Époque de Muromachi
subdivision de l'histoire du Japon 1336/1573 / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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L'époque de Muromachi (室町時代, Muromachi jidai?) est l'une des 14 subdivisions traditionnelles de l'histoire du Japon, qui s'étend entre 1336 et 1573. Elle correspond à l'époque de « règne » des shoguns Ashikaga. Le nom de cette période vient du quartier de Muromachi, site choisi à Kyōto par les Ashikaga pour y installer à compter de 1378 le siège de leur gouvernement.
室町時代
1333–1573
Statut |
Monarchie, gouvernements militaires provinciaux |
---|---|
Capitale | Kyoto |
Langue(s) | japonais ancien |
Religion | Bouddhisme, shintoïsme (Shinbutsu shūgō) |
1336 – 1392 | Époque Nanboku-chō |
---|---|
Milieu xve siècle – Fin xvie siècle | Époque Sengoku |
Shogunat Ashikaga |
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Entités suivantes :
Elle est classiquement divisée en plusieurs sous-périodes. Ashikaga Takauji avait participé activement à la chute du shogunat de Kamakura en 1333 pour le compte de l'empereur Go-Daigo, qui exerça le pouvoir durant la courte période de la Restauration de Kenmu (1333-1336), mais il choisit finalement de rompre avec son autorité pour prétendre à la fonction de shogun, en s'appuyant sur la branche de la famille impériale rivale de celle de l'empereur en titre. Cela marqua le début de la période des Cours du Sud et du Nord, Nanboku-chō (1336-1392), durant laquelle deux lignées revendiquaient le trône impérial, celle qui était de fait sous la coupe des Ashikaga triomphant finalement. Cette période fut marquée par de nombreux conflits récurrents, certes de dimension encore limitée, mais parfois très destructeurs localement, et vit l'affirmation dans les provinces des gouverneurs militaires (shugo) au service du shogunat. Après avoir réunifié les deux cours impériales, le shogun Ashikaga Yoshimitsu consolida l'hégémonie du pouvoir shogunal. La période d'une durée d'un siècle environ qui suivit est considérée par certains comme la période de Muromachi à proprement parler, en tout cas celle durant laquelle l'autorité des shoguns Ashikaga n'est pas contestée. Leur pouvoir est cependant très affaibli en 1441 après l'assassinat du shogun Ashikaga Yoshinori, qui facilite un nouvel accroissement de l'autonomie des seigneurs provinciaux. Après la guerre d'Ōnin (1467-1477), ceux-ci deviennent de véritables « seigneurs de la guerre » constituant des États autonomes ne reconnaissant plus l'autorité des shoguns : c'est l'époque des « provinces en guerre », Sengoku (1477-1573). Les Ashikaga continuent à détenir le titre de shogun, mais ils n'ont alors plus qu'une autorité nominale, jusqu'à ce que le dernier d'entre eux soit destitué en 1573 par le seigneur de la guerre le plus puissant de l'époque, Oda Nobunaga.
Cette période longue de plus de deux siècles, succédant à l'époque de Kamakura (1185-1333), constitue une sorte de « Bas Moyen-Âge » japonais, conclue par la période Sengoku qui est une phase de transition entre le Japon médiéval et le Japon de la première modernité de l'époque d'Edo (1603-1868). Elle fut caractérisée par une omniprésence des affrontements guerriers, qui mobilisent de plus en plus de troupes et entraînent de profonds changements à tous les niveaux de la société, à commencer par la domination de plus en plus marquée du groupe des guerriers, et parmi celui-ci d'importantes mobilités sociales liées aux sorts des armes. Ce fut aussi une période de croissance démographique et économique marquées, voyant en particulier l'apparition de nombreuses villes, et la consolidation des communautés villageoises qui profitaient de l'essor agricole. Dans le domaine de la culture cette période fut cruciale pour la formation de l'esthétique japonaise moderne, reposant sur la fonctionnalité, la sobriété, la sociabilité, visible aussi bien dans l'architecture d'intérieur, la poésie que la cérémonie du thé, qui se diffusa depuis le milieu des élites du Kinai vers les autres provinces et couches sociales.
Découpage chronologique
La longue période de Muromachi est du point de vue politique une phase historique longue de plus de trois siècles, marquée par la récurrence des conflits militaires et une tendance à l'éclatement politique, plus prononcée dans ses dernières périodes. Son découpage interne ne donne pas lieu à consensus. La délimitation de la période correspond à celle du shogunat des Ashikaga, de 1336 à 1573. Mais le fait que ceux-ci ne furent pas hégémoniques la plupart du temps est pris en compte par l'inclusion de deux sous-périodes traditionnelles à son début et à sa fin, correspondant aux moments où le pouvoir du shogun était contesté ou ignoré : l'époque des Cours du Sud et du Nord (Nanboku-chō) de 1336 à 1392, et l'époque des « provinces en guerre » (Sengoku), aux contours mal définis, en gros de 1477 à 1573. La première période fut marquée par l'existence d'un pouvoir impérial concurrençant le shogunat, qui se soumit finalement dans les dernières années du XIVe siècle et laissa la place à la domination hégémonique des Ashikaga. Certains font démarrer vers ce moment une période courte de Muromachi, notamment à partir de 1378 qui correspond à l'installation effective du shogunat dans le palais de Muromachi, et qui durerait en gros un siècle, jusqu'à la guerre d'Ōnin (1467-1477) ou au coup d'État de 1493, qui marquèrent la fin définitive de l'influence politique des shoguns[1]. Quoi qu'il en soit il est courant de reconnaître deux tournants politiques majeurs au XVe siècle dans le processus d'affaiblissement du shogunat et de division : l'assassinat du shogun Yoshinori par un de ses vassaux en 1441 qui vit la fin de l'hégémonie des Ashikaga et la guerre d'Ōnin de 1467 à 1477 qui marqua définitivement l'éclatement politique du pays. Après cette dernière date, l'époque Sengoku a pu être présentée comme une « phase de Muromachi tardive » aux problématiques différentes de la précédente[2]. Du point de vue politique la fin de l'époque de Muromachi en 1573 est peu parlante puisqu'elle prend en compte la destitution du dernier shogun Ashikaga alors que les détenteurs de cette fonction avaient depuis longtemps perdu toute influence politique significative. La division du pays s'achève en 1600 avec la victoire décisive de Tokugawa Ieyasu, ce qui fait que la phase d'unification qui va des années 1570 à 1600/03 (l'époque Azuchi Momoyama) présente encore beaucoup de caractéristiques communes avec l'époque Sengoku, au point que certains étendent celle-ci jusqu'à la fin du XVIe siècle[3].
La fondation du shogunat des Ashikaga
L'époque de Kamakura avait vu la mise en place du régime du shogunat (ou Bakufu), dirigé depuis Kamakura en principe par celui qui détenait la charge de chef suprême du commandement militaire, le shogun. En pratique les chefs du clan Hōjō détenaient le pouvoir effectif par le biais de la charge de régent du shogun (shikken). Le pouvoir impérial de Kyoto, placé sous surveillance par le shogunat, avait perdu sa prééminence, le shogunat ayant établi progressivement son contrôle sur l'administration du pays, et son prestige avait encore plus été entamé par sa division en deux branches rivales, celle du Daikaku-ji et celle du Jimyō-in, à la fin du XIIIe siècle. Les Hōjō, dont le pouvoir avait été consolidé par la victoire contre l'invasion mongole de 1281, avaient dû arbitrer cette querelle, en instaurant un principe d'alternance entre les deux lignages (ryōtō-tetsuritsu) pour l'exercice de la fonction impériale. Cependant, les premières décennies du XIVe siècle furent difficiles pour les Hōjō qui perdirent de leur autorité sur la classe guerrière car ils n'étaient pas parvenus à récompenser tous ceux qui avaient participé aux combats contre les Mongols, et que leur pouvoir avait pris un tournant plus autoritaire, en même temps qu'il était pour la première fois secoué par des querelles internes. L'empereur Go-Daigo, de la lignée Daikaku-ji, ambitionna de renverser le shogunat pour instaurer un gouvernement impérial. Il se souleva sans succès en 1324 puis en 1331, étant exilé dans les îles Oki à la suite de son second échec, mais il préserva des soutiens qui minèrent l'influence des Hōjō à Kyoto, le mécontentement contre le shogunat étant à son comble. Lorsque Go-Daigo revint sur Honshū en 1333, le pouvoir de Kamakura dépêcha contre lui un des chefs militaires du Kantō, Ashikaga Takauji, mais celui-ci, qui n'appartenait pas à la catégorie des hommes-liges du shogunat qui étaient ses vassaux les plus fidèles, choisit finalement de se ranger du côté de l'empereur, et élimina le représentant du shogunat à Kyoto. Un autre chef guerrier du Kantō, Nitta Yoshisada, leva à son tour une armée contre le shogunat, qui s'empara de Kamakura et accula au suicide le régent Hōjō et la plupart de son clan[4].
Le régime que tenta d'instaurer Go-Daigo, que l'historiographie désigne comme restauration de Kenmu (d'après le nom de l'ère Kenmu, 1334-1338) ambitionnait d'installer un régime impérial fort suivant l'exemple chinois. Il ne parvint cependant pas à s'assurer la loyauté des membres du groupe guerrier, ce dont profita Ashikaga Takauji, qui s'était mis à son service et installé à Kyoto. En 1335, il partit pour le Kantō afin de réprimer une révolte fomentée par ce qu'il restait du clan Hōjō, et rompit dans la foulée son allégeance à Go-Daigo qui n'avait pas voulu lui conférer la dignité de shogun. Après avoir rallié des guerriers du Kantō à sa cause, Takauji retourna dans le Kinai en 1336 où il affronta le principal chef militaire au service de Go-Daigo, Kusunoki Masashige, qui fut vaincu et se suicida. Go-Daigo se réfugia dans le sud du Kinai à Yoshino, où il installa sa cour, laissant Kyoto à Takauji. Les conflits se poursuivirent, les armées Ashikaga éliminant notamment les généraux adverses Nitta Yoshisada et Kitabatake Akiie en 1338. Takauji s'était alors rapproché de la branche du Jimyō-in de la famille impériale, rivale de Go-Daigo, et installa le prétendant Kōmyō sur le trône d'empereur à Kyoto. En retour, celui-ci lui conféra la fonction de shogun, marquant le début du shogunat des Ashikaga[5].
L'époque des Cours du Sud et du Nord
Les années 1330 constituèrent une rupture majeure dans l'histoire du Japon médiéval, avec la fin du shogunat de Kamakura, la réorganisation des pouvoirs politiques, et le triomphe de la violence en tant que moyen d'affirmation politique aboutissant à la mise en place d'une société marquée par la récurrence de la guerre[6]. La période qui s'ouvre est désignée comme période des « Cours du Sud et du Nord » (Nanboku-chō ; expression inspirée des dynasties du Sud et du Nord de Chine) car elle fut marquée par la présence de deux lignées revendiquant le pouvoir impérial, celle qui était installée à Yoshino (la « Cour du Sud ») autour des successeurs de Go-Daigo (qui mourut en 1339), et celle qui était établie à Kyoto (la « Cour du Nord ») sous la coupe des shoguns Ashikaga. Cette scission joua un grand rôle dans le désordre politique qui s'installa plusieurs décennies, puisqu'elle sapa le principe de légitimité politique suprême et fournit l'opportunité à divers groupes pour s'engager dans des conflits servant leurs propres ambitions sous le prétexte de soutenir l'un ou l'autre des deux camps, tandis que les affrontements mettant aux prises les deux cours ne se soldaient pas par des victoires décisives mais pouvaient être très destructeurs. Le groupe guerrier ne présentait vraiment pas d'unité derrière les shoguns Ashikaga, les différents clans préférant consolider leurs bases provinciales en profitant de l'instabilité du centre politique, tandis que le pouvoir shogunal cherchait leur appui en leur conférant plus de prérogatives et donc en renforçant le mouvement de décentralisation politique[7].
En fait il apparut évident que la Cour du Sud n'était pas en mesure de rivaliser avec celle du Nord après l'échec des entreprises militaires de Kitabatake Chikafusa en 1343. Bien qu'elle fût incapable de mener des campagnes ambitieuses, elle maintenait quelques bases que le shogunat ne parvint pas à réduire, dans les provinces autour de Yoshino et aussi à Kyūshū où s'était établi un fils de Go-Daigo, le prince Kaneyoshi. Le shogunat fut ensuite traversé par une rivalité montante entre Takauji et son frère cadet Tadayoshi, qui prenait de plus en plus d'envergure dans l'administration du shogunat. L'affrontement entre les deux éclata en 1349 (incident de Kan'ō), en raison d'un désaccord entre Tadayoshi et Kō no Moronao, le « premier ministre » de Takauji. Le shogun se rangea aux côtés du second et demanda à son frère de se retirer des affaires politiques. Tadayoshi refusa et rompit avec son frère avec l'appui de son fils adoptif Tadafuyu. Mais ils ne reçurent aucun appui des grands clans guerriers, et se réfugièrent à Kyūshū puis à Kamakura. Les affrontements emportèrent certes Moronao en 1351, mais Tadayoshi ne parvint pas à gagner en puissance et mourut l'année suivante, peut-être d'un empoisonnement. Ses partisans de l'ouest restèrent cependant opposés au shogunat jusqu'en 1363, année du ralliement des clans Ōuchi et Yamana au shogunat. Takauji était mort en 1358 et son fils Yoshiakira lui avait succédé, puis en 1368 le fils de ce dernier, Yoshimitsu, devint à son tour shogun. Celui-ci dépêcha des troupes à Kyūshū qui obtinrent la reddition de Kaneyoshi en 1372, mettant fin au dernier bastion provincial notable de la Cour du Sud. Plutôt que de tenter une offensive décisive contre Yoshino, Yoshimitsu préféra opter pour la négociation afin d'obtenir la soumission de l'empereur du Sud, qui ne représentait plus une menace[8].
La situation militaire de la seconde moitié du XIVe siècle profita aux chefs de clans guerriers provinciaux, détenteurs de la charge gouverneur militaire, shugo, qui se muèrent progressivement en potentats locaux. Afin d'obtenir leur participation active aux conflits de l'époque, le shogunat leur avait octroyé plus de prérogatives qu'ils n'en avaient à l'époque de Kamakura, à commencer par la possibilité de prélever la moitié de l'imposition due par les domaines (hanzei) et des fonctions judiciaires dans leur territoire, ce qui leur permit de se constituer un réseau de vassaux guerriers (kashindan) parmi leur parentèle ou les guerriers de rang moindre de leur province d'attribution. Ils devinrent ainsi de véritables « seigneurs » dans celle-ci. Les Ashikaga s'appuyèrent avant tout sur des lignages issus comme eux du clan Minamoto de la lignée Seiwa-Genji (celui des fondateurs du shogunat de Kamakura), qui avaient une dimension très modeste au début du XIVe siècle et gagnèrent alors une importance considérable (Hosokawa, Yamana, Imagawa, Hatakeyama, Shiba, etc. ; aussi le clan Uesugi qui était celui de la mère de Takauji), et secondairement sur les clans de gouverneurs militaires déjà en place qui étaient jugés moins fiables (Takeda, Ōuchi, Shimazu, etc.) et qui reçurent souvent des fonctions en dehors des territoires où ils avaient leur implantation traditionnelle. Cette nouvelle élite militaire est désignée par les historiens par l'expression « shugo-daimyō »[9],[10]. Dans ce contexte heurté favorable à la recomposition de l'organisation du groupe guerrier apparurent également des ligues (ikki) d'hommes d'armes de la catégorie des « hommes de provinces », kokujin (on parle de ce fait de kokujin-ikki), dont la loyauté n'était pas autant acquise que par le passé aux institutions shogunales. Ils se liaient par une prestation de serment donnant lieu à un acte écrit, formant un genre d'organisation transcendant les liens claniques et vassaliques traditionnels au profit de relations volontaires et égalitaires mettant en avant les solidarités entre les guerriers qui y adhéraient. Elles fonctionnèrent au départ comme des corps de troupe pour les shugo dans les guerres de la seconde moitié du XIVe siècle, mais leur loyauté n'était jamais acquise à un chef militaire. En effet plusieurs de ces ligues s'opposèrent à des shugo cherchant à imposer leur autorité dans leurs provinces ; ainsi en 1400 les kokujin de la province de Shinano parvinrent à chasser Ogasawara Nagahide qui en avait été nommé shugo. Elles furent donc pour les autorités centrales une force locale à prendre en considération[11].
L'apogée des Ashikaga
En 1392, le dernier empereur de la Cour du Sud, Go-Kameyama, présenta sa soumission à Yoshimitsu. Il s'ensuivit une période durant laquelle les shoguns Ashikaga exercèrent un pouvoir hégémonique incontesté sur le Japon, jusqu'en 1441. Yoshimitsu (1368-1408), établi à partir de 1378 dans le palais de Muromachi, avait déjà organisé son autorité, qui n'était plus inquiétée depuis au moins une vingtaine d'années par les empereurs de la Cour du Sud. Sans doute afin de faciliter la passation du pouvoir à son héritier désigné Yoshimochi, il lui transmit en 1394 la fonction de shogun et se fit octroyer par l'empereur le titre de Ministre des Affaires suprêmes (dajō-daijin), qui n'avait jusqu'alors qu'un sens honorifique. Il conserva dans les faits les rênes du pouvoir, exercé à partir de 1397 depuis le Pavillon d'Or (Kinkaku-ji). Dans ce processus d'affermissement de son autorité, il eut à plusieurs reprises à réprimer des révoltes de gouverneurs militaires (Toki Yoriyasu en 1379, Yamana Ujikiyo en 1399 et Ōuchi Yoshihiro en 1399)[12].
Le pouvoir du shogun avait également été consolidé institutionnellement. Le shogunat de Muromachi reprenait largement l'héritage institutionnel de celui de Kamakura, avec ses organes de gouvernement central : Bureau des samouraïs (Samurai dokoro) chargé de la gestion des vassaux guerriers, Bureau des affaires juridiques (Monchūjo) chargé de l'instruction des affaires judiciaires majeures et de l'archivage des dossiers juridiques, Chancellerie (Mandokoro) chargée de rédiger les actes officiels (puis reprenant les affaires juridiques au précédent au XVe siècle). Néanmoins pour faire office de « premier ministre » du shogun la fonction de « régent » (shikken) dont disposaient les Hōjō par le passé ne fut pas reprise. Elle fut remplacée par celle de kanrei, confiée de manière tournante à trois clans apparentés aux Ashikaga, les Hosokawa, les Shiba et les Hatakeyama. Yoshimitsu eut l'habitude de jouer des différentes factions divisant l'élite politique, changeant de ministre s'il le jugeait nécessaire, et il se rapprocha également de la cour impériale où il obtint plusieurs dignités et des nobles de cour (notamment le clan Hino dont il épousa une des filles, Nariko) peut-être dans l'ambition d'unifier les deux cours (shogunale et impériale) de Kyoto. Pour assurer l'autorité du shogunat sur le Kantō, terre d'origine des Ashikaga, pays des guerriers vu comme lointain et potentiellement turbulent depuis Kyoto, avait été créée en 1349 une sorte de « vice-shogun », le Kantō kubō, qui appartenait au clan Ashikaga. Son premier détenteur fut un fils de Takauji, Motouji, qui avait donné naissance à une branche secondaire du clan dans lequel la fonction se transmit, constituant une administration propre à Kamakura répliquant celle de Kyoto et ayant autorité sur l'est et le nord du pays (Kamakura-fu ou Kantō-fu) ; ils étaient assistés par un second, nommé shitsuji puis Kantō kanrei, choisi dans le clan Uesugi[13]. Sous le règne de Yoshimitsu, Ujimitsu puis son fils Mitsukane qui détenaient la charge de kubō du Kantō, se posèrent parfois en rivaux du pouvoir de Kyoto, disposant d'une large autonomie, mais n'osèrent pas se révolter. Les shugo reconnaissaient de leur côté l'autorité du shogun à qui ils devaient leur fonction et donc une bonne part de leur légitimité dans leur territoire, et ils avaient souvent dû tenir une résidence à Kyoto auprès du shogunat. Ils n'en restaient pas moins turbulents dans les provinces malgré la fin de la guerre civile, plusieurs conflits locaux déchirant des clans guerriers, mais sans menacer sérieusement l'autorité shogunale[14],[12].
En 1401, sûr de son pouvoir, Yoshimitsu restaura les relations officielles avec l'empire chinois des Ming en envoyant une délégation sur le continent, et l'année suivante il reçut en retour une ambassade chinoise qui lui reconnaissait le titre de « roi du Japon », ce qui fut sans nul doute un succès pour la légitimation de son pouvoir même si cela lui conférait un statut de vassal de la Chine[15]. Selon certains, il aurait même caressé l'idée de devenir empereur du Japon[16].
Après la mort de Yoshimitsu en 1408, son fils Yoshimochi exerça le pouvoir, infléchissant l'approche absolutiste de son père, son règne étant plutôt paisible, le seul incident majeur étant une révolte des clans du Nord contre les excès autoritaires du vice-shogun de Kamakura, Mochiuji, en 1417. En 1423 il se retira au profit de son fils Yoshikazu, mais celui-ci mourut deux années plus tard. Trois ans après (1428), Yoshimoshi décéda à son tour. Dans la foulée survint la première révolte paysanne d'envergure, celle de l'ère Shōchō, après de mauvaises récoltes, ce qui causa d'importants troubles dans le Kinai. Le nouveau shogun ne fut désigné qu'en 1429, par la procédure de tirage au sort : ce fut Yoshinori, fils de Yoshimitsu, qui avait été rappelé alors qu'il avait prononcé ses vœux bouddhistes. Ce personnage au tempérament autoritaire suscita contre lui un mécontentement grandissant. Sont ainsi imputés à ce shogun une série d'excès allant de la mise à mort injustifiée de vassaux à l'expulsion de tous les poulets de la capitale en 1433. Tout cela instaura un climat de tension au sommet du pouvoir. La situation s'aggrava à la suite de la répression brutale de la révolte du vice-shogun de Kamakura en 1439. Le kanrei et plusieurs shugo menacèrent de quitter la capitale après avoir brûlé leurs résidences en protestation contre l'autoritarisme croissant du shogun, qui pourtant ne modéra guère son mode de gouvernement. Ces tensions trouvèrent leur concrétisation en 1441, quand le shogun fut assassiné par un de ses vassaux, Akamatsu Mitsusuke, qui craignait d'être à son tour victime d'une condamnation à mort en raison de son implication dans des conflits provinciaux. Cet événement porta un coup très rude au prestige et à l'autorité du régime shogunal, qui s'enfonça dans un déclin irrémédiable dans les décennies suivantes[17].
La fin de l'autorité du shogunat
Akamatsu Mitsusuke fut rapidement vaincu par des troupes conduites par le clan Yamana qui récupéra les domaines du vaincu et devint ainsi une force majeure de la partie occidentale de Honshū. Mais les successeurs de Yoshinori, Yoshikatsu qui ne régna que deux années, puis Yoshimasa, plus porté vers la culture que la politique, ne parvinrent pas à rétablir leur autorité. Le clan Hino avec lequel les Ashikaga avaient poursuivi leurs alliances matrimoniales depuis l'époque de Yoshimitsu avait gagné en importance politique et économique, avec l'action de l'épouse du shogun, Hino Tomiko, et de son frère Katsumitsu, tandis que les chefs des plus puissants clans guerriers (Hosokawa, Yamana) ambitionnaient de profiter de l'affaiblissement du shogunat pour le placer sous leur coupe.
Ces conditions accélérèrent la fragmentation politique des provinces sous l'effet de diverses forces centrifuges, avant tout les shugo des provinces éloignées de Kyoto qui se souciaient de moins en moins du gouvernement central[18]. Ainsi dans le Kantō, l'échec de la révolte du vice-shogun en 1439 avait sonné le glas de l'influence de la branche des Ashikaga qui la détenait, qui passa sous la coupe des Uesugi (théoriquement chargés de la seconder), mais la scission de ce même clan en deux branches rivales divisa en retour les Ashikaga du Kantō et la fonction de vice-shogun après 1457. De toute manière les clans guerriers de l'Est ne respectaient plus l'autorité des vice-shoguns depuis plusieurs années déjà, et l'affaiblissement des Uesugi en raison de leurs rivalités internes accéléra la fragmentation politique de la région, où l'autorité du shogunat était perçue comme trop faible pour jouer un rôle stabilisateur[19].
Cette période vit également l'éclatement de plusieurs révoltes rurales, à la suite de celle de 1441 qui avait embrasé le Kinai contre les usuriers et spéculateurs (la rébellion de Kakitsu), forçant le shogunat à intervenir en réprimant certains des coupables et en promulguant un édit de rémission de dettes. Les ligues rurales insurrectionnelles se consolidèrent dans les années suivantes autour du groupe des guerriers locaux (jizamurai), étant particulièrement actives dans les années suivant la principale famine du XVe siècle, en 1460-1461, et constituèrent un facteur supplémentaire sapant l'autorité des représentants du pouvoir[20].
Cette situation déjà quelque peu chaotique s'aggrava à partir du milieu des années 1460 quand plusieurs conflits successoraux se joignirent pour faire exploser ce qui restait d'autorité centrale. D'un côté la cour shogunale était divisée entre deux prétendants à la succession de Yoshimasa, à la suite de la naissance en 1465 de son fils Yoshihisa dont la mère était sa très influente épouse Tomiko, alors qu'il avait auparavant nommé son frère Yoshimi comme héritier. Ailleurs le clan Shiba, dominant les provinces du Tōkai, et le clan Hatakeyama étaient plongés dans des rivalités entre branches. Et à cela s'ajoutait la lutte pour la domination du shogunat opposant les deux plus puissants chefs de clans de l'époque, Yamana Sōzen et Hosokawa Katsumoto, qui étaient prêts à prendre les armes pour prendre le dessus sur l'autre et soutinrent chacun un des prétendants des divers conflits précédents. Cela aboutit à la constitution de deux coalitions rivales mobilisant à l'échelle de l'archipel. Le déclenchement des hostilités survint en 1467, la guerre d'Ōnin, qui embrasa le Kinai et aboutit dès la première année à la destruction de la majeure partie de Kyoto. Les combats entre les deux factions devinrent rapidement sporadiques, surtout après la mort de maladie des deux chefs en 1473, et le conflit s'acheva en 1477 sans vainqueur, mais il avait porté un nouveau coup considérable à l'autorité du shogunat et même à celle des principaux shugo. En effet cette guerre constitua une opportunité pour plusieurs clans guerriers provinciaux secondaires qui étendirent leur influence locale en profitant de l'envoi des troupes de leurs seigneurs et/ou rivaux dans le Kinai, ce qui transporta rapidement les affrontements dans les provinces lorsque ceux dont les positions étaient menacées y revinrent pour les défendre[21].
L'âge des provinces en guerre
Au sortir de la guerre d'Ōnin la situation politique du Japon était plus tumultueuse que jamais, marquée par un éclatement politique et une militarisation sans précédent. Cette période est de ce fait nommée époque des « provinces en guerre », Sengoku (dénomination reprise de la période des Royaumes combattants de Chine), parce que l'archipel était alors divisé entre plusieurs entités politiques indépendantes impliquées dans des conflits récurrents. En raison de cette situation instable, la société fut traversée par d'importants mouvements de mobilité sociale et de tentatives d'affirmation politique concernant l'ensemble du spectre social : c'est ce que les contemporains avaient désigné par le terme gekokujō, « le bas l'emporte sur le haut »[22].
Après l'effondrement du pouvoir central, les daimyō avaient alors la voie libre pour affirmer leurs ambitions, ne plus accepter d'ordres du shogun et se rendre totalement indépendants. Ces personnages, que les historiens regroupent sous l'appellation de « sengoku-daimyō » et qualifient également de « seigneurs de la guerre », ont en fait des profils très divers de par leurs origines, témoignage des bouleversements sociaux de l'époque. Certaines familles de shugo ayant servi les Ashikaga préservèrent leur assise provinciale ou du moins une partie de celle-ci : les Ōuchi dans l'ouest jusqu'au milieu du XVIe siècle, les Imagawa et les Takeda dans l'est, les Shimazu et les Ōtomo à Kyūshū, mais les Shiba perdirent rapidement pied dans le Tōkai et les Hosokawa du Kinai et les Uesugi à l'est furent progressivement affaiblis par leurs anciens vassaux. Ils furent notamment concurrencés par leurs anciens shugo délégués : par exemple les Oda dans le Tōkai, les Amago dans l'ouest, les Nagao à l'est (clan de naissance de Uesugi Kenshin) ou au niveau inférieur par des petits barons locaux, les kokujin/kunishū, ainsi les Mōri et les Date qui devinrent puissants dans la seconde moitié du XVIe siècle. D'autres enfin provenaient des catégories basses du groupe guerrier et connurent donc une ascension sociale impressionnante : Hōjō Sōun dans le Kantō, Saitō Dōsan dans le Mino, plus tard Toyotomi Hideyoshi[23].
Les événements politiques et militaires de la période sont très houleux, marqués par des guerres récurrentes, de nombreuses trahisons et révoltes, voyant l'éradication totale de plusieurs clans, à l'exemple des Ōuchi qui furent anéantis en 1551 par un de leurs vassaux, Sue Harukata, alors qu'ils avaient jusqu'alors compté parmi les daimyō les plus puissants, leur héritage politique tombant finalement entre les mains d'un autre de leurs vassaux, les Mōri. De la même manière, la plupart des provinces du Japon furent partagées entre les domaines de divers seigneurs de la guerre qui y avaient constitué des États autonomes (les observateurs européens les désignaient d'ailleurs comme des « rois ») qu'ils dirigeaient avec leur clan et leurs vassaux guerriers. Dans les années 1560 les plus puissants étaient : dans le Tōkai Oda Nobunaga (après sa victoire contre Imagawa Yoshimoto en 1560) et dans une moindre mesure Tokugawa Ieyasu ; Takeda Shingen, Uesugi Kenshin et Hōjō Ujiyasu à l'est ; Mōri Motonari à l'ouest de Honshū ; Shimazu Takahisa et Ōtomo Sōrin à Kyūshū ; Chōsokabe Motochika sur Shikoku. Les entités politiques des seigneurs de la guerre s'étaient progressivement consolidées. Ils avaient mis en place leur propre législation, notamment leur propre fiscalité, cherchaient à contrôler plus étroitement leurs vassaux, et organisaient les ressources de leur territoire avant tout pour appuyer leurs ambitions militaires. Progressivement leurs armées mobilisèrent de plus en plus de troupes, qui étaient en permanence sur le pied de guerre, situation largement rendue possible par un essor démographique et économique qui fut à peine entamé par l'état de guerre permanent dans lequel était plongé l'archipel[24].
Dans le Kinai, le shogunat des Ashikaga sortit de la période de la guerre d'Ōnin en ayant perdu à peu près tout ce qui restait de son pouvoir. Après avoir assisté impuissant aux troubles d'Ōnin, Yoshihisa (1473-1489) fut le seul à tenter de renverser cette situation, sans succès, tandis que son père, le shogun retiré Yoshimasa, avait préféré s'éloigner des affaires politiques pour se consacrer à une vie paisible et entretenir une cour d'artistes dans sa retraite de Higashiyama. Leurs successeurs subirent de plein fouet les luttes de pouvoir qui ébranlèrent la capitale, puisqu'en dépit de leur perte de pouvoir effectif ils restaient symboliquement une source d'autorité non négligeable, ce qui incita plusieurs clans puissants à les faire passer sous leur coupe, aussi la fiction de l'existence du shogunat Ashikaga continua quelques décennies mais les détenteurs de la charge de shogun connurent tous des sorts misérables, étant destitués ou assassinés. Les kanrei du clan Hosokawa parvinrent dans un premier temps à placer le shogunat sous leur coupe, notamment après avoir renversé le shogun Yoshitane en 1493, mais ils perdirent à leur tour leur autorité politique face aux Miyoshi, leurs anciens vassaux[25].
La situation politique du Kinai fut donc très tourmentée puisqu'aucun seigneur de la guerre ne parvint à s'y imposer de manière durable avant les années 1570. Les organisations religieuses de la région consolidèrent leurs bases pour résister à la pression des seigneurs de la guerre, et également lutter contre les factions religieuses rivales. L'Enryaku-ji du Mont Hiei et le Negoro-ji du Mont Kōya restèrent ainsi des forces importantes, tandis que le Hongan-ji (ou Ikkō) connut une montée en puissance considérable. Le magistère de Rennyo (1415–1499) renforça son influence, avec la constitution de ligues de la secte (Ikkō-ikki), qui dominèrent la province de Kaga, puis installèrent des forteresses dans d'autres provinces (Nagashima, Mikawa). Ils prélevaient une taxe sur les croyants, s'assurant une base économique solide. À partir de 1532 le siège de la secte fut le Hongan-ji d'Ishiyama, grand temple fortifié, qui constituait une force politique et militaire capable de rivaliser avec les seigneurs de la guerre du Kinai[26]. Un autre type de ligue religieuse émergeant à cette période furent les ligues du Lotus (Hokke-ikki) qui furent actives à Kyoto dans les premières décennies du XVIe siècle[27]. Enfin, le phénomène d'éclatement politique du Kinai résulta aussi dans l'émergence de communautés urbaines plus autonomes que par le passé, dont l'exemple le plus éloquent est le port de Sakai, dirigée par ses marchands[28].
Dans les provinces des ligues-ikki renforcèrent en plusieurs endroits leur autonomie face aux seigneurs de la guerre. Les ligues d'hommes des provinces (kokujin-ikki) évoluèrent en présentant une assise territoriale plus marquée (on parle de kuni-ikki, « ligues provinciales »), notamment en se rapprochant des populations rurales, puisqu'elles intégrèrent aussi des élites villageoises armées, les jizamurai et encadrèrent parfois des protestations rurales. Elles continuèrent à organiser l'opposition aux shugo dans plusieurs provinces à partir de l'époque des guerres d'Ōnin[29]. Une de ces ligues organisa la révolte de la province de Yamashiro qui parvint à évincer de cette province les membres du clan Hatakeyama qui s'y affrontaient depuis de longues années dans des guerres claniques, constituant une commune provinciale (sōkoku), qui dirigea de manière autonome la province de 1486 à 1493[30]. Une organisation similaire domina le district d'Iga au XVIe siècle[31]. Dans la province de Kaga, les ligues Ikkō jouèrent un rôle similaire, administrant la province de 1488 à 1574 après en avoir évincé le gouverneur local[32].
La fin du shogunat des Ashikaga et la réunification
Dans les années 1560, un mouvement de concentration politique fut amorcé par un seigneur de la guerre originaire de l'Owari, Oda Nobunaga, qui, après son triomphe contre les Imagawa, imposa progressivement son autorité dans le Tōkai puis à partir de 1568, dans le Kinai, où il fut appelé par le shogun, impliqué dans des querelles successorales. Il soumit dans les années qui suivirent les daimyō locaux, et commença également à mettre au pas les grands temples et les communes provinciales autonomes. Bien décidé à abattre l'ordre ancien, il destitua en 1573 le shogun Yoshiaki, dernier des Ashikaga a disposer de ce titre, rendant effective la fin du shogunat bien après l'effondrement de son influence politique[33]. Cette date marque selon l'historiographie la fin de l'époque de Muromachi. S'ouvrait alors la période Azuchi-Momoyama (1573-1603) qui vit la conclusion de l'âge des conflits et de la division politique. En effet, le Japon des années 1570 resté divisé politiquement, bien que Nobunaga en contrôlât un bon tiers. En une vingtaine d'années, Oda Nobunaga puis son successeur Toyotomi Hideyoshi soumirent ou éliminèrent les daimyō, temples et communes provinciales restés indépendants. Le pays fut donc progressivement pacifié, réunifié, et des institutions centralisatrices furent constituées. Mais aucun des deux ne parvint à mettre en place une dynastie. Ce fut Tokugawa Ieyasu qui parvint à cela, récupérant l'héritage politique de ses deux prédécesseurs et réinstaurant le régime shogunal à partir de 1603, année qui marqua le début de l'époque d'Edo (1603-1868)[34].