Classe Le Redoutable
classe de sous-marins nucléaires de la Marine française (1971-2006) / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Pour le sous-marin tête de série, voir Le Redoutable (S611). Pour les autres navires portant le même nom, voir Le Redoutable.
La classe Le Redoutable est la première série de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de la Marine nationale française. Six navires de ce type entrent en service entre 1971 et 1985 et constituent alors l'un des trois vecteurs de la dissuasion nucléaire française avec les Mirage IV et les missiles balistiques du plateau d'Albion. Armés de seize missiles balistiques équipés de têtes nucléaires, ces sous-marins de grande taille ont un déplacement en plongée de 9 000 tonnes. Ils font partie de la Force océanique stratégique (FOST), qui comprend également des installations de maintenance situées dans leur port d'attache à l'île Longue dans la rade de Brest. Ils sont progressivement remplacés par les sous-marins de nouvelle génération de la classe Le Triomphant à partir des années 1990.
Classe Le Redoutable sous-marin nucléaire lanceur d'engins | ||||||||
SNLE Le Redoutable | ||||||||
Caractéristiques techniques | ||||||||
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Type | SNLE | |||||||
Longueur | 128,7 m | |||||||
Maître-bau | 10,6 m | |||||||
Tirant d'eau | 10 m | |||||||
Tirant d'air | 11 m | |||||||
Déplacement | 8 080 t en surface 8 920 t en plongée |
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Propulsion |
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Puissance | 16 000 ch (11 760 kW). | |||||||
Vitesse | ~20 nœuds (37 km/h) en surface ~25 nœuds en plongée (46 km/h) |
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Profondeur | ~300 m | |||||||
Caractéristiques militaires | ||||||||
Armement | 16 MSBS 4 tubes lance-torpilles de 533 mm avec 18 torpilles missiles antinavires Exocet SM39 |
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Autres caractéristiques | ||||||||
Électronique |
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Équipage | 135 hommes dont 15 officiers | |||||||
Histoire | ||||||||
Constructeurs | DCAN de Cherbourg | |||||||
A servi dans | Marine nationale | |||||||
Période de construction |
1964 - 1985 | |||||||
Période de service | 1971 - 2008 | |||||||
Navires construits | 6 | |||||||
Navires désarmés | 6 | |||||||
Navires préservés | 1 | |||||||
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La création d'une flotte de SNLE résulte de la décision du président de la République, le général de Gaulle, d'adopter une stratégie de dissuasion nucléaire indépendante des États-Unis en développant des capacités de frappe nucléaire permettant de dissuader toute attaque des intérêts nationaux. La création d'une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire embarquant des missiles balistiques est décidée en 1960 et est appliquée en 1963. À compter de 1972, la France maintient en permanence au moins un de ces sous-marins en patrouille, caché dans les fonds océaniques, prêt à lancer ses missiles sur ordre du président de la République.
La propulsion nucléaire navale, mise au point dans les années 1950, transforme la technologie des sous-marins en leur permettant de se maintenir en plongée indéfiniment tout en disposant d'une source d'énergie permettant d'atteindre des vitesses considérables. L'US Navy est la première à maîtriser ce nouveau type de propulsion, à bord du prototype Nautilus lancé en 1955, rapidement suivi de sous-marins opérationnels. Les ingénieurs français, après une première tentative exploitant une technologie différente, développent de manière autonome un réacteur nucléaire à eau pressurisée ainsi que des missiles balistiques pouvant être lancés en plongée, une bombe nucléaire miniaturisée et une centrale à inertie répondant aux contraintes de précision des armes embarquées. Le sous-marin tête de série, baptisé Le Redoutable, dont la construction débute en 1964, entame sa première patrouille début 1972. Au cours de la vie opérationnelle des « Redoutable », des missiles aux capacités croissantes (portée, têtes nucléaires) sont installés à bord de ces sous-marins. Le dernier modèle, le missile M4, emporte six têtes nucléaires de 150 kilotonnes équivalent en TNT et a une portée supérieure à 4 500 km.
Deux équipages de 135 hommes sont attachés à chacun des « Redoutable » pour permettre une utilisation maximale. Le navire part en patrouille pour une durée comprise entre deux et trois mois. Une fois au large, il quitte la surface et entame une plongée qui ne s'achève qu'à la fin de sa mission. Il circule en maintenant sa position secrète tout en étant en permanence à l'écoute des informations et instructions émanant des autorités militaires.
La découverte de la fission de l'atome en 1938 débouche très rapidement sur la mise au point du réacteur nucléaire. Son utilisation à bord de sous-marins permet à ceux-ci de prolonger presque indéfiniment la durée de leur plongée, ce qui leur donne un énorme avantage opérationnel. Les États-Unis lancent en 1956 le Nautilus, premier sous-marin à propulsion nucléaire. Ce prototype est rapidement suivi par des sous-marins opérationnels. La Marine nationale française, qui a identifié les apports de cette technologie, fait construire à compter de 1956 un sous-marin alimenté par un réacteur à eau lourde : cette technologie, différente de celle mise en œuvre par l'United States Navy, permet de se passer de l'uranium enrichi dont la France ne dispose pas à l'époque. Le recours à cette technologie est un échec et le Commissariat à l'énergie atomique est chargé en 1959 de mettre au point un réacteur nucléaire utilisant l'uranium enrichi suffisamment compact pour être embarqué à bord d'un sous-marin. Le général de Gaulle, qui prend ses fonctions de président de la République en 1959, opte pour une stratégie de dissuasion nucléaire indépendante. Trois vecteurs sont retenus pour emporter l'arme nucléaire, dont le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE). La construction du premier SNLE français, décidé en 1960, débute en 1963.
Utilisation de la propulsion nucléaire sur les sous-marins
Pionniers américains
Dès l'annonce par le physicien allemand Otto Hahn de la découverte de la fission de l'atome en 1938, Ross Gunn, superintendant du Naval Research Laboratory (NRL), envisage l'utilisation d'un réacteur nucléaire exploitant cette découverte pour propulser les sous-marins. Contrairement aux moteurs classiques exploitant la combustion d'un carburant, ce type de propulsion anaérobie permettrait aux sous-marins de rester en plongée indéfiniment[Note 1], tout en fournissant une puissance bien supérieure à celle que procure les accumulateurs utilisés jusque-là. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1947, cette idée est reprise par le capitaine de vaisseau Hyman Rickover, qui devient l'ardent défenseur de ce nouveau type de propulsion et parvient à mobiliser les autorités militaires américaines. L'aboutissement de ses efforts est le premier sous-marin à propulsion nucléaire américain, le Nautilus, lancé en janvier 1955. Celui-ci effectue une démonstration éclatante de ses capacités[1]. Le Nautilus n'emporte pas de missiles balistiques et ses formes ne sont pas optimisées pour la vitesse en plongée, alors que la supériorité des sous-marins dotés de la propulsion nucléaire repose sur leur capacité à naviguer en permanence en plongée. Un autre sous-marin expérimental américain, l'Albacore, entré en service en 1953, va servir à la mise au point des caractéristiques de coque optimales[Note 2] : la forme de sa coque (en « goutte d'eau ») et la position de ses appendices (hélice unique et barres de plongée) lui permettent d'atteindre une vitesse de 33 nœuds. Ces deux navires expérimentaux débouchent sur la construction des premières séries de sous-marins à propulsion nucléaire opérationnels. Ce sont les quatre petits Skate, directement dérivés des sous-marins à propulsion classique de type Tang, puis les cinq Skipjack, qui entrent en service à compter de 1959. Ces derniers sont des sous-marins d'attaque (SNA) ayant un déplacement de 3 600 tonnes en plongée et armés uniquement de torpilles. Les premiers sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), armés de missiles balistiques, constituent la classe George Washington : ils sont directement dérivés des Skipjack par ajout d'une tranche cylindrique centrale contenant 16 missiles. Les cinq navires de cette classe ont un déplacement en plongée de 6 817 t. Alors que les tensions de la guerre froide atteignent leur paroxysme (crise des missiles de Cuba, par exemple), les États-Unis se mettent à construire à une cadence élevée SNLE et SNA : une trentaine de SNLE et une quinzaine de SNA sont mis en service au cours des années suivantes[Note 3],[2],[3].
Échec du réacteur à eau lourde français
La Marine nationale, consciente du potentiel de l'énergie nucléaire, débute les premières études sur le sujet en 1954, peu avant le lancement du Nautilus américain. Mais les difficultés techniques sont énormes pour les ingénieurs français. Le sous-marin américain utilise un réacteur nucléaire à eau pressurisée qui permet d'obtenir une puissance importante dans un volume réduit mais qui nécessite pour l'alimenter de disposer d'une usine d'enrichissement d'uranium et donc de maitriser les techniques de séparation des isotopes de l'uranium. Il faut mettre au point de nouvelles techniques métallurgiques pour construire les équipements situés dans le cœur nucléaire capable de résister aux conditions de pression et de température. Les pompes et les autres équipements mobiles doivent être très fiables pour ne pas mettre en péril le sous-marin en mission car aucune maintenance sur cette partie de la propulsion n'est possible en mer. Enfin le cœur nucléaire doit être enfermé dans une enceinte épaisse de grandes dimensions pour éviter toute contamination en cas d'incident tout en étant compatible avec la taille du sous-marin[4],[5].
Ne disposant pas d'uranium enrichi, les responsables du projet français, qui est mené conjointement par le Commissariat à l'énergie atomique et la Marine nationale, optent pour un réacteur à eau lourde qui n'a besoin que d'uranium naturel. La conception de ce type de réacteur nucléaire est déjà maitrisée en France : un prototype de réacteur terrestre à l'eau lourde de faible puissance (150 kW), la pile Zoé, fonctionne depuis 1948 en région parisienne. L'établissement de Cherbourg de la Direction des constructions et armes navales (DCAN)[Note 4], chantier naval traditionnellement chargé de la construction des sous-marins français, commence en 1956 à construire un sous-marin destiné à accueillir ce nouveau type de propulsion nucléaire. Ce navire, baptisé Q-244, a une taille nettement supérieure aux productions antérieures du chantier naval : avec ses 110 mètres de long, son diamètre de 8,5 mètres et son déplacement de 4 500 tonnes il est trois fois plus grand que la série des Narval. Il est prévu qu'il soit armé uniquement avec des torpilles car la réalisation de missiles balistiques n'est pas à l'ordre du jour à cette époque. Mais le réacteur à eau lourde se révèle trop encombrant pour un sous-marin et le projet est abandonné en 1958. La construction du sous-marin Q-244 est, quant à elle, arrêtée en 1959[6],[7],[8].
Les États-Unis proposent à l'époque leur aide pour la mise au point d'un réacteur à eau pressurisée sous la forme de fourniture de plans, d'équipements ou même de réacteurs complets. Mais le général de Gaulle, qui est entretemps arrivé au pouvoir, ne veut pas lier la défense de la France de manière trop étroite à l'OTAN, ce qui limite fortement la coopération avec les États-Unis. Le Royaume-Uni, en revanche, accepte la proposition américaine et développe un premier sous-marin d'attaque, le Dreadnought, doté d'une chaufferie nucléaire conçue outre-Atlantique[8],[6],[7]. Les Britanniques, qui ont renoncé à développer leurs propres missiles balistiques, obtiennent des Américains qu'ils leur fournissent également les missiles Polaris armant leurs futurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (par les accords de Nassau de décembre 1962), renforçant l'intégration mais également la dépendance sur le plan militaire du Royaume-Uni avec les États-Unis[9].
Mise au point d'un réacteur à uranium enrichi
Tirant les leçons de l'échec de la filière eau lourde, la Marine nationale décide d'adopter la filière des réacteurs à eau pressurisée pour propulser ses sous-marins. Le gouvernement américain accepte de vendre à la France 440 kilogrammes d'uranium enrichi pour permettre d'alimenter un premier réacteur à condition que celui-ci ne soit utilisé que pour des applications terrestres[Note 5]. Le développement du réacteur est confié à une nouvelle division du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), le Groupe de propulsion nucléaire (GPN) qui réunit des membres du CEA, des officiers de marine et des ingénieurs du chantier naval. Son responsable désigné par la Marine nationale est Jacques Chevallier qui a accumulé 8 ans d'expériences sur les appareils moteurs à vapeur au sein de la Direction centrale des constructions et armes navales (DCAN). Le cœur nucléaire est de son côté développé par le département des études de piles (DEP) du CEA à Saclay. Pour mettre au point le futur réacteur nucléaire embarqué, les responsables du projet optent pour la construction d'un prototype, le PAT. Celui-ci est installé au centre de Cadarache[Note 6], un établissement du Commissariat à l'énergie atomique qui est créé en octobre 1959 à la fois pour mettre au point ce prototype et pour développer la filière des réacteurs à neutrons rapides (réacteur Rapsodie)[10],[7].
Pour que la simulation soit la plus réaliste possible, le prototype de réacteur, avec des équipements similaires à ceux qui seront installés à bord du sous-marin, est placé dans une tranche de coque elle-même immergée dans une piscine. Le système de contrôle-commande reproduit également les futures installations du navire. La construction de la cuve du réacteur, des générateurs de vapeur et du pressuriseur est réalisée par l'établissement d'Indret de la DCAN. Le réacteur diverge en août 1964. Entre octobre et décembre 1964 le réacteur fonctionne en simulant la distance d'un tour du monde sans rencontrer de problème majeur. Le réacteur remplit les objectifs assignés au projet avec un budget modeste (180 millions de francs de 1959 soit 330 millions € 2020) et en tenant l'échéance fixée initialement. Après avoir contribué à la mise au point de la chaufferie nucléaire, il est utilisé pour la formation des équipages des SNLE et des techniciens de la DCAN à la maintenance des réacteurs embarqués ainsi que pour tester les évolutions apportées aux réacteurs[6],[11].
Création de la force de dissuasion nucléaire française
Dès 1954, bien que le gouvernement français n'ait pas décidé de se doter de l'arme nucléaire, des travaux de recherche secrets sont entrepris pour permettre à la France de mettre en œuvre la bombe atomique si elle le décide ultérieurement. Le général de Gaulle arrive au pouvoir en 1958. C'est une période de forte tension internationale qui voit s'affronter les pays du bloc de l'Est menés par l'Union soviétique et ceux du bloc de l'Ouest emmenés par les États-Unis et réunis sur le plan militaire au sein de l'OTAN. Le général de Gaulle décide que la France adoptera une stratégie de dissuasion nucléaire indépendante des États-Unis en développant des capacités nucléaires permettant de faire subir à un agresseur des dégâts dissuasifs en cas d'attaque de la France. Cette stratégie suppose que les forces nucléaires françaises ne soient pas vulnérables à une attaque surprise et conservent ainsi une capacité de riposte, dite de seconde frappe. En quelques années, des décisions qui vont façonner sur le très long terme la politique de défense de la France, ainsi qu'une partie de son industrie de l'armement, sont prises[12].
- les travaux français sur la bombe atomique sont accélérés en vue d'aboutir à l'explosion d'une première charge expérimentale au premier trimestre 1960. Cet essai, baptisé Gerboise bleue, aura lieu le 13 février 1960 dans le Sahara. Une direction des applications militaires, la DAM, est créée au sein du Commissariat à l'énergie atomique pour mener les travaux sur l'arme atomique ;
- trois vecteurs sont utilisables pour emporter la bombe atomique : l'avion (air-sol), le missile tiré depuis le sol (sol-sol) et le missile tiré depuis un sous-marin (mer-sol). La priorité est donnée dès 1958 à la composante aéroportée qui est la plus facile à développer. Le Mirage IV, chasseur bombardier en cours d'étude chez Dassault est sélectionné pour emporter une bombe atomique AN-11. Ce composant qui sera géré par les forces aériennes stratégiques (ou FAS) est opérationnel dès 1964 ;
- le gouvernement prend la décision, en 1959, de construire une usine d'enrichissement d'uranium à Pierrelatte. Celle-ci fournira l'uranium enrichi qui permettra aux réacteurs des sous-marins à propulsion nucléaire de fonctionner et permettra également de fabriquer des armes nucléaires. La même année la Société d'étude et de réalisation d'engins balistiques (SEREB) est créée pour développer les missiles balistiques sol-sol et mer-sol. Au sein du ministère de la Défense, une nouvelle division, le groupe des engins balistiques (GEB), est chargé de piloter ces travaux ;
- en 1962, le gouvernement décide le développement de la composante du vecteur sol-sol. Des missiles balistiques S2 dotés d'une tête nucléaire seront installés dans des silos implantés sur le plateau d'Albion. Cette composante deviendra opérationnelle en août 1971.
La décision de doter la France d'une classe de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, comme troisième composante de la « force de frappe », est prise en 1960 mais ne se concrétise que le , avec la signature de la commande du premier sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE). Compte tenu de la complexité de cet engin, cette décision n'est prise qu'après de longues études pour déterminer si la France a la capacité à le développer[7].
La construction de la première classe de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins conjugue quatre projets qui avancent en parallèle : la construction du sous-marin proprement dit par le chantier naval de Cherbourg de la DCAN, la mise au point du réacteur nucléaire par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) décrite plus haut, le développement du missile balistique M1 sous la direction de la SEREB et la mise au point d'une tête nucléaire suffisamment compacte par la direction des applications militaires (DAM), division du CEA. Les deux derniers projets partagent de nombreux développements avec la réalisation du missile S2 sol-sol.
Organisation Cœlacanthe
Pour coordonner l'ensemble des acteurs impliqués dans le développement des différents vecteurs de l'arme atomique une nouvelle division, la Délégation ministérielle pour l'armement ou DMA (depuis 1977 Direction générale de l'Armement ou DGA) est créée en 1961 au sein du ministère des Armées. Le développement du SNLE de son côté nécessite à la fois la mise au point d'un navire, d'un missile balistique, de la tête nucléaire et du moteur nucléaire. Il est nécessaire que ces différents projets interdépendants soient coordonnés de manière étroite. En 1962, l'organisation Cœlacanthe est mise en place pour faciliter le dialogue direct des acteurs entre eux. Ceux-ci sont l'architecte du sous-marin (DCAN/DMA), l'architecte de la propulsion nucléaire du CEA (CEA/DPN), le directeur du programme missile MSBS attaché à la direction des engins de la DMA, le directeur de programme nucléaire de la direction des applications militaires du CEA (CEA/DAM), l'officier de programme issu de l'état-major de la Marine et le directeur du programme SNLE appartenant à la DCAN. Cette organisation va contribuer de manière significative au succès du projet en facilitant la circulation des informations entre ces organisations verticales[13].
L'effort financier associé au projet est particulièrement important. La France va consacrer jusqu'à 1,04% de son produit intérieur brut et 50% de ses dépenses d'équipements militaires (en 1967) au développement de ses forces de dissuasion nucléaire dont une grande partie est absorbée par le développement des SNLE (en 2015 cette part n'était plus que de 0,17% du PIB)[14]. Pour ne pas être tributaire des discussions budgétaires annuelles, il est décidé de définir les budgets à cinq ans sous la forme d'une loi de programmation militaire dont la première occurrence couvre la période 1960-1964. Cette pratique est toujours en vigueur en 2020[13].
Construction du Redoutable (1964-1969)
La conception et la construction du Redoutable sont dues à l'ingénieur de l'Armement André Gempp. Au début des années 1960, avant la mise en chantier du premier sous-marin, les architectes navals de la DCAN, dirigés par André Gempp, définissent avec leur donneur d'ordre le cahier des charges du nouveau sous-marin à propulsion nucléaire. Celui-ci doit pouvoir naviguer à plusieurs centaines de mètres de profondeur sur de très longues durées avec une vitesse supérieure à 20 nœuds. Il doit pouvoir accueillir un équipage de 130 hommes dans des conditions de confort leur permettant d'y séjourner pendant plus de deux mois. Pour réaliser sa mission principale, le navire doit connaitre en permanence sa position avec une grande précision sans avoir à émerger pour effectuer un relèvement des étoiles ou des émissions d'un système de radionavigation (les systèmes de positionnement par satellites n'existaient à cette époque). Il doit pouvoir lancer en toute sureté une salve de 16 missiles de 18 tonnes (10 mètres de long) en restant immergé à quelques dizaines de mètres de profondeur[15].
Pour le chantier naval de la DCAN le changement d'échelle est énorme. Avec ses 9 000 tonnes de déplacement, le sous-marin est presque cinq fois plus gros que les constructions antérieures du chantier naval (classe Narval déplacement de moins de 2 000 tonnes en plongée). Contrairement aux États-Unis, qui ont procédé de manière incrémentale — Nautilus, Albacore, sous-marin nucléaire sans missiles balistiques (SNA) puis avec missiles (SNLE) — les responsables du projet doivent développer d'emblée un SNLE. Hormis les caractéristiques visibles (dimensions, formes de coques), aucune information n'est disponible sur l'architecture des SNLE américains. Les caractéristiques générales retenues pour le Redoutable (déplacement, nombre de missiles emportés, dimensions, position des barres de plongée), sont très proches de celles des sous-marins Lafayette dont les premiers exemplaires sont livrés à l'US Navy en 1963. L'architecte du sous-marin, l'ingénieur de l'Armement André Gempp, a choisi d'utiliser un nouvel acier pour construire la coque épaisse (celle qui doit résister à la pression) qui permet de réduire la masse de celle-ci de 20%. Cet alliage, utilisé à l'origine pour le blindage des navires de surface, est très rigide. Il est modifié en ajoutant des éléments lui conférant les qualités mécaniques et de soudabilité nécessaires. En cours de construction les calculs semblent indiquer qu'il faudrait ajouter 1 300 tonnes de lest pour que le sous-marin soit à l'équilibre. Mais au fur et à mesure de l'avancement du projet cette marge fond et devient même négative obligeant à réduire la masse du navire dans sa partie haute[7],[16],[2].
La construction du Redoutable, premier exemplaire d'une série de six sous-marins aux caractéristiques identiques, débute fin 1964 dans l'établissement de Cherbourg de la DCAN. Elle est réalisée, selon la méthode traditionnelle, sur une cale inclinée couverte pour permettre une mise à l'eau par glissement. Compte tenu de ce mode de construction seuls les équipements les plus encombrants sont installés avant que la coque ne soit complètement refermée et que le navire ne soit lancé, car l'inclinaison de la cale ne facilite pas l'assemblage. Ce mode de construction sera reconduit pour les autres sous-marins de la classe Redoutable mais abandonné pour la classe de SNLE suivante[17]. Le lancement a lieu le à Cherbourg en présence du général de Gaulle[18].
Après sa mise à l'eau la coque est échouée au fond de la forme du Homet[Note 7] pour permettre d'achever sa construction. Le montage des tubes lance-missiles, du câblage électrique et des équipements de propulsion se poursuit. Un atelier réacteur est installé sur le quai adjacent pour permettre la réalisation des opérations les plus délicates notamment le chargement du combustible nucléaire. Une chaudière de l'ancien croiseur Jeanne d'Arc y est également installée pour tester le fonctionnement des turbo-alternateurs et des turbines avant que ceux-ci ne soient alimentés par le réacteur nucléaire[17]. Début 1969, le cœur du réacteur est chargé et celui-ci diverge le 26 février de la même année[19].
Développement du missile balistique M1 (1963-1971)
En juin 1963, le Conseil de Défense fige les caractéristiques des missiles balistiques qui doivent armer les sous-marins de la classe Le Redoutable. Ceux-ci embarqueront 16 missiles (une configuration à 8 missiles a été envisagée), dont la portée souhaitée est de 2 500 kilomètres et qui doivent emporter une charge militaire (bombe nucléaire) de 700 kilogrammes. Le missile doit pouvoir être lancé depuis un sous-marin en immersion (donc nécessairement en mouvement car celui-ci ne peut être immobile pour rester stable) dans des conditions de forte houle. La précision doit être compatible avec une stratégie de bombardement des cités[Note 8]. Le missile doit être opérationnel début 1970[20].
À l'époque, la France ne maîtrise aucune des technologies nécessaires à la réalisation des missiles balistiques de portée suffisante même si certaines sont en cours de développement. La SEREB (Société d'étude et de réalisation d'engins balistiques), chargée de développer le nouveau missile, lance en 1960 le programme des Pierres précieuses qui doit permettre de mettre au point les différentes fonctions d'une fusée de manière incrémentale (propulsion liquide et solide, pilotage, guidage et rentrée atmosphérique). Dans le cadre de ce programme, plusieurs fusées expérimentales — Agate, Topaze, Émeraude et Rubis — sont réalisées et lancées depuis le site d'Hammaguir en Algérie[21]. Ce programme a non seulement un objectif militaire mais également civil (mise au point du premier et seul lanceur spatial français Diamant). La fusée Rubis (VE 231) est utilisée pour évaluer les phénomènes de rentrée atmosphérique qui affecteront les têtes nucléaires du missile tandis que le deuxième et troisième étage de la fusée Diamant sont pratiquement des copies à échelle réduite des futurs missiles M1/M2/M20 qui arment les Redoutable mais également du missile S3 (sol-sol) déployé sur le plateau d'Albion[22].
Le lancement d'un missile, que ce soit depuis une plateforme fixe (missile sol-sol du plateau d'Albion) ou mobile (SNLE), nécessite de disposer d'une centrale inertielle[Note 9] extrêmement précise. En 1960, lorsque le général de Gaulle décide de créer la force nucléaire stratégique, les industriels français ont une maitrise très relative de ce domaine pointu. La Sagem a acquis en 1958 une licence de fabrication auprès de la société américaine Kearfott pour une centrale inertielle utilisable par un engin balistique de 100 kilomètres de portée. Celle-ci n'est pas suffisamment précise pour un missile dont la portée est de plusieurs milliers de kilomètres. La détérioration des relations de la France avec les États-Unis impose le développement d'une filière de fabrication nationale. Ces travaux vont nécessiter un budget équivalent à celui du prototype de réacteur nucléaire. La Sagem est chargée de développer la centrale inertielle de navigation pour sous-marin (CIN) ainsi que celle embarquée sur le missile tandis que le laboratoire de recherche LRBA réalise les essais. L'architecture définie pour la centrale inertielle conçue par la Sagem est validée par le lancement réussi de la version guidée de la fusée Saphir et par celui du lanceur Diamant en 1965. Électronique Marcel Dassault (EMD) fournit les calculateurs de guidage tandis que Sfena et LCT livrent les électroniques de pilotage. Ces travaux débouchent sur des exemplaires opérationnels qui sont installés en 1971 les premiers missiles[23].
Le missile M1, qui équipe initialement les Redoutable, a une masse de 18 tonnes et un diamètre de 1,5 mètre. Il comprend deux étages chargés respectivement de 10 et 4 tonnes de propergol solide constitué par un mélange de perchlorate d'ammonium (comburant) et le polyuréthane (carburant). Le propergol solide a été choisi car, bien que moins performant à masse égale que les ergols liquides, il peut être stocké sans risque et sans maintenance sur de longues durées, ce qui constitue une exigence à bord des sous-marins. Les essais statiques du missile ont lieu à Saint-Médard-en-Jalles (agglomération de Bordeaux) près de la poudrerie de Saint-Médard qui assure la fabrication du propergol. C'est là que se sont installés les différents industriels participant à la fabrication du missile : la SNECMA pour la structure en acier du premier étage, la SEPR pour les tuyères et le propulseur et Sud-Aviation pour la structure en fibre de verre du deuxième étage. Les essais statiques s'achèvent en 1968. Les essais en vol du premier étage ont lieu à Hammaguir, puis depuis un caisson immergé au large de l'île du Levant et enfin depuis un sous-marin spécialement équipé, le Gymnote[24].
Le lancement d'un missile balistique depuis un sous-marin en plongée présente de nombreuses difficultés. Le missile doit être expulsé à l'aide d'air comprimé avec une vitesse suffisante pour atteindre la surface. Pour rester stable un sous-marin doit toujours être en mouvement. Mais ce déplacement déséquilibre le missile lorsqu'il sort du tube. En atteignant les eaux de surface le missile est de nouveau déstabilisé par la houle et il doit parvenir à corriger un angle de sortie qui peut être très éloigné de la verticale. Dépourvu d'empennages pour pouvoir coulisser dans son tube, le missile est aérodynamiquement instable, ce qui complique la mise au point du système de pilotage de la fusée. Enfin, au moment de l'expulsion du missile par le sous-marin, l'eau s'engouffre dans le tube qu'il occupait. Il faut parvenir à empêcher celle-ci de noyer complètement le tube car la masse serait supérieure à celle du missile et compromettrait la stabilité du sous-marin. Pour mettre au point les équipements impliqués dans le processus de lancement très complexe sans dépendre de la livraison du Redoutable, des essais sont d'abord effectués à échelle réduite puis à l'échelle 1 à partir d'un caisson immergé en Mer Méditerranée (baptisé Nemo) contenant un tube de lancement. Pour poursuivre ces tests dans des conditions plus proches du fonctionnement opérationnel, les responsables du projet décident en 1962 de construire un sous-marin expérimental : le Gymnote. Celui-ci est réalisé à partir de la coque du sous-marin Q-244 (diamètre 8,5 mètres) en intercalant une tranche d'une diamètre de 10,6 mètres contenant quatre tubes de lancement. La réalisation du Gymnote est achevée le et il est mis en service le . Il sera également utilisé pour la mise au point du missile M4 puis désarmé le [25],[16]. Les essais du missile complet sont d'abord effectués depuis le Centre d'essais des Landes durant l'été 1968, site qui vient d'être inauguré (4 tirs dont deux réussis). Les essais suivants ont lieu à bord du Gymnote (7 tirs dont 5 réussis d'une version intermédiaire puis 8 tirs dont 6 réussis de la version de production). Ces lancements permettent de qualifier le lancement depuis un sous-marin en plongée. Deux tirs de qualification, tous deux réussis, auront encore lieu depuis le Redoutable. Début 1972 avec deux ans de retard sur la date prévue, le missile devenait opérationnel[26].
Mise au point de l'arme nucléaire (1967-1971)
La France dispose depuis 1964 d'une arme nucléaire de 50 kilotonnes équivalent en TNT qui arme les chasseurs-bombardiers Mirage IV. Pour le missile équipant les sous-marins de la classe du Redoutable, il faut développer une charge militaire dix fois plus puissante (500 kt) qui conserve toutefois la masse et les dimensions de l'arme équipant les Mirage. Cette miniaturisation doit se faire en résistant aux conditions sévères rencontrées durant le vol du missile (accélération, température) et en satisfaisant des contraintes de sécurité très élevés spécifiques aux SNLE[Note 10]. Les études sur cette charge militaire débutent en 1963. La tête nucléaire idéale serait une bombe thermonucléaire (bombe H) beaucoup plus compacte que la bombe A utilisée par les Mirage IV. Mais les travaux des chercheurs français dans ce domaine piétinent (ce qui leur attirera les foudres du général de Gaulle) et le choix porte sur une variante de la bombe A, dite à fission exaltée, qui grâce à un matériau à base de tritium permet d'obtenir une puissance explosive plus importante qu'une simple bombe A toutefois au prix d'une grande complexité de conception. La première bombe de ce type est réalisée avec l'uranium enrichi produit par l'usine de Pierrelatte qui a commencé à fonctionner en 1967. La tête nucléaire MR41 résultant de ces travaux est testée au Centre d'expérimentation du Pacifique en juin 1968. De manière ironique, quelques semaines plus tard explose sur le même site la première bombe thermonucléaire française qui traçait l'avenir de l'arme nucléaire[27],[28].
Au cours d'essais de vibration de la charge MR41 une rupture mécanique est constatée et entraine des travaux de renforcement de la structure de la bombe. L'utilisation du tritium génère par ailleurs de nouvelles contraintes car ce gaz radioactif à demi-vie relativement courte (12 ans) se transforme en hélium ce qui augmente la pression interne dans la charge nucléaire. L'enveloppe en acier doit être renforcée pour contenir ce gaz sans porter atteinte aux performances de l'arme. Les représentants de la Marine nationale imposent à la DAM (concepteur de la bombe) des tests poussés qui reculent la mise au point de l'arme opérationnelle jusqu'en 1971. Finalement une charge nucléaire opérationnelle, respectant le devis de poids et la puissance souhaitée, est testée avec succès à Moruroa en juin 1971 et les premiers missiles sont embarqués à bord du Redoutable en 1972. La tête nucléaire MR41 ne sera qu'un engin de transition car elle sera très rapidement remplacée par la MR60 utilisant une bombe thermonucléaire (missile M20 déployé à compter de 1977). Initialement le commandant des sous-marins dispose d'un équipement permettant de contrôler en cours de mission la disponibilité de la charge nucléaire des missiles embarqués. Ce dispositif, générateur d'une charge de travail sans valeur ajoutée, sera supprimé à la demande des commandants à partir de la livraison de l'Indomptable[28]
Essais en mer du bateau tête de série (1969-1971)
La mise au point du Redoutable, qui introduisait pour la première fois dans la flotte française des sous-marins à la fois la propulsion nucléaire, la navigation inertielle et l'emport de missiles balistiques à longue portée, est particulièrement longue. Le Redoutable quitte la forme du Homet à Cherbourg en mai 1969 et effectue d'abord des essais le long du quai avant d'effectuer sa première plongée statique dans l'anse du Becquet puis en route libre dans l'étroite fosse des Casquets, au large de l'île anglo-normande d'Aurigny, seule zone de la Manche où les fonds dépassent les 100 mètres[19]. Le Redoutable regagne Cherbourg en novembre pour compléter l'installation du système d'armes, effectuer une première maintenance et recevoir les modifications découlant des constats effectués durant les essais en mer. En particulier, ayant mesuré que la protection contre le rayonnement gamma est surdimensionnée, une partie du plomb formant le blindage du réacteur nucléaire est enlevée pour améliorer la stabilité du navire. Le Redoutable est admis au service actif le et il entame sa première patrouille le 28 janvier 1972 sous le commandement de Bernard Louzeau (futur amiral) avec un chargement de 16 missiles M1 d'une portée de 2 450 kilomètres équipés d'une tête nucléaire de 500 kilotonnes[29],[30]. Le 1er mars, la Marine nationale crée une nouvelle division, la Force océanique stratégique qui regroupe l'ensemble des unités impliquées dans la mission de dissuasion : sous-marins, base opérationnelle, postes de commandement et de transmission[31].
La doctrine de la dissuasion nucléaire impose de disposer en permanence d'au moins un sous-marin non détectable et prêt à lancer ses missiles. En ces temps de guerre froide, le gouvernement français opte pour le maintien permanent de trois sous-marins en patrouille. En prenant en compte les arrêts périodiques de longue durée (grand carénage), les périodes de remise en condition entre deux patrouilles et la durée du transit entre le port d'attache et la zone de patrouille, la Marine nationale a besoin de six SNLE. En conséquence la construction de cinq autres navires de la classe du Redoutable sont programmés : ce sont Le Terrible (entrée en service en 1973), Le Foudroyant (1974), L'Indomptable (1976), Le Tonnant (1980) et L'Inflexible (1985). Leur réalisation se fait d'abord à un rythme soutenu car le projet bénéficie d'une forte priorité qui lui permet de s'affranchir des arbitrages budgétaires. L'effet d'échelle joue également car les responsables du projet ont décidé de limiter les évolutions techniques entre les différents navires. Toutefois le premier choc pétrolier (1973), qui vient mettre fin à la forte croissance économique qu'avait connu la France (les Trente Glorieuses), vient perturber le calendrier et le président Giscard d’Estaing décide d'étaler le calendrier des livraisons des deux derniers exemplaires[29].
Équipement avec les missiles M2 et M20 (1974-1977)
Le missile nucléaire M1, qui équipe initialement Le Redoutable, a une portée de 2 450 kilomètres jugée d'emblée limitée par la Marine nationale avait demandé dès 1958 que la portée soit allongée à 3 000 km. Pour que le missile puisse atteindre Moscou (à cette époque de guerre froide, l'Union soviétique constitue l'unique menace de conflit nucléaire pour la France), il faut que le sous-marin soit positionné en mer de Norvège ou dans le golfe de Gênes. Or ces mers sont trop fréquentées et de taille trop réduite pour pouvoir y patrouiller sans être détecté. Une nouvelle version du missile est rapidement mise au point et le M1 n'armera que les deux premiers sous-marins. La solution retenue pour accroitre la portée du missile M2 qui le remplace consiste à augmenter de deux tonnes la masse du propergol du deuxième étage Rita 1 tout en plaçant une partie de la tuyère à l'intérieur du corps du propulseur afin de ne pas augmenter la longueur totale du missile et ne pas modifier le tube qui le contient dans le sous-marin. Mais la mise au point de cette nouvelle version Rita 2 est difficile : les problèmes rencontrés portent à la fois sur la tuyère, l'enveloppe du propulseur et les protections thermiques qui empêche cette dernière de fondre lorsque le propergol brûle[Note 11]. Néanmoins la mise en service s'effectue en 1974 comme prévu. La portée du missile M2 atteint 3 000 kilomètres. Il est très rapidement remplacé par le missile M20 qui s'en différencie par sa charge thermonucléaire (bombe H) d'une mégatonne et des aides à la pénétration[Note 12] de première génération. Les dimensions, masse et portée du M20 sont quasi identiques à celles du M2. Cette version commence à être déployée en 1977[32],[22],[26].
Refonte M4 (1985-1993)
Le développement d'une nouvelle génération de missile, le M4, est lancé en 1973. Cette version à trois étages, contre deux pour les générations précédentes, se caractérise par une augmentation importante de la portée qui passe à 5 000 kilomètres et l'emport de plusieurs têtes nucléaires. La masse et les dimensions du M4 sont nettement supérieures à celle du missile M20 : son poids passe de 20 à 35 tonnes et il est haut de 11,5 mètre pour un diamètre de 1,9 mètre (M20 : 10,67 × 1,5 m.). Ces dimensions exploitent au maximum l'espace disponible dans les tubes du Redoutable mais au prix de modifications importantes de ceux-ci. L'Inflexible, dont la construction n'a pas encore débuté lorsque les spécifications du M4 sont figées, est conçu dès le départ pour emporter le nouveau missile et sa date d'entrée en service (1985) est calée sur la fin des tests du M4. Des modifications sont également apportées au sous-marin pour améliorer sa discrétion acoustique. Les formes de coque sont modifiées et un nouveau gouvernail est conçu. La propulsion et l'usine électrique sont plus silencieuses. Depuis la conception du Redoutable 20 ans auparavant, l'électronique a fortement progressé. On profite de l'installation des missiles M4 pour remplacer de nombreux équipements faisant appel à l'électronique (sonars…) et à l'informatique. Le système de traitement de l'information est désormais constitué de calculateurs en pool et utilise des communications numériques. Le système d'armes tactiques est doté d'un sonar multifonctions DMUX-21. Le navire est également adapté à l'emport du missile anti-navires SM39, version navalisée de l'Exocet. Le système global de navigation reçoit les équipements de navigation et de radiolocalisation les plus récents qui permettent une tenue de position plus précise. Entre 1985 et 1993 Le Terrible, Le Foudroyant, L'Indomptable et Le Tonnant sont tour à tour refondus pour être mis au standard de l'Inflexible au cours d'une opération de grand carénage prolongée. Seul Le Redoutable conserve ses missiles M20 jusqu'à son désarmement qui intervient en 1991[33],[34].
Fin de vie
Les sous-marins de la classe Redoutable sont progressivement retirés du service entre 1991 et 2008. Immédiatement après leur arrêt la tranche nucléaire est découpée et stockée à l'arsenal de Cherbourg, dans la zone du Homet, où elle doit séjourner durant 15 ans avant retraitement. Le reste du sous-marin est également stocké dans cette partie du port en attendant son démantèlement par un consortium de sociétés comprenant le chantier naval DCNS, Veolia Propreté et NEOM filiale de Vinci (pour le désamiantage) sous la responsabilité de la Direction générale de l'Armement[35]. À compter de 2018, la déconstruction, qui est réalisée à sec dans la forme 5 de Cherbourg, commence avec la coque de l'ex-Le Tonnant. Cette opération est achevée au cours de l'hiver 2019. Début 2020, c'est ensuite au tour de l'ex-L'Indomptable, puis de l'ex-Le Foudroyant en septembre 2021, puis de l'ex-L'Inflexible. Le dernier navire de la série, l'ex-Le Terrible devrait être déconstruit d'ici 2027. Environ 90% des 6 000 tonnes d'acier de chaque sous-marin est recyclé[36].
Navire musée
Des élus locaux de l'agglomération de Cherbourg et l'amiral Louzeau, premier commandant du Redoutable forment au début des années 1990 une association dans le but de créer à Cherbourg un musée consacré au monde maritime. Le Redoutable doit constituer sa pièce maîtresse. Le navire, dont la tranche nucléaire a été déposée en 1993, est cédé par le ministère de la Défense début 1996 et celui-ci consacre un budget de 25 millions de francs aux travaux nécessaires pour remettre en état le sous-marin et le préparer pour les visites. Le musée, la Cité de la Mer, emménage dans l’ancienne Gare maritime transatlantique, qui accueillait autrefois les passagers des paquebots transatlantiques. Une darse de 136 mètres sur 19 mètres de large est creusée le long de ce bâtiment pour y accueillir le Redoutable qui sera exposé à sec[37]. L'aménagement du sous-marin nécessite 60 000 heures de travail. La tranche nucléaire est remplacée par un tronçon de coque du septième sous-marin de la classe Rubis dont la construction avait été abandonnée. Une scénographie est mise en place et des ouvertures sont créées dans la coque pour faciliter l'accès du public. Le nouveau navire musée, premier sous-marin nucléaire lanceur d'engins transformé de la sorte, est inauguré en avril 2002[38],[39].
Nom | Immatriculation | Date de lancement | Mise en service | Refonte M4 | Désarmement | Bilan |
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Le Redoutable | S611 | 51 patrouilles 83 500 heures de plongée[40]. | ||||
Le Terrible | S612 | 1988-1990 | ||||
Le Foudroyant | S610 | 1990-1993 | ||||
L'Indomptable | S613 | 1987-1989 | 125 000 heures en plongée[41]. | |||
Le Tonnant | S614 | 1985-1987 | 54 patrouilles[42]. | |||
L'Inflexible | S615 | 59 patrouilles et 90 000 heures en plongée[34] |