Jean sans Terre
roi d'Angleterre de 1199 à 1216 / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Jean ([1] – [2]), dit sans Terre[n 1], fut roi d'Angleterre, seigneur d'Irlande et duc d'Aquitaine de 1199 à sa mort en 1216.
Jean | |
Jean, extrait d'une miniature de l'Historia Anglorum de Matthieu Paris, vers 1250-1255. Il tient dans sa main gauche l'abbaye de Beaulieu, dont il est le fondateur. | |
Titre | |
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Roi d'Angleterre | |
– (17 ans, 4 mois et 22 jours) |
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Couronnement | en l'abbaye de Westminster |
Prédécesseur | Richard Ier |
Successeur | Henri III Louis (contesté) |
Duc d'Aquitaine | |
– (17 ans, 4 mois et 22 jours) |
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Avec | Aliénor (1137-1204) |
Prédécesseur | Aliénor et Richard Ier |
Successeur | Henri III |
Duc de Normandie, comte d'Anjou, du Maine et de Touraine | |
– (4 ans, 11 mois et 1 jour) |
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Prédécesseur | Richard Ier |
Successeur | Retour à la couronne |
Comte d'Angoulême | |
– (14 ans, 4 mois et 3 jours) |
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Avec | Isabelle |
Prédécesseur | Aymar |
Successeur | Isabelle |
Seigneur d'Irlande | |
– (31 ans et 6 mois) |
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Prédécesseur | Henri II |
Successeur | Henri III |
Biographie | |
Dynastie | Plantagenêt |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Palais de Beaumont, Oxford (Angleterre) |
Date de décès | (à 49 ans) |
Lieu de décès | Château de Newark, Newark (Angleterre) |
Sépulture | Cathédrale de Worcester |
Père | Henri II d'Angleterre |
Mère | Aliénor d'Aquitaine |
Conjoint | Isabelle de Gloucester (1189-1199) Isabelle d'Angoulême (1200-1216) |
Enfants | Henri III Richard de Cornouailles Jeanne d'Angleterre Isabelle d'Angleterre Aliénor d'Angleterre Richard FitzRoy (illégitime) Jeanne FitzRoy (illégitime) |
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Monarques d'Angleterre | |
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Cinquième et dernier fils du roi Henri II d'Angleterre et d'Aliénor d'Aquitaine, il n'était pas destiné à monter sur le trône ou à recevoir un quelconque territoire en héritage ; il fut donc surnommé Jean sans Terre[n 2] par son père. Cela changea après la révolte ratée de ses frères aînés entre 1173 et 1174 et il devint le fils préféré d'Henri II qui le fit seigneur d'Irlande en 1177 et lui accorda des terres sur le continent. La mort de trois de ses frères (Guillaume, Henri et Geoffroy) et l'accession au trône de Richard Ier en 1189 en fit l'héritier, en compétition avec son neveu Arthur. Jean tenta sans succès de prendre le pouvoir alors que son frère participait à la troisième croisade mais il devint finalement roi en 1199.
Le nouveau monarque fut immédiatement confronté à la menace posée par le roi Philippe II de France sur ses territoires continentaux formant l'Empire Plantagenêt. Il perdit ainsi la Normandie en 1204, notamment en raison du manque de ressources militaires et de son traitement méprisant des nobles poitevins et angevins. Il consacra la plus grande partie de son règne à tenter de reconquérir ces territoires en formant des alliances contre la France, en accroissant les revenus de la Couronne et en réformant l'armée. Malgré ses efforts, une nouvelle offensive en 1214 se solda par la défaite de ses alliés à Bouvines et il fut contraint de rentrer en Angleterre.
Irrités par le comportement jugé tyrannique du souverain et par la forte hausse des impôts et des taxes destinés à financer sa politique continentale, les barons anglais se révoltèrent à son retour. La dispute entraîna la signature en 1215 de la Magna Carta garantissant les droits des hommes libres du royaume mais ni Jean, ni les nobles ne respectèrent ses dispositions. La première guerre des Barons éclata peu après et le roi dut affronter les rebelles soutenus par le prince Louis de France. La situation fut rapidement bloquée et Jean mourut de dysenterie en 1216 dans son château de Newark alors qu'il faisait campagne dans l'Est de l'Angleterre. Les tensions s'apaisèrent à sa mort car les barons anglais, plutôt que d'avoir affaire à un prince énergique comme Louis qui risquait de les entraver, se prononcèrent en faveur de son fils et successeur Henri III. Ce dernier prit définitivement l'ascendant sur les rebelles et le prince Louis l'année suivante.
Les évaluations historiques du règne de Jean ont fait l'objet de nombreux débats et ont considérablement varié selon les époques. Considéré comme un « héros proto-protestant » par les historiens Tudor en raison de son opposition au pape Innocent III qui lui valut l'excommunication, il a également été présenté comme un tyran par ses contemporains et les historiens de l'époque victorienne. Le consensus actuel est qu'il fut un « administrateur appliqué et un général compétent » affligé d'une personnalité méprisante et cruelle. Ces aspects négatifs ont servi de base à de nombreuses œuvres de fiction depuis Shakespeare, et Jean reste un personnage influent de la culture populaire notamment via les aventures de Robin des Bois.
Enfance
Jean est né le au palais de Beaumont à Oxford. Il était le cinquième et dernier fils du roi Henri II d'Angleterre et d'Aliénor d'Aquitaine[1]. En plus de l'Angleterre, Henri II avait hérité de vastes possessions dans l'Ouest de la France dont l'Anjou, la Touraine, la Normandie et avait conquis la Bretagne[4]. Par ailleurs, il avait épousé la puissante Aliénor, qui régnait sur le duché d'Aquitaine et le comté de Poitou et avait une revendication sur le Languedoc et l'Auvergne en plus d'être l'ancienne femme du roi Louis VII de France[4]. Henri II régnait ainsi sur ce qui fut appelé l'Empire Plantagenêt d'après le nom de sa dynastie[n 3]. Cette entité était cependant structurellement fragile car si tous les territoires rendaient hommage à Henri II, ils avaient chacun leurs propres traditions, histoires et formes de gouvernement[6],[7]. L'autorité du roi anglais était très limitée en Aquitaine et les liens traditionnels entre la Normandie et l'Angleterre se dissolvaient lentement[8]. Le destin de l'Empire à la mort d'Henri II était inconnu et même si la pratique de la primogéniture selon laquelle le fils aîné hérite de toutes les possessions de son père se répandait en Europe, elle était peu populaire chez les rois normands d'Angleterre[9]. Beaucoup d'observateurs pensaient que le souverain allait diviser son Empire entre ses fils en espérant qu'ils continueraient à se comporter en alliés après sa mort[10]. Pour compliquer les choses, une grande partie des provinces françaises de l'Empire étaient contrôlées par Henri II en tant que vassal du roi de France, qui appartenait à la dynastie rivale des Capétiens. Les relations étaient encore tendues par le fait que le roi anglais s'était souvent allié avec l'empereur[Qui ?] contre la France[11].
Peu après sa naissance, Jean fut confié à une nourrice selon la pratique traditionnelle des familles aristocratiques médiévales[12]. Aliénor se rendit à Poitiers, la capitale de l'Aquitaine, tandis que Jean et sa sœur Jeanne furent envoyés à l'abbaye Notre-Dame de Fontevraud[13]. Cela était peut-être destiné à orienter son fils cadet vers une carrière ecclésiastique, étant donné qu'il avait peu de chance d'accéder au trône[12]. Aliénor passa les années suivantes à comploter contre son époux ; aucun de ses parents ne participa à l'enfance de Jean[12]. Comme ses frères, il fut confié à un magister chargé de son éducation et de la gestion de son foyer[12],[13]. Jean passa quelque temps dans le foyer de son frère aîné Henri le Jeune, où il reçut probablement une éducation militaire[13].
Selon ses contemporains, Jean mesurait 168 cm et était relativement trapu avec un « corps puissant » et des cheveux roux sombres[14]. Il adorait la lecture et s'était fait construire une bibliothèque mobile, chose inhabituelle pour l'époque[15]. Très joueur, il s'adonnait notamment au backgammon ; il était également passionné par la chasse[16],[17]. Il se fit connaître comme un « connaisseur de joyaux » et devint célèbre pour son opulence vestimentaire et, selon les chroniqueurs français, son goût du mauvais vin[18],[17],[19]. La personnalité de Jean était assez complexe et il était connu pour être « chaleureux, plein d'esprit, généreux et aimable » mais il pouvait également être jaloux, susceptible et prompt à des accès de rage où il se « mordait et rongeait » les doigts de colère[20],[21],[n 4].
Jeunesse
Durant la jeunesse de Jean, Henri II tenta de résoudre la question de sa succession. Henri le Jeune avait été couronné roi d'Angleterre associé en 1170 mais ne reçut aucun pouvoir réel. Il était prévu qu'il hérite de la Normandie et de l'Anjou en plus de l'Angleterre tandis que ses frères Richard et Geoffroy II devaient respectivement obtenir l'Aquitaine et la Bretagne[22],[23]. À ce moment, il était peu probable que Jean obtienne un quelconque territoire et il fut pour plaisanter surnommé Lackland (« sans Terre ») par son père[24].
Henri II voulait sécuriser les frontières orientales de l'Aquitaine et il décida de fiancer son plus jeune fils à Alix, la fille et héritière du comte Humbert III de Savoie[25]. D'après les termes du contrat de mariage, Jean devait hériter de la Savoie, du Piémont, de la Maurienne et des autres possessions de son futur beau-père[25]. De son côté, le roi anglais céda la possession des châteaux poitevins de Chinon, de Loudun et de Mirebeau à Jean, même s'il continuait à les contrôler en réalité étant donné que son fils n'avait que cinq ans[25]. Cette décision fut peu appréciée d'Henri le Jeune qui considérait qu'il s'agissait de son futur héritage[25]. Alix traversa les Alpes pour rejoindre la cour d'Henri II mais elle mourut avant d'épouser Jean qui redevint « sans Terre[25] ».
De plus en plus mécontent des décisions de son père, Henri le Jeune se rendit à Paris et s'allia au roi Louis VII de France[22]. Irritée par les nombreuses interférences de son époux en Aquitaine, Aliénor encouragea Richard et Geoffroy à rejoindre leur frère à Paris[22]. Henri II triompha rapidement de la révolte de ses fils mais fut généreux dans l'accord de paix signé à Montlouis[25]. Henri le Jeune fut autorisé à voyager librement en Europe avec sa suite de chevaliers, Richard récupéra l'Aquitaine et Geoffroy fut autorisé à rentrer en Bretagne ; seule Aliénor fut emprisonnée pour son rôle dans le soulèvement[26].
Jean avait accompagné son père durant le conflit et reçut de nombreux territoires par le traité de Montlouis ; à partir de ce moment, beaucoup d'observateurs le considéraient comme le fils préféré du roi même s'il était le plus éloigné dans l'ordre de succession[25]. Henri II continua à acquérir de nouvelles terres pour son fils, essentiellement aux dépens de la noblesse. En 1175, il s'appropria les possessions du feu comte Réginald de Dunstanville[25] et l'année suivante, il déshérita les sœurs d'Isabelle de Gloucester, un acte contraire à la coutume, et fiança Jean à cette dernière[27]. En 1177, le roi limogea William FitzAldelm de ses fonctions de seigneur d'Irlande et le remplaça par Jean alors âgé de dix ans[27].
Henri le Jeune affronta brièvement son frère Richard en 1183 sur la question du statut de l'Angleterre, de la Normandie et de l'Aquitaine[27]. Henri II appuya Richard, et Henri le Jeune mourut de la dysenterie à la fin de la campagne[27]. Le prince héritier étant mort, le roi modifia ses plans pour sa succession. Richard devait devenir roi d'Angleterre même s'il n'aurait aucun pouvoir avant la mort de son père ; Geoffroy conserverait la Bretagne et Jean deviendrait duc d'Aquitaine à la place de Richard[27]. Ce dernier refusa d'abandonner l'Aquitaine et Henri II, furieux, ordonna à ses deux autres fils de marcher vers le sud pour reprendre le duché par la force[27]. Les deux frères, Geoffroy et Jean, assiégèrent Poitiers et Richard répondit en attaquant la Bretagne[27]. La guerre se termina par un retour au statu quo et une difficile réconciliation familiale à la fin de l'année 1184[27].
En 1185, Jean se rendit pour la première fois en Irlande avec 300 chevaliers et un groupe d'administrateurs mais son séjour fut calamiteux[28]. Henri II essaya de proclamer officiellement Jean roi d'Irlande mais le pape Lucius III s'y opposa[28]. L'île avait récemment été conquise par les forces anglo-normandes et les tensions étaient fortes entre les colons et les habitants traditionnels[29]. En plus d'offenser les souverains locaux en se moquant de leurs longues barbes, Jean ne parvint pas à se faire des alliés chez les colons anglo-normands et fut bousculé par les attaques irlandaises. Il retourna en Angleterre à la fin de l'année 1185 et blâma le vice-roi Hugues de Lacy pour le fiasco[29].
Alors que les relations au sein de la famille royale continuaient à se détériorer, Geoffroy mourut lors d'un tournoi en 1186. Le duché de Bretagne fut transmis à son fils Arthur et non à Jean mais la mort de Geoffroy rapprochait ce dernier du trône d'Angleterre[30]. La succession d'Henri II était toujours aussi incertaine car Richard désirait rejoindre les croisades et il n'était pas exclu qu'en son absence, le roi nomme Jean comme son successeur[31],[32].
Richard entama des négociations en vue d'une potentielle alliance avec le roi Philippe II de France en 1187 et l'année suivante, il promit de rendre hommage au roi de France en échange de son soutien lors d'une guerre avec son père[33]. Au terme de ce conflit en 1189, Richard fut confirmé en tant que futur roi d'Angleterre[32]. Jean était initialement resté loyal à son père mais il changea de camp lorsqu'il devint clair que Richard allait gagner[32]. Henri II mourut peu après[32].
Lorsque le frère aîné de Jean devint roi sous le nom de Richard Ier en septembre 1189, il avait déjà annoncé son intention de participer à la troisième croisade[32]. Il rassembla les fonds nécessaires à cette expédition en vendant des terres, des titres et des offices et tenta de s'assurer qu'il n'y aurait pas de révolte en son absence[34]. Jean fut fait comte de Mortain, épousa la riche Isabelle de Gloucester et reçut des terres dans le Lancashire, les Cornouailles, le Devon, le Dorset et le Somerset afin d'obtenir sa loyauté[35]. Richard Ier conserva néanmoins le contrôle des principaux châteaux de ces comtés pour l'empêcher d'acquérir trop de pouvoir et il désigna Arthur Ier de Bretagne, alors âgé de quatre ans, comme son héritier au trône[36],[37]. En retour, Jean promit de ne pas se rendre en Angleterre pendant les trois années suivantes, ce qui devait permettre à Richard de mener une croisade victorieuse et de rentrer du Levant sans craindre une prise de pouvoir par son frère[38]. Il confia l'autorité politique en Angleterre, donc le poste de justiciar, à l'évêque de Durham Hugues du Puiset (fils d'Hugues) et à Guillaume de Mandeville (en), et il nomma chancelier l'évêque d'Ely, William Longchamp[37]. Mandeville mourut rapidement et Longchamp partagea la fonction de justiciar avec de Puiset[38]. Dans le même temps, Aliénor convainquit Richard de laisser son frère se rendre en Angleterre en son absence[38].
La situation politique en Angleterre se détériora rapidement car Longchamp refusa de travailler avec de Puiset et s'attira les foudres de la noblesse et du clergé[39]. Jean profita de cette impopularité pour se présenter comme une alternative et était ravi de se voir présenter comme un potentiel régent voire comme le futur roi[40]. Un affrontement ouvert opposa les deux hommes mais il tourna rapidement à l'avantage de Jean qui parvint à isoler Longchamp dans la tour de Londres en octobre 1191[41]. Au même moment, l'archevêque de Rouen Gautier de Coutances arriva en Angleterre après avoir été envoyé par Richard pour ramener l'ordre[42]. Longchamp fut condamné pour son comportement autocratique et exilé en France mais la position de Jean fut affaiblie par la relative popularité de l'archevêque et l'annonce du mariage de Richard Ier avec Bérengère de Navarre sur l'île de Chypre qui annonçait la possibilité que le roi aurait des héritiers[43].
Le désordre politique persistant, Jean chercha à se rapprocher du roi Philippe II de France qui venait tout juste de revenir de la croisade ; il espérait ainsi récupérer la Normandie, l'Anjou et les territoires français de son frère mais il fut persuadé par sa mère ne pas chercher une alliance contre Richard Ier[43]. Comme ce dernier n'était toujours pas revenu de la croisade, Jean commença à affirmer que son frère était mort ou avait disparu[44]. Il avait en réalité été fait prisonnier en octobre 1192 par le duc Léopold V d'Autriche qui l'avait remis à l'empereur Henri VI, et ce dernier exigea le paiement d'une rançon[44]. Jean saisit l'occasion et se rendit à Paris pour s'allier à Philippe II. Il accepta de quitter Isabelle de Gloucester et d'épouser Adèle, la sœur du roi de France, en échange de son soutien[45]. Des combats éclatèrent rapidement en Angleterre entre les partisans de Jean et ceux restés loyaux à Richard Ier[45]. Sa position militaire était délicate et il accepta une trêve ; au début de l'année 1194, le roi rentra finalement en Angleterre et les dernières forces de Jean se rendirent[46]. Il se replia en Normandie mais fut rattrapé par son frère à la fin de l'année[46]. Le souverain déclara que Jean, malgré ses 27 ans, n'était « qu'un enfant qui avait eu des conseillers malveillants » et il le pardonna ; il le priva néanmoins de toutes ses terres à l'exception de l'Irlande[47].
Jusqu'à la fin du règne de Richard Ier, Jean le soutint, apparemment loyalement, sur le continent[48]. Le souverain chercha à reconquérir les forteresses que Philippe II avait conquises alors qu'il était en croisade et il s'allia avec les nobles de Flandres et de l'Empire pour combattre les Français sur deux fronts[49]. En 1195, Jean commanda un siège victorieux contre le château d'Évreux et défendit par la suite la Normandie contre les attaques de Philippe II[48]. L'année suivante, il s'empara de Gamaches et mena une chevauchée vers Paris qui permit la capture de l'évêque de Beauvais[48]. En récompense de ses services, Richard Ier abandonna sa malevontia (« rancœur ») contre Jean et lui rendit ses titres de comte de Gloucester et de Mortain[48].
Accession au trône
Après la mort de Richard Ier, le , il y avait deux successeurs potentiels au trône Plantagenêt : Jean, dont les revendications étaient liées au fait qu'il était le dernier fils en vie d'Henri II ; et Arthur de Bretagne, en tant que fils de Geoffroy, le frère aîné de Jean[50]. Le défunt roi semblait avoir commencé à considérer Jean comme son héritier légitime peu avant sa mort mais cela n'était pas sans équivoques et la loi médiévale ne permettait pas de résoudre le problème[9],[51]. La situation dégénéra rapidement car Jean était soutenu par la noblesse anglaise et normande et fut couronné à Westminster avec l'appui de sa mère Aliénor tandis qu'Arthur avait le soutien des barons bretons, angevins et de Philippe II[9],[52]. L'armée d'Arthur remontant le val de Loire vers Angers et celles de Philippe II le descendant vers Tours, l'empire continental de Jean risquait d'être coupé en deux[53].
La Normandie comptait peu de défenses naturelles mais elles étaient solidement renforcées par de puissantes fortifications comme le Château-Gaillard[54],[55]. Il était difficile pour un assaillant d'avancer loin en territoire ennemi sans avoir pris le contrôle de ces places-fortes situées en des points stratégiques le long des voies de communication et de ravitaillement[56]. Les armées de l'époque étaient composées de troupes féodales ou de mercenaires[57]. Les premières pouvaient être levées pour une période donnée avant d'être libérées, ce qui causait la fin de la campagne ; les secondes, parfois appelées brabançons d'après le duché de Brabant mais issues de toute l'Europe, pouvaient opérer toute l'année mais leur professionnalisme était compensé par leur coût supérieur aux levées féodales[58]. En conséquence, les commandants de la période s'appuyaient de plus en plus sur les troupes de mercenaires[59].
Après son couronnement, Jean se rendit en France et adopta une stratégie défensive le long des frontières normandes[50],[60] mais les deux camps négocièrent avant la reprise des combats. La position de Jean était alors plus forte car les comtes Baudouin VI de Flandre et Renaud de Boulogne avaient renouvelé leurs alliances anti-françaises[52]. Le puissant baron angevin Guillaume des Roches fut persuadé de changer d'alliance en faveur de Jean et la situation semblait basculer en défaveur d'Arthur et de Philippe II[61]. Personne ne souhaitait cependant poursuivre les combats et les deux souverains se rencontrèrent en janvier 1200 pour négocier une trêve[61]. Du point de vue de Jean, cela représentait une occasion pour stabiliser ses possessions continentales et créer une paix durable avec la France. Par le traité du Goulet de , Philippe II reconnaissait Jean comme l'héritier légitime de Richard Ier pour ses possessions françaises et ce dernier abandonnait sa stratégie d'endiguement de la France via des alliances avec la Flandre et Boulogne et acceptait le roi français comme son suzerain pour ses territoires continentaux[62],[63]. La politique de Jean lui valut le surnom de « Jean l'Épée molle » de la part de certains chroniqueurs en contraste avec celle plus agressive de Richard Ier[64].
Paix du Goulet
La nouvelle paix ne dura que deux ans et les combats reprirent en raison de la décision de Jean d'épouser Isabelle d'Angoulême en . Pour se remarier, il devait d'abord abandonner Isabelle de Gloucester ; pour cela, il avança que leur union était nulle car elle était sa cousine et il n'avait pas obtenu de dispense pontificale pour l'épouser[62]. Les raisons pour lesquelles Jean voulut épouser Isabelle d'Angoulême sont peu claires. Les chroniqueurs contemporains ont avancé qu'il en était tombé fou amoureux[62] mais il est vrai que les terres de sa future épouse étaient stratégiques ; en contrôlant la région d'Angoulême, Jean obtenait une voie terrestre entre le Poitou et la Gascogne et renforçait son emprise sur l'Aquitaine[65],[n 5]
Isabelle était cependant déjà fiancée à Hugues IX le Brun, comte de la Marche, membre influent d'une puissante famille du Poitou, la Maison de Lusignan, et frère du comte d'Eu Raoul Ier d'Exoudun qui possédait des terres dans le Poitou et en Angleterre, et le long de la frontière sensible entre la Normandie et la France[62]. Si l'union était à l'avantage de Jean, elle menaçait les intérêts des Lusignan qui contrôlaient les routes commerciales et militaires en Aquitaine[67]. Plutôt que de négocier une forme d'indemnisation, Jean traita Hugues IX « avec mépris » ; cela entraîna un soulèvement des Lusignan qui fut rapidement écrasé par Jean qui intervint également contre Raoul en Normandie[65].
Même si Jean était comte de Poitou et donc le suzerain des Lusignan, ces derniers pouvaient se plaindre de ses actions à son propre suzerain, Philippe II[65]. Hugues IX fit exactement cela en 1201 et le roi de France convoqua Jean à Paris en 1202 en citant le traité du Goulet pour appuyer sa demande[65]. Le roi d'Angleterre ne souhaitait pas affaiblir son autorité dans l'Ouest de la France en acceptant et il répondit qu'il ne pouvait accepter, en raison de son statut de duc de Normandie que la tradition féodale exemptait de devoir se présenter à la cour de France[65]. Philippe II avança qu'il le convoquait non pas en tant que duc de Normandie mais comme comte de Poitou[65] et à la suite d'un nouveau refus, il déclara que Jean ne respectait pas ses responsabilités de vassal. Confisquant l'ensemble des possessions françaises de Jean par jugement le [68], il les attribua toutes à Arthur de Bretagne, à l'exception de la Normandie qu'il prit pour lui, et se lança dans une nouvelle guerre[65].
Perte de la Normandie
Jean adopta initialement une stratégie défensive similaire à celle de 1199 en évitant les batailles rangées et en défendant ses forteresses[60]. Philippe II fit néanmoins des progrès à l'est[60] tandis que Jean apprit en juillet que les forces d'Arthur menaçaient sa mère Aliénor qui se trouvait au château de Mirebeau. Accompagné de Guillaume des Roches, son sénéchal en Anjou, il envoya ses mercenaires pour la secourir[60]. Ses forces prirent (en) Arthur par surprise et ce dernier ainsi que de nombreux commandants rebelles furent faits prisonniers[60]. Son flanc sud affaibli, Philippe II fut contraint de se retirer et de se redéployer dans le val de Loire[60].
La victoire de Mirebeau renforça grandement la position de Jean en France mais il la gaspilla par son traitement incorrect des prisonniers et de Guillaume des Roches. Ce dernier était un puissant noble angevin mais le roi anglais ignorait fréquemment ses avis tandis que les chefs rebelles capturés furent détenus dans des conditions telles que 22 moururent[69]. À une époque où les nobles d'une même région entretenaient d'étroites relations familiales, ce traitement de leurs proches était inacceptable[70] ; Guillaume des Roches et plusieurs alliés de Jean en France rallièrent Philippe II tandis que la Bretagne se souleva[70]. Cela fit basculer l'équilibre des forces car le roi de France disposait à présent d'un avantage considérable en termes de soldats et de ressources[71],[72],[73],[74].
D'autres défections dans le camp de Jean en 1203 réduisirent à nouveau sa capacité à combattre[70] et il demanda sans succès au pape Innocent III d'intervenir[70]. Il semble qu'il ait alors décidé de faire assassiner Arthur pour éliminer un potentiel rival et saper l'insurrection bretonne[70]. Arthur avait initialement été détenu à Falaise avant d'être emmené à Rouen. Son destin après cela est inconnu mais les historiens modernes considèrent qu'il fut tué par Jean[70]. Les annales de l'abbaye Margan indiquent que « Jean avait capturé Arthur et l'avait gardé en prison pendant quelque temps dans le château de Rouen… Alors que Jean était ivre, il a occis Arthur de ses propres mains et a accroché une lourde pierre à son corps avant de le jeter dans la Seine[75],[n 6] ». Les rumeurs sur les circonstances de la mort d'Arthur affaiblirent encore le soutien dont disposait Jean dans la région[76].
À la fin de l'année 1203, Jean tenta de secourir Château-Gaillard assiégé par Philippe II via une opération impliquant des forces terrestres et navales ; les historiens considèrent qu'il s'agissait d'une manœuvre innovante mais trop complexe pour les possibilités de l'époque[77]. Les forces françaises repoussèrent l'assaut et Jean se tourna vers la Bretagne pour tenter de réduire la pression à l'est de la Normandie[77]. Il ravagea le territoire mais cela n'eut pas d'effet sur le déroulement de la campagne[77]. Les historiens sont en désaccord sur les qualités militaires démontrées par Jean durant la campagne mais les études les plus récentes tendent à les considérer comme médiocres[62],[n 7].
La situation de Jean commença à se détériorer rapidement. Philippe Auguste contrôlait de plus en plus de territoires dans l'Est de la Normandie tandis que les défenses anglaises en Anjou avait été affaiblies par la cession par Richard Ier de forteresses stratégiques. Le soutien des nobles locaux fut encore réduit par le déploiement de troupes de mercenaires qui se livrèrent à de nombreux pillages dans la région[81]. Jean retraversa la Manche en décembre après avoir ordonné l'établissement d'une nouvelle ligne défensive à l'ouest de Château-Gaillard[77]. En , la forteresse tomba et la mère de Jean mourut le mois suivant[77]. La perte d'Aliénor ne fut pas seulement une tragédie personnelle pour Jean car elle menaçait également de ruiner le fragile réseau d'alliances établi dans le Sud de la France[77]. Philippe II contourna la nouvelle ligne défensive par le sud et envahit le cœur du duché de Normandie avant de se tourner vers l'Anjou et le Poitou où il ne rencontra qu'une faible résistance[82]. En août, Jean ne contrôlait plus en France que le duché d'Aquitaine[83].