de nourriture pour tous. Le même navire embarque alors le 6 septembre les 49 Britanniques de Nauru à destination d'Ocean Island.
Trois jours plus tard, le 9 septembre, un navire de guerre australien en provenance des Fidji se dirige vers l'île avec mission d'y détruire la station radio, relais stratégique entre la métropole et les autres colonies allemandes de l'océan Pacifique. À l'aube, profitant de l'effet de surprise et malgré un fort ressac, 25 membres de la marine australienne parviennent à débarquer sur l'île en passant par la jetée servant à charger le minerai de phosphate sur les vraquiers. Ils occupent immédiatement le bâtiment attenant et un détachement de six hommes se dirige en direction de la maison de l'administrateur. Celui-ci, pris de court, n'oppose aucune résistance, se constitue prisonnier et accepte le principe d'une reddition sans conditions[23]. Les Australiens se rendent ensuite à la station radio mais celle-ci a déjà été démantelée par les opérateurs allemands pour éviter qu'elle ne tombe aux mains des Alliés. Sept heures après avoir débarqué, les Australiens repartent avec pour unique perte celle d'un fusil[23].
Ce n'est que le que les Australiens s'installent sur Nauru, mettant un terme définitif à la colonisation allemande de Nauru[24],[23]. L'île intègre alors jusqu'en les Territoires britanniques du Pacifique occidental. La production de phosphate n'est pas affectée par les changements politiques sur l'île[25].
En 1918, l'île est gravement affectée par la grippe espagnole qui est apportée par le SS Talune, un vapeur parti d'Auckland en Nouvelle-Zélande et qui contaminera aussi Fidji, les Samoa et Tonga. Le taux de mortalité est très fort, 16% des Nauruans meurent[26],[27].
Colonie du Commonwealth of Nations
Au sortir de la Première Guerre mondiale, l'Allemagne, par l'article 119 du traité de Versailles[28], renonce en 1920 à sa souveraineté sur ses colonies dont Nauru. L'Australie fait alors pression sur la Société des Nations afin de pouvoir annexer l'île dont elle convoite les richesses mais le président américain Woodrow Wilson s'oppose à toute annexion des anciennes colonies allemandes[8]. La Société des Nations finit par trancher en plaçant Nauru sous la tutelle du souverain britannique sous la forme d'un mandat de type C, excluant l'indépendance à terme[29]. En 1923, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l'Australie signent le Nauru Island Agreement par lequel ils s'engagent à gérer l'île en commun par l'intermédiaire d'un administrateur basé en Australie[30]. Mais dans les faits, seule l'Australie administre l'île[31].
Le développement économique de Nauru et l'occidentalisation de ses habitants sont alors repris par la nouvelle puissance coloniale. Celle-ci achète pour 3,5 millions de livres sterling les droits d'exploitation du minerai de phosphate à la Pacific Phosphate Company et poursuit son extraction par l'intermédiaire de la British Phosphate Commission formée d'un collège de trois hommes[32]. Dans l'entre-deux-guerres, cette industrie est en pleine expansion, bénéficiant du fait que les agriculteurs australiens et néo-zélandais achètent le phosphate nauruan à bas prix[32]. Les Nauruans se détournent totalement de l'industrie du phosphate car elle ne leur rapporte que huit pences par tonne extraite[réf. nécessaire].
Parallèlement, l'occidentalisation des Nauruans se poursuit au point qu'en 1920 la religion nauruane totémique est abolie et sur les 169 villages originels, il n'en reste que 110. En 1927, les Nauruans, demandant une plus grande attention à leurs revendications, obtiennent le droit de former un « Conseil des Chefs », en anglais Council of Chiefs, qui n'a cependant qu'une fonction consultative[33]. Le , l'Angam Day est célébré pour la première fois. Ce jour, qui est depuis la fête nationale de la république de Nauru, avait été annoncé en 1919 : à l'époque, on considérait qu'il fallait au moins 1 500 habitants sur Nauru pour que la population ne disparaisse pas d'elle-même.
Seconde Guerre mondiale et occupation japonaise
Nauru est l'un des rares territoires à avoir subi à la fois des attaques japonaises et allemandes durant la Seconde Guerre mondiale, ceci à cause de la relative proximité du territoire japonais et de la présence de navires allemands croisant dans l'océan Pacifique.
Au début de la guerre, la Kriegsmarine envoie quelques bâtiments dans le Pacifique afin de menacer les intérêts des Alliés dans la région. Deux croiseurs auxiliaires, l'Orion et le Komet opèrent au large de Nauru. Du 6 au 8 décembre ils coulent cinq phosphatiers en attente de chargement[34] soit 25 900 tonnes en tout[35]. L'un de ces deux bateaux revient à la charge le 27 décembre et bombarde le port d'Aiwo[34]. Les infrastructures de la British Phosphate Commission sont alors mises hors service durant dix semaines. Les attaques allemandes sur Nauru constituent la dernière opération et le plus grand succès militaire de l'Allemagne nazie dans le Pacifique[35].
Les Japonais passent à l'offensive le , deux jours après l'attaque de Pearl Harbor, lorsque des avions venus des îles Marshall bombardent la station TSF de l'île[36]. La nouvelle de la rapide avancée des Japonais dans le Pacifique arrive jusqu'à Nauru. Alors que l'Empire du Soleil Levant a déjà pris pied dans l'archipel voisin des îles Gilbert, les dirigeants de la British Phosphate Commission prennent la décision d'évacuer les lieux ; 191 employés chinois sont néanmoins laissés sur place après qu'on leur avait promis de revenir les chercher[37].
Un corps expéditionnaire de 300 soldats japonais débarque sur l'île le [36] faisant prisonniers sur le champ les Européens qui n'avaient pas été évacués. Les 1 850 Nauruans qui vivent à cette époque sur l'île sont laissés libres de leurs mouvements mais on leur impose un rationnement[38] pendant que l'armée japonaise organise la défense de l'île et la fortifie.
La plus importante réalisation des Japonais à Nauru reste la construction d'une piste d'atterrissage qui est à l'origine de l'actuel aéroport international de Nauru. Afin d'effectuer ce travail, ils font venir 1 500 Japonais et Coréens auxquels sont adjoints 300 travailleurs forcés nauruans et gilbertins. Cette piste est achevée en [39]. Bien que les Japonais aient la volonté de relancer la production de minerai de phosphate, les impératifs de la guerre les font renoncer et Nauru est uniquement utilisée comme maillon de ligne de défense des Japonais dans l'océan Pacifique central.
Les Américains passent à la contre-attaque dans le Pacifique à partir de 1942. Le premier bombardement américain massif sur Nauru a lieu le [39], détruisant quinze avions japonais stationnés sur l'aérodrome et endommageant les installations aéroportuaires. En représailles, les Japonais font exécuter leurs cinq prisonniers australiens dont l'ancien administrateur de l'île. À la suite de la sanglante bataille de Tarawa, les îles Gilbert, situées à proximité de Nauru, passent aux mains des Américains dans le mois de . Cependant ces derniers, après avoir isolé et anéanti la puissance de frappe des occupants de l'île, n'y débarquent pas, adoptant la stratégie du saute-mouton consistant à passer d'île en île pour porter la guerre le plus vite possible en plein cœur du territoire japonais en laissant sur leur chemin des réduits japonais neutralisés.
Nauru, totalement coupée des lignes d'approvisionnement japonaises, connaît alors un état de disette. En , les Japonais décident de déporter 1 200 habitants[39], soit la majorité de la population nauruane, dans les îles Truk[8], situées dans les îles Carolines, à 1 600 kilomètres au Nord-Ouest, là où sont basées les forces navales japonaises du Pacifique central[38]. On les y oblige à construire une piste d'atterrissage[40] tandis qu'en l'absence d'approvisionnement, les conditions de vie à Nauru sont épouvantables et les occupants en sont réduits à mener un mode de vie autarcique[39].
Les troupes japonaises de Nauru se rendent en signant leur reddition le , soit après la capitulation du Japon le . Les Australiens peuvent ainsi prendre pied sur Nauru. Quelque 3 745 Japonais et Coréens sont rapatriés peu après et certains sont inculpés à leur retour pour crimes de guerre en raison des exactions commises sur les prisonniers européens et nauruans[39]. À la Libération, l'île est exsangue : sur les 1 200 habitants déportés dans les îles Truk, seuls 759 ont survécu aux dures conditions d'exil[41] et sont rapatriés le sur Nauru[38]. La population de Nauru est ainsi passée de 1 848 habitants en 1942 à 1 369 habitants en 1946[42].
Tutelle des Nations unies
Comme à la fin de la Grande Guerre, le sort de Nauru se répète à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. L'Organisation des Nations unies confie la gestion conjointe de l'île sous la forme d'un mandat au Royaume-Uni, à la Nouvelle-Zélande et à l'Australie le [43], seule cette dernière administrant l'île dans les faits[44], et l'extraction du minerai de phosphate reprend cette même année[45].
En 1948, l'exportation du minerai de phosphate rapporte 745 000 dollars australiens à la British Phosphate Commission mais dont seuls 2 % reviennent aux Nauruans et 1 % à l'administration de l'île[8]. Ces très faibles pourcentages reversés aux ouvriers, principalement chinois, ne permettent pas d'améliorer leurs mauvaises conditions de travail. Ces derniers organisent alors une émeute en 1948[46] qui provoque l'instauration de l'État d'urgence et d'une répression australienne qui se solde par onze blessés et quatre tués parmi les ouvriers[46]. Entre 1950 et 1953, la compagnie britannique et le gouvernement australien, craignant que les ouvriers chinois n'importent le communisme à Nauru, se préparent à toute nouvelle émeute[46]. La police locale est en conséquence renforcée en armement, les Chinois sont étroitement surveillés, leurs logements font l'objet de fouilles en 1953 mais qui ne permettent néanmoins de ne découvrir aucune arme et il est même envisagé d'envoyer un peloton militaire australien chargé de former la police locale à la lutte anti-émeute[46]. Finalement, une enquête permet d'établir que les Chinois de Nauru sont partisans des nationalistes de la république de Chine (Taïwan) et n'ont par conséquent aucun lien avec les communistes de la république populaire de Chine[46].
Les Nauruans, mécontents eux aussi de ne pouvoir faire entendre leurs revendications, obtiennent la création d'un « Conseil de gouvernement local » après le dépôt de plusieurs plaintes auprès des Nations unies et des pays mandatés[47]. Le premier Conseil est créé le par l'élection de neuf membres avec à leur tête Timothy Detudamo, un des rescapés des îles Truk[47]. Ce conseil, bien que composé de Nauruans, est dans les faits contrôlé par l'administrateur australien. Cette situation encourage la population à demander plus de pouvoir politique et une augmentation des royalties tout en se préoccupant de l'épuisement des réserves de minerai de phosphate prévu pour la fin du XXe siècle. En effet, depuis 1963, les agriculteurs australiens et néo-zélandais achètent le phosphate extrait de Nauru par deux mille étrangers, principalement issu de la diaspora chinoise, seulement au tiers des prix pratiqués ailleurs dans le monde[3]. Les royalties du phosphate reversées aux Nauruans par la British Phosphate Commission sont réévaluées en 1964 avec l'établissement d'un cours mondial du phosphate puis en 1966 lorsque les pourcentages des bénéfices reversés s'élèvent à 22 % pour les Nauruans et 14 % pour l'administration de l'île[8].
En 1961, des individus d'une espèce de tilapia du Mozambique, Oreochromis mossambicus, sont introduits dans la lagune Buada dans le but de relancer la pisciculture pratiquée de manière traditionnelle par les Nauruans. Malheureusement, ces poissons se multiplient et concurrencent les poissons-lait qui y sont élevés de sorte qu'aucun poisson ne dépasse la taille limite de consommation, soit vingt centimètres de longueur. Ceci a pour conséquence l'abandon de la pisciculture par de nombreux éleveurs car les tilapias sont peu prisés pour la consommation[7]. Cet échec, associé à l'exploitation intensive du minerai de phosphate qui détruit irrémédiablement la majorité de l'île, la rend de moins en moins viable selon les Australiens. Ils élaborent alors un projet qui prévoit de déplacer l'ensemble des Nauruans en premier lieu sur l'île Fraser[3] puis rapidement sur l'île Curtis, deux îles situées à proximité immédiate des côtes du Queensland. Mais ce projet n'est pas mené à terme pour des raisons politiques : bien que la population nauruane n'est pas opposée à un déplacement, elle désire à terme une indépendance politique ce que lui refuse l'Australie sur l'île de Curtis[48]. Le plan est définitivement abandonné en 1964[49]. Le désir d'indépendance des Nauruans se trouve alors renforcé par cet échec et en 1966, un « Conseil législatif » est élu avec le soutien du « Conseil de tutelle » australien[50]. Malgré le souhait de l'Australie de conserver la gestion de la défense et des affaires étrangères de Nauru, la population de Nauru, par la voix de Hammer DeRoburt[3], réclame l'autodétermination complète[51]. L'Australie accepte finalement l'émancipation de l'île, entame un processus d'indépendance économique et politique et participe activement à la création de cette nation comme lorsque l'Université nationale australienne l'aide à rédiger une constitution[3].
Dans les dernières années de la tutelle australienne, le niveau de vie, la qualité des soins médicaux et de l'éducation des cinq mille Nauruans augmentent, les actifs gérés par le pays étaient estimés à l'époque à 500 000 dollars australiens par habitant[3] et des étudiants Nauruans peuvent aller étudier dans les universités australiennes. Ceci est expliqué par plusieurs facteurs économiques et notamment la mainmise des Nauruans sur la principale ressource économique de l'île. En effet, dans le cadre du processus d'indépendance, Nauru achète petit à petit des infrastructures et des machines appartenant à la British Phosphate Commission ce qui lui procure davantage de revenus[3]. En 1967, l'acquisition de la branche nauruane de la British Phosphate Commission par Nauru lui permet contrôler l'ensemble de l'industrie du minerai de phosphate sur l'île[52].