Incendies de Paris pendant la Commune
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Les incendies de Paris pendant la Commune sont des destructions par le feu, le plus souvent volontaires, de monuments et de bâtiments d'habitation de Paris pendant la Commune de Paris de 1871, essentiellement pendant la semaine sanglante, c'est-à-dire la période de reconquête de Paris par l'armée versaillaise du dimanche 21 au dimanche .
pendant la Commune
musée Carnavalet, Paris.
Date | 22-27 mai 1871 |
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Lieu | Paris |
La plupart de ces incendies sont allumés par des communards (ou fédérés), surtout du 22 au 26 mai. Ils mettent le feu à des monuments majeurs de Paris, comme le palais des Tuileries, le Palais-Royal, le palais de justice ou l'Hôtel de ville, mais en épargnent d'autres comme la cathédrale Notre-Dame. Ils incendient aussi des maisons particulières, pour protéger leurs barricades de l'avancée des Versaillais. Livrer au feu les grands monuments parisiens est à la fois une stratégie du désespoir, un acte d'appropriation et de purification et une sorte de fête apocalyptique, alors que les communards livrent leurs derniers combats dans les rues.
Malgré des tentatives d'organisation, ces brasiers sont allumés dans les tout derniers jours de la Commune, tandis qu'elle est en pleine déliquescence, et les décisions sont en partie des initiatives locales, alors que les repères habituels, y compris sensoriels, sont bouleversés. Après leur défaite, les communards n'en reconnaissent pas tous la responsabilité.
Ces incendies constituent un point nodal de la mémoire de la Commune. Aux yeux des Versaillais, ils démontrent la barbarie des communards, en particulier des femmes de la Commune, autour desquelles est construit le mythe des pétroleuses. Les ruines qui en résultent ne sont pas reconstruites tout de suite et font l'objet d'une appropriation romantique et touristique, y compris par de nombreuses photographies. La disparition massive d'archives consumées lors de ces incendies prive Paris d'une partie de sa mémoire.
Les bombardements prussiens et la barricade
La France a déclaré la guerre à la Prusse le . Après la capitulation de l'armée de Napoléon III à Sedan, les Parisiens proclament la République le , mais la guerre continue et, à partir du , Paris est assiégé par les Prussiens[Se 1]. Les canons prussiens bombardent régulièrement Paris, détruisant de nombreuses maisons, en particulier rive gauche. Le vacarme de la canonnade entretient la peur chez les Parisiens[Fo 1]. Ces combats autour de Paris pendant l'automne et l'hiver 1870-1871 entraînent des sinistres. À partir de , des bâtiments, des ponts, des fermes, des meules et des forêts sont brûlés par les deux armées. En , Paris est touché par des départs de feu, vite maîtrisés, conséquences des bombardements par les Prussiens[Ca 1].
Dès la Révolution française, référence majeure des communards, la peur de voir l'ennemi détruire Paris se développe et elle imprègne l'esprit de beaucoup de révolutionnaires parisiens au cours du XIXe siècle. Les fédérés vont transformer cette peur en une volonté de détruire et reconfigurer Paris, d'abord par la barricade[Fo 2]. En effet, la barricade, si elle est l'élément majeur de la défense des rues parisiennes pendant la Commune, est aussi et d'abord une tentative de contrôle de l'espace et une destruction du tissu urbain, un bricolage d'objets différents dont certains proviennent de l'intérieur des foyers et qui supprime la différence entre espace privé et espace public[1],[2],[Fo 2]. C'est le début du processus qui mènera à l'incendie d'une partie de la ville par les communards[Fo 2].
Le siège de l'armée versaillaise
Après l'insurrection du qui déclenche la Commune de Paris, la France se retrouve dans une situation de guerre civile, entre d'un côté le gouvernement dirigé par Adolphe Thiers, qui a fui à Versailles, où siège aussi l'Assemblée nationale qui le soutient, et de l'autre la Commune de Paris, qui dirige uniquement Paris[Se 2], malgré des tentatives de communes insurrectionnelles en province[3].
Le second siège de Paris est mené par les troupes versaillaises du au . Adolphe Thiers adopte une stratégie prudente d'investissement progressif de la capitale, parce que cette dernière est protégée par son enceinte et considérée comme une forteresse[Fo 2]. Le gouvernement de Versailles ne prend pas de risque. Il cherche à éviter tout échec par crainte d'être renversé par l'Assemblée nationale, que l'armée se débande, que les grandes villes connaissent des soulèvements ou que les Prussiens interviennent[To 1].
L'armée versaillaise bombarde les alentours de Paris, en particulier les forts qui protègent la ville, beaucoup plus intensément que ne l'avaient fait les Prussiens, puisque l'objectif versaillais est la neutralisation des forts et de l'enceinte. Ces destructions renforcent la détermination des communards, y compris à détruire eux-mêmes la ville s'ils ne parviennent pas à la défendre[Fo 2].
Des incendies se produisent donc dans la banlieue ou dans l'Ouest de Paris, à Auteuil, Passy, Courbevoie, Asnières, Levallois-Perret, Clichy, Gennevilliers et Montrouge. Ils sont dus aux bombardements des Versaillais ou aux feux déclenchés par les communards. Les fédérés ont des projets incendiaires à Bagneux et à Vanves, mais ils n'ont pas le temps de les mettre en œuvre à cause de la rapidité de la conquête versaillaise. Au total, peu de feux ont été allumés dans l'Ouest parisien[Ca 2].
Pendant la semaine sanglante, la chronologie des destructions par le feu est celle de la reconquête de Paris par les troupes versaillaises, d'Ouest en Est, du dimanche au dimanche [Ca 3].
À l'Ouest, lundi
Après un premier incendie des baraquements du Champ-de-Mars[No 1], le feu prend le soir du lundi dans les combles du ministère des Finances, alors rue de Rivoli[No 1],[Se 3],[Ca 3], allumé par les obus versaillais[No 1],[Se 3]. Il est éteint par les pompiers de la Commune[No 1].
La responsabilité de cet embrasement du ministère des Finances est un enjeu important des débats après la Commune. En effet, comme c'est le premier feu d'ampleur, le camp qui l'a déclenché est accusé par l'autre d'avoir entraîné les incendies suivants. Tous les communards en exil accusent les obus des canons versaillais. Le Versaillais Catulle Mendès également[Fo 3]. Selon l'écrivain anticommunard Maxime Du Camp, il y a deux incendies successifs au ministère des Finances, le premier à cause des obus versaillais le lundi , éteint par les fédérés, puis un second le lendemain qu'ils allument eux-mêmes[Le 1],[4].
Les premiers grands incendies, mardi 23 mai
Jusqu'au , les troupes versaillaises ne rencontrent guère de résistance sérieuse. Les premiers grands incendies coïncident avec une intensification de la défense communarde[Fo 4]. Après des préparatifs terminés vers 18 heures le , des communards brûlent plusieurs monuments la nuit suivante[Le 2] : le palais de la Légion d'honneur, le palais d'Orsay où est installée la Cour des comptes, la Caisse des dépôts, le palais des Tuileries ainsi que les rues proches[No 1],[Ca 3],[Le 2]. La rue de Lille va compter parmi les rues les plus atteintes par les incendies[4]. Les Versaillais jugent prudent d'attendre le lendemain pour contourner ces feux[Fo 4].
Les Tuileries sont le quartier général du général insurgé Jules Bergeret, qui y dirige les combats avec six cents hommes. Devant la progression des Versaillais[4], il décide de mettre le feu à ce palais, avec Alexis Dardelle, Étienne Boudin et Victor Bénot[Se 4],[Ca 4],[Ti 1]. Dardelle est le gouverneur du palais des Tuileries, nommé le par la Commune[5]. Le , l'incendie est préparé grâce à des chariots de poudre, de goudron liquide, d'essence de térébenthine et de pétrole[6],[Ti 1]. Avec ces matières inflammables, les fédérés arrosent les tentures, les rideaux et les parquets et déposent dans le salon des maréchaux et au pied de l'escalier d'honneur des barils de poudre[7] pendant que Dardelle organise l’évacuation des chevaux, des harnais et des objets précieux et fait sortir les employés en leur annonçant une explosion imminente[5]. Les communards allument le feu avec de grandes perches enflammées[7]. Ensuite, Dardelle et Bergeret contemplent les flammes de la terrasse du Louvre[5]. Les Tuileries brûlent jusqu'au vendredi [Ti 1].
Émile Eudes met le feu au palais de la Légion d'honneur[Se 4],[Ca 4], sur ordre du Comité de salut public[5]. L'ordre d'incendier le palais de la Légion d'honneur le est aussi attribué lors de son procès en 1872 à Émile Gois[8], mais les preuves manquent[No 2]. Le même jour, la progression des Versaillais est également ralentie par les feux allumés dans le quartier de la Madeleine et au carrefour de la Croix-Rouge[alpha 1] défendu par Eugène Varlin et Maxime Lisbonne[Fo 4].
Autour de l'Hôtel de ville, mercredi 24 mai
Le mercredi , des incendies sont allumés dans la journée au Louvre[Ca 3] — malgré, selon ce qu'il affirme plus tard, l'opposition de Bergeret[Ca 4] — dans des maisons rue Saint-Honoré, rue de Rivoli et rue Royale où il semble que sept personnes meurent asphyxiées, au Palais-Royal (peu endommagé) à l'Hôtel de ville (totalement détruit), au Palais de justice, à la Conciergerie, à la Préfecture de police, au théâtre de la Porte-Saint-Martin (anéanti)[Ca 3] et au Théâtre-Lyrique[Se 4]. Des groupes d'incendiaires préparent des bûchers et des tonneaux de poudre et arrosent les murs de pétrole avant d'allumer le feu[Se 4]. L'incendie du Palais de justice est limité grâce à l'effondrement d'un grand calorifière empli d'eau qui servait pour le chauffage, la rupture de son réservoir provoquant une inondation[Le 3]. Dans un rapport rédigé à la hâte le , le chef de cabinet du ministère du Beaux-Arts, Édouard Gerspach, rend compte précisément de l'état des Tuileries et du Louvre[6].
L'ordre de brûler l'Hôtel de ville est donné par Jean-Louis Pindy, qui en est le gouverneur depuis le [No 3], celui de mettre le feu à la Préfecture de Police et au Palais de justice émane de Théophile Ferré. Ces deux ordres sont donnés vers 10 heures du matin[No 1],[No 4],[Se 4]. Victor Bénot joue un rôle majeur dans l'incendie du Palais-Royal[Ca 4] et aurait mis le feu à la bibliothèque du Louvre[9]. L'incendie allumé le même jour place du Château-d'Eau permet de ralentir l'avancée versaillaise[Fo 4]. Dans l'après-midi[No 4], Maxime Lisbonne fait sauter la poudrière du jardin du Luxembourg[Ca 4].
Le mardi et le mercredi , les fédérés mettent aussi le feu à de nombreuses maisons qui jouxtent leurs barricades, rue Saint-Florentin, rue du Faubourg-Saint-Honoré, rue du Bac, rue Vavin, place de l'Hôtel-de-Ville, boulevard de Sébastopol[Se 3],[Ca 5], etc. En plus des bâtiments déjà cités, le feu détruit aussi, totalement ou partiellement, les Archives de la Seine, la direction de l'artillerie place de l'Arsenal, le temple protestant de la rue Saint-Antoine et la caserne du quai d'Orsay[Se 4].
À l'Est de Paris les et
Le jeudi , l'incendie de l'Hôtel de ville se termine tandis que commence celui des Greniers d'abondance, dépôts de vivres situés boulevard Bourdon[Ca 3],[Le 4].
Vendredi , les docks de La Villette — où sont stockées des matières explosives en grande quantité[Le 4] — sont en feu et la colonne de la Bastille est cernée de flammes. Le samedi , c'est à Belleville et au Père-Lachaise qu'on allume des feux[Ca 6].
Brûlent également, en partie ou entièrement, la capsulerie de la rue de l'Orme, le théâtre des Délassements-Comiques, l'église de Bercy, la mairie du 12e arrondissement — en 1873, Jean Fenouillas sera fusillé pour ces deux incendies[No 5] —, la manufacture des Gobelins[Se 4] et des maisons près des barricades, rue de Bondy, boulevard Mazas[alpha 2], boulevard Beaumarchais[Se 3],[Ca 5], etc.
Les incendies sont en général circonscrits aux bâtiments qu'on veut brûler et la propagation accidentelle du feu est rare. Les percées haussmanniennes sont d'efficaces coupe-feu[Fo 4].
Chaleur et lumière, odeurs et bruits
Pendant la semaine sanglante, les employés de l'observatoire du Luxembourg continuent leurs relevés météorologiques, sauf le mercredi , journée où l'observatoire est sur la ligne de front. On connaît donc le temps qu'il fait à Paris pendant les combats et les incendies. Du dimanche au jeudi , la température (mesurée à midi) augmente, passant de 18 °C à 25 °C. Il fait chaud pour la saison. Le temps est sec et le vent est modéré ou faible[Fo 5].
Du mardi, jour du début des grands feux, au jeudi soir, le vent souffle vers l'est. Il rabat donc la fumée, les cendres et les débris sur les insurgés. Dans la journée de jeudi, la chaleur intense pour la saison accentue l'impression de suffocation[Fo 5]. Jusqu'au vendredi , les Parisiens respirent l'âcre odeur des fumées qui s'élèvent dans le ciel tandis que le canon gronde et que résonnent les coups de fusil. Le feu environne les combattants et exacerbe les passions[Se 5].
De nombreux témoins décrivent un bouleversement des repères spatiaux, temporels et sensoriels. Au Paris nocturne éclairé par les flammes s'oppose un Paris où la lumière du jour est obscurcie par les fumées, où tout est noirci par les cendres. Les particules de papiers des archives brûlées flottent dans l'air. On en retrouve jusqu'à Évreux quand le vent tourne à la fin de la semaine. Les Parisiens sentent une « une odeur âcre, insupportable, nauséabonde ». L'incendie et les combats sont bruyants, du son des mitrailleuses aux explosions des obus et de la poudrière du Luxembourg et à l'effondrement de pans de bâtiments[Ca 7]. Le Parisien Henry Dabot, par exemple, évoque « le long mugissement des grands monuments qui s'écroulent »[Fo 6].
- Incendie des Tuileries - Lithographie de Léon Sabatier et Albert Adam Paris et ses ruines, 1873 - Bibliothèque historique de la ville de Paris.
- Incendie de l'Hôtel de ville - Lithographie de Léon Sabatier et Albert Adam Paris et ses ruines, 1873 - Bibliothèque historique de la ville de Paris.
- Theodor Josef Hubert Hoffbauer L'incendie de l'Hôtel de Ville de Paris. Paris à travers les âges, Firmin-Didot, 1885.
Pour comprendre ce qui se passe et bénéficier d'une vue panoramique, beaucoup de Parisiens montent au dernier étage ou sur le toit de leur immeuble. C'est le seul moyen de prendre la mesure du nouveau foyer. Les brasiers sont terrifiants, surtout la nuit. Un Parisien anonyme de la rue Saint-Denis décrit :
« Le ciel était rouge et chaque instant on voyait que la clarté augmentait et l'étendait. C'est dans cette la nuit à jamais néfaste que les fédérés mirent le feu partout pour ne laisser que des ruines aux vainqueurs […] horizon enflammé et infernal[Fo 6]. »
Le spectacle bouleverse et effraie, par exemple cette jeune Américaine qui témoigne : « J'ai souvent eu peur pendant la Commune, mais je ne me souviens de rien d'aussi terrifiant que les incendies ». La peur et l'exaspération nourrissent la chasse aux communards pratiquée par les soldats versaillais[To 2]. Face aux feux, les réactions des Parisiens anticommunards oscillent entre deux pôles. Dans les quartiers reconquis par l'armée versaillaise, la foule en colère agresse les prisonniers communards, surtout à cause des incendies. L'autre réaction est le mutisme, la sidération. Ludovic Halévy l'écrit : « Nous ne trouvons pas une parole à dire »[Fo 6].
Le vendredi , le temps change. Le vent tourne et la température chute à 17 °C[Fo 5]. Le ciel se couvre et la pluie tombe. Ces averses trempent les combattants mais facilitent la lutte contre les flammes[Se 6]. Le vent rabat la fumée vers l'ouest, mais comme les combats se déroulent maintenant dans l'Est de Paris, les principaux feux brûlent derrière les combattants, qui ne sont donc pas gênés par la fumée[Fo 5].
Le lendemain, le samedi , la journée commence dans le brouillard auquel succède la pluie[Se 7], forte et constante. Elle contribue à éteindre les incendies, alors que la victoire des Versaillais ne fait plus de doute. Certains y voient un signe divin. Le dimanche il ne pleut plus et la température remonte à 20 °C. Le vent souffle fort, vers l'est, attisant les derniers feux alors que la Commune mène ses ultimes combats[Fo 5].
Des monuments épargnés
Jouxtant le Palais de justice, la Sainte-Chapelle échappe à l'incendie. Dans la cathédrale Notre-Dame, les fédérés ont peut-être allumé un début de foyer avec des chaises et des bancs, éteint rapidement par les habitants du quartier[Ca 3]. C'est du moins le scénario raconté par les Versaillais. Le plus probable est que les communards eux-mêmes renoncent à brûler la cathédrale pour ne pas faire de victimes parmi les blessés fédérés abrités dans l'Hôtel-Dieu tout proche et parce que Notre-Dame n'est pas un de leurs objectifs : elle n'est pas un monument central pour eux, contrairement à l'Hôtel de ville[10]. De manière générale, les communards ne mettent pas le feu aux églises, ce qui peut paraître étonnant quand on connaît leur anticléricalisme. On ne sait pas exactement pourquoi[Fo 3]. Quant à l'Hôtel-Dieu, le temps d'évacuer les malades il est trop tard pour mettre le feu, ce secteur étant passé sous contrôle versaillais[Ca 3].
La Banque de France n'est pas incendiée grâce à son sous-gouverneur, le marquis de Ploeuc, et à Charles Beslay, commissaire de la Commune, qui s'opposent à toute tentative[Ca 8]. Beslay, exilé en Suisse, l'assume en 1873 dans Le Figaro : « Je suis allé à la Banque avec l'intention de la mettre à l'abri de toute violence du parti exagéré de la Commune et j'ai la conviction d'avoir conservé à mon pays l'établissement qui constituait notre dernière ressource financière »[No 6],[11].
Les Archives nationales, la Bibliothèque Mazarine et celle du Luxembourg sont également sauvées par des communards[Se 4]. Le directeur des Archives nationales, Alfred Maury et Louis-Guillaume Debock, délégué de la Commune à l'Imprimerie nationale, réussissent à s'opposer aux projets d'incendie[Ca 9]. Debock dirige l'Imprimerie nationale voisine des Archives nationales et il veille à ce que ces dernières ne soient pas incendiées ni touchées par les obus communards[12]. Debock va jusqu'à menacer de son revolver le commandant qui projette de brûler l'Imprimerie nationale le mercredi . Nommé par la Commune, Debock tient à accomplir son mandat. Le commandant qui veut mettre le feu se réclame, lui, du Comité de salut public. Cet épisode est révélateur de la désorganisation de la Commune dans ses derniers jours[Fo 3].
Selon l'historien Jean-Claude Caron, au total, entre 216 et 238 bâtiments sont détruits ou endommagés par le feu. Tout Paris n'est donc pas en feu, même si les bâtiments qui brûlent sont symboliquement très importants. Les derniers foyers sont éteints le . En dehors des sept asphyxiés, les récits qui font état de victimes directes des incendies sont peu crédibles car clairement anticommunards[Ca 6]. Les maisons sont habituellement incendiées après l'évacuation de leurs habitants[Fo 3]. En se basant sur les plaintes et les indemnisations après la semaine sanglante, Hélène Lewandowski compte au moins 581 bâtiments plus ou moins endommagés dont 186 maisons et 32 bâtiments publics à cause des incendies[4].
Organisation et spontanéité
Le , la Commune crée une Délégation scientifique et place à sa tête François-Louis Parisel, un pharmacien[No 7],[Ca 10],[Fo 7]. Selon sa propre proposition, il doit s'occuper des produits alimentaires, des aérostats, des poisons et des moyens de destruction[No 7]. Les livres de compte de la Délégation scientifique montrent que Parisel achète du matériel en petite quantité, pour se livrer à des expériences, mais qu'il ne dispose pas de grands stocks de matière inflammable[Fo 7]. Il appelle à l'invention d'armes et d'engins à projectiles chimiques[Ca 10], mais les projets présentés par les citoyens sont plutôt irréalistes[Fo 7]. Il est chargé le de mettre sur pied des équipes d'« artilleurs fuséens ». Deux jours après, ils sont officiellement vingt-sept[Ca 10].
Mardi , en plein combat dans Paris, le Comité de salut public donne l'ordre aux municipalités parisiennes de réunir « tous les produits chimiques, inflammables et violents qui se trouvent dans leur arrondissement et de les concentrer dans le 11e arrondissement »[Ca 4]. Le lendemain, mercredi , il décrète la création de brigades de fuséens, 400 hommes commandés par Jean-Baptiste Millière, Louis-Simon Dereure, Alfred-Édouard Billioray et Pierre Vésinier, avec pour mission d'incendier « les maisons suspectes et les monuments publics ». Si ces tentatives d'organisation sont trop tardives pour être efficaces[Ca 10], la Commune a néanmoins le temps de constituer des réserves de produits incendiaires (tonneaux de pétrole, projectiles incendiaires, stocks de poudre) dans l'Est de Paris, de La Villette à Charonne, que les troupes versaillaises récupèrent après leur victoire[Ca 11].
Les combats de la Commune sont menés dans un ajustement continu entre organisation et spontanéité[To 3]. Les ordres de la Commune qui enjoignent d'allumer des feux pour la guerre urbaine sont tardifs et limités aux lieux précis où on se bat. Plus généralement, il est difficile de distinguer ce qui relève de la responsabilité collective et de l'initiative individuelle, alors que, en plein combat, les instances de la Commune ne se réunissent plus[Ca 4]. La désorganisation générale et l'initiative locale sont la règle. Les différents groupes de communards, d'une centaine d'hommes en général, sont isolés, encerclés, en infériorité numérique. Ne combattent réellement que les plus déterminés des fédérés[Fo 8]. Beaucoup de foyers sont allumés de manière improvisée, les combattants locaux répandant du pétrole[Fo 3].
Les écrits anticommunards reflètent des rumeurs assimilant les incendies à la criminalité organisée : des feux seraient allumés par des milliers d'incendiaires, hommes, femmes et enfants ; le réseau des égouts serait miné ; des étiquettes seraient apposées sur les maisons à brûler ; des œufs seraient garnis de capsules de pétrole ; des ballons libres seraient lestés de produits incendiaires, etc. Ces rumeurs sont démenties par les faits, mais l'usage du feu est ici un argument pour disqualifier la guerre menée par les communards, assimilée à une sale guerre, qui n'en respecte pas les lois[Ca 11].
La presse versaillaise décrit des gardes nationaux apportant des bonbonnes de pétrole et des « pompiers pétroleurs », surtout pour l'incendie du Palais-Royal, mais les 117 pompiers arrêtés après la semaine sanglante ont presque tous été relâchés et il semble bien qu'ils ont massivement refusé d'utiliser leurs pompes pour arroser de pétrole les bâtiments. Certains ont même tenté d'éteindre les feux en plein combat[Ca 4]. Juste après la semaine sanglante, ces rumeurs nourrissent et sont nourries par un climat de peur, décrit par Émile Zola dans sa sixième lettre publiée par le journal Le Sémaphore de Marseille le :
« Après la terreur rouge, il règne en ce moment à Paris une terreur nouvelle et particulière que je nommerai la terreur du feu. La croyance entêtée du plus grand nombre est que les incendiaires ne s'arrêteront pas, même après le rétablissement de l'ordre, et que, pendant de longs mois, des incendies se produiront sur tous les points de Paris […]. La moitié de Paris a peur de l'autre. […] Si on a le malheur de s'arrêter devant un pan de mur, on voit aussitôt des regards sombres se fixer sur vous et épier vos mouvements[Le 5]. »
Les communards et la responsabilité des incendies
Après avoir pris le contrôle de la ville, l'armée versaillaise mène une véritable chasse à l'incendiaire dans les rues et interdit le commerce de pétrole[Ca 6]. Les registres judiciaires recensent 175 personnes incriminées pour avoir mis le feu. Sur les quelque 40 000 fédérés qui passent devant la justice militaire après la Commune, 41 seulement sont jugés pour incendie volontaire. 16 d'entre eux sont condamnés à mort (dont 5 exécutés, les autres voyant leur peine commuée en emprisonnement ou en travaux forcés) et 24 aux travaux forcés. Parmi ces condamnés, Baudoin, condamné pour avoir mis le feu à l'église Saint-Éloi, Victor Bénot pour l'incendie des Tuileries, Louis Decamps pour le feu de la rue de Lille. Il faut ajouter les condamnations par contumace, ce qui porte le total à une centaine de condamnations. Ce résultat ne mesure pas le nombre réel d'incendiaires, largement supérieur, parce qu'ils sont bien plus difficiles à appréhender que les combattants, arrêtés les armes à la main[Ca 12].
Les incendiaires sont d'abord assimilés à des criminels de droit commun et comme tels sont exclus de la première proposition d'amnistie des communards déposée, sans succès, par Henri Brisson dès . L'amnistie plénière finalement votée en 1880 ne fait plus de différence[13].
Après leur défaite, les communards n'admettent pas tous au même degré leur responsabilité. Ainsi, Vésinier prétend que seuls les obus versaillais sont les causes des départs de feu ; toutefois cette affirmation maximaliste rencontre peu d'écho. En revanche, celle d'Arthur Arnould, de Gustave Lefrançais ou de Jean Allemane, qui pointent la responsabilité d'anciens agents du Second Empire ayant intérêt à faire disparaître les documents prouvant leur implication, a plus de succès[Ca 13].
Lefrançais ne reconnaît la responsabilité de la Commune que dans la destruction par le feu des Tuileries et du Grenier d'abondance, qu'il approuve, mais pas dans celle de l'Hôtel de ville, qu'il condamne. On incrimine aussi des rancunes et règlements de compte personnels : foyers allumés dans des magasins par d'anciens employés selon Jules Andrieu, déclenchement de feu de maisons par leur propriétaires pour faire disparaître des preuves de faillite ou pour toucher des indemnisations selon Louise Michel[Ca 13]. Certains communards justifient ou approuvent l'incendie, comme Eugène Vermersch, Victorine Brocher[Ca 13], Prosper-Olivier Lissagaray ou Gustave Paul Cluseret[Fo 9]. Pour eux, le feu est un moyen révolutionnaire légitime[Ca 13].
Choix tactique, stratégie du désespoir et fête de souveraineté apocalyptique
Dès la fin de la semaine sanglante, l'attribution de la responsabilité des feux entre fédérés et Versaillais est un enjeu politique important. À part l'incendie du ministère des Finances et celui de Belleville, sans doute allumés par les boulets rouges tirés par les canons versaillais, les feux sont incontestablement, dans leur très grande majorité, le fait des communards[Ca 13].
Lors des révolutions précédentes, celle de juillet 1830 et celle de février 1848, des incendies ont été allumés, mais ces feux ont été de peu d'ampleur, à cause des victoires rapides des révolutionnaires[Le 6]. La guerre menée par la Commune est une guerre défensive en milieu urbain. Dans ce cadre, mettre le feu est une tactique complémentaire à la défense d'un territoire structuré par les barricades[Ca 10]. L'incendie des maisons sur lesquelles s'appuie la barricade est une réponse à la tactique versaillaise du « cheminement », qui consiste à encercler la barricade en progressant à travers les bâtiments, en perçant les murs. Les communards cherchent à « opposer aux envahisseurs une barrière de flammes »[Fo 4], comme le dit Louise Michel[10]. Lorsque la barricade est en passe d'être prise par les Versaillais, on l'évacue en brûlant les maisons qui l'environnent[Ca 10].
Par exemple, mercredi , le théâtre de la Porte-Saint-Martin est incendié pour protéger le repli des fédérés vers la place de la Bastille et celle du Château-d'Eau[alpha 3]. Le lendemain, les défenseurs de la barricade de la rue Thévenot sèment la panique en mettant le feu à la boutique d'un marchand de vin[To 4]. Le feu est en fait la dernière arme[No 1], même si certains communards, comme Jules Andrieu, la condamnent[Ca 13].
Toutefois, les nécessités du combat ne sont qu'une partie de l'explication[Se 3]. Pour les Versaillais, les communards ont allumé ces feux dans une sorte de stratégie du désespoir, résumée dans le mot d'ordre attribué à Charles Delescluze : « Moscou plutôt que Sedan[alpha 4] »[Ca 13],[Le 6]. Le , dans un discours prononcé à l'église Saint-Sulpice, Louise Michel proclame : « Oui, je le jure, Paris sera à nous ou Paris n'existera plus ! »[Se 8]. Pour le général Appert, qui dirige la justice militaire et qui condamne les communards : « Rien n’indique un plan d’ensemble. C’est, je crois, à la fin seulement que les insurgés, n’ayant plus d’espoir, se sont décidés à incendier Paris »[Le 7],[4].
Plus profondément, les fédérés s'attaquent aux bâtiments qui symbolisent, à leurs yeux, les pouvoirs : celui de l'État monarchique, celui du gouvernement centralisé, celui de l'Église, celui de l'armée[Se 3]. L'incendie des monuments symboliques est en fait un dernier acte de souveraineté, d'appropriation en même temps qu'une purification, une forme d'iconoclasme révolutionnaire[10], qui prolonge la mise à bas de la colonne Vendôme et la démolition de l'hôtel particulier d'Adolphe Thiers, qui ont eu lieu avant la semaine sanglante[Fo 8]. Le communard Paul Martine, dans ses Souvenirs d'un insurgé, décrit ainsi son état d'esprit lors de la semaine sanglante :
« Demain, les bandits de Versailles vont rétablir la royauté absolue, le drapeau blanc, le règne du gentilhomme et du prêtre. […] Notre défaite marque la mort de la Révolution dans le monde. Hé bien, non ! Ils n'auront rien de ce qui fut notre joie et notre honneur ! On incinère son drapeau plutôt que de le rendre à l'ennemi. Hé bien, oui ! Nous allons incinérer Paris, plutôt que de le rendre profané, vaincu, asservi aux Prussiens et aux Bourbons[Se 4] ! »
Pendant la Commune, l'Hôtel de ville est le principal lieu du gouvernement, collectif, où est installé le Conseil de la Commune. La Commune est un projet de fédération universelle dont la base sera à l'échelle de chaque ville. L'Hôtel de ville de Paris symbolise cette ambition. Les communards y mettent le feu parce qu'ils refusent qu'il tombe aux mains de ceux qui sont les ennemis de ce projet[No 8]. Pour d'autres fédérés, comme Jules Andrieu, l'Hôtel de ville a peu de valeur parce qu'il est un lieu de trahison, où le peuple a été spolié de ses révolutions depuis celle de 1830[Fo 9],[10].
Pour les communards, brûler les Tuileries permet de faire disparaître un des symboles du Second Empire[No 9] et cet incendie, certainement le plus significatif des feux allumés pendant la semaine sanglante, fait partie d'une sorte de fête apocalyptique[Fo 10]. Il prolonge la fête que la Commune organise le aux Tuileries, avec un grand concert gratuit où la foule se presse. Le , les Parisiens sont nombreux sur les Buttes-Chaumont à contempler le spectacle des flammes dévorant les Tuileries et à manifester leur joie. Gustave Lefrançais l'avoue : « oui, je suis de ceux qui ont tressailli de joie en voyant flamber ce sinistre palais »[Fo 10]. Les Parisiens font souvent le parallèle entre les flammes destructrices et les illuminations festives[Fo 6].
En résumé, les communards incendient Paris pour trois raisons principales : mieux se défendre alors qu'ils sont désorganisés, affirmer leur appropriation des monuments et de la ville et se venger des Versaillais et des déserteurs. Selon Jules Andrieu, mettre le feu est « un mot d'ordre donné par personne, accepté par tout le monde »[Fo 8].