Merlin
mage ou druide présent dans les légendes arthuriennes / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Cher Wikiwand IA, Faisons court en répondant simplement à ces questions clés :
Pouvez-vous énumérer les principaux faits et statistiques sur Merlin l'enchanteur?
Résumez cet article pour un enfant de 10 ans
Vous lisez un « article de qualité » labellisé en 2013.
Pour les articles homonymes, voir Merlin (homonymie).
« Merlin l'Enchanteur » redirige ici. Pour les autres significations, voir Merlin l'Enchanteur (homonymie).
Merlin (en gallois : Myrddin, en cornique : Marzhin, en breton : Merzhin), communément appelé Merlin l'Enchanteur, est un personnage légendaire, prophète magicien doué de métamorphose, commandant aux éléments naturels et aux animaux dans la littérature médiévale. Sa légende provient à l'origine de la mythologie celtique galloise, et s'inspire certainement d'un druide divin, mêlé à un ou plusieurs personnages historiques. Son image première est assez sombre. Les plus anciens textes concernant Myrddin Wyllt, Lailoken et Suibhne le présentent en « homme des bois » torturé et atteint de folie, mais doué d'un immense savoir, acquis au contact de la nature et par l'observation des astres. Après son introduction dans la légende arthurienne grâce à Geoffroy de Monmouth et Robert de Boron, Merlin devient l'un des personnages les plus importants dans l'imaginaire et la littérature du Moyen Âge. Depuis cette période, son personnage est mentionné très régulièrement dans la littérature, qui a construit son image par inspiration successive entre différents auteurs.
Merlin | |
Personnage de fiction apparaissant dans la Légende arthurienne. |
|
Merlin, tel que représenté dans l'édition originale des Chroniques de Nuremberg d'Hartmann Schedel, 1493. | |
Nom original | Myrddin |
---|---|
Alias | Merlinus, Marzhin, Merzhin |
Origine | Mythologie celtique et/ou personnage historique |
Sexe | Masculin |
Pouvoirs spéciaux | Métamorphose, enchantement, divination, commandement des animaux et des éléments |
Entourage | Blaise, le roi Arthur, la fée Viviane |
modifier |
Dans le cycle arthurien, dont il est désormais indissociable, Merlin naît d'une mère humaine et d'un père diabolique. Bâtisseur de Stonehenge, il emploie ses sortilèges pour permettre la naissance du Roi Arthur et son accession au pouvoir, grâce à l'épreuve de l'épée Excalibur et à la formation de la Table ronde. Conseiller du roi et de ses chevaliers, il prédit le cours des batailles, influe sur leur déroulement et entraîne la quête du Graal. Homme sauvage proche du monde animal, Merlin se retire régulièrement en forêt pour y rencontrer son scribe et confident Blaise. Son histoire connaît différentes fins selon les auteurs, la plus connue étant celle où il tombe éperdument amoureux de la fée Viviane, à laquelle il enseigne ses secrets de magicien. Elle finit par l'enfermer à jamais dans une grotte ou une prison d'air, en usant de l'un de ses propres sortilèges.
De façon contemporaine, son nom est fréquemment associé à la fonction d’« enchanteur », notamment depuis que ce terme a servi de titre à la version française du dessin animé de Walt Disney en 1963, Merlin l'Enchanteur.
Il reste une source d'inspiration pour de nombreux auteurs et artistes, comme Guillaume Apollinaire (L'Enchanteur pourrissant), René Barjavel (L'Enchanteur), Stephen R. Lawhead (Cycle de Pendragon) et T. A. Barron (Merlin). Son mythe est enfin, de nos jours, le sujet de romans, de poèmes, d'opéras, de pièces de théâtre, de bandes dessinées, de films, de téléfilms, de séries télévisées et de jeux.
Il existe de nombreuses théories concernant l'origine du nom de Merlin. Il est également connu sous la forme latine Merlinus ; galloise Myrddin, Merddin ou Myrdhin ; bretonne Marzhin « Martin », Murlu, Merlu, Aerlin, Merlik[1] ou cornique Marthin. D'après l’Oxford English Dictionary, le nom le plus ancien est le gallois Myrddin, via le barde Myrddin Wyllt, l'un des personnages historiques qui auraient inspiré le Merlin légendaire. Geoffroy de Monmouth latinise ce nom en Merlinus vers 1135. Le médiéviste Gaston Paris pense qu'il a choisi la forme Merlinus plutôt qu'une latinisation régulière en *Merdinus afin d'écarter toute homophonie avec un mot anglo-normand d'origine scatologique dérivé du latin merda[2],[S 1]. Henri d'Arbois de Jubainville suppose le résultat de la « tendance du d à se changer en l dans les langues indo-européennes »[Va 1]. D'après Martin Aurell, la forme latine Merlinus est une euphonie de la forme celtique, pour rapprocher Merlin du merle blanc en lequel, avec ses pouvoirs chamaniques, il peut se métamorphoser[3].
Mer
La théorie la plus répandue concernant l'origine du nom gallois Myrddin, selon Claude Sterckx, est celle reposant sur l'étymologie de Caerfyrrdin[St 1]. Elle est proposée par le celtisant Alfred Owen Hughes Jarman, d'après qui Myrddin (mərðɪn) se retrouve dans le toponyme Caerfyrddin, nom gallois de la ville désormais connue sous le nom de Carmarthen[4]. Il se décompose en Caer- « fort, forteresse, rempart, ville fortifiée » (cf. breton kêr « village, ville ») + -fyrddin, forme mutée de Myrddin. Myrddin semble contenu dans la forme en ancien brittonique latinisé du nom de [Caer]fyrddin, à savoir : [castrum] Moridunum. Moridunum a donné Myrddin et s'explique par le brittonique Mori- « mer » (> vieil irlandais muir, gallois môr, breton et cornique mor cf. gaulois more « mer ») et -dunum « citadelle, enceinte fortifiée, mont » (cf. gaulois dunon. Vieil irlandais dún « fort, forteresse »; vieux gallois din « fort, forteresse, ville », gallois dinas « ville », vieux breton din « forteresse, château, citadelle »), d'où le sens global de « fort(eresse) de la mer »[St 1],[4],[2],[5].
En 1965, Eric P. Hamp propose une étymologie assez proche, Morij:n, soit « le maritime ». Il n'existe pas de lien évident entre Merlin et la mer dans les textes à son sujet[St 1], mais cette théorie s'expliquerait par la nature du père de Merlin dans les textes gallois, Morfryn[6]. Il pourrait être un démon maritime, décrit plus tard comme le Diable ou un incube[WaD 1].
Oiseau
Dans nombre de récits à son sujet, Merlin peut prendre la forme d'un oiseau, c'est le cas notamment dans La Folie de Suibhne (Buile Shuibhne). De plus, en anglais, le Faucon émerillon (Falco columbarius) est surnommé « merlin »[WaD 2] : de nombreux écrivains de fiction n'ont pas manqué de souligner cette analogie[K 1]. En langue française, une association logique est de lier Merlin au merle[WaD 2]. Ainsi, le folkloriste Jean Markale considère que le nom de Merlin est d'origine française, et signifie « petit merle », allusion au caractère persifleur et provocateur qu'on lui prête dans les récits du Moyen Âge[7].
Cette théorie n'est pas universellement retenue, et présente le désavantage de ne s'appliquer qu'au français médiéval. Elle explique cependant l'existence de l'« esplumoir Merlin » comme une sorte de nid où Merlin se métamorphose, en abandonnant son apparence d'oiseau[8]. Dans l'imaginaire celtique, le merle est un oiseau de l'Autre Monde, en raison notamment de son chant mélodieux qui rappelle celui des bardes et transporte celui qui écoute. En ce sens, la mythologie du merle est proche du personnage de Merlin[WaD 3].
Le merle blanc est aussi le titre d'un conte populaire français (conte-type 550) dans lequel l'oiseau est l'équivalent d'un enchanteur, capable de rajeunir autrui à volonté, objet d'une quête confiée par un roi vieillissant. Par son pouvoir sur l'écoulement du temps et sa capacité à restaurer le pouvoir de la royauté, cet oiseau magique rappelle Merlin[WaD 4]. Sa blancheur est une marque de sa nature féerique, un motif fréquent dans l'univers celtique. Les analogies entre Merlin et le merle s'apparentent davantage à un rapprochement postérieur qu'à une véritable étymologie, puisque le nom français de Merlin est plus tardif que les autres formes[WaD 5].
Martin
Le gallois Myrddin est donné pour l'équivalent du français Martin, anthroponyme latin. La forme bretonne Marzhin « Martin » rappelle aussi les Marses, dont le nom est venu à désigner les sorciers et charmeurs de serpents, c'est une forme bretonne dans laquelle [t] / [d] a régulièrement donné [z] cf. vieux breton ard, arth « ours » > breton arz[9]. Ce rapprochement est en lien avec saint Martin[10], qui dispose de pouvoirs comparables à ceux de Merlin (bien que les siens proviennent de Dieu, et non de forces panthéistes)[WaD 6]. Le personnage de Merlin l'a vraisemblablement inspiré[11].
Le Merlin connu actuellement à travers les contes et les dessins animés, enchanteur, prophète, homme des bois, maître des animaux et des métamorphoses, sage et magicien proche de la nature, a connu une longue évolution. Merlin n'est pas une création des auteurs du cycle arthurien, son origine est bien plus ancienne. Il est en quelques sortes redécouvert, christianisé et réinventé par différents auteurs pour y figurer[WaD 7]. À l'origine, les textes gallois le voient comme un barde[Va 2]. « Personnage capital du Moyen Âge »[WaD 7], Merlin devient un véritable mythe littéraire grâce à sa popularité[S 2].
Origines
Bien avant d'être un personnage littéraire, Merlin appartient à une tradition orale[S 2] galloise : selon les poèmes locaux, il se nomme Myrddin et vit en Cumbria[K 2]. Un débat ancien oppose les partisans d'une origine historique à ceux d'une origine mythologique[WaD 8]. Il est peu vraisemblable qu'il soit une création littéraire du Moyen Âge[WaD 9]. Pour Claude Lecouteux, il provient « de la littérarisation et de la christianisation d’un individu venu d’ailleurs, d’un lointain autrefois que même les auteurs du XIIe siècle ne comprenaient sans doute plus »[12]. Par ses pouvoirs, Merlin s'apparente davantage à une créature de légende qu'à un être humain[WaD 8]. La théorie la plus probable, soutenue par Philippe Walter (Dr h. c.) et différents universitaires, serait qu'il soit né d'une fusion entre un personnage légendaire celte et un personnage historique, un chef de clan supposé et nommé Myrddin, confondu avec l'Ambrosius dont parle saint Gildas[13].
Druide
Les récits légendaires autour de Merlin prennent certainement leurs sources dans un fonds celtique ou pré-celtique antérieur aux influences chrétiennes[WaD 7],[WaD 10]. Quelques croyances « folkloriques et édulcorées » autour des rituels druidiques ont pu survivre par l'oralité jusqu'au XIIe siècle, quand les clercs couchent cette matière orale à l'écrit[WaD 11]. Le Merlin primitif commet les « trois péchés du Druide »[LRGu 1] et se retrouve déchu de ses anciennes fonctions, sous l'influence du christianisme qui diabolise la « magie druidique ». Myrddin Wyllt, Lailoken et Suibhne se convertissent tous trois à la foi chrétienne à la fin de leurs récits respectifs[WaD 12]. Philippe Walter voit dans la légende celtique originelle de Merlin celle d'un druide divin lié à des rituels saisonniers calendaires, d'où son image d'homme des bois, d'astrologue, de devin et de magicien[WaD 13]. Merlin pourrait être un ancien druide divin ou un dieu-druide[14], mais l'absence de sources d'époque rend impossible tout lien certain vers un fonds mythologique exclusivement celte[WaD 9]. L'existence d'un mythe fondateur autour de Merlin dans la mythologie celtique semble peu probable. Cette théorie ne peut toutefois pas être totalement écartée, les premiers auteurs des écrits mentionnant Merlin s'appuyant sur le folklore populaire oral de leur époque[WaD 14]. Lors de sa christianisation, il perd certaines de ses anciennes caractéristiques comme sa maîtrise du temps, un attribut divin[WaD 15].
Fonds chamanique, divinité de la nature
Les pratiques chamaniques montrent beaucoup de points communs avec les pouvoirs attribués à Merlin, laissant à penser qu'il trouverait son origine dans un chamanisme eurasiatique primitif : ensauvagement, prophétisme et transformation en oiseau[S 3],[Va 3]. A. Mac-Culloch trouve des analogies entre le chamanisme pratiqué dans l'Altaï et les pratiques des Celtes[15], mais le celtisant Christian-Joseph Guyonvarc'h réfute l'idée d'un « chamanisme celtique »[16]. Il est tout aussi délicat de lier Merlin à un personnage pré-indo-européen, il ne représente clairement aucune des trois grandes fonctions des Indo-européens (guerre, fécondité et sacerdoce). Il a pu évoluer de roi guerrier vers une fonction plus spirituelle[WaD 16], ce qui l’assimilerait aux dieux « protéens » des Celtes et des Indo-européens, dont parle Claude Sterckx[St 2].
Nikolaï Tolstoï et Jean Markale ont suggéré qu'il était un avatar de Cernunnos, divinité celte de la nature[17]. Il rappelle la tradition des divinités et créatures païennes de la nature et des forêts, comme le Sylvain, Sylvanus, le Faune et l'Homme sauvage[WaD 9],[Va 4]. Cette filiation est d'autant plus probable que Merlin raconte lui-même la légende de Faunus et de Diane dans le cycle Post-Vulgate[Va 5]. Le Sylvain peut se présenter comme un vieillard et posséder la force d'un jeune homme, comme Merlin[S 3].
Personnage historique
Dès 1868, Henri d'Arbois de Jubainville se pose la question de l'historicité de Merlin, et en conclut que sa légende a été fabriquée de toutes pièces pour expliquer le nom de Carmarthen (en gallois Caerfyrddin)[18]. Par la suite, certains chercheurs comme J. Douglas Bruce soutiennent que Merlin est une invention littéraire de clercs inspirés par les légendes celtiques[Z 1].
L'existence d'un ou de plusieurs « Merlins historiques » est toutefois défendue par de nombreuses personnes, dont la professeure émérite Dr Norma Lorre Goodrich[19] et le doctorant québécois Guy D'Amours[20]. Selon eux, ce Merlin historique a inspiré différents auteurs depuis le VIe siècle, à travers des manuscrits disparus désormais. Deux personnages historiques gallois seraient à l'origine du Merlin littéraire : un chef de clan nommé Ambrosius Aurelianus (cité dans le sermon de saint Gildas pour ses prophéties et sa bravoure au combat) et le barde gallois Myrddin Wyllt[R 1]. Pour Philippe Walter, même si Myrddin est présenté comme un personnage historique dans certaines sources d'époque, cela ne signifie pas qu'il ait réellement existé. Les chroniqueurs médiévaux utilisent beaucoup d'éléments légendaires dans leurs écrits[WaD 14].
Norma Lorre Goodrich et l'occultiste Laurence Gardner défendent une théorie qui rejoint une certaine historicité. Pour Goodrich, « Merlin » est un titre porté originellement par l'évêque qui a couronné le roi Arthur historique[21]. Pour Gardner, Myrddin était à l'origine le titre du devin du roi (« Seer to the king »), Taliesin étant le premier d'entre eux. Certaines personnes portant ces titres auraient inspiré la légende de Merlin[22].
Filiation et naissance
La naissance de Merlin n'est détaillée que par les auteurs chrétiens de la légende arthurienne. L’Historia Brittonum mentionne simplement qu'il est un « enfant sans père »[23]. Le nom de sa mère n'est généralement pas précisé, mais elle s'appellerait Adhan selon une vieille version des Prose Brut chronicles[24]. L'identité de son père incube est assez floue. Philippe Walter postule qu'il était peut-être à l'origine un démon maritime ou un « vieux de la mer » (d'où l'étymologie de Mori:jn, « né de la mer », pour le nom de Myrddin[WaD 1]), voire un esprit du souffle ou du vent avant de devenir un incube dans la transposition chrétienne et courtoise de la légende[S 4]. Une stance des prophéties galloises le qualifie de Myrddin ap Morfryn, soit « Merlin fils de Morfryn », sans autre indication[Go 1].
Dans son Historia regum Britanniae, Geoffroy de Monmouth écrit un commentaire dans lequel il suggère que Merlin est peut-être le fils d'un incube surnaturel, « de la nature des hommes et de celle des anges », qui aurait pris forme humaine pour approcher une femme vierge[25]. Sans doute inspiré par ce commentaire, le trouvère normand Robert de Boron fait de Merlin un cambion, né d'une mère humaine et d'un père démoniaque dont il a hérité ses pouvoirs[26].
Le démon qui engendre Merlin est nommé Aquipedes (ou enquipedes, equibedes, engibedes), soit « aux pieds de cheval », par référence au cauchemar, dans les œuvres attribuées à Robert de Boron[S 5] :
Suite de Merlin, att. à Robert de Boron | Traduction de Henri de Briel[27] |
---|---|
Je voil que tu saiches et croies que je sui filz d’un ennemi qui engingna ma mere, et cele meniere d’enemi qui me conçut a non enquibedes et sont et repairent en l’air. | Sache que je [Merlin] suis le fils d'un démon qui a possédé ma mère par ruse. Les démons qui peuvent engendrer s'appellent Ekupedes et vivent dans les airs. |
Sœur d'une prostituée, la mère de Merlin sait courir un grand danger et demande conseil à son confesseur Blaise, qui lui dit de ne jamais se mettre en colère et de garder une bougie allumée en permanence dans sa chambre, pour en éloigner le Diable. Mais un jour, elle se fâche contre sa sœur, se couche habillée et oublie la bougie. Le démon en profite pour concevoir Merlin qui est destiné, par sa naissance, à être un antéchrist[S 6],[Bo 1]. La mère se repent[Bo 2]. Merlin naît couvert de poils comme un animal, signe de sa filiation diabolique ou d'un rapport avec l'ours[28]. Son père maléfique lui donne la capacité de voir le passé, sa mère touchée par la grâce de Dieu celle de voir l'avenir[S 2].
Dans le Lancelot-Graal, le diable se présente à une femme vierge et fort pieuse sous l'apparence d'un bel homme étranger. La naissance de Merlin est très différente dans le cycle Post-Vulgate, où un homme sauvage viole une femme endormie dans la forêt. Les écrivains modernes, comme Stephen R. Lawhead (1950-), auteur du Cycle de Pendragon, laissent eux aussi courir leur imagination sur la naissance de Merlin. Ce dernier le lie à la légende de l'Atlantide. Charis, fille du roi Avallach d'Atlantide, sa mère, en serait native. Son père Taliesin est un Breton, fils d'Elffin, le roi de Caer Dyvi[29]. Michel Rio fait de Merlin le fruit d'un viol incestueux entre son grand-père (surnommé « le Diable ») et sa mère dans sa trilogie Merlin, le faiseur de rois[30].
Dans tous les textes médiévaux, Merlin naît porteur d'une grande sagesse et montre une exceptionnelle précocité intellectuelle[31], comme en témoigne l'épisode où, enfant, il défie les mages de Vortigern qui souhaitent le sacrifier[32]. Dès sa naissance, il est capable de parler et de prophétiser[Bo 3]. Les auteurs de l'époque romantique, entre autres Edgar Quinet, ne manquent pas de souligner ce savoir exceptionnel et inné :
« L'enfant vint au monde, sans bruit, sans gémissements, obscurément, dans un coin du cloître ; mais quel ne fut pas l'étonnement de sa mère, qui n'osait pas même lui présenter le sein, lorsqu'elle entendit l'enfant lui dire d'une voix d'homme : « Mère, ne pleurez pas, je vous consolerai ! » Son étonnement redoubla lorsqu'elle le vit, échappé de ses langes, marcher à grands pas un livre à la main : « Qui t'a appris à lire, Merlin ? — Je le savais avant de naître. »
L'une des caractéristiques les plus évidentes chez Merlin, comme l'évoque bien son surnom d'« Enchanteur », est sa capacité à pratiquer la magie, à prophétiser, se métamorphoser et transformer l'apparence d'autrui. Il est aussi un bâtisseur fabuleux[S 2] grâce à sa connaissance des secrets des pierres, doté d'une science et d'un savoir sans limites[Z 2]. Insoumis aux lois du temps, Merlin peut se présenter alternativement comme un enfant ou un vieillard. Ses traits de personnalité rappellent autant l'enfant « par son goût du jeu, du déguisement et du canular », que le vieillard par « son détachement, sa sagesse et son expérience »[32]. Pour prédire les événements, Merlin voyage à volonté dans le passé ou le futur[WaD 15],[Note 1]. Par son talent, il est aussi un maître ou une divinité de la parole qui représente la « véritable essence de son être »[S 7],[WaD 18]. Comme dans la tradition druidique où elle est langue sacrée des dieux, magie, prophéties et poésie découlent de ses paroles[S 8]. Bien qu'il possède d'immenses pouvoirs et sache tout du passé comme de l'avenir, Merlin est rempli de contradictions. Dans les romans français, il est trahi par ses élèves en magie, Viviane et Morgane. Dans les récits britanniques, il connaît des périodes de folie et d'immense tristesse dans la forêt[R 1].
Robert de Boron insiste sur sa position « au cœur de la lutte entre le bien et le mal », par sa naissance (il est le fils du Diable) et la rédemption de sa mère. Merlin utilise ses pouvoirs pour servir les desseins divins (aider à l'avènement d'Arthur, la création de la Table ronde et la quête du Graal, notamment par Perceval) ou des objectifs plus troubles[R 1],[Z 3]. Au service des rois, il lutte contre les envahisseurs de la Bretagne mais son apparence effrayante et ses métamorphoses suscitent peur et méfiance[R 1].
Métamorphoses
Merlin peut revêtir beaucoup de formes : enfant, vieillard, bûcheron, homme sauvage, génie sylvestre[R 1]… Dans le Roman de Merlin[Note 2], il apparaît au roi Arthur sous la forme d'un enfant de quatre ans pour lui reprocher d'avoir péché en s'accouplant avec sa sœur Morgane, puis sous celle d'un vieillard où il annonce qu'un chevalier à naître (Mordred) causera la perte du royaume[34].
Merlin peut aussi se changer en animaux. Les pouvoirs du Suibhne irlandais s'apparentent à ceux d'un chaman tels que les décrit Mircea Eliade, par sa capacité à voler et à se métamorphoser, notamment en oiseau[WaD 5],[Note 3]. Une autre métamorphose habituelle chez Merlin est celle du cerf, notamment dans les romans en prose[S 9] :
Lancelot-Graal, manuscrit BnF fr. 91, pl. 1229. | Traduction[35] | ||
---|---|---|---|
Lors jeta son enchantement et se mua en merveillouse figure. Car il devint uns cers li plus grans et li plus merveillous que nus eüst onques veü, et il ot un des piés devant blanc et .V. branches en son chief, les greignoures c’onques fuissent veües sur cerf. |
Il jeta alors son enchantement et prit un aspect merveilleux. En effet, il se transforma en un cerf, le plus grand et le plus extraordinaire qu'on ait jamais vu : l'une de ses pattes avant était blanche et il portait des bois à cinq branches, les plus imposants qu'un cerf ait jamais portés. |
Sous sa forme animale, Merlin conserve ses pouvoirs et la capacité de parler[35]. Il est également capable de transformer l'apparence d'autrui, Uther Pendragon prenant l'aspect de Gorlois afin de concevoir Arthur sous l'effet de son sortilège[K 3].
Bâtisseur
Ses talents de bâtisseur sont réputés et grâce à sa maîtrise de la pierre, Merlin peut construire des mégalithes. L'un de ses hauts faits serait d'avoir construit Stonehenge[Note 4]. Gerbert de Montreuil, continuateur de Chrétien de Troyes, raconte aussi qu'il érige un pilier magique enchanté sur le Mont Douloureux, sous le règne d'Uther Pendragon. La présence de ce pilier rend fous les mauvais chevaliers[S 10]. Ce talent de bâtisseur s'associe avec sa connaissance des choses cachées, notamment dans le fameux épisode de la tour du roi Vortigern / Vertigier :
« Voulez-vous savoir, dit Merlin à Vertigier, pourquoi l’ouvrage s’écroule et qui l’abat ? Je vous l’expliquerai clairement. Savez-vous ce qu’il y a sous cette terre ? Une grande nappe d’eau dormante et sous cette eau deux dragons aveugles. L’un est roux et l’autre blanc ; ils sont sous deux rochers, ils sont énormes et connaissent chacun l’existence de l’autre. Quand ils sentent le poids de l’eau sur eux, ils se retournent avec un tel fracas de l’eau que tout ce qui est au-dessus chavire : ce sont eux qui font s’écrouler la tour. »
— Robert de Boron, Merlin[Bo 4]
Quête du savoir, astrologie et prophéties
Merlin détient un savoir inaccessible au commun des mortels, notamment en astronomie[WaD 17]. Ses connaissances sont acquises en marge de la société, par l'observation[WaD 19],[BaA 1]. Il pratique également l'astrologie. Dans la Vita Merlini, il apprend le remariage de sa femme et l'existence de son amant par les astres[WaD 19]. La discussion entre Merlin et Taliesin s'y apparente à une conférence théologique et druidique[WaD 20] entre savants : avec Maeldin, ils forment par ailleurs une triade druidique[WaD 11]. Philippe Walter suppose que Merlin acquiert ses connaissances dans un observatoire en pierres, semblable à certains monuments mégalithiques comme Stonehenge[WaD 19]. Ces particularités le rapprochent nettement des druides de l'Antiquité, qui discutent de la nature du monde et des astres puis transmettent leurs observations aux jeunes, selon Jules César[WaD 20].
Merlin est prophète grâce à son savoir, et si la plupart de ses révélations concernent des événements tragiques, il prédit aussi des règnes à venir, notamment celui d'Uther Pendragon[BaA 2]. En ce sens, il est un astrologue au service exclusif des rois de Bretagne[BaA 3]. Cet aspect est absent des romans français, qui le présentent comme un « enchanteur » sans préciser la nature de son savoir. L'astrologie étant une pratique condamnée par l'Église, Robert de Boron et ses continuateurs taisent cet aspect. Parmi les auteurs modernes, seule Marion Zimmer Bradley, dans Les Dames du Lac, attribue à Merlin un rôle d'astrologue[BaA 4].
Folie et rire
Extrait de Merlin, faiseur de rois, 2006 | |
Seul Merlin a compris que la sagesse, pour être sage, doit se teinter d'un peu de folie, sous peine d'être folle[Rio 1]. |
Les sources médiévales présentent souvent Merlin comme un « fou »[S 11]. Cette folie suit une défaite guerrière dans la Vita Merlini et la Vie de Saint Kentigern (Lailoken devient fou après une vision, et se cache en forêt). Dans La Folie de Suibhne, l'état est consécutif à la bataille de Magh Rath. Merlin est toujours transformé physiquement et mentalement pendant ses périodes de folie[WaD 21]. Philippe Walter l'analyse comme une rage ou mélancolie « canine » provoquée par un déterminisme astral, une conjonction de planètes ou l'influence lunaire[WaD 22], résultat d'une possession[S 11]. Merlin devient un sauvage, un homme-bête dont le comportement s'approche de celui des divinités sylvestres et des lycanthropes[WaD 23]. Cette folie ne se déclencherait qu'à une date précise du calendrier celtique[WaD 22]. Dans la Vita Merlini, ce serait aux trois jours des Rogations de mai, pendant la lune rousse. Dans la Vie de Saint Kentigern, c'est à l'arrivée de la saison claire pendant la fête de Carnaval[WaD 23]. Sa folie mélancolique s'apparente bien plus au délire scientifique et à un état second permettant de révéler des vérités qu'à une pathologie mentale[WaD 24].
Guy D'Amours voit dans la folie de Merlin une expression d'éveil spirituel, en se basant sur la psychologie analytique de Carl Gustav Jung[36]. Dans la plupart des textes médiévaux (et certaines adaptations modernes[Note 5]), ces périodes de folie aboutissent à une conversion au christianisme, par probable analogie avec la passion du Christ[S 12]. René Barjavel traite longuement de la folie dans son roman L'Enchanteur (1984), à travers un combat dans l'esprit même de Merlin. Il en guérit en faisant corps avec la forêt, pour se fondre en elle[Ba 1]. L'association avec la forêt, lieu où Merlin vit ses périodes de folie, est elle aussi une constante dans les textes de toutes les époques[36].
Robert de Boron n'accorde pas une grande place à la folie de Merlin, mais chez lui, le rire affiche l'altérité de son esprit[37]. Merlin est fréquemment hilare, ce rire peut être l'expression de sa folie[S 11] mais serait plutôt à rapprocher de celui de l'Homme sauvage. Avec sa connaissance du temps et de l'Autre Monde, Merlin (comme Démocrite) rit de l'inconséquence des hommes avant de prophétiser des tragédies. Il a l'intuition de toutes les vérités et des événements à venir, il peut parcourir le temps à l'envers. Son rire de devin renvoie à sa très haute sagesse et sa connaissance sans limites[S 13], suivant une longue tradition d'hommes sauvages et de devins rieurs[WaD 25]. C'est « le signe d'une connaissance surnaturelle qui permet à Merlin de percevoir les choses cachées »[38], notamment les trésors souterrains[WaD 26]. Dans la Vita Merlini, il rit d'un mendiant assis devant une porte parce qu'il devine qu'un trésor est enterré en dessous, puis d'un passant achetant des chaussures et de quoi réparer ses semelles alors qu'il sait que le malheureux va se noyer[BaR 1].
Rapport au monde
Merlin entretient des rapports étroits avec les forces de la nature, notamment la forêt, le pommier et le dragon. Sa sagesse provient de son contact avec la nature[BaA 5]. C'est aussi un personnage nettement marginalisé. Anne Berthelot le voit comme le reflet d'une humanité déformée, à la limite de la bestialité en raison de son rapport avec les mascarades[K 3]. Stephen Thomas Knight suppose que cette marginalisation résulte de l'immensité de son savoir[K 3]. La sauvagerie de Merlin en fait « l'homme des bois le plus célèbre du Moyen Âge »[WaD 27]. L'ensemble des forces sylvestres, aussi bien la forêt elle-même que les animaux qui la peuplent, est entièrement acquis à sa cause[WaD 28]. La frontière entre Merlin et le monde sylvestre est elle-même floue[WaD 28]. Il est sensible au rythme des saisons avec ses périodes de déclin (folie) et de renouveau[WaD 28]. Il est capable de prendre l'apparence d'animaux et se compare lui-même à certains arbres[WaD 28] : c'est le maître du temps et l'esprit du végétal[WaD 29]. Le saint chrétien ermite Antoine le Grand est assez proche de lui : victime de possessions démoniaques, associé au sanglier, fuyant les hommes pour se rapprocher du divin[S 12].
Les arbres et la forêt
La forêt forme l'environnement naturel et favori de Merlin[WaD 27]. Les romans français évoquent ses disparitions de la cour d'Arthur pour s'y réfugier, en compagnie de son confident Blaise en Northumberland. Si la forêt de Merlin est située au Nord de la Britannia dans les plus anciens textes, elle est décrite comme étant la forêt de Brocéliande au fil du temps[K 4]. Dans les sources plus anciennes, comme la Vita Merlini, son rapport avec la forêt est différent puisqu'il se réfugie en Calédonie par réaction à une malédiction[WaD 27]. Ce lien le rapproche des divinités celtiques[WaD 27] dont la forêt est le domaine habituel[LRGu 2], et des personnages d'inspiration chamanique, comme l'esprit des forêts toungouses[WaD 27] décrit par Uno Harva, qui monte les bêtes sylvestres et se métamorphose lui-même[39]. Le mythe de l'homme sauvage compte les faunes romains et inclut la légende de Merlin[WaD 1]. Dans la mythologie celtique, la forêt est un passage vers l'Autre Monde, un monde habité par les forces divines[WaD 30]. Pour Merlin, elle est aussi un lieu de science où la présence de la nature préserve les forces magiques : selon la Vita Merlini, c'est dans la forêt que Merlin choisit d'établir sa demeure à soixante-dix portes et soixante-dix fenêtres, où il étudie l'astronomie et l'astrologie[WaD 31].
Le pommier est l'arbre favori de Merlin[WaD 30]. Il en pousse abondamment sur l'île d'Avalon[40]. Cet arbre symbolise la connaissance, l'initiation et l'immortalité[WaD 32]. Le poème « Les pommiers de Merlin », dans le Livre noir de Carmarthen (v. 1250)[41] en montre l'importance, tout comme le début de la Vita Merlini[42] où il se réfugie dans un pommier qui le rend invisible, pour échapper aux troupes ennemies de son seigneur Gwenddolau[WaD 32]. Philippe Walter pense que le pommier, arbre magique auquel Merlin peut s'adresser dans ses périodes de folie, est aussi son arbre protecteur et providentiel, un dispensateur du savoir sacré lié à la divination et à la parole[WaD 33]. Les arbres sont, de manière générale, des dispensateurs de pouvoirs divinatoires et de science pour tous les druides[WaD 34],[LRGu 3]. Merlin se compare occasionnellement à un « chêne pourrissant »[Note 6], arbre des druides, dans la Vita Merlini[WaD 28].
Les animaux et le dragon
Merlin entretient un rapport privilégié avec les animaux forestiers, notamment le cerf qu'il chevauche (selon Geoffroy de Monmouth), un animal omniprésent dans les cultes celtiques et préceltiques[WaD 35]. Le loup gris (Canis lupus) l'accompagne durant l'hiver[WaD 27] (le nom de son maître, Blaise, est en rapport étroit avec celui du loup, Bleizh en vieux breton[WaD 36]), le sanglier[S 12] et/ou le porc (ses disciples sont surnommés « petits cochons » dans les poèmes gallois[43]), et enfin l'ours (il naît poilu comme un ours[WaD 19]) font également partie de ses compagnons. Il comprend les animaux et se fait comprendre d'eux[WaD 36]. Ces caractéristiques renvoient au chamanisme[WaD 27].
Son rapport avec le dragon est particulier. Au contraire des chevaliers de la Table ronde qui combattent les reptiles, Merlin n'est pas un sauroctone. Il apprivoise les dragons, prenant sur eux un ascendant de nature druidique et magique. Le roi Vortigern (Vertigier selon Robert de Boron) trouve un « enfant sans père », Merlin, qui lui apprend qu'un dragon rouge et un dragon blanc se battent sous les fondations de son château[Note 7]). Dans le roman de Robert de Boron, il vient en aide à la famille Pendragon, notamment Uther à qui il permet de coucher avec la femme de ses rêves pour concevoir Arthur. Plus tard, Merlin interprète favorablement l'apparition d'un reptile dans le ciel pendant une bataille. Pour aider Arthur, il utilise une enseigne en forme de dragon vivant[S 14] qui « jette feu et flammes par la gueule »[S 15]. Le dragon revêt pour lui un côté protecteur et totémique[S 16], Merlin est par ailleurs représenté sous forme de dragon lui-même dans une chronique de Jean de Würburg concernant Guillaume François d'Autriche[44].
Entourage
Merlin est entouré d'autres personnages littéraires provenant d'un fonds mythologique celtique ou de la légende arthurienne. Les plus connus sont le scribe Blaise, qui consigne son histoire, le roi Arthur qu'il veille et protège, et la fée Viviane qu'il aime. Morgane et Viviane sont ses élèves. Malgré tout son savoir, Merlin est piégé par les ruses de ces deux femmes[R 1].
Taliesin
Le personnage mythique de Taliesin, dont l'histoire provient du même fonds de mythologie celtique brittonique que les plus anciens textes concernant Merlin, est très proche de lui. Sa naissance est chamanique, puisque son père Gwion Bach se change en grain de blé puis se fait avaler par la sorcière Ceridwen sous forme de poule. Neuf mois plus tard, le premier mai, elle donne naissance à Taliesin (qui peut être vu comme Gwion Bach lui-même) et l'abandonne sur un bateau[45]. Taliesin, comme Merlin, est en quelque sorte un enfant sans père[S 17]. Il est prédestiné, ses actions et les grandes dates de sa légende sont en relation étroite avec le calendrier celtique[S 18]. Les Triades galloises citent Merlin et Taliesin côte à côte. Ils sont peut-être issus d'un même druide divin celtique[WaD 30].
Blaise
Maître Blaise est, dans les romans français (depuis Robert de Boron) le scribe et confident personnel de Merlin. Confesseur de la mère de Merlin, son rôle est par la suite d'écrire tout ce que lui raconte l'enchanteur, y compris ses prédictions[WaD 36]. En cela, il répartit les rôles : Merlin est un conteur oral mais pas un écrivain, fonction entièrement dévolue à Blaise[S 19]. L'apparition de Blaise dans les récits renvoie concrètement à la création littéraire médiévale, l'écrivain n'étant le plus souvent que celui qui adapte un récit de tradition orale[S 7].
Pour Philippe Walter, Blaise est à l'origine un homme-loup (d'où le rapprochement en vieux breton avec le nom de l'animal), dont la fonction est d'être le double de Merlin[WaD 36]. Cette association expliquerait l'apparence animale de Merlin à la naissance et le nom de Lailoken, « le jumeau ». Elle ferait de Merlin et Blaise des jumeaux divins[WaD 37],[S 20].
Uther, Arthur et les chevaliers de la Table ronde
La plupart des ouvrages qui parlent de Merlin évoquent aussi Arthur et les chevaliers de la Table ronde. Ces textes datent pour la plupart du XIIIe siècle au XVe siècle. Son rôle dans la légende arthurienne est d'aider à l'accomplissement du destin du royaume de Bretagne (ou royaume de Logres, la Loegrie)[Note 8]. Grâce à sa sagesse, il devient l'ami et le conseiller du roi Uther Pendragon. À la mort de celui-ci, il organise le défi de l'épée Excalibur qui permet à Arthur, fils illégitime d'Uther, de succéder à son père. Puis il incite Arthur à instituer la Table ronde afin que les chevaliers qui la constituent puissent se lancer dans des missions, notamment la fameuse quête du Graal. Malgré toutes ses connaissances, Merlin ne peut rien contre la destinée du royaume ni la fin tragique du roi Arthur[47].
Vie amoureuse
La vie amoureuse de Merlin est généralement marquée par son attirance pour de très belles jeunes femmes[R 1]. Dans la Vita Merlini, il a pour épouse Gwendoline (Guendoloena), mais nourrit une passion pour sa sœur Ganieda (Gwendydd). Il apprend l'infidélité de sa femme, enfourche un cerf, et se rend au palais en compagnie d'animaux forestiers. Celle-ci l'aperçoit depuis une fenêtre avec son amant, et éclate de rire. Merlin arrache les cornes de son cerf, et les jette à la tête de l'homme, qui périt sur le coup. D'après Claude Gaignebet, cette scène provient d'un ancien rite carnavalesque, dans lequel le cocufié est en relation avec le cerf[48].
Robert de Boron supprime de ses textes la relation incestueuse de Merlin et Ganieda pour la remplacer par la fée Viviane, tradition suivie par de nombreux continuateurs. Inspirée de Ganieda[WaD 38], Viviane a pour avatars la Dame du Lac et l'enchanteresse Nimue. La séduction de Merlin est toujours racontée de la même façon par les auteurs médiévaux : la jeune femme séduit le sage Merlin qui succombe à ses charmes, et lui livre ses secrets de magicien qu'elle finit par retourner contre lui pour l'emprisonner[Z 4]. Le couple est inspiré de celui de Diane et Faunus dans la mythologie romaine[S 9], d'où la crainte de Viviane de perdre sa virginité, en écho à la légende de Diane. Dans le Lancelot-Graal, Merlin apparaît comme un être lubrique et la sage Viviane (âgée de douze ans[49]) souhaite se protéger de ses ardeurs[S 21]. Une tradition récente du château de Comper, en Bretagne, veut que pour plaire à Viviane, Merlin lui ait érigé un château visible d'elle seule au fond des eaux du lac de Comper[50].
La fée Morgane n'a pas de relation amoureuse avec Merlin[Note 9], mais apprend elle aussi ses secrets de magicien, et les emploie pour contrarier les desseins du roi Arthur et de Lancelot (dans les textes plus tardifs)[R 1].
Disparition
La fin de Merlin est évoquée de différentes façons selon les auteurs. Il ne connaît généralement pas de mort véritable, mais il est « retiré du monde »[51] et repose « au cœur d'une inaccessible prison forestière, ni mort ni vivant »[52]. Dans les textes gallois, il reste pour toujours dans la forêt. Dans la Vita Merlini, il passe son temps à observer les astres depuis sa demeure aux soixante-dix fenêtres, avec sa sœur[BaA 6]. Une autre version évoque une tour de cristal[51]. Il peut aussi faire retraite pour toujours avec son confesseur Blaise. Dans le Perceval en prose, Merlin se retire jusqu'à la fin du monde dans son esplumoir[47].
La version la plus connue est toutefois celle de « l'enserrement », à partir du Lancelot-Graal[47]. La fée Viviane trahit Merlin, qui lui a raconté au préalable la légende de Diane emprisonnant Faunus, montrant ainsi sa connaissance de son propre destin. Or, il ne peut s'empêcher de révéler à Viviane la manière d'emprisonner un homme à jamais, sortilège qu'elle retourne contre lui. Merlin est enfermé pour l'éternité dans son esplumoir, dans une chambre ou une prison d'air (selon la plupart des romans français), sous un rocher (selon Le Morte d'Arthur de Thomas Malory), ou encore dans une grotte. Pour Francis Dubost, cet échec de Merlin est dû à son statut d'être fantastique, et donc d'« humain incomplet », qui ne peut réellement connaître l'amour[53]. D'autres spécialistes supposent la jalousie de Viviane envers Morgane à qui Merlin enseigne aussi, ou bien le désir de la fée de protéger sa virginité[54]. Quoi qu'il en soit, la mort du roi Arthur est consécutive à l'impossibilité qu'a Merlin de veiller sur le destin du royaume[47].