Les Désastres de la guerre
série d'estampes de Francisco de Goya / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Les Désastres de la guerre (en espagnol : Los Desastres de la Guerra) est une série de quatre-vingt-deux gravures réalisées entre 1810 et 1815 par le peintre et graveur espagnol Francisco de Goya (1746–1828).
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Bien que les intentions du peintre ne soient pas connues avec certitude, les historiens de l'art considèrent ces œuvres comme une protestation contre la violence du soulèvement du Dos de Mayo, de la guerre d'indépendance espagnole (1808–1814) et de la Restauration bourbonienne qui s'ensuivit en 1814.
Les dessins préparatoires, qui étaient restés avec les planches à la Quinta del Sordo, après le départ de Goya pour Bordeaux en 1824, sont conservés en leur totalité au musée du Prado depuis 1886, provenant de la collection de Valentín Carderera, qui les avait achetés entre 1854 et 1861 à Mariano Goya, petit-fils du peintre. Sauf quelques exceptions, ils sont réalisés à la sanguine, ce crayon caractéristique de couleur rouge employé par Goya dans les dessins préparatoires de beaucoup de ses Caprices et qu'il utilisera également peu de temps après dans les dessins préparatoires de la Tauromachie (1816). Réalisés sur une grande variété de papiers, preuve de la rareté durant les années de la guerre, les dessins sont très proches de la composition définitive. Il y aura à peine quelques corrections au moment de leur transposition sur le cuivre. Cependant il est possible de dénoter une tendance à opter pour une plus grande expressivité des visages, beaucoup plus dramatiques dans les estampes, ainsi qu'à supprimer dans ces dernières les références spatiales et les personnages secondaires, qui auraient pu disperser l'attention des spectateurs.
Les gravures sont également restées à la Quinta del Sordo après le départ de Goya pour Bordeaux. À sa mort, elles sont devenues la propriété de son fils Javier, qui les a conservées dans des caisses jusqu'à son décès en 1854. Après diverses vicissitudes, la Real Academia de San Fernando a acquis en 1862 quatre-vingt cuivres, qu'elle a édités pour la première fois en 1863 sous le titre de « Los desastres de la guerra ». En 1870, elle a acquis les deux dernières gravures, qui aujourd'hui, ainsi que les quatre-vingt déjà citées, sont conservées à la chalcographie nationale de Madrid.
Bien que Goya ne les ait pas éditées de son vivant, nous possédons un exemplaire complet relié : celui qu'il a offert à son ami Juan Agustín Ceán Bermúdez et qui est aujourd'hui conservé au British Museum. Sur la première page manuscrite apparaît un titre éloquent sur les intentions de Goya : Fatales consequencias de la sangrienta guerra en España con Buonaparte. Y otros caprichos enfáticos, en 82 estampas. Inventadas, dibuxadas y grabadas, por el pintor original D. Francisco de Goya y Lucientes. En Madrid (« Les conséquences dramatiques de la sanglante guerre menée en Espagne avec Bonaparte. Et autres caprices emphatiques, en 82 estampes. Inventées, dessinées et gravées, par l'auteur et peintre D. Francisco de Goya y Lucientes. À Madrid »).
Contexte historique
Napoléon Ier se déclare Premier consul de la République française en 1799 et est couronné empereur en 1804[1]. Comme l'Espagne contrôle l'accès à la mer Méditerranée, les Français en font un enjeu stratégique. Or, considéré internationalement comme inefficace[2], le souverain espagnol Charles IV est menacé par son fils et héritier, le pro-Britannique prince des Asturies Ferdinand de Bourbon. Napoléon profite de la position affaiblie de Charles IV et lui propose de conquérir le Portugal, qu'ils partageraient entre la France, l'Espagne et une future principauté de l'Algarve qui serait dévolue à Manuel Godoy, alors Premier ministre espagnol. Appâté, ce dernier accepte sans comprendre que l'invasion du Portugal constitue en fait une stratégie pour s'emparer du pouvoir en Espagne[2].
Sous le prétexte de renforcer les armées espagnoles, 23 000 soldats français entrent dans le pays sans rencontrer d'opposition en [4]. Même après que leurs intentions deviennent claires en , les forces d'occupations font face à très peu de résistance, mis à part quelques actions isolées[2]. En mars, le soulèvement d'Aranjuez, impulsé par le prince Ferdinand et ses suiveurs, aboutit à la capture de Godoy et à l'abdication de Charles IV ; le , son fils devient alors roi, sous le nom de Ferdinand VII. Ce dernier cherche la protection des Français[5], mais Napoléon et le commandant de l'Armée d'Espagne, le maréchal d'Empire Joachim Murat, pensent que l'Espagne gagnerait plutôt à avoir un chef d'État plus progressiste et compétent qu'un issu des Bourbons. Ils décident ainsi d'installer le frère de l'empereur, Joseph Bonaparte, comme roi[6]. Pour régler leurs différends, Charles IV et Ferdinand VII sollicitent Napoléon, qui, sous prétexte de médiation, les convoque en France, à Bayonne, et les force à abandonner leurs droits à la succession au profit de Joseph.
L'Espagne est alors en butte à l'affrontement simultané entre plusieurs visions politiques : résistance à l'envahisseur français contre Afrancesados partisans des français ; lutte intestine entre les partisans d'un retour au pouvoir d'une classe dirigeante à visée autocratique et les tenants d'une modernisation libérale. Cette dernière division s'est nettement intensifiée car elle préexistait à l'invasion française[7].
Dans ce contexte, plusieurs des amis de Goya, dont les poètes Juan Meléndez Valdés et Leandro Fernández de Moratín, sont ouvertement afrancesados et soutiennent Bonaparte[8]. De son côté, le peintre conserve son poste de peintre de la cour, pour lequel un serment de loyauté à Joseph Bonaparte est nécessaire. Or Goya a un rejet inné de l'autorité[9] et il est le témoin direct de l’assujettissement de ses compatriotes par les troupes françaises[N 1]. En effet, alors qu'il vit à Madrid, le général Palafox, opposé aux français, l'envoie, du 2 au à Saragosse pour rendre en peinture les événements du Siège de la ville[10]. Il témoigne de scènes de guerre dans les tableaux Fabrication de la poudre dans la Sierra de Tardienta et Fabrication de balles dans la Sierra de Tardienta (déclarés patrimoines nationaux d'Espagne), réalisés à la même époque que les Désastres de la guerre. Comme d'autres libéraux espagnols, Goya se retrouve donc en position délicate : ayant soutenu les objectifs initiaux de la Révolution française, il espère la fin de la féodalité, remplacée par un système politique plus démocratique mais il est dans le même temps choqué par les conséquences de l'invasion française.
Datation et historiographie
Il peint peu durant ces années, mis à part des portraits qui lui sont commandés par les deux camps, comme celui, allégorique, de Joseph Bonaparte en 1810[N 2], celui du duc de Wellington entre 1812 et 1814 ou de généraux français et espagnols[N 3]. Parallèlement, Goya travaille sur des dessins préparatoires (conservés au musée du Prado) et qui deviennent par la suite la base des Désastres de la guerre. Les gravures comportent peu de modifications par rapport aux dessins : certains éléments anecdotiques disparaissent et les aspects conventionnels de la mort héroïque sont rejetés pour obtenir une meilleure composition qui soit commune à toute la série.
Selon l'historien de l'art espagnol Enrique Lafuente Ferrari, ce sont les événements de Saragosse auxquels Goya a assisté qui le poussent à se lancer dans cette production : quand le général Palafox lui demande d'aller sur place pour « étudier les ruines de la ville et dépeindre les glorieux actes de son peuple », son attachement à la ville le conduit à accepter[N 4]. Or, peintre de cour, il est très au fait des événements politiques et en propose une bonne analyse[15]. De fait, cette observation initiale laisse place à une meilleure compréhension de ce qu'il se passe en réalité. Il cherche alors à diffuser ses images et ses appréciations au plus grand nombre et se rend compte que des estampes constituent le meilleur moyen de le faire[15].
Il commence probablement à les graver en 1810, cette année étant la plus ancienne à apparaître sur les estampes[15]. Eleanor Sayre met en avant cette théorie d'après la date sur plusieurs estampes dans The Changing Image en 1975, que reprennent Pierre Gassier et Juliet Wilson Bareau dans leur catalogue raisonné puis dans le catalogue d'exposition Goya and the Spirit of Enlightment (1989). Tous deux mettent d'ailleurs également en avant la structure de deux groupes d'estampes : les 64 premières estampes — dites « Conséquences fatales de la guerre », gravées pendant la guerre, entre 1810 et 1814 — et le deuxième, jusqu'à la no 82, appelé les « Caprices emphatiques », datés d'entre 1820 et 1824[16].
En analysant la qualité du papier et des planches utilisées, Jesusa Vega estime que l'année à laquelle les estampes ont été achevées est 1815 : en effet, la qualité de ces supports étant très mauvaise — au contraire des autres séries telles que les Disparates (1815-1823) et La tauromaquia (1815-1816) —, elle fait le lien avec l'époque à laquelle Goya a eu des difficultés pour trouver du matériel de qualité et des techniques de gravures de meilleure qualité[17],[16]. Ainsi, les Désastres de la guerre ont été exécutés entre 1808-1810[N 5] et 1815. Selon Nigel Glendinning, elles n'ont pas été publiées ces années-là à cause des critiques féroces des dernières estampes vis-à-vis du régime absolutiste espagnol[18]. Jesusa Vega rappelle qu'avec l'acceptation par Ferdinand VII de la Constitution Libérale (Trieno Liberal), Goya n'avait plus besoin d'user d'allégories, la censure étant beaucoup moins féroce et permettant à plusieurs artistes de publier des caricatures très explicites, ce qui permet selon elle de rejeter la date de résolution des Caprichos enfáticos à aussi loin que 1820-1823[19]. Elle suggère que la série dans sa totalité correspond aux événements courant du soulèvement populaire de aux premiers pronunciamientos, en 1814 ; l'interprétation de la dernière partie permet de justifier le fait que Goya n'ait pas voulu la publier : ses plus féroces critiques concernent les événements ayant eu lieu autour du retour de Ferdinand VII de son exil (1813-1815) ; or la censure et la répression vis-à-vis des libéraux étaient à cette époque au plus haut. À cela ajouter la constatation que finalement bien peu de gens auraient pu déchiffrer les allégories présentées dans ses œuvres[20].
Les plaques finales sont le témoignage de ce qu'il a décrit comme el desmembramiento d'España (« le démembrement de l'Espagne »)[21].