Ian Smith
homme politique rhodésien, Premier ministre de 1964 à 1979 / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Cher Wikiwand IA, Faisons court en répondant simplement à ces questions clés :
Pouvez-vous énumérer les principaux faits et statistiques sur Ian Smith?
Résumez cet article pour un enfant de 10 ans
Pour les articles homonymes, voir Ian Smith (homonymie) et Smith.
Ian Smith (né le à Selukwe en Rhodésie du Sud et mort le au Cap en Afrique du Sud) est un homme d'État rhodésien, député (1948-1987), membre notable du Front rhodésien et Premier ministre de Rhodésie (futur Zimbabwe) du au [n 2]. Premier Rhodésien d'origine à cette fonction, il dirigea le gouvernement principalement blanc qui proclama unilatéralement l'indépendance du pays vis-à-vis du Royaume-Uni en 1965. Durant les quatorze années d'isolement diplomatique qui suivirent, il supervisa les actions des forces de sécurité qui combattaient les guérillas nationalistes noires soutenues par l'Union soviétique. Il abandonna le pouvoir en 1979 après la signature d'un accord de paix et resta le chef de l'opposition parlementaire jusqu'en 1987.
Ian Smith | |
Ian Smith en 1975. | |
Fonctions | |
---|---|
Premier ministre de Rhodésie[n 1] | |
– [n 2] (15 ans, 2 mois et 14 jours) |
|
Président | Clifford Dupont (1970-1975) John Wrathall (1976-1978)[n 3] |
Monarque | Élisabeth II[n 4] |
Prédécesseur | Winston Field |
Successeur | Abel Muzorewa |
Biographie | |
Nom de naissance | Ian Douglas Smith |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Selukwe (Rhodésie du Sud) |
Date de décès | (à 88 ans) |
Lieu de décès | Le Cap (Afrique du Sud) |
Nature du décès | Accident vasculaire cérébral |
Nationalité | Britannique Rhodésienne Zimbabwéenne |
Parti politique | Parti libéral (1948-1953) Parti fédéral uni (1953-1961) Front rhodésien (1962-1987) |
Père | Jock Smith |
Mère | Agnes Hodgson |
Conjoint | Janet Watt (1915-1994 †) |
Enfants | Trois, dont Alec Smith |
Diplômé de | Université Rhodes |
Profession | Agriculteur |
Religion | Chrétien presbytérien[4] |
|
|
Premiers ministres rhodésiens | |
modifier |
Né dans une famille de colons britanniques à Selukwe, une petite ville de la province des Midlands, Smith combattit comme pilote dans la Royal Air Force sur les fronts du Moyen-Orient et d'Europe durant la Seconde Guerre mondiale. Abattu en Italie en 1944, il parvint à éviter la capture et à rejoindre les lignes alliées mais il fut blessé au visage et conserva des séquelles toute sa vie. Démobilisé, il acheta une ferme près de sa villa natale et en 1948, il fut élu député ; à 29 ans, il était le plus jeune membre du Parlement. Initialement affilié au Parti libéral, il rejoignit le Parti fédéral uni en 1953 et gravit ses échelons durant les années 1950. Il démissionna en 1961 pour protester contre la nouvelle constitution du territoire et l'année suivante, il aida Winston Field à fonder le Front rhodésien fermement conservateur qui exigeait l'indépendance immédiate et était opposé à la prise de pouvoir de la majorité noire.
Le Front rhodésien remporta largement l'élection législative de 1962 et Smith succéda à Field au poste de premier ministre en 1964. Le gouvernement britannique de Harold Wilson refusant d'accorder l'indépendance à la Rhodésie tant que cette dernière ne mettrait pas en place un programme de transfert de pouvoir à la majorité noire, Smith et son cabinet décidèrent de la proclamer de manière unilatérale le . Soumis aux sanctions des Nations unies, le pays devint diplomatiquement isolé et le gouvernement dut affronter les mouvements nationalistes noirs lors de la guerre du Bush.
En 1978, Smith négocia un accord avec le chef nationaliste Abel Muzorewa ; la Rhodésie devint le Zimbabwe-Rhodésie avec une nouvelle constitution et Muzorewa fut élu premier ministre. Les mouvements menés par Joshua Nkomo et Robert Mugabe s'opposèrent néanmoins à ces négociations et poursuivirent leurs activités de guérilla tandis que la communauté internationale refusa de lever les sanctions. Smith participa à la délégation de Muzorewa qui signa les accords de Lancaster House avec les groupes rebelles en 1980 mettant ainsi fin à quinze années de guerre civile. Le pays devint le Zimbabwe, qui fut rapidement reconnu par l'ONU, et Robert Mugabe fut élu premier ministre. Smith devint un de ses principaux opposants en tant que chef de l'opposition et le resta dans sa retraite après 1987. Alors que le prestige de Mugabe fut affecté par la ruine du Zimbabwe, la réputation de Smith s'améliora dans le pays et à l'étranger. Il resta au Zimbabwe jusqu'en 2005 avant de s'installer au Cap en Afrique du Sud pour des raisons de santé. Après sa mort deux ans plus tard, ses cendres furent dispersées dans sa ferme.
Smith reste une figure très controversée ; ses partisans le considèrent comme un symbole de résistance et d'intégrité « qui comprenait les vérités inconfortables de l'Afrique » tandis que ses opposants le décrivent comme un « raciste invétéré » dont les actions firent des milliers de victimes et contribuèrent aux crises du Zimbabwe.
Enfance
Ian Douglas Smith est né le à Selukwe, une petite ville minière de la province des Midlands à environ 310 km au sud-ouest de la capitale de la Rhodésie du Sud, Salisbury. Il avait deux sœurs aînées, Phyllis and Joan, et un frère cadet, Hilary, né en 1923 mais mort d'une pneumonie peu après[5]. Son père, John Douglas « Jock » Smith, était le fils d'un boucher et d'un éleveur de Hamilton en Écosse qui s'était installé en Rhodésie du Sud en 1898 à l'âge de 18 ans ; en plus d'être un éleveur et un boucher prospère, il possédait un garage à Selukwe. En 1907, il rencontra Agnes Hodgson alors âgée de 16 ans dont la famille, originaire de Frizington (en) dans le comté anglais de Cumberland, s'était installée à Selukwe l'année précédente. Le père d'Agnes renvoya néanmoins son épouse et ses enfants en Angleterre en 1908 mais Jock Smith se rendit sans prévenir à Frizington pour demander sa main ; ils ne s'étaient pas vus pendant trois ans. Ils se marièrent et revinrent ensemble en Rhodésie où Jock remporta le derby organisé à Salisbury à l'occasion du couronnement du roi George V du Royaume-Uni[6].
Le couple s'impliqua largement dans la vie locale. Jock présida le comité de développement du village et commanda la compagnie de volontaires de Selukwe ; il fut également l'un des membres fondateurs de la loge maçonnique locale et présida les clubs de football et de rugby. De son côté, Agnes créa l'institut des femmes de Selukwe et les deux reçurent, à des dates différentes, l'ordre de l'Empire britannique pour leurs activités au sein de la communauté[7]. Smith écrivit dans ses mémoires que « [ses] parents s'efforcèrent d'inculquer les principes et les valeurs morales, le sens du bien et du mal et l'intégrité à leurs enfants… Ils représentaient de merveilleux exemples à émuler[8] ». Il considérait son père comme « un homme de principes extrêmement solides, l'un des hommes les plus justes que j'ai jamais rencontré et c'est de cette manière qu'il m'a élevé. Il me disait toujours que nous avions le droit à notre moitié du pays et que les noirs avaient droit à la leur[9] ». Élevé sur la frontière de l'Empire britannique dans la plus jeune colonie de peuplement du Royaume-Uni, Smith et sa génération de Rhodésiens blancs avaient la réputation d'être « plus britanniques que les Britanniques », un fait dont ils étaient particulièrement fiers[10].
Après avoir été élève à l'école primaire de Selukwe, Smith devint interne à la Chaplin School de Gwelo à environ 30 km de la maison familiale. Il se fit rapidement remarquer pour ses talents de sportif et durant sa dernière année à Gwelo, il fut capitaine des équipes de cricket, de rugby et de tennis, remporta la plupart des épreuves d'athlétisme et excella au tir au fusil[11]. Il rapporta plus tard qu'il « était un absolument dingue de sport… rétrospectivement, je reconnais que j'aurais dû consacrer bien plus de temps à mon travail scolaire et moins au sport[12] ». Ses résultats étaient néanmoins loin d'être médiocres et il entra à l'université Rhodes de Grahamstown en Afrique du Sud en 1938. Cette dernière comptait de nombreux étudiants rhodésiens en partie car la Rhodésie n'avait alors pas d'université et en raison de son association homonyme avec Cecil Rhodes. Il y étudia en vue d'obtenir une licence en commerce[11]. Après s'être blessé au genou en jouant au rugby, il s'intéressa à l'aviron et rejoignit l'équipage de l'université[13].
Seconde Guerre mondiale
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata en , la Rhodésie du Sud était une colonie autonome depuis seize ans. Diplomatiquement alignée sur le Royaume-Uni, elle entra automatiquement dans le conflit après la déclaration de guerre britannique à l'Allemagne le [14]. Smith était alors à la moitié de son cursus universitaire et il déclara plus tard que son patriotisme l'avait poussé à mettre de côté ses études pour « combattre pour le Royaume-Uni et tout ce qu'il représentait[15] ». Fasciné par la perspective de piloter un Spitfire[15], il voulut rejoindre l'armée de l'air rhodésienne mais cette dernière refusait d'accepter des étudiants qui n'avaient pas été diplômés[16]. Il parvint néanmoins à s'enrôler en 1940 en s'abstenant d'indiquer qu'il poursuivait ses études[15] et entra formellement dans la Royal Air Force, qui avait absorbé l'armée de l'air rhodésienne l'année précédente, en [17].
Dans le cadre du plan d'entraînement aérien du Commonwealth britannique, Smith passa un an à Gwelo et devint pilote en [18],[19]. Il espérait être déployé en Grande-Bretagne[20] mais fut stationné au Moyen-Orient puis en Égypte[21]. En , son Hurricane s'écrasa au décollage après une défaillance du moteur et il s'en sortit avec la mâchoire, une jambe et une épaule cassées[22],[21]. Il fut également gravement blessé au visage et subit une opération de chirurgie plastique et des greffes de peau au Caire[23]. Du fait de cette chirurgie, le côté droit de son visage resta paralysé, ce qui lui donnait un sourire figé et un air assez inexpressif ; ses blessures provoquèrent également une légère claudication[24] et il ne pouvait pas rester assis longtemps sans douleur[25]. Après cinq mois de convalescence, il fut jugé apte à revoler en [20]. Il déclina une proposition pour retourner comme instructeur en Rhodésie[23] et réintégra son escadron en en Corse[26].
Durant une opération de mitraillage au sol contre une gare dans le nord de l'Italie le [17], le Spitfire de Smith fut touché par la défense antiaérienne allemande et il sauta en parachute derrière les lignes ennemies[27]. Il fut brièvement caché par une famille de paysans[28] avant de rejoindre un groupe de partisans italiens avec lesquels il mena des opérations de sabotage pendant trois mois. Lorsque les Allemands se retirèrent de la zone en , Smith tenta de rallier les forces alliées qui venaient de débarquer dans le sud de la France. Avec trois autres résistants, tous de pays européens différents, et un guide local, Smith traversa les Alpes maritimes dans des conditions difficiles étant donné la saison et leur manque d'équipement. Le groupe fut récupéré par des soldats américains en [29]. Smith refusa à nouveau de rentrer en Rhodésie[30] et retourna sur le front en avec l'escadron no 130 déployé en Allemagne de l'Ouest. Il réalisa plusieurs missions de combat jusqu'à la capitulation allemande en mai et fut démobilisé à la fin de l'année avec le grade de capitaine d'aviation[31].
Entrée en politique
Comme la santé de Jock s'était détériorée après la guerre, la famille envisagea d'envoyer Ian mener une nouvelle vie aux États-Unis auprès de son oncle Elijah, un prospère homme d'affaires de New York. Smith n'avait cependant aucune envie de quitter la Rhodésie[32] et il décida de terminer ses études avant d'acheter une ferme près de Selukwe. Il retourna donc à l'université Rhodes où les anciens combattants représentaient environ 40 % des 1 000 étudiants. Il devint le porte-parole des vétérans de l'université et le président du conseil des étudiants. Il abandonna la présidence du club d'aviron en avançant que ses autres activités lui prenaient trop de temps mais il accepta d'entraîner l'équipage. L'entraînement était réalisé suivant une discipline militaire et l'équipe de l'université Rhodes remporta la course inter-universitaire sud-africaine de 1946 au barrage Vaal (en) au sud de Johannesbourg face à l'équipage de la riche université du Witwatersrand. À la fin de l'année, il obtint sa licence en commerce, « par miracle » selon lui, et retourna en Rhodésie pour étudier au collège agricole de Gwebi près de Salisbury[33].
Il suivit les cours dédiés aux anciens combattants et apprit les techniques de labour, d'élevage et de traite ; pour les travaux pratiques, il travailla dans une laiterie près de Selukwe et dans une plantation de tabac à Marandellas[34]. En 1947, il rencontra Janet Duvenage (née Watt)[35], une enseignante de la province sud africaine du Cap, qui s'était installée à Selukwe avec sa famille après la mort de son époux. Ce qu'elle avait envisagé comme une brève période de repos pour ses deux jeunes enfants, Jean et Robert, et elle se transforma en un séjour permanent quand elle accepta un poste à l'école primaire de la ville[36]. Smith écrivit plus tard qu'il fut attiré par son intelligence, son courage et « son opposition à l'idée d'esquiver les problèmes… sa tendance était de prendre la décision courageuse plutôt que de choisir une sortie facile[35] » ; ils se fiancèrent en 1948. À la même période, Smith acheta un terrain difficile près de Selukwe entre les rivières Lundi et Impali et traversée par un ruisseau[35]. Le couple baptisa ce terrain de 1 500 hectares, « Gwenoro », d'après le nom donné au ruisseau par la tribu karanga vivant dans la région et elle créa un ranch pour élever du bétail et cultiver du tabac et du maïs[37].
En , le gouvernement de Godfrey Huggins du Parti uni de Rhodésie perdit un vote de confiance au Parlement et des élections générales furent planifiées pour septembre. En août, Smith fut approché par des membres du Parti libéral appartenant à l'opposition qui lui demandèrent de se présenter à Selukwe[38]. Les libéraux menés par Jacob Smit étaient, malgré leur nom, conservateurs et représentaient les intérêts agricoles, miniers et industriels[39]. Smith était initialement réticent et avança qu'il avait d'autres priorités mais il accepta quand un des représentants du Parti libéral lui indiqua qu'en se lançant en politique, il pourrait défendre les valeurs pour lesquelles il avait combattu durant la Seconde Guerre mondiale[40]. Alors que leur mariage était prévu deux semaines plus tard, Janet fut étonnée de la décision de son fiancé de briguer un siège au Parlement car elle ne l'avait jusque-là jamais entendu parler de politique. Smith lui expliqua que « je ne peux pas dire que je sois vraiment intéressé par la politique partisane mais j'ai toujours été très intéressé par les politiques sensées[41] ». Smith devint officiellement membre du Parti libéral, finalisa son achat de Gwenoro et épousa Janet en adoptant ses deux enfants, le tout en . Ils passèrent quelques jours aux chutes Victoria pour leur lune de miel avant de partir en campagne électorale[41].
Le système électoral rhodésien n'accordait le droit de vote qu'à ceux remplissant certains critères financiers et éducatifs. Ces critères étaient les mêmes quelle que soit la couleur de peau mais comme peu de noirs les remplissaient ; par conséquent, les électeurs et les parlementaires étaient en très grande majorité blancs même s'ils ne représentèrent jamais plus de 5 % de la population totale[42]. Smith fit campagne dans la vaste circonscription de Selukwe et devint très populaire. De nombreuses familles blanches l'appréciaient en raison des mérites de son père ou car elles avaient des enfants qui avaient été à l'école avec lui. Son service dans la RAF fut un atout important d'autant plus que son adversaire du Parti uni, Petrus Cilliers, avait été emprisonné durant le conflit en raison de son pacifisme[43]. Le , Smith arriva en tête devant Cilliers et le candidat travailliste avec 361 voix sur 747 et devint donc député de Selukwe[44]. À 29 ans, il était le plus jeune parlementaire de l'histoire de la Rhodésie du Sud[45]. L'élection fut néanmoins une déroute pour le Parti libéral au niveau national qui perdit sept de ses douze députés. Smit, qui avait été battu à Salisbury[44], se retira et fut remplacé comme chef de l'opposition par Raymond Stockil[45].
Débuts
En raison de la petite taille de la Rhodésie et de l'absence de controverses importantes au niveau national, son parlement unicaméral ne siégeait alors que deux fois par an pour une durée totale de trois mois et les débats se déroulaient dans l'après-midi avant et après une pause d'une demi-heure pour un thé en extérieur[46]. Les activités parlementaires de Smith à Salisbury le détournèrent donc peu de son ranch. Ses interventions devant le Parlement, la plupart consacrées aux questions agricoles et minières, furent peu notables mais ses efforts au sein du parti lui valurent le respect et la confiance de Stockil[45]. Janet s'occupait des affaires de Gwenoro durant les absences de son époux[47] et elle donna naissance à son unique enfant biologique, Alec, le [48].
L'obtention du statut de dominion n'était alors pas vu comme une question importante par la plupart des hommes politiques rhodésiens qui considéraient qu'ils étaient déjà virtuellement indépendant ; seules les affaires étrangères n'étaient pas de leur ressort mais ils étaient réticents à l'idée de devoir financer des consulats et des ambassades à l'étranger[49],[50]. Huggins et le Parti uni cherchaient initialement à former une fédération semi-indépendante avec la Rhodésie du Nord et le Nyassaland, deux protectorats administrés directement depuis Londres[51] avec l'objectif à long terme de créer un dominion unique dans le nord de l'Afrique australe[52].
Smith était l'un de ceux pour qui la question de l'indépendance était importante[49]. Durant les débats sur la fédération au Parlement, il demanda que si la Rhodésie du Sud préférait celle-ci à l'indépendance, une clause devait garantir le statut de dominion à la Rhodésie du Sud dans le cas d'un éclatement de la fédération. Le Parti uni rejeta cette proposition en avançant que la nouvelle entité devait être présentée comme indissoluble pour qu'elle puisse obtenir des prêts[49]. Smith n'était pas particulièrement favorable au projet fédéral mais il le défendit publiquement lorsque l'électorat l'approuva par référendum en . Il déclara au Rhodesia Herald que comme ce projet avait été adopté, il était dans l'intérêt de la Rhodésie du Sud que chacun fasse son possible pour qu'il réussisse[53]. Le , de nombreux membres du Parti libéral et lui rejoignirent le nouveau Parti fédéral dirigé par Huggins et Roy Welensky de Rhodésie du Nord[54].
Fédération
La fédération de Rhodésie et du Nyassaland était largement dominée par la Rhodésie du Sud qui était le plus développé des trois territoires ; Salisbury était la capitale de l'entité et Huggins son premier ministre. Garfield Todd succéda à Huggins comme premier ministre de Rhodésie du Sud en 1953. Après avoir démissionné de son siège de Selukwe, Smith brigua et remporta l'élection dans la circonscription des Midlands lors de la première élection fédérale le [54]. Pour Welensky, qui devint premier ministre fédéral lors du départ en retraite de 1956 de Huggins, Smith « ne passa pas beaucoup de temps à Salisbury » dans les premières années de la Fédération et avait « trois principaux centres d'intérêt… l'un était l'heure d'été, l'autre était l'éducation européenne et il montrait toujours une passion pour l'agriculture[55] ».
Smith reçut sa première fonction gouvernementale en juste après l'élection fédérale au cours de laquelle il fut réélu député de Gwanda quand l'un des ministres de Welesky proposa qu'il devienne secrétaire parlementaire dans le nouveau gouvernement du Parti uni fédéral (UFP). Welensky rejeta l'idée, en avançant que s'il appréciait l'ancienneté de Smith au Parlement, il ne considérait pas qu'il « avait la motivation suffisante » pour une telle fonction[56]. Il décida alors de le nommer whip en chef, un rôle généralement comme un tremplin vers un portefeuille ministériel, pour voir ses capacités[56].
Selon sa biographe Phillippa Berlyn, Smith resta un personnage assez banal en tant whip en chef, même s'il était reconnu par ses pairs comme quelqu'un d'efficace[57]. Clifford Dupont, alors le whip en chef du Dominion Party dans l'opposition, avança par la suite que l'écrasante majorité de l'UFP à l'assemblée fédérale donna peu d'occasions à Smith de s'illustrer étant donné que peu de votes étaient réellement problématiques[57].
Rupture avec l'UFP
Alors que le mouvement de décolonisation de l'Afrique s'accélérait après le discours du Wind of Change du premier ministre britannique Harold MacMillan, la Fédération affronta dès sa création une forte opposition noire en particulier en Rhodésie du Nord et au Nyassaland[58],[59]. Même si Todd abaissa les critères financiers et éducatif en 1957 pour accroître le nombre d'électeurs noirs, très peu d'entre eux s'enregistrèrent sur les listes électorales en raison des intimidations et des agressions menées par les mouvements nationalistes noirs[60]. Ces derniers estimaient que la violence et le boycott de la politique permettraient aux noirs d'obtenir plus rapidement le contrôle des institutions[61]. Pour tenter de sécuriser l'indépendance de la Rhodésie du Sud en cas d'éclatement de la Fédération[62], le premier ministre Edgar Whitehead, qui avait succédé à Todd en 1958, accepta une nouvelle constitution avec le Royaume-Uni en 1961[63]. Cette dernière ne contenait aucune garantie explicite pour une future indépendance mais Whitehead, Welensky et d'autres partisans la présentèrent comme la « constitution de l'indépendance » par laquelle la Rhodésie du Sud deviendrait un royaume du Commonwealth sur le même plan que l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande si la Fédération se divisait[64].
Smith était l'un des plus farouches opposants à cette nouvelle constitution. Il s'opposa à la division de l'électorat entre un groupe « A » et un groupe « B » en indiquant que ce système était racialiste[65] et refusa l'idée que les premiers parlementaires noirs soient élus par une base non représentative[66][n 5]. Il déclara que « notre politique passé a toujours été d'avoir un gouvernement, en Rhodésie, basé sur le mérite et sur le fait que le peuple ne se préoccupe pas que vous soyez noir ou blanc[68] ». Il pointa également le fait que le texte ne garantissait pas explicitement l'indépendance en cas de dissolution de la Fédération[69]. Lors du vote du parti sur la constitution le , Smith fut le seul des 280 délégués à voter contre[n 6]. Profondément déçu par ces développements, il quitta le parti peu après et siégea comme indépendant à l'assemblée fédérale. Il apporta son soutien à l'United Group, une coalition fragile rassemblant les opposants à la constitution comme les conservateurs du Dominion Party de Winston Field et les libéraux, même si leurs raisons étaient variées et parfois contradictoires[64]. Les chefs nationalistes noirs étaient initialement favorables à la constitution et signèrent une version préliminaire mais la rejetèrent presque immédiatement en appelant à boycotter les élections selon les nouvelles dispositions[70],[71]. Le , 66 % des électeurs, principalement blancs, se prononcèrent en faveur de la nouvelle constitution[72].
Création du Front rhodésien
Alors que le gouvernement britannique supervisait le transfert du pouvoir de la minorité blanche à la majorité noire au Nyassaland et se préparait à faire de même en Rhodésie du Nord, Smith jugea que la Fédération était une cause perdue et décida de créer un nouveau parti qui défendrait l'indépendance de la Rhodésie du Sud sans transfert de pouvoir immédiat à la majorité noire. Avec le soutien de l'industriel millionnaire D. C. « Boss » Lilford, il forma en le Parti réformateur rhodésien (RRP) regroupant des déçus de l'UFP[73]. Dans le même temps, Whitehead tenta de contrer les nationalistes noirs et de convaincre les noirs de s'enregistrer sur les listes électorales. Le principal groupe nationaliste, le Parti démocratique national, fut interdit en raison de ses pratiques violentes même s'il se reforma en tant que Zimbabwe African People's Union (ZAPU)[n 7] et le premier ministre annonça que l'UFP abolirait le Land Apportionment Act, réservant les droits fonciers dans certaines zones aux blancs, s'il remportait les prochaines élections[77]. Ces actes convainquirent peu d'électeurs noirs et irritèrent de nombreux blancs qui rejoignit le RRP ou le Dominion Party de Field[78].
Smith, Field et d'autres se rencontrèrent à Salisbury le et décidèrent de s'unir contre Whitehead au sein du Front rhodésien (RF). La composition du nouveau parti était assez disparate entre les anciens membres de l'UFP comme Smith qui défendaient une transition progressive et une administration basée sur le mérite et les partisans conservateurs du Dominion Party dont certains étaient favorables à une politique de ségrégation raciale semblable aux idées du Parti national sud-africain. Ses membres étaient néanmoins unis par leur opposition commune aux promesses de réformes de Whitehead qui, selon eux, provoqueraient une crise semblable à celle déchirant le Congo, la fuite de la communauté blanche et finalement la désintégration du pays[79]. Dans le contexte plus large de la guerre froide, le RF farouchement anticommuniste voulait incarner aux côtés de l'Afrique du Sud et du Portugal, un rempart contre ce qu'il considérait être l'expansionnisme soviétique et chinois[80]. Smith déclara que le RF travaillait à empêcher « la folle idée d'une cession, de l'abandon de l'Européen et de sa civilisation, de tout de qu'il a fait dans son pays… L'homme blanc est le maître de la Rhodésie… [il] l'a construite et a l'intention de la garder[79],[81] ».
Le RF ignora les élections fédérales d' qu'il jugeait sans intérêt et concentra ses efforts sur les élections rhodésiennes prévues à la fin de l'année[79]. Whitehead avait en effet convoqué des élections générales pour le . Il tenta à nouveau de réduire la violence des nationalistes noirs en interdisant le ZAPU et en arrêtant 1 094 de ses membres en [82] mais il était toujours considéré comme trop libéral par l'électorat blanc. Un grand nombre d'entreprises qui avaient auparavant financé l'UFP se tournèrent cette fois vers le Front rhodésien. Ce dernier exploita le chaos au Congo et les incertitudes entourant l'avenir de la Rhodésie du Sud pour créer un sentiment d'urgence ; il promit de maintenir le pouvoir « dans des mains responsables », de défendre le Land Apportionment Act, de s'opposer à la discrimination positive pour les noirs et d'obtenir l'indépendance du pays[83].
La campagne fut serrée jusqu'à la veille de l'élection quand Whitehead fit ce qui se révéla être une grave erreur politique en déclarant lors d'un rassemblement à Marandellas qu'il nommerait immédiatement un noir dans son gouvernement et que ce dernier pourrait en compter jusqu'à six Cette déclaration fut largement relayée par les radios juste avant l'ouverture des bureaux de vote le lendemain et elle stupéfia de nombreux électeurs blancs qui changèrent d'avis à la dernière minute[84]. Le RF arriva ainsi en tête avec 35 sièges issus de la liste « A » contre 15 de la liste « A » et 14 de la liste « B » pour l'UFP[84]. Peu d'observateurs s'attendaient à ce résultat et même le RF fut quelque peu surpris par sa victoire[85]. S'étant présenté dans la circonscription d'Umzingwane dans le Sud-Ouest rural, Smith arriva en tête du scrutin avec 803 voix contre 546 pour son adversaire de l'UFP, Reginald Segar[86].
Vice-premier ministre
Le , Field nomma Smith vice-premier ministre et ministre des Finances de son gouvernement[68]. Deux jours plus tard, Rab Butler, le vice-premier ministre et premier secrétaire d'État britannique, annonça que le Royaume-Uni autoriserait le Nyassaland à quitter la Fédération.[n 8]. Comme Kenneth Kaunda et Harry Nkumbula avaient formé un gouvernement nationaliste et sécessionniste noir en Rhodésie du Nord, le maintien de l'unité de la Fédération avec la Rhodésie du Sud du Front rhodésien était impossible[88]. Field fit de l'indépendance de la Rhodésie du Sud sa priorité[88] mais le gouvernement conservateur britannique ne souhaitait pas l'accorder sans transfert de pouvoir à la majorité noire, ce qui nuirait au prestige du Royaume-Uni et du Commonwealth[89],[90]. Cela provoquerait également la colère de l'opposition travailliste anticolonialiste et favorable aux ambitions nationalistes noires[91].
Butler annonça le qu'il allait organiser une conférence pour décider de l'avenir de la Fédération. Il était en effet impossible pour le Royaume-Uni de dissoudre l'entité sans la coopération de la Rhodésie du Sud qui avait signé l'accord d'union en 1953[92]. Selon Smith, Field, Dupont et d'autres membres du Front rhodésien, Butler fit plusieurs promesses d'indépendance pour s'assurer de la participation et du soutien de la Rhodésie du Sud, mais refusa de s'y engager par écrit. Field et Smith avancèrent que Butler justifia cela la veille de la conférence en indiquant qu'engager Londres à un document plutôt qu'à sa parole serait contraire à l'« esprit de confiance » du Commonwealth. Selon le témoignage de Field, Smith pointa du doigt le représentant britannique en déclarant : « Souvenons-nous de la confiance que vous avez souligné… si vous la brisez, vous le regretterez[93] ». Aucun compte-rendu de cette réunion n'a été réalisé et Butler nia par la suite avoir fait cette promesse[93]. La Rhodésie du Sud participa à la conférence organisée au Victoria Falls Hotel dans la ville du même nom durant une semaine à partir du et il fut décidé entre autres choses de liquider la Fédération avant la fin de l'année[94].
La Fédération fut officiellement dissoute le ; le Nyassaland et la Rhodésie du Nord semblaient pouvoir accéder à la pleine indépendance à la fin de l'année 1964 mais l'avenir de la Rhodésie du Sud paraissait incertain. Sous l'intense pression du Front rhodésien qui demandait l'indépendance, les apparentes hésitations de Field dans ses discussions avec le gouvernement britannique provoquèrent des tensions au sein du parti et le premier ministre perdit de nombreux soutiens au début de l'année 1964[95]. Le , le comité de direction du RF adopta une motion de censure presque unanime à l'encontre de Field qui démissionna de son poste de premier ministre onze jours plus tard ; Smith accepta de le remplacer à la demande du cabinet[96]. Il était le premier premier ministre à être né en Rhodésie du Sud[n 9], ce qui selon lui altéra profondément la nature des discussions avec le Royaume-Uni : « Pour la première fois de son histoire, le pays avait un premier ministre né en Rhodésie, quelqu'un dont les racines n'étaient pas en Grande-Bretagne mais en Afrique australe ; en d'autres mots, un africain blanc[100] ».