Mari (Syrie)
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Mari (en arabe : mārī, مــاري) est une ancienne cité dont l'emplacement se trouve sur le site actuel de Tell Hariri (en arabe : tall al-ḥarīrī, تل الحريري), situé à l'extrême sud-est de la Syrie sur le moyen Euphrate, à 11 kilomètres d'Abou Kamal et à une dizaine de kilomètres de la frontière irakienne.
Mari Tell Hariri | |
Haute terrasse de Mari (près du palais) | |
Localisation | |
---|---|
Pays | Syrie |
Gouvernorat | Deir ez-Zor |
Coordonnées | 34° 33′ 04″ nord, 40° 53′ 18″ est |
Superficie | 110 ha |
Histoire | |
Époque | IIIe et IIe millénaires av. J.-C. |
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Fondée dans les premiers temps du IIIe millénaire av. J.-C. sur la rive droite de l'Euphrate et légèrement à distance du fleuve, elle se présente dès cette première période (« Ville I », c. 2900-2550 av. J.-C.) comme une ville circulaire protégée par deux enceintes. Les niveaux de cette période n'ont été atteints qu'en un nombre limité d'endroits, mais donnent l'impression d'une ville active, notamment dans l'artisanat, et bien insérée dans les réseaux d'échanges à longues distance.
La seconde période de Mari (« Ville II », v. 2550-2250 av. J.-C.) débute par une refondation de la ville après un terrassement des constructions antérieures, qui reprend les éléments principaux de l'urbanisme antérieur. Plusieurs monuments majeurs sont connus pour cette période, des temples, qui ont livré un abondant matériel votif : des statuettes de personnages en prière, des fragments de gravures en coquille, des éléments de parure, des objets en métal, etc. qui témoignent de la prospérité de la ville et à nouveau de sa place importante dans les échanges à longue distance. Les fouilles des niveaux de cette période ont également mis au jour des espaces domestiques, artisanaux et commerciaux (un « Souk »). Pour les dernières décennies de la période, des documents cunéiformes provenant du site, et surtout d'un autre site syrien, Ebla, indiquent que le royaume de Mari est l'un des plus puissants de la région. Cette période s'achève néanmoins par un défaite et une destruction de la ville, causées par les armées de l'empire d'Akkad.
La troisième grande phase de l'histoire de Mari (Ville III, v. 2250-1760 av. J.-C.) commence par la reconstruction de la ville sous la direction de monarques qui portent le titre de šakkanakku. C'est durant cette période qu'est bâti le Grand Palais Royal qui est le monument le plus fameux du site. La fin du XIXe siècle av. J.-C. est marquée par l'arrivée de rois d'origine amorrite sur le trône de la ville. Cette phase qui s'étend d'environ 1810 à 1760 av. J.-C. est documentée par les milliers de tablettes mises au jour dans le palais royal, surtout des lettres et des documents administratifs, qui fournissent une grande quantité d'informations sur la société, la vie politique, diplomatique et religieuse de l'époque, ainsi que sur diverses activités qui intéressent les gestionnaires du palais qui ont écrit ces documents.
La ville est prise et détruite entre 1761 et 1759 av. J.-C. par les troupes du roi Hammurabi de Babylone. Elle ne redevient plus la capitale d'un royaume important et périclite, les fouilles archéologiques n'ayant révélé pour les phases postérieures à la destructions que quelques espaces domestiques et artisanaux et surtout des tombes.
Mari a été redécouverte par hasard en 1933 et des fouilles s'y sont déroulées d'abord par André Parrot (jusqu'en 1974). L'exploitation archéologique du site s'interrompt en 2010 avec le déclenchement de la guerre civile syrienne. Dans les années qui suivent le site a subi d'importantes destructions qui ont endommagé de manière irréversible les principaux monuments antiques.
Le site de Tell Hariri est situé sur la rive droite de l'Euphrate, dans une zone où la vallée est incisée dans des plateaux calcaires, mais est à cet endroit relativement large (5 kilomètres), sur une terrasse fluviale à l'écart du cours du fleuve et de ses crues. Les terres de fonds de vallée sont fertiles mais cet endroit se trouve dans une zone aride où les précipitations ne permettent pas à elles seules le développement de l'agriculture, qui ne peut donc se faire qu'en recourant à l'irrigation. L'Euphrate constitue du reste une voie de circulation naturelle, dont les habitants de Mari ont su tirer profit pour se développer[1].
Mari dispose également d'une position exceptionnelle entre la Syrie et la Basse Mésopotamie, sur des routes caravanières et fluviales importantes, ce qui explique qu'elle soit difficile à classer culturellement, à la croisée des traditions culturelles syriennes et mésopotamiennes.
Au début du mois d'août 1933, un bédouin, en creusant la terre au sommet d'une colline, le tell Hariri, pour déterrer une pierre et inhumer un des siens, trouve la statue acéphale d'un personnage aux mains jointes avec une inscription en cunéiforme. Il se présente au lieutenant français Cabane, inspecteur-adjoint de la région Abou-Kémal, qui prévient la direction des Antiquités à Beyrouth, laquelle alerte le musée du Louvre dont le conservateur en chef René Dussaud propose un archéologue pour aller étudier le site, le conservateur du Département des Antiquités orientales André Parrot[3]. Il est justement disponible avec son équipe depuis l'arrêt des fouilles des sites irakiens de Girsu et de Larsa, dont le musée vient de cesser le financement car l'Irak avait décidé d'arrêter de laisser les pays occidentaux emporter chez eux une partie des trouvailles effectuées par leurs archéologues. Les archéologues français peuvent alors se rabattre sur la Syrie voisine, qui est sous mandat français et ne pose donc pas le même type de conditions, et dont les sites antiques ont été très peu fouillés (un autre site antique majeur, Ras Shamra, l'antique Ugarit, vient à peine d'être redécouvert)[4].
Les équipes de Parrot fouillent le site dès décembre 1933. En janvier 1934 elle sort la statue inscrite du roi Ishqi-Mari, alors lu Lamgi-Mari, qui permet d'identifier le site comme étant l'antique Mari. Six campagnes ont lieu entre 1933 et 1938 dans le temple d'Ishtar puis dans le palais royal et enfin la zone des temples. Elles mettent au jour de nombreuses trouvailles qui font sensation, notamment les statues du temple d'Ishtar, le vaste palais royal et ses milliers de tablettes cunéiformes, les deux lions de cuivre du soi-disant « temple de Dagan », la Haute Terrasse. Les fouilles reprennent en 1951, toujours sous la direction de Parrot. Jusqu'en 1954 elles explorent le secteur des temples et dégagent plusieurs édifices. La crise de Suez provoque une nouvelle interruption des fouilles jusqu'en 1960. Parrot dirige onze campagnes jusqu'en 1974, dans le secteur de la Haute Terrasse puis le palais dont les niveaux plus anciens (« présargoniques ») sont fouillés. En 1979, les fouilles reprennent sous la direction de Jean-Claude Margueron, qui dirige une vingtaine de campagnes jusqu'en 2004. Elle développe de nouvelles approches : plusieurs chantiers sont ouverts en même temps, avec notamment pour objectif de mieux comprendre l'urbanisme de la ville et son évolution, ainsi que l'intégration de la ville dans son espace régional. Cela conduit notamment à la mise en évidence de l'existence d'une première phase plus ancienne que celles fouillées jusqu'alors, approchée en quelques endroits, redéfinissant la chronologie de la ville en trois grandes périodes[5],[6]. Les résultats des fouilles sont publiés dans la revue Syria, puis dans la série Mission archéologique de Mari (MAM) dans l'après-guerre[7]. Parrot en 1974[8] et Margueron en 2004[9] publient des ouvrages reprenant les résultats des travaux qu'ils ont effectués à Mari.
Un plan de sauvegarde et de restauration des monuments du site, qui subissent une érosion rapide une fois dégagés, est mis en place à partir de 1997 dans l'Enceinte sacrée puis les Grand Palais Royal, ce qui s'accompagnait d'une mise en valeur pour le tourisme (ouverture d'un centre d'accueil pour visiteurs en 2009)[10].
Depuis 2005 l'équipe de fouilles est dirigée par Pascal Butterlin et explore jusqu'en 2010 le centre monumental et de nouveaux secteurs en périphérie de la ville. Le conflit syrien met fin aux fouilles et les travaux se poursuivent autour de l'exploitation des résultats des fouilles antérieurs dont les données sont conservées en France, y compris ceux des premières campagnes. Les dégâts majeurs que subit le site depuis 2012 (voir plus bas) font également l'objet de travaux d'expertise. En plus des destructions des bâtiments antiques, la maison de fouilles du site a été détruite, avec les archives qui y étaient conservées. Depuis 2015 le site patrimoine du Ministère de la Culture français présente au public les résultats de ces travaux[6],[11]. Les archives scientifiques des fouilles archéologiques de Mari sont déposées au Pôle archives de la Maison des Sciences de l’homme Mondes[12].
La redécouverte des tablettes du palais royal de Mari, dès les débuts des fouilles et pour l'essentiel entre 1934 et 1937, puis leur traduction ont révélé un monde insoupçonné, dans une région jusqu'alors considérée comme située à l'écart de la civilisation mésopotamienne et de sa culture raffinée, et offert une grande quantité d'informations sur des sujets politiques, religieux, administratifs et autres, ainsi que des éclairages sur le contexte culturel biblique, ce qui ne manquait pas d'éveiller l'intérêt d'un public académique et cultivé[13]. Les tablettes découvertes sont alors expédiées en totalité à Paris mais restent la propriété de la Syrie, alors que le principe est celui du partage des découvertes. Après avoir été copiées et photographiées, elles ont toutes été restituées en 2005 et sont pour la plupart entreposées au musée de Deir ez-Zor. Elles n'ont pas été intégralement publiées. La publication est assurée par des équipes à Paris, d'abord dirigées par G. Dossin. En 1950 paraît le premier volume de la série des Archives Royales de Mari (ARM), visant à publier les tablettes issues des fouilles du palais royal[14]. G. Dossin assure la direction des travaux jusqu'en 1978 quand J.-M. Durand le remplace. Dans un premier temps, les lettres sont publiées en fonction de leurs expéditeurs, tandis que les textes administratifs étaient publiés par lieu de découverte, puis de manière thématique à l'initiative de M. Birot. Le principe des dossiers thématiques s'impose par la suite, en intégrant les études historiques (qui étaient auparavant publiées à part, dans des articles), par le biais de la série des ARM et aussi de celle intitulée Florilegium Marianum (FM). Les textes de Mari sont mis en ligne en transcription et traduction sur le site ARCHIBAB[15]. Peu de synthèses générales sont consacrées au contenu de ces textes : les entrées en français sur Mari/Tell Hariri dans le Reallexikon der Assyriologie[16] et surtout le Supplément au Dictionnaire de la Bible[17], et des anthologies de lettres avec commentaires (en français par J.-M. Durand[18], en anglais par W. Heimpel[19] et J. Sasson[20]). Les documents mis au jour durant les campagnes postérieures à 1998 sont confiés à une équipe dirigée par A. Cavigneaux[21].
Les premiers niveaux d'occupation remontent au début du IIIe millénaire, mais cette période est mal connue car elle n'a été redécouverte et étudiée qu'à partir des années 1990. Elle est difficile d'accès car elle est recouverte par les niveaux plus récents et n'a été approchée par les fouilleurs que ponctuellement (J.-C. Margueron parle de « points de rencontre »). De plus son dernier niveau a disparu car il a été arasé lors de la refondation de la ville au début de la Ville II. Il n'empêche que plusieurs éléments importants sont apparus lors de l'étude de cette période[22],[23].
Les textes ne sont d'aucun secours pour la connaissance de cette période : aucune tablette n'a été mise au jour à Mari et les sources extérieures contemporaines ne la documentent pas. Le fait qu'une dynastie de Mari apparaisse dans la Liste royale sumérienne, texte historiographique largement postérieur à cette époque, ne doit probablement pas être interprété comme une information fiable[24].
Une ville nouvelle
La découverte de la Ville I lors des fouilles dirigées par J.-C. Margueron a conduit à une nouvelle lecture de la fondation de Mari par ce dernier, qui se produit vers 2900 av. J.-C. Selon cette analyse, il s'agit d'une ville nouvelle, créée à partir de rien par un pouvoir politique afin de contrôler des axes commerciaux[25],[26],[27],[28] :
« La Ville I résulte d’une opération d’une ampleur exceptionnelle : la fondation ex nihilo d’une ville nouvelle dans la vallée de l’Euphrate syrien, pour contrôler les échanges et en tirer profit, sur un axe majeur de circulation – d’abord fluvial puis aussi terrestre – entre l’Anatolie et la Mésopotamie méridionale[29]. »
L'équipe de fouilles du site a identifié sur le terrain trois anciens canaux principaux qu'elle attribue également à cette époque, qui accompagnent la fondation de la ville : un canal d'alimentation de la ville, qui passe à l'intérieur de celle-ci et sert notamment à fournir un accès à l'eau à ses habitants (aucun puits n'a été identifié sur le site) ; un canal d'irrigation sur la rive droite de l'Euphrate, qui alimente la campagne entourant la ville (l'agriculture étant impossible sans apport artificiel d'eau en raison de l'aridité de la région) ; un canal de transport sur la rive gauche (connu actuellement sous le nom de Nahr Dawrin), partant du Khabur et longeant l'Euphrate sur plus de 120 km de long, qui sert à raccourcir et faciliter le transport fluvial dans la région[30],[31]. Il est impossible de dater même vaguement le creusement de ces trois canaux, aussi cette reconstitution ne s'appuie sur aucune preuve déterminante. Elle résulte d'une déduction « logique »[32] : « la fondation de Mari est subordonnée à la réalisation de ce réseau, volontairement installé pour répondre à une organisation basée sur les échanges[33]. » Sans ces éléments la fondation de Mari dans ce lieu ne serait pas justifiée et donc inexplicable. Et d'un autre côté Mari est le seul centre politique qui ait existé dans la région par le passé et qui serait en mesure d'entreprendre ces aménagements. Ces propositions ont été contestées, et d'autres dates, postérieures à l'existence de Mari, ont été proposées pour le creusement de ces canaux, qui n'apparaissent pas clairement dans les sources écrites antiques[34].
Constructions et activités
Les traits généraux de l'urbanisme de Mari tels qu'ils sont connus pour les périodes postérieures semblent bien posés dès la fondation de la Ville I : c'est déjà une ville de forme grossièrement circulaire (ou plus exactement polygonal), d'environ 1 900 mètres de diamètre, comprenant un rempart extérieur qui est plutôt une digue destinée à la protéger des crues de l'Euphrate et un rempart intérieur situé 300 mètres plus loin, plus massif et à vocation défensive[35] (qui serait plutôt une construction datant de la Ville II selon les recherches récentes[36]). La voirie semble déjà suivre l'organisation des périodes suivantes, un centre monumental semble déjà présent dans le futur secteur des temples des Villes II et III, en revanche aucun édifice de type palatial n'a été identifié[37].
En plusieurs endroits est apparue une couche de préparation qui se trouve sur le sol vierge, comprenant de la terre et des cendres, peut-être constituée à partir de remblais obtenus par le creusement du canal qui traverse la ville[38],[39]. La période peut être subdivisée en trois niveaux archéologiques principaux, eux-mêmes subdivisés en plusieurs phases. Un événement-clé dans l'urbanisme de la période est une destruction massive qui a lieu vers 2750, sans doute causée par un tremblement de terre[36].
Peu de constructions de la période ont été approchées, et toujours de façon partielle. La plus importante est le « Bâtiment aux fondations de pierre », dans le niveau le plus ancien du secteur du futur temple d'Ishtar, qui comme son nom l'indique a des fondations en blocs de pierre épais, peut-être un édifice à vocation administrative. Un mur à décor de niche dégagé sous le futur temple de Ninhursag pourrait indiquer la présence d'un temple plus ancien. Des vestiges d'habitats domestiques ont été identifiés en plusieurs endroits sur plusieurs couches, ainsi que des traces d'activités artisanales qui sont une caractéristique importante de ces niveaux[40],[41]. Les résidences de ces périodes paraissent suivre un modèle répandu en Haute Mésopotamie et au Levant au début du IIIe millénaire av. J.-C., relativement simple : une pièce rectangulaire, donnant sur une cour à ciel ouvert entourée de dépendances[42].
Une quarantaine de sépultures ont également été mises au jour dans les différents lieux fouillés pour la période. Elles sont vraisemblablement situées sous les résidences. Les corps sont inhumés en position allongée, couchés sur un côté ou sur le dos, accompagné de céramiques, d'armes, d'outils et éléments de parures. Cinq tombeaux monumentaux en pierre ont été mis au jour en deux endroits, associés par groupe de deux et trois, couverts par une voûte en encorbellement[43]. Trois tombeaux en pierre et voûtés en encorbellement ont été creusés à l'emplacement de l'ancien Bâtiment aux fondations de pierres, apparemment juste après la fin de la Ville I. De la céramique écarlate y a été retrouvée[44].
Les activités économiques sont représentées par plusieurs traces d'ateliers, mises au jour dans plusieurs des sondages. Cela indique que l'activité manufacturière est alors dispersée dans la ville et mêlée aux habitations. Un atelier de charron a été mis au jour, avec des restes de roue préservés par le bitume qui la recouvrait ; c'est une découverte majeure pour l'histoire des premières roues en Syrie et Mésopotamie. Plusieurs fours de potiers ont été dégagés dans plusieurs parties du site. Une installation comprenant deux jarres enterrées jusqu'au col pourrait avoir servi à une activité de teinturerie. La métallurgie du cuivre est une autre activité artisanale bien documentée, grâce à la présence d'objets et d'installations telles que des foyers, des fosses à scories, des tuyères, des creusets et peut-être des restes de soufflerie. Cela pourrait refléter une spécialisation de la Ville I. Mari avait en effet été érigée sur des routes commerciales sur lesquelles transitaient des métaux, position qui aurait alors été exploitée pour développer l'artisanat métallurgique. Le travail de l'or est peut-être aussi attesté par un vase qui pourrait avoir servi pour la coupellation[45],[46]. De nombreuses pièces de silex ont également été mises au jour dans les niveaux de la Ville I. Il s'agit surtout d'une production domestique ne nécessitant pas d'expertise technique, employée notamment pour fabriquer des lames d'outils agricoles comme des faucilles[47].
Le dernier niveau de la période n'est pas connu, puisque les bâtisseurs de la Ville II l'ont détruit lorsqu'ils ont arasé le tell afin d'entreprendre leurs travaux[38],[48].
La ville connaît un affaiblissement à la fin de la période I pour une raison inconnue. Elle redevient une métropole importante au milieu du IIIe millénaire, et s'épanouit dans les deux siècles qui suivent, durant la période des dynasties archaïques III B. C'est la période pour laquelle l'urbanisme et l'architecture de la ville sont les mieux connus. D'importants objets d'art ont également été mis au jour dans les édifices de cette époque. En revanche l'histoire politique de la période est très mal connue, malgré la découverte de quelques inscriptions et tablettes cunéiformes et l'apport des archives d'Ebla. La période s'achève par la destruction de la ville et de son royaume, sans doute sous les coups des armées de Sargon d'Akkad.
Reconstruction et urbanisme
Il est impossible de déterminer si la ville a été abandonnée à la fin de la période précédente. Elle est en tout cas reconstruite vers 2550 av. J.-C. C'est le produit d'un projet planifié de manière rigoureuse et globale, qui nécessite un important chantier à l'échelle de toute la ville. Il se repose en bonne partie sur les caractéristiques de la cité précédentes : les dimensions du site restent les mêmes, les murailles sont au même emplacement (la muraille intérieure semblant avoir été construite à ce moment[36]), et, si on admet son existence, le système de canaux qui aurait été construit au moment de la fondation de la ville est rétabli. Les travaux commencent par un nivellement général du site, égalisant sa surface autour de 1,75 mètre de hauteur (et faisant donc disparaître les niveaux finaux de la Ville I). Cela suppose que l'ensemble du site ait été inhabité à ce moment, ou du moins occupé seulement par des structures précaires, et qu'une importante quantité de terre ait été enlevée du site, pour être transportée on ne sait où. Après cela, est mise en place une infrastructure urbaine compartimentée. La voirie est établie, reprenant le réseau radial de la période précédente : des murs de fondation sont établis pour délimiter la largeur des voies, puis une chaussée absorbante est aménagée sur celles-ci. Cela s'accompagne de la construction des murs de fondation des maisons et de leur infrastructure, avec comblement des espaces situés entre les fondations (par la terre dégagée lors du nivellement du site ?), dans les espaces résidentiels ainsi délimités. Les fondations des zones du palais et des temples reçoivent une attention particulière, les fondations du palais étant établies sur une terrasse haute d'environ 1,30 m construite avec plus de soin que les fondations trouvées dans le reste de la ville[49].
Les fouilles des années 2005-2009 ont confirmé ces conclusions. Elles ont également mis au jour la tombe d'un soldat, dans les fondations de la Ville II, avec un matériel archéologique datable de la phase de transition entre les Villes I et II ; peut-être s'agit-il d'un sacrifice de fondation. L'inhumation de maquettes architecturales en argile parmi les fondations ou terrassements construits au début de la Ville II pourraient également renvoyer à des rites liés à la refondation de la ville[50].
Les principaux éléments de la topographie urbaine sont situés au sud du centre géométrique de la cité : le « palais présargonique », désormais plutôt interprété comme un « temple-manufacture », avec en son sein l'« Enceinte sacrée », constitue le centre religieux, associé au Massif Rouge et son temple, et plus au sud d'autres sanctuaires. Le centre politique de la cité n'est pas localisé avec assurance : il pourrait être situé dans la zone du « palais », mais aucune trace caractéristique de la présence du pouvoir royal n'y a été identifiée. Le reste de la ville comprend au moins un temple (celui d'Ishtar) et des quartiers d'habitation, plusieurs ayant été dégagés partiellement, une installation collective atypique, le « Souk ». Les aménagements urbains comprennent, en plus de la voirie, des canalisations qui servent pour la récupération des eaux de pluie[51].
Les fouilles de 2009 ont également dégagé une partie d'une porte fortifiée de l'enceinte extérieure, à tenaille simple et renforcée par une tour saillante couvrant le passage[52].
Le « palais présargonique » / « temple-manufacture »
Un imposant corps de bâtiments se trouve à l'emplacement du futur palais royal du IIe millénaire, le « palais présargonique ». Sa nature exacte est débattue : il est traditionnellement considéré comme le palais royal de cette période, connu par des textes, mais il ne présente pas les caractéristiques d'un palais : on n'y trouve ni salle du trône ni appartements luxueux, mais un sanctuaire, l'« Enceinte sacrée », et des espaces artisanaux. Il pourrait donc plutôt s'agir d'une sorte de « temple-manufacture », les ateliers servant alors aux besoins du culte. Le secteur palatial a néanmoins pu se trouver à proximité, dans une zone non fouillée[53].
En effet la présence du palais postérieur et son exploration a limité les possibilités de dégagement des couches plus profondes de l'époque de la Ville II, en particulier pour les phases plus anciennes. Quatre périodes d'occupation, nommées P3 à P0, ont été identifiées :
- P3, niveau le plus ancien est repéré seulement en deux endroits, au milieu de l'Enceinte sacrée et au niveau d'une porte ;
- P2 a livré le plan complet de l'Enceinte sacrée, un temple organisé autour d'un espace central de 16 mètres de long entouré de plusieurs pièces ;
- P1 est connu pour la partie orientale de l'édifice, et a livré des espaces domestiques et artisanaux ; il s'achève par un incendie, lors de la prise de la ville à la fin de la période ;
- P0 succède directement à la destruction : un terrassement est effectué, la zone de l'Enceinte sacrée est restaurée, une pièce monumentale est aménagée, peut-être une salle du trône ; ce niveau est occupé durant peu de temps[54].
Les sanctuaires et la vie religieuse
Plusieurs temples ont été mis au jour pour les niveaux de la Ville II, et ont livré un important matériel archéologique documentant la vie religieuse.
Comme évoqué ci-dessus, le « palais présargonique » ou « temple-manufacture » est avant tout connu comme un lieu de culte, avec l'« Enceinte sacrée », qui est le plus grand temple fouillé à Mari. Elle remonte au premier niveau du secteur du palais (P3). De plan grossièrement carré, elle est organisée autour d'une cour centrale de 16 m de côté, ramenée à 12 m et dotée de deux piliers dans la dernière phase (P0), bordée d'une couronne de pièces, ouvrant au sud sur une antichambre conduisant au « lieu très saint » qui comprenait la statue de la divinité, avec un autel ou podium à pilastres et redans[55]. L'identité de la divinité qui y réside est une énigme : un torse inscrit qui y a été retrouvé porte une dédicace à Ama-ushumgal, un des aspects du dieu Dumuzi[56] ; le fait que ce dieu soit souvent identifié aux rois à cette période expliquerait pourquoi il est vénéré dans ce sanctuaire qui semble étroitement lié au pouvoir politique[57].
La zone située à l'est du palais comprend diverses constructions qui semblent liées au culte, dont la Maison du Grand Prêtre qui semble être le centre administratif du secteur sacré (voir plus bas). L'édifice monumental le plus important dégagé là se situe encore plus vers l'est : le Massif Rouge, nommé ainsi parce qu'il s'agit d'une terrasse haute construite en briques rouges. Interprétée par A. Parrot comme une ziggurat archaïque et par J.-C. Margueron comme une haute terrasse servant pour des sacrifices, de nouvelles fouilles en 2006-2009 ont abouti à une réinterprétation de son histoire et de sa place dans le quartier sacré. Dans son état initial, c'est un édifice de base rectangulaire à degré aux murs à niches et redans, qui comprend un premier étage de 5 m de hauteur, surmonté par un second étage préservé sur 1 m de hauteur, qui couvre plus de 880 m². Il connaît deux extensions vers le nord et l'est durant la période qui porte sa surface à plus de 1200 m² et lui donne une forme polygonale. Le Massif Rouge s'inscrit donc dans un ensemble des bâtiments sur terrasse érigés dans des zones sacrées à cette période (des préfigurations des ziggurats), même s'il présente ses spécificités, notamment le fait d'être directement lié à d'autres édifices de culte pour constituer le plus complexe sacré de Mari. Sur son côté sud elle donne directement sur le temple du « Seigneur du Pays », manifestement une divinité majeure du panthéon mariote de cette époque (peut-être une épithète du grand dieu syrien Dagan), formant ainsi une association entre un temple bas et une terrasse. Lors des fouilles de 2009, ce secteur a livré plusieurs statuettes votives brisées. Sur son côté nord des prospections ont repéré un autre sanctuaire, étendu sur environ 1500 m², qui n'a pas fait l'objet de fouilles. Le « temple-tour » dégagé à l'ouest du Massif Rouge, et daté de la même époque que lui selon J.-C. Margueron, serait en réalité postérieur à la destruction de la Ville II selon les derniers résultats des fouilles du secteur[58],[59].
Au sud du temple du Seigneur du Pays se trouve le temple de la déesse Ninhursag, peut-être sa parèdre. Les autres temples du quartier sacré sont consacrés au dieu-soleil Shamash, à la déesse Ninni-ZAZA, un aspect d'Inanna/Ishtar, dont l'espace central comprenait un bétyle en son centre, et à Ishtarat, un autre aspect d'Ishtar. Un corps de bâtiment surnommé « Temples anonymes » par Parrot, a également été dégagé dans le secteur ; il pourrait dater de la période akkadienne, donc après la destruction de la Ville II[60].
Le temple d'Ishtar est situé à l'écart du quartier monumental de la ville, sur le rebord occidental du tell. Premier édifice fouillé à Mari, il a livré un important ensemble d'objets votifs, dont des statues d'orants. Plusieurs inscriptions font référence à l'Ishtar « virile », représentant l'aspect mâle et guerrier de la déesse[61]. Construit dans un espace résidentiel à côté de l'enceinte, il occupe une position excentrée. Il comprend deux niveaux sur la période et n'a pas été dégagé sur sa totalité. Il a une forme grossièrement rectangulaire et des dimensions approximatives de 27 × 20 mètres, pour une superficie d'environ 1350 m². L'accès s'y fait par une porte située à l'est, qui conduit sur un couloir qui conduit au secteur des dépendances et au sanctuaire à proprement parler. Ce dernier mesure environ 25 × 10 m (250 m²), est construit autour d'un espace central qui ouvre sur son côté sud sur le « lieu très saint », doté dans le courant de la période d'un podium. Un trait atypique de l'édifice est la présence d'une pièce à l'ouest du lieu très saint, qui en temps normal est situé au bout du temple, qui est peut-être une autre salle de culte. Il y aurait alors deux « lieux très saints » dans l'édifice, peut-être un dédié à l'aspect féminin de la déesse et l'autre à son aspect masculin, viril[62].
La construction des temples s'accompagnait de rites de fondation consistant en l'enterrement d'objet votifs. De nombreux clous de fondation en cuivre ont ainsi été mis au jour dans les temples de Mari. Ils se présentent sous une forme allongée simple, sans représentation figurée, ou avec une tête en forme d'anneau semi-circulaire plat (« anneau à tige »). Dans le dépôt, ils sont disposés d'une manière particulière : le clou simple est enfoncé de façon perpendiculaire dans l'anneau du clou de second type. On dispose généralement à leurs côtés des petites tablettes en albâtre et en lapis-lazuli, et aussi des plaquettes en argent, qui ne sont pas inscrites (anépigraphes)[63],[64].
L'analyse conjointe des plans des différents temples révèle une organisation spécifique à Mari, dont l'Enceinte sacrée est peut-être l'archétype, avec un espace central plus ou moins carré, le « lieu saint », donnant accès sur un de ses côtés à une grande salle de culte généralement oblongue, le « lieu très saint », comprenant un podium qui devait supporter la statue de culte. L'espace central est bordé de plusieurs pièces, agencées différemment selon les édifices[65].
Le mobilier mis au jour dans les sanctuaires fournit des indications sur les rituels, même si les interprétations ne sont pas simples. Une des caractéristiques des temples de la période est la présence de « barcasses », des petits bassins en terre cuite, qui ont peut-être servi pour recevoir des libations, ou d'autres types d'offrandes (un exemplaire isolé présente des traces de combustion). On y trouvait divers objets servant au culte, notamment d'autres types de récipients, ainsi que des objets de la vie courante dont la présence reste à expliquer, et évidemment des objets votifs qui sont la première source sur l'art de la période : des statuettes d'orants, souvent inscrites, commémorant une offrande, aussi des masses d'armes et des vases en pierre, les panneaux figuratifs incrustés, etc.[66].
- « Barcasse » mise au jour dans le « lieu très saint » du temple d'Ishtar.
- « Barcasse » à fond rond provenant du temple d'Ishtar.
- Divers types de vases mis au jour dans les niveaux de la Ville II, dont le temple d'Ishtar.
- Fragment de bord de vase portant une inscription votive, mis au jour dans le « lieu très saint » du temple d'Ishtar.
L'analyse des statues et autres objets votifs permet de mettre en avant les particularités des différents lieux de culte et de leurs divinités : le temple d'Ishtar comprend une forte proportion de statues féminines ainsi que des images et symboles guerriers, qui renvoient aux aspects de l'Ishtar virile, à la fois féminine et guerrière, alors que dans les temples de Ninni-ZAZA et d'Ishtarat les statues sont très majoritairement masculines[67].
Les tablettes comptables de la période documentent quelques offrandes faites à des divinités. Curieusement celles-ci sont les divinités tutélaires de cités autre que Mari : le « Roi de Terqa » (Dagan), la « Dame de Nagar », le « Dieu d'Alep »[68].
Objets votifs et arts visuels
La statuaire en ronde-bosse est remarquablement documentée pour la période de la Ville II grâce à la découverte de statues votives représentant des orants, de hauts personnages, dans les temples d'Ishtar, d'Ishtarat et de Ninni-ZAZA, complétées en 2009 par celles du sanctuaire du Seigneur du Pays. Elles sont sculptées dans du gypse et aussi de l'albâtre. Les styles sont similaires à ceux de la Mésopotamie de la même époque. Les particularités locales étant le port de la barbe ondulée pour les hommes, qui ont généralement le crâne rasé comme en pays sumérien (sauf quelques contre-exemples comme Ishqi-Mari et Ur-Nanshe), et celui du turban (polos) par les femmes. Ils sont généralement représentés debout, parfois assis. Les hommes apparaissent buste nu, vêtus d'un robe à volants désignée par le terme grec kaunakès, dont l'aspect semble indiquer qu'il est en laine de mouton, ou une jupe à frange laineuse. Les costumes féminins sont plus variés : elles portent aussi le kaunakès à franges ou laineux, mais il couvre leur buste, l'épaule droite étant souvent dégagée, parfois une sorte de chasuble-manteau couvre les épaules. Ils sont en posture de prière, les mains jointes. Les yeux sont généralement incrustés, parfois sculptés. Certaines statues représentent des couples enlacés[69],[70]. Plusieurs de ces statues sont inscrites, permettant l'identification des personnages[71]. C'est la lecture de celle d'Ishqi-Mari (alors lu Lamgi-Mari) qui a permis l'identification du site. Parmi les statues les plus remarquables se trouve celle du nu-banda (capitaine ?) Ebih-Il, en albâtre travaillé avec une grande qualité d'exécution, qui se repère dans le rendu des muscles, du visage, les détails de la barbe et des vêtements[72],.
- Statue du roi Ishqi-Mari. Musée d'Alep.
- Statue du nu-banda Ebih-Il. Musée du Louvre.
- Femme avec polos. Musée du Louvre.
- Femme assise. Musée du Louvre.
- Couple d'orants. Musée d'Alep.
- Couple de musiciens. Musée du Louvre.
Le « trésor d'Ur » mis au jour dans une jarre de l'Enceinte sacrée comprend une cinquantaine d'objets donc quelques pièces remarquables, qui ne sont pas forcément de fabrication locale. Ce dépôt doit en effet son nom au fait qu'on y a retrouvé une perle allongée en lapis-lazuli au nom du roi Mesanepada d'Ur, qui a fait supposer qu'il s'agissait d'un lot de cadeaux offerts par ce roi et enterré, même s'il est plus probable qu'il s'agisse d'un dépôt de fondation[73],[74]. Il comprend notamment une représentation d'un aigle léontocéphale, haute de 12,8 cm, dont le corps est constitué d'une plaque en lapis-lazuli et d'une tête et d'une queue couvertes d'or, liés par des fils de cuivre. Cet objet est interprété comme un pendentif (pectoral)[75],[76]. Le dépôt a aussi livré trois statuettes représentent des femmes nues (des déesses ?), ce qui est atypique dans l'art mariote de l'époque, deux en ivoire et une en cuivre[69],[73].
- Perle en lapis-lazuli au nom de Mesanepada d'Ur. Musée national de Damas.
- Statuette d'aigle léontocéphale (à tête de lion). Musée national de Damas.
La Ville II de Mari a aussi livré un important corpus d’incrustations en coquilles, à l'origine fixées avec du bitume sur des panneaux de bois qui se sont désagrégés, ne laissant que les incrustations. Les ensembles, qui constituaient des scènes complètes, ne sont connus que par fragments et on ne sait pas quels objets ils décoraient. Les scènes représentées sont de deux types : des scènes militaires (soldats en armes, ennemis vaincus, prisonniers entravés) et des cérémonies (banquets, sacrifices). Les personnages représentés portent des signes distinctifs (coiffes, parures, accessoires) qui permettent sans doute d'identifier des gens importants. Mais il ne s'agit probablement pas de représentations d'événements et de personnages historiques[77].
- Reconstitution d'un panneau (« Panneau de la guerre » ou « Étendard de Mari »).
- Guerrier équipé d'une hache.
- Soldats.
- Porteur de chevreau.
La glyptique de la période, dans ce contexte l'art des sceaux-cylindres, est surtout attesté par des trouvailles du secteur du temple d'Ishtar. Ils sont surtout réalisés dans de l'albâtre gypseux, matériau qui survit mal aux injures du temps, et ont donc été retrouvés en mauvais état, qui donne l'impression d'ensemble d'une production commune de faible qualité. Les scènes représentées sont souvent des banquets, aussi des thèmes mythologiques tels que des combats de héros et d'animaux. Très peu portent des inscriptions. Les fouilles d'autres secteurs du site ont révélé des sceaux de meilleure qualité : quelques-uns, des imports sumériens dans le « trésor d'Ur », et des empreintes de sceaux sur des scellés en argile, dont la matrice n'a pas été retrouvée, qui semblent témoigner d'une production locale plus élaborée. On y trouve notamment des empreintes du sceau du roi Ishqi-Mari, sous deux variantes ; la plus répandue est divisée en deux registres, représentant une scène guerrière très dynamique et une scène de banquet (la célébration de la victoire ?), synthétisant de façon remarquable l'idéologie royale de l'époque[78],[79],[80].
Enfin divers autres objets provenant du temple d'Ishtar faisaient partie de parures : des perles qui devaient être montées en colliers ou en bracelets, des pendentifs, des amulettes, des épingles, des bagues[81]. Ils sont fabriqués dans des matériaux « exotiques » (cornaline de l'Indus, lapis-lazuli d'Afghanistan, or provenant peut-être de Géorgie) qui attestent de l'intégration de Mari dans les réseaux à longue distance de la période[82], qui ressort également par la trouvaille de vases en chlorite fabriqués en Iran dans l'actuel Kerman (région de Jiroft)[83].
- Pendeloques amulettes en forme de "mouche" et d'aigle aux ailes déployées. Lapis lazuli, coquille.
- Pendeloques (amulettes ?) en forme d'animaux (oiseaux, caprins, poisson, cerf). Coquille, lapis-lazuli.
- Perles allongées en cornaline provenant de l'Indus, pendentif, rondelle, perles et baguette en or.
- Perles en coquillages, cornaline, cristal de roche, fritte, remontées en colliers.
- Perles en lapis-lazuli et cornaline, remontées en colliers et bracelets.
- Amulettes ou pendeloques, disques en coquillages perforés de trous, formant des visages humains. Les trous étaient incrustés.
Espaces domestiques, économiques et administratifs
Les résidences de la Ville II sont construites suivant des principes différents de celles de la Ville I, plus adaptés aux contraintes de l'espace urbain : elles sont organisées suivant un plan proche du carré, avec un espace central (pas forcément à ciel ouvert) et un étage. L'éclairage et l'aération du rez-de-chaussée sont assurés par des ouvertures à claire-voie. Ce niveau est constitué de pièces disposées autour de l'espace central, et comprend les espaces d'activités : cuisine, salle d'eau, magasins, sans doute des étables. Le premier étage comprend les pièces de réception et de vie[42],[84].
Au-delà de ces principes généraux, plusieurs types de maisons ont été dégagés. La « Maison Rouge », mesurant 11 × 12 m au sol, est l'une des mieux préservées en raison d'un incendie qui l'a détruit et ses murs sont préservés sur une hauteur d'environ 2 m. Son espace central est en fait situé sur son côté oriental, et n'a pas été ceint de pièces comme cela est courant, sans doute par manque de place. Elle comprend six pièces, dont une cuisine et une salle d'eau, avec des canalisations ; elle donne sur la rue par une salle allongée où se trouve également un départ d'escalier menant à l'étage (ou au toit en terrasse). C'est une maison de taille plutôt réduite, où peu d'objets ont été retrouvés (dont trois tablettes comptables)[85].
La « résidence aux installations artisanales », dégagée partiellement mais déjà sur 500 m², constitue un édifice plus imposant et complexe, qui a connu plusieurs phases de réorganisation et de reconstructions. La porte d'entrée n'a pas été reconnue, une pièce semble jouer le rôle d'espace central autour duquel s'organise l'édifice, et la présence d'un étage est incertaine mais vraisemblable. Comme son nom l'indique plusieurs pièces présentent des installations artisanales, mais les activités exercées sont difficiles à déterminer : peut-être une teinturerie, voire aussi une boulangerie. On y trouve aussi une pièce qui a pu avoir une fonction cultuelle, ainsi que des latrines avec des toilettes « à la turque ». Il s'agit donc d'un édifice atypique mêlant plusieurs types de fonction, impression renforcée par la découverte de tablettes administratives documentant des activités économiques[86].
Un autre grand édifice aux fonctions complexes est la « Maison du Grand Prêtre », ou plutôt une « unité d'habitation » car il ne s'agit manifestement pas d'une simple maison. C'est un ensemble trapézoïdal de 22 × 17 × 12 m composé de plusieurs unités agglutinées (au moins cinq, comprenant de 1 à 4 pièces), sans espace central pour le structurer, des pièces destinées au stockage au rez-de-chaussée, et probablement avec un étage, qui pourrait avoir compris des espaces de réception. Comme son nom l'indique cette structure est probablement liée à l'exercice du culte : elle se situe entre l'Enceinte sacrée et le Massif Rouge, voisinant également des pièces servant de réserves et de dépendances, au milieu du système de circulation de ce quartier. Il pourrait alors s'agir du « poste de commande » de cet ensemble, donc d'un centre administratif (l'édifice a livré quelques tablettes comptables enregistrant des offrandes cultuelles)[87].
Un autre espace plus particulièrement intéressant dégagé dans la Ville II est le « Souk », un espace triangulaire situé à proximité de la jonction de deux voies majeures, près du temple d'Ishtar. Il est organisé autour d'une petite place également triangulaire, bordée de piliers qui devaient soutenir un portique s'étendant sur ses trois côtés. Elle ouvre sur plusieurs pièces, constituant pour plusieurs des cellules doubles, ce qui rappelle la structure des boutiques des souks modernes. Elle comprendrait au minimum une douzaine d'échoppes, sans doute plus en incluant les espaces non fouillés du secteur. C'est un exemple unique de secteur commercial organisé pour une ville de ces époques, donc une découverte d'un grand intérêt[88].
L'artisanat est documenté dans le niveau P1 du « temple-manufacture », aux abords de l'Enceinte sacrée. Il s'agit sans doute d'une activité dirigée par le palais ou le temple. Ainsi un secteur a livré plus de 1 700 pièces silex (lames taillées, nucléus, déchets de débitage, etc.), qui y étaient transformés en outils de précision pour graver des pièces en nacre[47].
En revanche peu de tombes ont été mises au jour, les fouilles s'étant concentrées sur des zones qui n'en contiennent normalement pas et n'ayant pas souvent fouillé sous les habitations, emplacement habituel des sépultures en milieu urbain. Il ne s'agit plus de tombes construites mais de tombes en pleine terre ou en jarre[89].
Textes et histoire : un royaume puissant
Les sources écrites datées de la période de la Ville II, qui est désignée dans la terminologie usuelle comme le Dynastique archaïque III, fournissent quelques informations éparses sur le royaume de Mari. Elles sont néanmoins peu nombreuses[90],[91].
Les inscriptions figurant sur des statues permettent de connaître les noms de plusieurs rois et de leur entourage proche, donc l'élite du royaume. La statue d'Ishqi-Mari est la seule qui représente un roi, les autres représentent les épouses, fils ou serviteurs de roi en les nommant. Ils portent le titre de « roi (lugal) de Mari », auquel s'ajoute parfois celui de « grand vicaire (ensí-gal) du dieu Enlil ». Plusieurs fonctions de la cour apparaissent, comme celles du « capitaine » (nu-banda, une fonction de commandement militaire) Ebih-Il et du « maître chantre » (nar-gal) Ur-Nanshe[71],[93].
Quelques documents administratifs ont été mis au jour dans plusieurs bâtiments (Palais présargonique, Maison rouge, Bâtiment aux installations artisanales, Maison du Grand Prêtre). Ils sont essentiellement écrits avec des logogrammes sumériens, mais ils comprennent aussi des mot écrits phonétiquement qui renvoient à la langue sémitique parlée localement. Elles datent des règnes précédant la fin du royaume. On ne sait pas de quelle administration ils relevaient, car rien n'indique clairement un lien avec le palais royal, mais ils fournissent quelques informations renvoyant aux institutions courantes à l'époque : ils évoquent le « palais » (é-gal), la « maison du roi » (é lugal), il s'agit de bureaux ou « Maisons » spécialisés dans un domaine de compétences précis. Les archives de la Maison du Grand Prêtre, bâtiment du secteur des temples, enregistrent ainsi des offrandes céréalières pour le culte, tandis que celles du Bâtiment aux installations artisanales, où se déroulent diverses activités économiques, documentent l'entretien d'ânes et de bateaux, donc une activité liée au transport et aux échanges terrestres et fluviaux[94].
L'histoire politique de la période est pour l'essentiel reconstituée à partir des textes provenant d'Ebla en Syrie occidentale, et datent du XXIVe siècle. Mari est souvent mentionnée dans les tablettes provenant de ce site, en particulier dans la lettre d'Enna-Dagan de Mari au roi d'Ebla récapitulant les relations passées entre les deux cités et les conquêtes de plusieurs rois de Mari. La documentation de Basse Mésopotamie est en revanche peu utile : il n'y a guère qu'une mention de Mari dans les nombreux textes du royaume de Lagash, la mention de sa défaite par le roi local Eanatum. Des textes historiographiques rédigés plusieurs siècles après cette période, notamment la Liste royale sumérienne, évoquent Mari en relation avec des rois de la période, mais leur valeur historique est douteuse[96]. De ce fait il est impossible de faire une histoire politique du royaume de Mari à cette période : les rois ne sont souvent connus que par de courtes inscriptions, il est impossible de déterminer avec certitude leur ordre de succession, et peu d'événements sont évoqués en dehors de la lettre d'Enna-Dagan. Ce qui est connu relève surtout des rapports avec Ebla[97].
Le fondateur de la dynastie qui règne à Mari semble être Anubu (v. 2500 ?), dont le souvenir a été préservé par la Liste royale sumérienne, auquel la lettre d'Enna-Dagan attribue d'importantes victoires. Le « trésor d'Ur » provenant du palais comprend une perle inscrite au nom de Mesanepada d'Ur, qui règne vers cette époque et entretient donc des relations avec Mari. On ne sait pas grand quasiment rien à propos des rois suivants, dont le nom est connu par des inscriptions votives. Autour de 2400, Iblul-Il de Mari conduit une campagne sur le Haut Euphrate, à Hassuwa, et les souverains éblaïtes lui versent un lourd tribut pour ne pas être attaqués. Il est donc probablement le roi le plus puissant de la région. Ses successeurs directs, parmi lesquels se trouve Enna-Dagan, restent en position de force jusqu'à ce que Tab-dar (ou Hida'ar) ne subisse une défaite face à Ebla, qui avait apparemment reçu l'appui des deux principales puissances situées à l'est de Mari, Nagar (Tell Brak) dans le Khabur et Kish au nord de la Basse Mésopotamie. La paix est signée entre Mari et Ebla. Mais peu de temps après Ebla est détruite. L'identité du coupable reste à déterminer : pendant longtemps les historiens ont plutôt penché pour Sargon d'Akkad ou son petit-fils Naram-Sin, mais l'analyse des tablettes d'Ebla indique que la destruction a dû se passer avant leur règne. Le meilleur candidat est donc Mari, qui aurait pris sa revanche, alors que Tab-dar est encore au pouvoir. Ishqi-Mari monte sur le trône de Mari peu de temps après (peut-être après deux règnes intermédiaires). La chute de Mari face à Akkad se produit sous son règne[98],[99].
La fin de la Ville II et l'époque d'Akkad
Autour de 2300/2250, la ville de Mari subit une destruction qui marque la fin de la Ville II, avant tout identifiée dans ses principaux monuments, qui sont incendiés sans exception, détruits et abandonnés pour la plupart (sauf le palais). Dans le reste de la ville il y a des indices de destruction et d'abandon au moins partiel. Les objets votifs des temples (statuettes, panneaux incrustés de nacre) sont mutilés ou détruits[100],[101]. Les fouilles d'une section de l'enceinte de la Ville II ont indiqué qu'elle a été abattue à ce moment, nouvel indice de la destruction systématique de la ville à laquelle ont procédé les vainqueurs[102].
La dynastie régnante s'achève, apparemment sous le règne d'Ishqi-Mari, et le site connaît une période d'abandon partiel. La plupart des historiens considèrent que cette destruction est causée par les troupes du roi Sargon d'Akkad, qui a alors unifié la Basse Mésopotamie et conduit des expéditions militaires en Haute Mésopotamie et en Syrie. Un des noms d'années qui lui est attribué (sans certitude) commémore la prise de Mari[103],[104].
Le fouilleur du site, J.-C. Margueron, a cependant défendu l'hypothèse que le règne de Sargon voie seulement Mari faire allégeance à celui-ci, et que sa destruction date du règne de son petit-fils Naram-Sin, après une révolte[105]. J.-M. Durand a reconstitué un scénario similaire à partir d'une tablette plus tardive retrouvée à Mari : un serviteur de Sargon, Idida/Ididish, aurait soumis Mari pour son compte ; mais la destruction de la ville serait survenue durant le règne de Naram-Sin, à la suite d'une révolte infructueuse de Mari contre la domination d'Akkad[106],[107].
Peu de bâtiments semblent datés de la période suivant directement la destruction et précédant la reconstruction du début de la Ville III : le niveau P0 du palais, qui est ensuite vidé de son contenu sans destruction[108] ; dans le secteur sacré, les « Temples anonymes »[109] et le « Temple-tour »[110].