Histoire de la Sicile
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L'histoire de la Sicile a vu l'île être contrôlée par des puissances méditerranéennes (Carthaginois, Romains, Vandales, Ostrogoths, Byzantins, Arabes, Aragonais), mais aussi connaître de longues périodes d'indépendance, comme sous les Sicéliotes d'origine grecque et plus tard comme l'émirat autonome des Kalbites, puis le Royaume de Sicile, fondé en 1130 par Roger II de Sicile, membre de la famille normande de Hauteville. Parfois, l'île a été au cœur des grandes civilisations, parfois elle n'a été qu'un territoire colonial, terre d'immigration et d'émigrants à travers les époques.
Plus grande île de la Méditerranée, la Sicile tire dès l'antiquité sa richesse de sa situation centrale pour les routes commerciales et de ses ressources naturelles. Par exemple, Cicéron et al Idrissi décrivent respectivement Syracuse et Palerme comme les plus grandes et les plus belles villes du monde hellénique et du Moyen Âge.
Pendant la période normande, la Sicile était prospère et politiquement puissante, devenant l'un des États les plus riches de toute l'Europe. En raison de la succession dynastique, le Royaume passa aux mains des Hohenstaufen. À la fin du XIIIe siècle, à l'issue des Vêpres siciliennes, l'île est conquise par la couronne d'Aragon sur celle d'Anjou, puis, est dominée au cours des siècles suivants, par les Espagnols et les Bourbons, préservant toutefois une substantielle indépendance jusqu'en 1816.
Depuis la création de l’État normand jusqu'en 1860, l'histoire de la Sicile est marquée par une lutte récurrente entre l'affirmation de l'autorité royale centrale et l'emprise de la grande noblesse qui défend une certaine indépendance.
L'histoire économique de la Sicile rurale s'est concentrée sur son économie de latifundium, due à la centralité des grands domaines originellement féodaux consacrés à la culture céréalière et l'élevage, qui se développèrent au XIVe siècle et perdurèrent jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
La Sicile est à la fois la plus grande région de la République italienne et une région autonome d'Italie depuis 1944 avec sa propre culture.
Thucydide et Diodore de Sicile sont les principaux auteurs sur la Sicile antique. Les légendes, rejetées comme sources historiques par Ettore Pais, ont été analysées par Jean Bérard comme des témoignages de l'influence égéenne. Le manque de sources est progressivement compensé par les fouilles archéologiques de Paolo Orsi entre 1888 et 1935, puis Luigi Bernabò Brea à partir des années 1950 et de nombreux universités étrangères après la Seconde Guerre mondiale[1].
L'histoire de la Sicile a longtemps été analysée comme une succession de dominations étrangères, depuis De rebus siculis (1558) de Tommaso Fazello, premier historien moderne de l'île[2]. Ainsi Voltaire dit que la Sicile a « toujours été subjuguée par des étrangers ; asservie successivement aux Romains, aux Vandales, aux Arabes, aux Normands sous le vasselage des Papes, aux Français, aux Allemands, aux Espagnols ; haïssant presque toujours ses maîtres, se révoltant contre eux, sans faire de véritables efforts dignes de la liberté, et excitant continuellement des séditions pour changer de chaînes. »[3] Rosario Gregorio, le premier, s'intéresse davantage au peuple sicilien qu'à la chronologie des conquérants[4].
Dans la première moitié du XXe siècle, les intellectuels antipositivistes Giovanni Gentile et Benedetto Croce puis l'historien Ernesto Pontieri contestent la lecture victimaire traditionnelle pour réhabiliter les tentatives libérales de la bourgeoisie méridionale et des Bourbons contrées par le conservatisme aristocratique[5]. Après la Seconde Guerre mondiale, si les écrivains Giuseppe Tomasi di Lampedusa et Leonardo Sciascia romancent la vision d'une sicilianité intemporelle, des historiens modernisent cette vision[2], parmi lesquels en Italie Rosario Romeo avec Il Risorgimento in Sicilia et la recherche marxiste qui réhabilite les conflits sociaux et les mouvements paysans à travers les travaux de Paolo Alatri, Salvatore Francesco Romano et Francesco Renda[5]. Michel Gras, Georges Vallet, Henri Bresc, Jean-Marie Martin, Maurice Aymard et Marie-Anne Matard-Bonucci renouvellent la connaissance historique de l'île en France[6]. « Les relations entre la Sicile et les différents dominateurs présumés ont été fictives, liées à sa présence au sein d’empires multinationaux, tels que l’empire espagnol. La représentation de la Sicile opprimée par tant de dominateurs, aussi forte soit-elle, est donc une mystification qui n’a pas réellement d’appui solide sur les résultats de l’historiographie récente. »[7]
La Sicile émerge lentement de la mer sous l'effet de la pression de la plaque africaine et de l'activité volcanique.
Carte | Époque géologique | Datation |
---|---|---|
Tortonien | 11 millions d'années | |
Messinien | 7 millions d'années | |
Pliocène | 5 millions d'années | |
Pléistocène inférieur | 1,8 million d'années | |
Pléistocène supérieur | 20 000 ans |
Les premiers habitants, des chasseurs-cueilleurs, seraient arrivés sur l'île entre 30.000 av. J.-C.[8] et 20 000 av. J.-C.[9] en passant par la péninsule italienne[10]. Les gravures de la Grotte de l'Addaura sur le Mont Pellegrino et les peintures murales de la grotte du Genovese à Levanzo témoignent de l'occupation de l'ouest de la côté nord au Paléolithique supérieur[11], comme celle de la pointe sud-est à l'image de la grotte de San Teodoro à Acquedolci dans laquelle des sépultures ont été découvertes. Mais Pierre Lévêque évoque des fouilles à Termini Imerese qui prouveraient une présence humaine dès le Paléolithique inférieur[12].
À partir de 5 000 av. J.-C. apparaissent l'agriculture, l'élevage et la céramique[13]. Cette civilisation néolithique arrive en Sicile avec des humains originaires du Proche-Orient, probablement depuis l'Italie méridionale par le Détroit de Messine. Ils délaissent les grottes pour des huttes réunies dans des villages côtiers fortifiés, comme Stentinello, Matrensa et Ognina, laissant des traces essentiellement sur la côte orientale, autour de l’Etna et dans la région de Syracuse, sur les îles Lipari et Pantelleria. Ils utilisent le silex et l'obsidienne[12].
Le cuivre apparaît en Sicile vers 3 000 av. J.-C., via l'Anatolie et les îles voisines. La culture de la Conca d'Oro voit le jour près de Palerme, les outils en pierre et en os se perfectionnent, les décorations de céramique se diversifient, et les sépultures collectives remplacent la tombe individuelle néolithique[12].
La métallurgie du bronze émerge un millénaire plus tard à travers la culture campaniforme[14]. Déjà ouverte aux influences maritimes, notamment méditerranéennes orientales et proche-orientales (Mésopotamie et Syrie), l'île est au centre d'intenses échanges qui s'ouvrent à la façade atlantique et aux îles Britanniques[12]. Si la culture de la Conque d'Or perdure, une nouvelle civilisation éclot au nord-est, à Tindari et Naxos, avec la spécificité d'une céramique grise, et une autre sur la côte méridionale, qui a pris le nom de Castellucio di Noto. Au Bronze moyen sicilien correspond la culture du Milazzese à Panarea et la civilisation de Thapsos, du nom du village fortifié découvert près de Syracuse, dont les vestiges attestent d'importants échanges avec le monde mycénien entre la fin du XVe siècle jusqu’au XIIIe[12].
La région a traversé une préhistoire complexe, à tel point qu'il est difficile de déterminer les peuples qui se sont succédé. Cependant on remarque l'impact de deux influences, celles des peuples proto-celtes de la culture campaniforme[14] venant du Nord-Ouest, et l'influence méditerranéenne avec une matrice orientale[15].
Vers 1 300 av. J.-C., les établissements urbains complexes deviennent de plus en plus présents.
Sicile pré-hellénique
Les plus anciens peuples de Sicile sont les Sicanes, puis les Élymes et enfin les Sicules, peuple d'origine italique qui s'y installe au début du XIe siècle selon Thucydide, au XIIIe siècle selon Hellanicos et Philistos[12]. Ce sont les Sicules qui donnent son nom à l'île. Au terme des invasions successives, les Élymes se retrouvent à l'ouest, les Sicanes au centre et les Sicules dans la partie orientale (carte). Pour améliorer leur sécurité, les Sicanes délaissent leurs habitats côtiers dispersés, pour se regrouper sur des sites naturellement protégés dans les terres[12].
La zone sud-est et la région de Messine développent une civilisation sicule, dont la culture de Pantalica, plus riche que le faciès sicane de l'ouest (Sant'Angelo Muxaro), grâce aux influences méditerranéennes (Proche-Orient, Anatolie et Grèce), puis aux apports indo-européens des Sicules. Ainsi, avant toute colonisation, la Sicile est partiellement indo-européanisée[12].
Des légendes grecques plus tardives racontent des évènements qui se seraient déroulés aux temps les plus anciens. Ainsi, Minos, le roi de Crète serait venu avec son armée chercher Dédale, réfugié en Sicile chez Cocalos, le roi des Sicanes. Ce dernier aurait piégé et fait noyer Minos. Ces mythes n'ont pas été confirmés par l'archéologie et seraient postérieurs aux colonisations[16]. En revanche, on sait que la Sicile intègre le réseau commercial mycénien entre 1400 et [11]. Les Grandes Mères vénérées par les populations néolithiques et les Sicanes et les dieux mâles célébrés par les Sicules, sont hellénisés, tel Adranos qui se fond dans Héphaïstos[12].
Des contacts avec les Grecs se nouent entre le XIIIe siècle av. J.-C. et le XIe siècle av. J.-C., notamment au Monte Dessueri, dans le secteur de la future colonie grecque de Géla[17]. Les marchands grecs avec qui la population locale a des contacts sont essentiellement des nobles originaires de Crète, d'Eubée, puis de Chypre. Ces relations demeurent toutefois très modestes. Elles cessent quasiment durant le XIe siècle av. J.-C., sauf pour Chypre. C'est au IXe siècle av. J.-C. que les échanges avec les Grecs s'intensifient, puis au VIIIe siècle av. J.-C. que sont fondées les premières colonies grecques sur l'île (Naxos est fondée par des colons Chalcidiens en -735, Syracuse par des colons Corinthiens en -734 et Zancle, l'actuelle Messine, par des colons Cuméens vers -735/-730).
Les Phéniciens, peuple sémite originaire de l'actuel Liban, et l'une de leur colonie, Carthage, fondée en 814 , diffusent également leur culture avant d'y fonder des comptoirs, grâce à leurs liens commerciaux avec l'île entre le XIe siècle et la fin du IXe siècle. Mais malgré les influences helléniques et sémitiques, « la Sicile reste à la fin du IXe siècle une terre encore barbare », sans civilisation d'envergure[12].
Les Phéniciens commencent réellement à immigrer en Sicile à la fin du IXe siècle et au début du VIIe siècle av. J.-C. À l'arrivée des premiers colons grecs (vers 750 av. J-C), ils délaissent leurs comptoirs disséminés le long de la côte pour fonder leurs premières colonies à l'ouest, à l'opposé des établissements grecs et au plus près de Carthage[18] : en -734, Zyz à l'emplacement de l'actuelle Palerme, puis Motyé en face de l'actuelle Marsala et vers -700 à Solonte, près de Zyz. Ils s'allient aux Élymes tandis que Carthage gagne de l'influence au détriment des cités phéniciennes asiatiques. Insensiblement, les peuples autochtones, punicisés ou hellénisés, deviennent secondaires dans les sources historiques malgré leur nombre plus important[18].
735 - 275 av. J.-C. : Colonies grecques
Cherchant de nouvelles terres à cultiver et de nouveaux marchés pour leurs productions, les Grecs s'installent, sous l'impulsion de quelques oikistes (fondateurs souvent héroïsés par la suite)[18], sur la côte à partir du milieu du VIIIe siècle av. J.-C. : des colons de Chalcis fondent Naxos en -735 (cité qui fonde ensuite Léontinoi, seule colonie non côtière, et Catane) et Zancle en -750 (et ses colonies secondaires de Rhêgion, Mylai et Himère), des Corinthiens Syracuse un an plus tard (avant d'essaimer à Heloros, Akrai en 664, Kasmenai-Casmene en 643, Camarina en 598), des Rhodiens et des Crétois Gela en -688 (elle-même métropole d'Acragas en 582), des Mégariens Megara Hyblaea en 750 (laquelle donne naissance à Sélinonte en 650 elle-même fondatrice d'Héracléa Minoa)[19],[12]. Les colonies se développent et acquièrent leurs indépendances politiques vis-à-vis de leurs métropoles tout en maintenant des liens religieux et économiques étroits. Les tentatives grecques de coloniser la côte occidentale échouent, à l'instar de l'éphémère Lilybée grecque dirigée par Pentathlos vers -580, ou de la vaine expédition de Dorieus sur le mont Éryx vers -510[18]. Opération de secours ou d'assujettissement par Carthage des colonies phéniciennes de l’ouest sicilien, une expédition menée par Malchus vers -550 serait les prémices de la domination punique de l'ouest sicilien qui prendra fin en -241 à l'issue de la première guerre punique[20].
Les Grecs s'imposent progressivement aux peuples autochtones et aux comptoirs phéniciens, mais les conflits entre les Doriens et les Ioniens s'exportent entre les colonies en Sicile, fragilisant la domination hellénique[18]. Pour autant, les colonies croissent grâce aux riches cultures de blé (aux abords de l’Etna, de l’Anapo, de Gela, d’Agrigente et de Sélinonte)[18], mais aussi de vigne et d'oliviers, introduits par les Grecs[19], l'élevage (ovins, équins), et la pêche, notamment au thon. L’artisanat du tissage de la laine, de la céramique et du métal (notamment à Syracuse) se développe[18].
En dépit d'un rivage avec peu de mouillages protégés, exceptés Zancle et Syracuse, et des voies terrestres (Catane-Agrigente, Syracuse-Agrigente par Acrai, Catane-Himère par Enna, Agrigente-Himère) limitées et médiocres, les échanges maritimes sont intenses : la Grèce exporte sa céramique, l’Italie, en particulier l’Étrurie, pourvoit en bronze et fer, Carthage est un important client d'Agrigente et alimente d'étoffes précieuses, de parfums et du pourpre de Tyr, l'Ibérie et la Gaule fournissent des métaux des monnaies que les cités battent à partir du VIe siècle[18],[21].
Les villes croissent, s'enrichissent de nombreux monuments. L'économie florissante nourrit la culture locale qui s’hellénise, tout en influençant la culture grecque. Aux Grandes Mères succèdent les divinités chthoniennes, en premier lieu Déméter, mais aussi Aphrodite. Le dorique s'impose dans les temples. Théâtre de Taormine, temples de Ségeste, Agrigente et Sélinonte, ou les traces du temple d'Athéna transformé en cathédrale à Syracuse témoignent de cette époque[22]. L'histoire retient les noms des poètes Stésichore, Épicharme et puis Théocrite, de l'auteur de mime Sophron, du philosophe Empédocle[19], des historiens Timée de Tauroménion que reprendra Diodore de Sicile, du législateur Charondas, des pionniers de la rhétorique Corax, Tisias et Gorgias. Les figurines en terre cuite de Centuripe, le Kouros en marbre de Grammichele, les masques de théâtre de Lipari ou les gargouilles de calcaire du temple de la Victoire d'Himère expriment l'essor de la sculpture hellénique en Sicile.
Mais des divisions sociales fortes apparaissent entre les grands propriétaires, aristocrates descendant des colons, et le reste de la population, désormais majoritaire, parmi laquelle croît l'enrichissement des artisans et commerçants[18]. Malgré les tentatives de réforme des institutions oligarchiques, comme les lois de Charondas appliquées à Catane puis dans la plupart des cités chalcidiennes, les cités se laissent séduire, comme ailleurs dans le monde grec, par des dirigeants appelés « tyrans »[21] : Panétios à Leontinoï à la fin du VIIe siècle, Phalaris à Acragas vers -570[23], Pithagore et Euryléon à Sélinonte, Cléandre et Hippocrate à Géla. Gélon s'empare du trône de ce dernier, avant de prendre le pouvoir à Syracuse, qu'il fortifie et enrichit, et domine l'essentiel de l'île avec son allié, Théron d'Acragas, en écrasant les forces carthaginoises appelées par Terillos d'Himère et d'Anaxilas II de Rhêgion lors de la première guerre gréco-punique à Himère ()[24]. Les tyrans dynamisent l'économie et l'agriculture, engagent des grands travaux urbains, érigent des monuments prestigieux, concourent dans les courses de chevaux ou de chars à Delphes ou d’Olympie, s'entourent d'intellectuels et d'artistes[21].
La chute de Polyzalos et Thrasybule, qui ont succédé à leur frère Hiéron, lui-même frère de Gélon et vainqueur sur les Étrusques à Cumes, ouvre à la démocratie les cités siciliennes dans lesquelles le poids de la bourgeoisie commerçante croît. Les anciens mercenaires s'installent à Messine[24].
Doukétios réveille l'identité sicule : il prend Morgantina, installe sa capitale de sa fédération à Palikè aux dépens de Ménai, soumet Inessa et Motyon. Les pirates étrusques affaiblissent les forces de Syracuse qui s'allie à Agrigente contre Doukétios, vaincu à Noai ou Nomae en -450. Puis Syracuse se retourne contre Agrigente et rase Paliké, retrouvant son hégémonie sur l'île[24].
Égeste et les cités chalcidiennes signent des traités d'alliance avec Athènes afin de contrecarrer la puissance de Syracuse. La Sicile devient un enjeu dans la guerre du Péloponnèse opposant Athènes à Sparte qui prend la défense de Syracuse[24]. En 427, Athènes soutient Léontinoï, alliée à Camarina, Catane et Rhêgion, contre Syracuse appuyée par Gela, Himère, Sélinonte et Locres. Agrigente reste neutre. En 424, les cités belligérantes signent la paix de Gela après l'appel à l'union sicilienne contre l'ingérence athénienne prononcé par le Syracusien Hermocrate[25].
Mais les hostilités reprennent rapidement : Syracuse détruit Lentinoï en -422, puis Sélinonte attaque Ségeste en -416[25]. Sous l'influence d'Alcibiade, pupille de Périclès, Athènes répond à l'appel de cette dernière. À ce moment de la guerre du Péloponnèse, la perte de l'Eubée, et la défection de nombreux alliés d'Athènes ont rendu ses approvisionnements en blé précaires. La perspective de couper ceux des alliés siciliens de Sparte, tout en conquérant de nouvelles sources de ravitaillement a pu être un élément déterminant. L'expédition de Sicile prend la mer sous le commandement de Nicias, d'Alcibiade et de Lamachos en juin -415. À peine en Sicile, Alcibiade doit retourner en Grèce et Lamachos est tué. Nicias reste seul à la tête de l'expédition contre Syracuse, défendu par Hermocrate. Le renfort de Gylippos, général spartiate, et d'une flotte corinthienne, fait perdre aux Athéniens la bataille des retranchements autour de la ville (octobre -414). Leur flotte est emprisonnée dans la rade et les secours commandés par Démosthène et Eurymédon sont défaits en août -413 en mer à la bataille des Épipoles, puis sur terre. Athènes perd plus de deux cents navires dans cette expédition, et cinquante mille hommes (dont sept mille prisonniers des Latomies de Syracuse).
Ségeste et Sélinonte poursuivent leur affrontement, la première se tournant en 410 vers Carthage qui missionne le général Hannibal de Giscon, lequel, en 409, réduit Sélinonte en cendres tuant 16 000 habitants et écrase Himère dont il fait immoler 3 000 prisonniers. Il revient avec son petit-neveu Himilcon, conquiert Acragas abandonné par ses habitants réfugiés à Leontinoi en 406, puis Gela et Camarina en 405[24]. En réaction, Syracuse donne le pouvoir à Denys l'Ancien qui négocie une trêve avec les Carthaginois. Il reprend les hostilités contre les Phéniciens à trois reprises, notamment par le siège de Motyé en -397 dont il fait tuer la plupart des habitants, mais doit conclure un traité de paix par lequel les Carthaginois conservent, comme avant la guerre, le tiers occidental de la Sicile, comprenant Sélinonte et une partie du territoire d’Agrigente jusqu’au fleuve Halycos[24].
Les affrontements réguliers et ravageurs entre Carthage et les cités grecques n'empêchent pas la présence de marchands carthaginois à Syracuse et grecs à Motyé, mais surtout une diffusion culturelle grecque dans les cités puniques : elles frappent des monnaies de type grec à partir du Ve siècle, Solonte est reconstruite selon un urbanisme et un habitat hellénique, des dieux grecs ont leurs temples à Motyé et même à Carthage, des vases grecs ornent les tombes puniques[26]…
Malgré ces conflits perpétuels au cours du Ve siècle, les villes croissent, la population atteint probablement son maximum antique, autour de 1 300 000 habitants, de nouveaux temples sont érigés à Sélinonte, Agrigente, Syracuse, Himère et Égeste durant les 50 premières années, la céramique locale se développe dans les dernières décennies[24].
Denys l'Ancien fait de Syracuse une cité puissante, rayonnant sur l'essentiel de la Sicile, mais aussi sur la Calabre, la Basilicate et sur des cités de la mer Adriatique. Son fils, Denys le Jeune, lui succède en , rapidement renversé par son oncle, Dion, qui meurt trois ans plus tard, laissant la confusion à Syracuse et dans les autres cités et colonies qui en dépendent. Denys reprend le pouvoir jusqu'à être destitué par le Corinthien Timoléon, qui capture également Mamercus de Catane, crucifié, Hippôn de Messine, torturé à mort, Hicétas de Lentinoi, mis à mort[27]. Il s'impose également face aux Carthaginois, lors de la bataille de Crimisos en -341. L'afflux d'immigrants d'Italie et de la Grande Grèce qu'il initie, entraîne un développement agricole de l'île et une prospérité qui se traduit par la construction de temples, de théâtres, édifices publics, fortifications[28].
Au retrait de Timoléon, les désordres reviennent[24]. L'avènement d'Agathocle à Syracuse réveille les conflits entre les cités siciliennes et contre Carthage, qui domine toujours une petite partie de l'île, l'épicratie carthaginoise[24]. Sa mort en laisse place à des tyrans locaux tel Phintias d'Agrigente, qui détruit Gela pour 1500 ans mais échoue à s’emparer de Syracuse en 280[29]. À Messine, ce sont les Mamertins, anciens mercenaires campaniens et osques d'Agathocle qui deviennent maîtres de la ville[24].
Appelé par Agrigente, Syracuse et Léontinoi, Pyrrhus Ier, roi d’Épire et gendre d'Agathocle, conquiert l'ensemble de l'île, exception faite de Lilybée, forteresse carthaginoise dont il doit lever le siège après deux mois en Reconnu roi de Sicile[29], il espère constituer ainsi un royaume unissant Grèce et Grande-Grèce pour égaler le pouvoir de Carthage et de Rome. Mais tandis qu'il cherche à constituer une grande flotte pour attaquer Carthage sur le sol africain, les Siciliens se retournent contre lui, préférant certains les Carthaginois, d'autres les Mamertins. C'est la fin de l'influence grecque sur la Sicile[24].
Après le départ de Pyrrhus à l'automne 276 et sa défaite face aux Romains à Bénévent, Hiéron II, ultime tyran hellénistique de l'île, dirige Syracuse durant 54 ans et domine la Sicile orientale, dont il développe l'agriculture et les exportations agricoles vers l’Égypte puis Rome[30].
- 535 : Sicile romaine
Ancien espace de luttes entre Grecs et Phéniciens, la Sicile devient à partir de un important enjeu stratégique et économique des deux premières guerres puniques qui opposent Rome, conquérant de la botte italienne appelé par les Mamertins, à Carthage, largement implanté en Sicile mais aussi maître de la Sardaigne et de la Corse. Syracuse s'incline devant l'armée d'Appius Claudius Caudex en , Agrigente en -261, ses 25 000 habitants vendus comme esclaves par les Romains, qui font subir le même sort à presque autant d'habitants de Camarina et à 13 000 habitants de Panormos[31], pendant que les Sélinontins préfèrent raser leur cité et s'exiler à Lilybée en -241[32]. La première victoire navale de l'histoire romaine à Mylae (-260), conduite par Caius Duilius, est doublée par celle du Cap Ecnome (-256), mais les Romains sont défaits au large de Drépane et échouent face à Hamilcar Barca à faire tomber les places carthaginoises de Sicile : Heircté, Éryx, Lilybée. La Sicile tombe finalement aux mains des Romains après la victoire du consul C. Lutatius Catulus en -241 aux îles Égates. Dès lors, Carthage abandonne la Sicile qui devient, en dehors de Messine et Syracuse, alliées de Rome préservant leur indépendance, la première province romaine, et la provenance principale du ravitaillement de Rome en céréales[33].
Hiéron II reste fidèle aux Romains pendant la deuxième guerre punique, mais son petit-fils Hiéronyme, également petit-fils de Pyrrhus, choisit en -215 le camp carthaginois, comme l'oligarchie qui prend place après son assassinat. Après une série de victoires d'Hannibal, le consul Marcus Claudius Marcellus reprend l'offensive en massacrant les habitants d'Enna, détruisant Megara Hyblaea, pillant Syracuse en -212, après deux ans de résistance grâce au génie d'Archimède, puis Marcus Valerius Laevinus vainc Agrigente. Les cités siciliotes disparaissent, Rome amorce son hégémonie méditerranéenne tandis que s'éteint la puissance de Carthage. Scipion se fait attribuer la province de Sicile qu'il réorganise et pacifie avant d'embarquer à Lilybée à la tête d'une importante flotte pour vaincre Carthage au large de Zama en -202[33]. Toute la Sicile, y compris l'ancien royaume de Hiéron II, annexée à la province, est soumise à Rome[33], et pour la première fois administrativement unifiée[34].
Sous la République, le gouverneur (consul ou préteur) dirige l'île depuis l'ancien palais royal de Syracuse, aidé par deux questeurs pour l’administration financière, l'un à Syracuse, l'autre à Lilybée. La fiscalité des cités dépend de leurs alliances lors des guerres puniques : alors que Lentini, Megara Hyblaea (rasée) et Morgantina (repeuplée par des mercenaires espagnols) disparaissent politiquement[35] et que Syracuse, Lilybée et Éryx voient leurs territoires confisqués au profit du peuple romain (civitates censoriae), les alliées de Rome, Messine, Tauroménion et Neetum sont des cités fédérées, percevant leurs propres dîmes mais soumises aux obligations militaires (civitates foederatae) tandis que Centuripe, Halaesa, Panhormus, Halyciae et Ségeste, sont libres et partiellement exemptes d’impôts (civitates liberae et immunes). Les autres cités sont soumises à la dîme en nature (civitates decumanae), alimentant ainsi Rome en blé et en orge[36], mais aussi en fruits, légumes, olives et vin[37]. Grâce au prélèvement d'un dixième des récoltes, la Sicile est alors, selon le mot de Caton l'Ancien, « le magasin aux vivres de notre République, le pays nourricier de la plèbe romaine ». « Par ses fournitures de cuirs, de tuniques, de froment, elle a vêtu, nourri, équipé nos armées », considère Cicéron. En effet, les Romains ont accru le peuplement rural et l'agriculture extensive se développe dans de vastes propriétés aux mains de puissants Romains, qui tirent profit à distance de l'essor de la culture du blé dans les plaines, et de l'élevage (chevaux, bœufs, moutons) dans les régions montagneuses[33]. Cependant, la petite et moyenne propriété reste majoritaire sous la République[38].
Parmi les 600000 à un million de Siciliens, les Romains ne sont probablement pas plus de 10 000[38]. Le nombre d'esclaves lui, s'accroit du fait des nombreux hommes et femmes vendus après la chute de Carthage et de Corinthe, et de la baisse de leur prix[39]. Souvent désœuvrés et parfois affamés, se livrant au brigandage, ils engagent la Première guerre servile (135-132) partie d'Enna avant d'essaimer dans toute l'île. Les esclaves menés par Eunus et soutenus par le peuple des campagnes dont beaucoup partagent la langue grecque, résistent aux armées romaines[40]. Quand le consul Publius Rupilius parvient à écraser la révolte, il privilégie la petite propriété et limite l’extension des latifundia qui deviennent toutefois la norme sicilienne. Une deuxième guerre servile éclate en lorsque le Sénat affranchit une poignée d'esclaves. Athénion et Salvius Tryphon rassemblent 30 000 hommes qui ne se rendent qu'après quatre ans de lutte. Restés à l'écart de la guerre sociale et de la Troisième guerre servile, les Siciliens contestent en revanche le pouvoir de leur propréteur, Verres, qui instaure durant deux ans un système de fraude, de corruption, de justice arbitraire et de pillage, et qui s'enfuit en -70 à Marseille après la première plaidoirie de leur avocat, Cicéron, ancien questeur à Lilybée[33].
À la mort de César, qui a accordé le droit latin à l'île en -46, Sextus Pompée, fils de Pompée, s'oppose au second triumvirat en se rendant maître de Messine puis l'essentiel de l'île en -44. La Sicile devient sa base de résistance via un blocus sur l'approvisionnement en blé de la péninsule et le ravitaillement des armées dans les Balkans. Il négocie avec les triumvirs le traité de Misène en -39 qui reconnait sa souveraineté sur la Sicile, la Corse et la Sardaigne. Mais après deux tentatives infructueuses d'invasion en -38 et -37, Octave dépêche en -36 Agrippa qui défait Sextus lors de la Bataille de Nauloque, contraignant le vaincu à fuir en Orient[41]. Le conflit laisse l'île désolée, des villes pillées, des populations déplacées, comme à Taormina, 6000 esclaves crucifiés, plus de 270 000 militaires stationnées[42].
Octave, en réponse au soutien des Siciliens aux Pompéiens, revient en -36 sur la promesse de Marc Antoine en -44 d'accorder la citoyenneté romaine à tous les hommes libres[36]. Une nouvelle révolte d'esclaves, menée par Sélurus, livre la région de l’Etna au brigandage, jusqu'à la mort de leur chef, livré aux fauves à Rome en -35.
Aux prémices de l'Empire d'Octave, devenu Auguste en -27, la Sicile est l'une des dix provinces sénatoriales[33]. Des vétérans s'installent à Syracuse, Catane, Tauroménion et Tyndaris, et de grands domaines sont donnés à de hauts dignitaires et officiers fidèles. Auguste visite l'île en -22[33], et accorde le statut de colonie, donc de citoyen romain à leurs habitants, à ces quatre cités ainsi qu'à Termini et Panormos[43]. Lilybée et Agrigente reçoivent le statut de municipe[44].
A cette époque, Strabon constate le dépeuplement des villes de l'intérieur se dépeuplent, tel qu'Enna depuis la défaite d'Eunus. Sur la côte est, Catane et Tauromenium ont également décliné, et au sud, la côte ne compte plus qu'Agrigente et Lilybée. Les campagnes, laissées aux bergers, deviennent les propriétés de riches Romains[45], dont des empereurs et des hommes d’État[33]. L'agriculture sicilienne devient à l'intérieur des terres celle des vastes latifundia dédiées à la monoculture céréalière qui marqueront défavorablement l'économie agricole de l'île jusqu'au XXe siècle[37], et ses rendements progressent grâce à la science, malgré la concurrence de l'Afrique et l’Égypte pour la fourniture du blé à Rome[33]. Selon le témoignage de Strabon, la Sicile « exporte à Rome tous ses produits, sauf une petite quantité réservée pour sa propre consommation ; […] les fruits de la terre, mais aussi le bétail, le cuir, la laine, etc. »[45]. Les marchandises transitent par deux routes romaines, la Via Valeria, de Messine à Lilybée, et la via Pompeia, entre Messine et Syracuse.
Une éclipse politique marque l'île sous le Haut-Empire. Mais, profitant de la fin des conflits séculaires, les lieux de spectacle renaissent pour abriter les jeux de l’amphithéâtre, comme à Syracuse et à Tauroménion. Cités et campagnes s'agrémentent de villas, thermes, gymnases et nymphées. La Vénus Landolina et le sarcophage de Phèdre et Hippolyte de la cathédrale d’Agrigente témoignent de l'influence persistante de la culture grecque dans la sculpture sicilienne romanisée du IIe siècle, qui survit également par un trilinguisme (sicule, grec et latin)[33]. Syracuse et l'Etna attirent de la haute société romaine, à l'image de l'empereur Hadrien en 125 apr. J.-C.[46]. Les cités de l'ouest, comme Panormos, Lilybée, Termini et Héracléa Minoa, mais aussi Catane à l'est, se développent, et les villas rurales, à l'instar de la villa de San Biagio puis la villa del Casale, remplacent les nombreuses fermes[47]. Les maisons urbaines et les édifices publics conservent les traditions grecques.
L'édit de Caracalla accorde la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de Sicile en 212[33]. Mais la Crise du troisième siècle affecte la Sicile comme le reste de l'Empire : en 265, les esclaves se révoltent une nouvelle fois, et en 278, des pirates francs d'Orient ravagent Syracuse[33]. Pourtant, la campagne sicilienne retrouve un important rôle d'approvisionnement de Rome, et la croissance démographique et économique qui en découlent, accentuée encore par la perte du diocèse d'Afrique en 432. Lors de la division de l'Empire romain définitive en 395, la Sicile intègre l’Empire romain d’Occident[48].
Si l'apôtre Paul a séjourné trois jours à Syracuse, et que la tradition évoque comme évangélisateurs de la Sicile les évêques Marcien, Pancrace, et Birille envoyés par Pierre, il semble que les chrétiens n'apparaissent sur la côte est de l'île qu'aux IIe – IIIe siècles. Dans un pays traditionnellement ouvert au syncrétisme religieux[49], les temples païens muent en églises, des sépultures collectives comme la catacombe de Santa Lucia de Syracuse se constituent, des cultes de martyrs (Marcien de Syracuse, Agathe de Catane puis Lucie de Syracuse) émergent[33], le monachisme apparaît après le passage de Hilarion de Gaza[50]. L’évêque de Syracuse assiste au concile d’Arles en 313 et sa religion se diffuse rapidement dans toute l'île durant le siècle[33] jusqu'à sa christianisation totale à la fin du Ve siècle, alliant subordination administration à l'église romaine et influence liturgique orientale. Donatisme, pélagianisme, arianisme, nestorianisme et monophysisme sont présents en Sicile sans s'y implanter, les évêques restant tous fidèles à la doctrine romaine[51].
Après le Sac de Rome par Alaric, une partie de l'élite romaine se réfugie sur ses latifundia siciliens[52]. Les Vandales de Genséric débarquent à Lilybée au printemps 440, assiègent vainement Palerme et pillent Syracuse. Retournés en Afrique, ils affrontent les troupes de Marcellinus et Ricimer après la mort de Valentinien III et prennent possession de l'île en 468, avant de la remettre en 476 à Odoacre, en conservant Lilybée jusqu'en 486[53].
Après l'Italie, les Ostrogoths conquièrent la Sicile en 491 et la laissent prospérer en paix, installant des soldats à Syracuse, Messine et Lilybée[53].