L'Ami commun
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L'Ami commun (en anglais Our Mutual Friend), quatorzième et dernier roman achevé de Charles Dickens, a été publié par Chapman & Hall en vingt épisodes de feuilleton — comptant pour dix-neuf — en 1864 et 1865, avec des illustrations de Marcus Stone, puis en deux volumes en février et , enfin en un seul la même année. Situé dans le présent, il offre une description panoramique de la société anglaise, la troisième après La Maison d'Âpre-Vent et La Petite Dorrit. En cela, il se rapproche beaucoup plus de ces deux romans que de ses prédécesseurs immédiats, Le Conte de deux cités et Les Grandes Espérances.
L'Ami commun | ||||||||
Jaquette du quatrième numéro (août 1854) | ||||||||
Auteur | Charles Dickens | |||||||
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Pays | Angleterre | |||||||
Genre | Roman psychologique et social | |||||||
Version originale | ||||||||
Langue | Anglais | |||||||
Éditeur | Chapman & Hall | |||||||
Lieu de parution | Londres | |||||||
Version française | ||||||||
Traducteur | Henriette Loreau sous la direction de Paul Lorain. | |||||||
Éditeur | Librairie Hachette et compagnie | |||||||
Lieu de parution | Paris | |||||||
Date de parution | 1885 | |||||||
Type de média | Imprimer | |||||||
Illustrateur | Marcus Stone | |||||||
Chronologie | ||||||||
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Charles Dickens s'emploie à dénoncer la superficialité d'une société fissurée en divisions de classes, corrompue par l'avidité du gain, l'incompétence du pouvoir, le gaspillage de la vie urbaine vouée au matérialisme et les relations prédatrices qu'entretiennent entre eux les êtres humains. Pour symboliser la déréliction de ce monde en décomposition, il utilise les décharges londoniennes, amoncellements de déchets déversés pêle-mêle (dust heaps), le cours du fleuve charriant des cadavres, les oiseaux de proie humains détroussant les morts et fouillant sans relâche dans les ordures. Ainsi, il associe une satire mordante à un réalisme noir, un fond traditionnel de fantastique et de contes de fée à une mise en garde contre les périls montants et propose en antidote les valeurs morales qu'assurent la bonne volonté et un altruisme bien orienté.
L'intrigue présente une certaine originalité par la cohérence, voire le raffinement de sa complexité. De plus, malgré la surabondance de cadavres, testaments et complots, Dickens abonde en scènes humoristiques où fraîcheur d'observation et verve se déploient non sans audace. Considérant en effet qu'une voix unifiée ne saurait à elle seule représenter la fragmentation de la société moderne et rendre compte de l'instabilité du monde qu'elle génère, l'auteur donne à son narrateur, pourtant moins présent que dans beaucoup de ses romans, une amplitude de ton encore jamais atteinte, tour à tour ironique et désinvolte, sérieux et comique, solennel et léger.
L'Ami commun est aujourd'hui reconnu comme l'un des chefs-d'œuvre de la dernière manière de Dickens. Quoique moins courtisé par les adaptateurs que certains des ouvrages précédents, le roman a inspiré plusieurs réalisateurs de cinéma ou de télévision, et même le poète T. S. Eliot ou encore le chanteur Paul McCartney.
La gestation de L'Ami commun s'est avérée longue et frustrante[1] ; hormis Barnaby Rudge, aucun autre roman de Dickens n'a eu autant de mal à décoller[2]. Lorsqu'il commence à paraître en livraisons mensuelles en , il y a une quasi-décennie que Dickens ne publie plus en feuilleton, le dernier, La Petite Dorrit, datant de 1855-1857. L'intervalle a été occupé par des œuvres plus courtes, destinées à une parution hebdomadaire dans la revue All the Year Round et exigeant de ce fait une discipline tout autre que celle des romans plus ambitieux. Enfin, distrait de sa tâche par ses tournées de lecture publique et ses activités journalistiques, affaibli par la maladie, tourmenté par sa liaison avec Ellen Ternan[2], et même si l'idée en avait germé bien plus tôt, Dickens a du mal à se mettre à l'ouvrage. En deux ans, il n'a écrit que cinq épisodes[3] : la fraîcheur improvisatrice de la jeunesse semblait l'avoir quitté. Moins d'élans de l'imagination, de digressions, d'histoires dans l'histoire – désormais, tout se doit d'être préparé, planifié ; pas une page qui ne soit en rapport direct avec le thème principal[2].
Gestation
Entre 1860 et 1861, Dickens choisit son titre et discute avec John Forster de quelques idées figurant dans son Book of Memoranda (mems). Elles concernent d'abord plusieurs noms figurant dans le roman (Podsnap, Lightwood, Riderhood, Wegg, Boffin, Headstone, Twemlow et Wilfer), puis l'intrigue qui se prépare[1] : un homme[N 1] « se faisant passer pour mort, et bel et bien mort pour ce qui est extérieur à lui-même ; un pauvre imposteur épousant une femme pour son argent, et elle l'épousant pour son argent, tous les deux se rendant compte de leur erreur après la célébration, et signant une sorte de pacte contre la gent humaine en général ; chacun d'eux étant en relation avec des gens flambant neuf [sic] et un père sans instruction en futaine avec un garçon à lunettes instruit [sic][4],[5] ».
Au cours des années qui suivent, les lettres de Dickens deviennent une longue litanie de malheurs et de soucis[1] ; il n'arrive pas à entrer dans l'histoire, puis, une fois ce premier pas franchi, il éprouve les plus grandes difficultés à poursuivre : en , il écrit à Forster : « Hélas ! Je n'ai rien trouvé pour mon histoire ; j'essaie sans cesse, mais cette petite maison[N 2] semble avoir étouffé et obscurci mon imagination[6]. » Six mois plus tard, il confie, toujours à Forster : « Je doute fort pouvoir sortir un livre au forceps[7]. » En 1863, il se lamente auprès de Wilkie Collins : « Je pense toujours à écrire un long livre, mais n'arriverai jamais à me mettre à la tâche[8]. » Octobre arrive et il n'a, explique-t-il à Forster, toujours pas commencé, encore qu'il voie l'incipit avec beaucoup de netteté ; il lui faudrait cinq numéros sous la main avant publication, « sinon, je risque encore de dériver et d'avoir à subir à nouveau les mêmes affres[9] ».
Enfin, le , il annonce à Wilkie Collins qu'il a fini les deux premiers et s'est mis au troisième : « C'est un mélange de drôlerie et de romanesque qui exige beaucoup d'efforts et d'élagage de certains points qui, pourtant, pourraient être amplifiés ; mais enfin, j'espère que ça sera très bon [sic][10]. » ; ce qui ne l'empêche pas de récriminer deux mois plus tard contre sa lenteur à écrire[11].
Affres des feuilletons
La parution en feuilleton débute en , mais une année plus tard, Dickens se dit au bord de l'effondrement[1]. C'est que l'accident ferroviaire de Staplehurst l'a beaucoup contrarié : le train le ramenant de France avec Ellen Ternan et sa mère déraille le ; les huit premiers wagons basculent dans la rivière Beult, en contrebas d'un petit viaduc sans rambardes, et de nombreux passagers restent coincés dans les compartiments[12] ; Dickens, qui a pris place dans le premier wagon, réussit à s'extirper par la fenêtre et à dégager ses accompagnatrices, mais l'accident se solde par dix morts et quarante blessés[13],[14]. Lorsque L'Ami commun sera publié, une postface ironique dévoilera au public que, le manuscrit du dernier épisode étant resté dans son manteau, Dickens se rappela soudain les feuillets au bout de trois heures, se hissa dans le wagon à l'oblique et réussit à les récupérer[15],[16].
« Enchaîné par la jambe à [s]on livre[17] » et « travaillant comme un dragon[18],[19] », il annonce le que L'Ami commun est enfin achevé[20],[21].
L'Ami commun a été illustré par Marcus Stone, fils d'un voisin cher à Dickens, Frank Stone, mort en 1859. Dickens avait pris ce jeune homme sous son aile, le traitait comme l'un des membres de la famille[22] et lui confiait du travail d'illustration[21]. Marcus Stone[N 3],[23] avait ainsi déjà réalisé le frontispice de l'édition « bon marché » de La Petite Dorrit et huit estampes pour l'édition « de bibliothèque » des Grandes espérances, et Dickens appréciait qu'il se démarquât de la tradition des caricatures à la Hogarth qu'avaient adoptée aussi bien Cruikshank que Hablot Browne[21]. Ses personnages affirment leur présence avec un plus grand réalisme, mais, selon Jane Rabb Cohen[N 4], les gravures n'en demeurent pas moins « ornementales plutôt qu'intégrales[24] ».
Dickens a trouvé la jaquette (wrapper) excellente, mais a fait plusieurs suggestions concernant ses détails : le mot Our devait apparaître en aussi gros que le reste du titre et Boffin, tout en paraissant bizarre, rester sympathique, avec un visage « drôle sans être horrible[25] ». Cependant, il autorisa quelques libertés à Stone, par exemple de quel côté Wegg devait avoir sa jambe de bois[26]. Parfois, ses exigences ont été très précises, par exemple sur l'attitude de Boffin sur le frontispice[27],[28].
Dans l'ensemble, même si Dickens ne s'intéressait que de loin à ces estampes[28], la collaboration entre les deux hommes ne s'est jamais relâchée et « le résultat s'est avéré fort judicieux[29] ». D'ailleurs, c'est Stone qui emmena Dickens visiter l'établissement d'un taxidermiste, un certain Mr Willis[30], ce qui lui inspira le personnage de Mr Venus[31].
L'Ami commun est dédié à un vieil ami de Dickens et de Forster, l'Irlandais James Emerson Tennent, voyageur et homme politique, ancien gouverneur de Ceylan.
Circonstances
Le , Dickens écrit à Chapman & Hall pour lui proposer la moitié des droits relevant de la publication en feuilleton moyennant 6 000 £[21] ; les termes sont acceptés et le contrat est signé le 21[32], l'éditeur se réservant d'annuler l'accord pour un éventuel défaut à la fin de 1864 et de recevoir des compensations en cas de décès[33]. Dickens s'assure la part belle, car si Chapman & Hall risque l'avance sans garantie, lui reçoit d'emblée 6 000 £, s'offre la moitié des bénéfices mensuels et, après la première édition en volumes, la totalité de ceux de toutes les éditions à venir[33].
Les manuscrits du roman et des notes de travail que Dickens a donnés à E. S. Dallas pour le remercier de son compte rendu élogieux[34], sont déposés à la Pierpont Morgan Library, alors que les épreuves corrigées offertes à Marcus Stone sont hébergées par la Berg Collection[21].
La publication en feuilleton s'est étendue de à ; celle en deux volumes date de février et . Tauchnitz a sorti une édition en quatre volumes à Leipzig de 1864 à 1865 et le Harper's New Monthly Magazine de New York a diffusé le roman en feuilleton de à . Une traduction allemande de Mary Scott a été publiée en cinq volumes dès 1864 et 1865. Enfin, l'édition « bon marché » et celle dite « de bibliothèque » ont paru en 1867, tandis que l'édition appelée « Dickens » a pris le relais en 1868[21].
Calendrier des publications en feuilleton
Première partie : ENTRE LA COUPE ET LES LÈVRES
- I – (chapitres 1–4)
- II – (chapitres 5–7)
- III – (chapitres 8–10)
- IV – (chapitres 11–13)
- V – (chapitres 14–17)
Deuxième partie : GENS DE MÊME FARINE
- VI – (chapitres 1–3)
- VII – (chapitres 4–6)
- VIII – (chapitres 7–10)
- IX – (chapitres 11–13)
- X – (chapitres 14–16)
Troisième partie : LONG DÉTOUR
- XI – (chapitres 1–4)
- XII – (chapitres 5–7)
- XIII – (chapitres 8–10)
- XIV – (chapitres 11–14)
- XV – (chapitres 15–17)
Quatrième partie : PIÈGES ET TRAPPES
- XVI – (chapitres 1–4)
- XVII – (chapitres 5–7)
- XVIII – (chapitres 8–11)
- XIX-XX – (chapitres 12–17 [Dernier chapitre])[35].
- Henry James par John Singer Sargent (1913).
- Ibsen, déjà âgé.
- T. S. Eliot en 1934.
Les premières ventes dépassent celles jamais atteintes par les romans précédents et Dickens jubile : « Il n'y a rien de mieux que Notre ami, déjà à 30 000, avec une flopée de commandes[36] ». Puis le flot se ralentit et tombe à 19 000 lors du dernier épisode. Si l'auteur empoche 12 000 £, l'éditeur enregistre un déficit de 700 £[37].
Les comptes rendus restent mitigés : même John Forster écrit que le roman « pèche par manque de fraîcheur et de développements naturels[38] ». Le jeune Henry James le déclare le « plus mauvais roman de Dickens […], tarabiscoté et artificiel […], un livre d'une rare intensité, mais mal conçu, mal assimilé et mal ressenti[39] » ; il y faudrait, ajoute-t-il, de la « philosophie »[38]. En revanche, Henry Chorley vante « sa richesse et sa cohérence[40] ».
La critique moderne se montre bien plus unanimement positive : nombre de commentateurs, en particulier marxistes[38], y voient une grande œuvre sociale à l'égal de La Maison d'Âpre-Vent, La Petite Dorrit et Les Grandes Espérances. Jack Lindsay écrit en 1950 qu'il s'agit d'« une œuvre suprême […] l'une des plus grandes jamais composées en prose, justifiant pleinement que Dickens ait droit, plus que tout autre écrivain anglais, à siéger aux côtés de Shakespeare[41] ». D'autres s'intéressent à sa structure, dont Arnold Kettle qui souligne sa « profondeur et la cohérence artistiques[42] ». Quant à Angus Wilson, il écrit qu'il y a là un roman d'avant-garde ayant exercé une influence notable, par exemple sur Henrik Ibsen pour Une maison de poupée et T. S. Eliot dans La Terre vaine (voir Divers), d'abord intitulée d'après la description que fait Betty Higden de Sloppy[43],[44].
À la différence des deux précédents romans, Le Conte de deux cités, qui narre des péripéties de la Révolution française, et Les Grandes espérances qui se déroule dans les années 1820[45], Dickens situe L'Ami commun dans le présent, « de nos jours[46] » (In our times). Ce choix est dû à sa volonté de dénoncer les maux de la société moderne, mais aussi de mieux répondre aux exigences du public, désormais avide de décors contemporains, en particulier urbains, et fasciné par le nouveau genre du roman à sensation avec intrigues bourrées de mystère, d'identités camouflées ou perdues, de testaments cachés, sans compter la corruption des beaux quartiers et une bonne dose de violence, tels que les lui offrait Wilkie Collins avec La Femme en blanc, publié dans All the Year Round[47]. Pour autant, tout en se pliant au goût littéraire de ses lecteurs, Dickens n'était pas disposé à se limiter à une formule générique[45].
Résumé
- Gaffer Hexam et sa fille Lizzie à la recherche de corps sur la Tamise (Marcus Stone).
- Collision sociale : Charley et Headstone au cabinet de Lightwood et Wrayburn, exigeant de ce dernier qu'il renonce à Lizzie (Marcus Stone).
- Lizzie attend son père tandis que Lightwood et Wrayburn le cherchent avec un inspecteur de police pour le meurtre de Harmon (Marcus Stone).
- Silas Wegg, épiant l'hôtel particulier des Boffin (Marcus Stone).
- Mr et Mrs Lammle contrariés, marchant séparément sur la plage de Shanklin, île de Wight (Marcus Stone).
Un riche misanthrope brouillé avec le monde entier à l'exception de ses fidèles employés, Mr et Mrs Boffin, meurt après avoir fait fortune en exploitant les décharges de Londres (dustheaps). Son testament stipule que sa fortune est transmise à son fils, John Harmon, qu'il ne voit plus, mais à condition qu'il revienne du lointain étranger où il s'est établi – sans doute l'Afrique du Sud[N 5] –, pour la recevoir. Cette disposition est assortie d'une autre clause : Harmon doit épouser une jeune femme qu'il ne connaît pas, Miss Bella Wilfer. Mortimer Lightwood, notaire réputé indolent et qui a la particularité de ne pas avoir d'autres clients, est désigné comme exécuteur testamentaire.
L'héritier présomptif ne se présente pas, non seulement disparu mais présumé mort par noyade à l'issue de son voyage à Londres. En effet, un corps est repêché dans la Tamise par Gaffer Hexam qui, avant de les remettre aux autorités compétentes, dépouille les cadavres dérivant au gré des courants, et les poches du noyé livrent des documents l'identifiant bien comme John Harmon. Un mystérieux jeune homme, disant s'appeler Julius Handford, assiste à l'identification officielle puis disparaît.
Puisque l'héritier fait défaut, la fortune revient à Mr et Mrs Boffin, gens plutôt naïfs et confiants, qui entendent utiliser cette manne pour se faire plaisir et procurer un peu de bonheur autour d'eux. Pour commencer, ils prennent chez eux la fiancée désignée, Bella Wilfer, déçue de la tournure des événements, et la gâtent comme si elle était leur propre fille, tout en l'assurant qu'elle héritera de leurs biens le jour venu. Ils acceptent aussi l'offre de Julius Handford, qui se présente désormais sous le nom de John Rokesmith, de leur servir de secrétaire privé et conseiller en affaires à titre gracieux. Le but secret de Rokesmith est d'observer et de recueillir un maximum de renseignements sur les Boffin et Miss Wilfer, et aussi sur leurs réactions à la nouvelle de la mort de l'héritier. Enfin, Mr Boffin loue les services d'un chanteur de ballades unijambiste, Silas Wegg, qu'il charge de lui faire la lecture. Wegg a bien l'intention de profiter de l'aubaine et d'en tirer le plus d'avantages possible. Très vite, il persuade le brave homme de déménager dans une somptueuse demeure et s'installe dans son ancienne résidence dont la cour contient plusieurs décharges où il espère trouver des trésors cachés.
Pour se venger d'avoir été remercié comme associé et aussi dans l'espoir d'empocher la récompense offerte par les autorités, Roger « Rogue » Riderhood accuse Gaffer Hexam du meurtre de John Harmon dont il a repêché le corps. Hexam est alors mis en quarantaine par ses collègues et exclu de la taverne The Six Jolly Fellowship-Porters (« Les six joyeux compagnons de la guilde des portiers ») où se retrouvent les hommes vivant de la rivière. Encouragé par sa sœur Lizzie, Charley Hexam, qui désire malgré l'opposition paternelle devenir maître d'école, quitte le domicile familial.
Survient un tragique événement : avant que Riderhood ne reçoive la récompense promise à la suite de ses fausses allégations, Hexam est à son tour retrouvé noyé dans la Tamise. Lizzie déménage alors chez une couturière pour poupées, une toute jeune infirme surnommée Jenny Wren, vivant avec un père alcoolique qu'elle traite comme son enfant. Elle a été remarquée par Eugene Wrayburn, avocat ayant tout du gentleman, alors qu'il accompagnait son collègue et ami Mortimer Lightwood pendant l'interrogatoire de Gaffer. Cet intérêt se transforme bientôt en un profond sentiment qui éveille la jalousie de Bradley Headstone, le maître de Charley. Ce dernier, prenant le parti de son maître, exige de sa sœur qu'elle bénéficie elle aussi de son enseignement. Headstone découvre que Wrayburn a engagé les services d'un nouveau tuteur, ce qui exacerbe sa passion. Il demande la main de Lizzie qui la lui refuse, puis, exaspéré par les façons cavalières de Wrayburn, il le prend en filature dans les rues de Londres. Quant à Lizzie, peu sûre des intentions de Wrayburn, elle s'éloigne de ses deux prétendants et trouve un emploi en amont du fleuve, hors les murs de la capitale.
Mr et Mrs Boffin voudraient adopter l'orphelin dont s'occupe sa grand-mère, Betty Higden, mais le petit garçon meurt avant que les formalités ne soient terminées. Cette Mrs Higden gagne sa vie en prenant soin de jeunes enfants dans sa minding school (« crèche privée »), aidée en cette tâche par un enfant trouvé, Sloppy, maintenant adolescent dégingandé. Mrs Higden redoute l'hospice jusqu'à l'obsession, entendant à tout prix gagner sa vie par elle-même, et lorsque le petit orphelin décède, elle prend la route et survit en faisant de menus travaux de couture. Un jour, Lizzie Hexam la trouve à l'agonie, et elle meurt dans ses bras après avoir reçu la promesse qu'elle ne serait pas placée à l'hospice[N 6],[48]. C'est à cette triste occasion que Lizzie fait la connaissance des Boffin et de Bella Wilfer.
Eugene Wrayburn, ayant obtenu du père de Jenny les renseignements qu'il recherchait sur Lizzie Hexam, a pu retrouver celle qui est désormais devenue l'objet de son affection. Bradley Headstone essaie lui aussi de la localiser en se conciliant l'assistance de Riderhood devenu éclusier. Un jour, suivant Wrayburn sur les rives de la Tamise, il le voit en compagnie de Lizzie. Il se jette sur lui et s'ensuit une violente lutte qui se finit dans le fleuve. Eugene est laissé pour mort et Bradley disparaît. In extremis, Lizzie retire la victime des eaux. Convaincu que sa fin est proche, Wrayburn épouse Lizzie pour préserver sa réputation, mais, ayant survécu à ses épreuves, il acquiert la certitude que celles-ci l'ont conduit à un mariage heureux avec une personne pourtant de statut inférieur au sien. Lizzie reste consciente qu'un abîme social les sépare et que, sans les circonstances exceptionnelles de cette aventure, elle n'aurait sans doute pas consenti à l'union.
Rokesmith s'est épris de Bella Wilfer qui ne peut se résoudre à l'accepter, car elle a déjà proclamé qu'elle ne se mariera que pour l'argent. Or Mr Boffin a changé, corrompu, semble-t-il, par sa nouvelle richesse, sa générosité muée en avarice et sa bienveillance en dureté. Il traite son secrétaire avec mépris et même cruauté, comportement qui éveille en Bella des sentiments de compassion. Elle prend ouvertement la défense du jeune homme, surtout lorsque Boffin le renvoie pour avoir osé prétendre à sa main. Le couple passe outre et s'unit sans son consentement, vivant dans une semi-pauvreté mais sans nuages, et bientôt Bella donne naissance à un enfant.
Mais voici qu'advient un nouveau rebondissement : Bradley Headstone accuse Rogue Riderhood de l'attaque perpétrée contre Wrayburn, car il avait pris soin lors de son forfait de porter les mêmes vêtements que lui. Riderhood n'est pas dupe et profite de l'occasion pour exercer un chantage sur son ancien associé. Headstone est aux abois ; la nouvelle que sa victime a survécu et épousé Lizzie suscite en lui une irrésistible pulsion d'autodestruction et il finit par se jeter dans l'écluse en entraînant Riderhood dans sa noyade.
Le lecteur est peu à peu parvenu à l'idée que John Rokesmith est l'héritier présumé mort, John Harmon en personne. D'ailleurs, le secrétaire, marié et heureux, jette sa défroque aux orties et se révèle pour ce qu'il est[N 7]. Tout s'éclaire désormais pour le mieux, car Mr Boffin a joué à l'avare et maltraité son secrétaire pour mettre Bella à l'épreuve.
Avec l'aide du taxidermiste articulateur de squelette Mr Venus, Silas Wegg fouille les décharges de sa cour et découvre un testament postérieur à celui octroyant l'héritage aux Boffin, désormais légué à la Couronne. Il tente de faire chanter Mr Boffin en brandissant le testament exhumé, mais ce dernier abat une nouvelle carte, un document encore plus récent qui lui attribue bel et bien la fortune, aux dépens même du jeune John Harmon. Tout finira bien, car le couple Boffin a déjà pris la décision de faire de John et Bella ses héritiers. Silas Wegg est châtié pour son forfait et il revient à Sloppy de le charrier hors des murs de la ville. Sloppy devient un excellent ami de Jenny Wren dont le père alcoolique est mort.
Une intrigue secondaire concerne le couple Lammle qu'un malentendu sur leur richesse respective a uni, mais quand la vérité se dévoile, c'est-à-dire que l'un est aussi pauvre que l'autre, loin de s'en vouloir, les mariés conjuguent leurs efforts pour mieux escroquer leurs futures victimes. Comme agent d'exécution de leur plan, ils utilisent les services de Fledgeby qu'ils envoient à l'assaut de l'héritière Podsnap, puis de Bella Wilfer. Fledgeby camoufle ses forfaits sous le couvert du bon Mr Riah, ce vieux juif toujours prêt à venir en aide à qui en a besoin. Les manigances du trio d'escrocs ne sont pas sans conséquences, au moins temporairement, car Mr Riah se brouille avec Jenny Wren qu'il a pourtant prise sous son aile. Cependant, les usurpateurs sont démasqués et, même si, en une dernière ruade, Lammle s'emploie à rosser Fledgeby qu'il rend responsable de ses malheurs, le couple véreux se voit forcé de quitter l'Angleterre.
Ainsi, comme souvent chez Dickens, la justice immanente a prévalu, les méchants ont perdu la partie et seuls restent des couples heureux qu'unit l'amour et non l'appât du gain. Demeure cependant l'arrogance des gens de pouvoir, les derniers à s'exprimer dans le roman, comme si rien ne pouvait jamais changer les vices inhérents à la société.
(Résumé en partie dû à Margaret Drabble[49], Paul Davis[50] et au résumé en ligne de Humanities 360[51].)
Recensement
L'adaptation télévisuelle de la BBC2 a nécessité en 1998 presque cinquante acteurs pour incarner les personnages de L'Ami commun[52]. C'est dire quelle faune disparate habite et anime le roman, des bas-fonds jusqu'au sommet de la hiérarchie sociale. Deux personnages féminins dominent le roman, Lizzie Hexam et Bella Wilfer, auxquelles se joignent deux héros masculins, John Harmon et Eugene Wrayburn. Ce quatuor constitue le noyau de l'intrigue autour duquel se mettent progressivement en orbite des amoureux, des excentriques, des escrocs, des voleurs, des criminels et d'autres, bons ou niais, humbles ou arrogants, pauvres ou riches, chacun drainant avec lui ses propres satellites[52].
Personnages principaux
- John Harmon, gentleman au teint basané, 30 ans au plus, visage avenant, sans grande distinction dans ses façons d'être, très réservé, méfiant, troublé. Héritier de la fortune amassée par son père à la condition qu'il épouse Bella Wilfer qu'il n'a jamais vue, présumé mort pendant la majeure partie du roman, il vit sous de fausses identités, la dernière étant John Rokesmith. Employé comme secrétaire par les Boffin, il essaie d'apprendre à connaître Bella et aussi de se faire une idée de l'opinion générale sur la « mort » de Harmon.
- Bella Wilfer, jeune fille d'environ 19 ans, pleine d'humour et de charme, au visage pétillant de beauté mais arborant aussi le masque de l'impatience qu'accentue un geste caractéristique des épaules. Sa famille représente l'humble respectabilité des faubourgs peu argentés. Or Bella déteste la pauvreté et aspire à la richesse, espoir que la nouvelle du décès de John Harmon réduit à néant. Elle rejette une première proposition de mariage de Rokesmith, puis, mûrie par son amour grandissant pour lui, accepte de l'épouser. D'abord décrite comme « une jeune femme intéressée avec pas plus de personnalité qu'un canari[53] », elle change radicalement au cours du roman et, sevrée du cancer de l'avidité, défie sans ciller le mépris des snobs mondains qui jugent son union socialement inacceptable. En tant que personnage de femme, elle est souvent louée pour sa vivacité et aussi sa vraisemblance[54], et apparaît bien moins statique que nombre d'autres héroïnes créées par Dickens. Sa relation quasi maternelle avec son père, son « chérubin » qu'elle traite comme un petit enfant, constitue un puissant contraste avec les rapports tendus et houleux qu'elle entretient avec sa mère[54].
- Nicodemus (Noddy) Boffin, rembourré, rond des épaules, à manteau purée de pois et grosse canne, chapeau à large bord, chaussures épaisses, guêtres elles aussi épaisses et gants de même facture : en somme, résume le narrateur, une stature de rhinocéros. Soudain catapulté de la classe inférieure à celle des nouveaux-riches, il devient « L'Éboueur d'or » (« The Golden Dustman »). Illettré, il aspire à rejoindre l'élite des gens de bien et, à cette fin, loue les services de Silas Wegg, chargé de lui faire la lecture pour lui donner de bonnes manières. Très vite cependant, il se conduit de façon si convaincante en pingre hautain et méchant que le lecteur, comme son entourage, se trouve berné, car, vers la fin du roman, il s'avère qu'il a joué la comédie de l'avarice pour prouver par l'exemple à Bella les dangers de la richesse. Il n'en demeure pas moins que son innocence, sa curiosité naïve et son désir sincère de se cultiver s'opposent à « sa performance très sophistiquée dans le rôle de l'avare[54] », si bien que les critiques se demandent si cette attitude avait vraiment été prévue par Dickens[55]. Malgré ces réserves, Boffin offre une « saine fraîcheur qui s'oppose à la morgue sclérosée des « vrais riches »[55] ». Le personnage aurait été inspiré à Dickens par un certain Henry Dodd d'Islington, qui, à l'origine garçon de ferme, finit par devenir entrepreneur de décharges et, avec les ordures de la capitale, accumula une immense fortune[56].
- Mrs Henrietta Boffin, épouse de Noddy. Personne enrobée, vêtue, au grand amusement de Silas Wegg, d'une logue robe de soirée échancrée et d'un immense chapeau de velours à plume, toujours enjouée, rieuse et tapant des mains de plaisir. Son premier souci est de persuader son mari d'adopter un jeune orphelin, puis, à sa mort prématurée, d'accueillir Bella Wilfer. Le rôle joué par Mrs Boffin témoigne d'une « évolution chez Dickens qui confie de plus en plus à ses personnages féminins un rôle actif dans la réforme sociale. C'est elle qui comprend en premier que Rokesmith n'est autre que Harmon, autre raison pour que son mari joue les avares[57] ».
- Lizzy Hexam, fille de Gaffer Hexam et sœur aînée de Charley Hexam. Jeune fille d'environ 19 ou 20 ans, d'une beauté étincelante, elle se languit de ne pouvoir, par devoir filial, quitter Limehouse, la maison de son père au bord de la Tamise. Affectueuse envers les siens, elle est convaincue que Charley doit échapper aux conditions de leur vie familiale pour trouver la réussite. C'est pourquoi elle lui donne de l'argent et l'aide à partir étudier chez Bradley Headstone. Objet des attentions de ce maître d'école et aussi d'Eugene Wrayburn, elle craint la violence amoureuse du premier et penche secrètement pour le second, lui-même sous le charme. Consciente de leur différence de statut social, elle finit par l'épouser après l'avoir sauvé d'une tentative d'assassinat perpétrée par Headstone. Lizzie représente le pivot moral de toute l'histoire, de loin « le meilleur de tous les personnages, presque entièrement dépourvue d'égo […] avec une puissance d'abnégation à peine plus crédible que, considérant ses origines, l'élégance de son discours[54] ». Aussi mérite-t-elle plus que tout autre la récompense qui lui échoit, le bonheur avec Eugene.
- Charley Hexam, fils de Jesse « Gaffer » Hexam et frère cadet de Lizzie. S'il se montre d'abord affectueux envers sa sœur, il s'écarte ensuite d'elle par honte de sa pauvreté. Sous la férule de Headstone, il reçoit une bonne instruction le conduisant à des fonctions de maître d'école. Dickens l'utilise surtout pour critiquer le système éducatif réservé aux pauvres[58], et aussi pour dénoncer « la corruption morale des parvenus qui les conduit à s'éloigner de leurs proches au nom de leur réussite[57] ».
- Mortimer Lightwood, homme de loi, connaissance des Veneering et ami d'Eugene Wrayburn. C'est par lui que les lecteurs, comme les autres personnages, apprennent l'existence du testament du vieux Harmon. En cela, il assume le rôle de « raconteur »[54]. Il ressent une véritable amitié envers Wrayburn, éprouve du respect pour Twemlow, mais sous le masque d'une ironie parfois sarcastique[54]. Comme Lightwood, il sert de commentateur et « représente en partie la voix de la conscience[55] ».
- Eugene Wrayburn, avocat n'ayant jamais plaidé, gentleman de naissance, à la fois charismatique et indolent, sombre et arrogant[59]. Il est capable de passion, comme lors de sa confrontation avec Bradley Headstone, devenant ainsi partie d'une triade qu'il forme avec celui-ci et Lizzie[59]. Comme Harmon/Rokesmith, il « renaît » après le violent incident du fleuve[59] et retrouve, surtout après avoir épousé Lizzie, « ses valeurs morales de vrai gentleman[60] ».
- Jenny Wren, de son vrai nom Fanny Cleaver, couturière pour poupées chez qui réside Lizzie après la mort de son père. C'est une infirme au dos brisé qui, comme Bella qui couve le sien, s'occupe de son père alcoolique, « [s]on mauvais garçon » (my bad boy). Plus tard, elle prend soin d'Eugene alors qu'il se remet de l'attaque de Headstone. Vers la fin du roman, elle semble entamer une liaison avec Sloppy, qui devrait se terminer par un mariage. Bien que ses manières affectées lui confèrent une certaine étrangeté[54], Dickens l'a dotée d'une intuition sans faille, percevant par exemple les intentions de Wrayburn envers Lizzie. D'après Hawes, elle joue le double rôle de « créateur » et d'« ange gardien », et ses marottes plutôt gentilles à propos « des fleurs, du chant des oiseaux, du nombre des élus, des enfants vêtus de blanc » témoignent de la faculté de son esprit à se hisser au-dessus de l'adversité[55]
- Mr Riah, juif prêteur sur gages au grand cœur, qui vient en aide à Lizzie Hexam et Jenny Wren. Il aurait été créé à l'opposé du Fagin d'Oliver Twist pour corriger l'accusation d'antisémitisme faite à Dickens, en particulier par Mrs Eliza Davis[61].
- Bradley Headstone, l'un des plus énigmatiques personnages dickensiens. Garçon quasi indigent, il a réussi à devenir maître d'école pour les pauvres et, à ce titre, celui de Charlie Hexam. Tout en lui paraît « décent », son impeccable manteau noir, sa chemise blanche immaculée, son gilet et sa cravate, son pantalon poivre et sel, sa montre d'argent. Beau jeune homme ténébreux d'environ 26 ans, il ne peut qu'attirer la sympathie et recevoir l'approbation générale. Mais, repoussé par Lizzie qui lui préfère Eugene, il ressent une violente jalousie et finit par le traquer le soir tombé comme un « animal sauvage mal apprivoisé » pour surprendre ses rendez-vous et le tuer. Headstone est souvent décrit comme souffrant d'une double personnalité, à la fois « douloureusement respectable et en proie à une jalousie pathologique[62] ». Cette dichotomie trouve peut-être son explication dans ce que Collins appelle « l'insécurité intellectuelle »[62], et Romano insiste sur le comportement quasi « mécanique du personnage diurne[54] », si bien qu'il « ressortit plus à la catégorie des cas psychologiques qu'à celle des personnages de polars[62] ».
- Silas Wegg, l'homme à la jambe de bois vendeur de ballades (patterer)[N 8],[63] et « parasite social[60] », dont Boffin loue les services pour apprendre à lire, mais qui tente de le faire chanter après que Venus et lui ont trouvé le testament de Harmon dans une décharge. Son ambition suprême est de racheter sa jambe perdue que Mr Venus garde sur ses étagères, façon « de se compléter[59] ». Dickens l'a doté d'un réel sens de l'humour, ce qui peut paraître assez contradictoire avec sa vilenie.
- Mr Venus, taxidermiste et « articulateur de squelettes », amoureux de Pleasant Riderhood qu'il finit par épouser. Il rencontre Silas Wegg après avoir acquis la jambe convoitée et fait semblant de devenir son complice dans le chantage exercé sur les Boffin tout en les tenant informés. Selon Romano, Mr Venus aurait été campé d'après un certain J. Wilis, mais son obsession le renvoie « parmi les plus loufoques et les moins réalistes des personnages de Dickens[54] ».
- Mr Alfred Lammle. Il forme avec Sophronia Lammle un couple mutuellement berné sur la fortune de chacun, avant de se souder à travers un pacte consistant à se faire des relations facilement exploitables et à flatter celles-ci pour mieux leur soutirer de l'argent.
- Mrs Sophronia Lammle, appelée « la jeune femme responsable » au cours des premiers chapitres. D'abord décrite comme tout à fait respectable, elle s'avère ensuite froide, avide et manipulatrice, si bien que le lecteur se rend compte assez tard que les compliments du début étaient ironiques. Sophronia manigance pour unir Georgiana Podsnap à son complice Fledgeby, mais finit par trouver le chemin de la repentance avant que le projet ne soit réalisé.
- Georgiana Podsnap, fille de Mr et Mrs Podsnap, timide, naïve et confiante, qui accepte la cour de Fledgeby et n'est sauvée de sa malveillance que par le soudain revirement de sa mère.
- Mr Fledgeby, appelé Fascination Fledgeby. Corrompu et dénué de scrupules, il est propriétaire de l'affaire gérée par Mr Riah qui lui sert de paravent. Il amasse une fortune grâce à une spéculation véreuse et apparaît comme l'opposé du « vieux juif » qu'il exploite. D'après Sidney Dark, il sert surtout à montrer qu'« un juif peut être d'une extrême gentillesse et un chrétien d'une extrême cruauté[64] ». Modelant sa conduite au gré des circonstances pour servir au mieux ses intérêts, il reste l'un des grands villains (« méchants ») de Dickens.
- Roger « Rogue » Riderhood, associé de Gaffer Hexam qui le chasse après sa condamnation pour vol. Pour se venger et obtenir la prime offerte par la police, il dénonce Gaffer comme l'assassin de John Harmon. Plus tard, Riderhood devient éclusier et, cette fois, c'est Headstone qui tente de l'impliquer dans la tentative de meurtre perpétrée contre Eugene Wrayburn. Riderhood s'efforce alors de le faire chanter, mais leurs relations se terminent par une lutte sur les rives de la Tamise dans laquelle sombrent les deux hommes. Romano juge qu'il incarne « littéralement une irrémédiable vilenie[54] ».
- Reginald Wilfer, père de Bella Wilfer, doux, aimable et naïf jusqu'à l'innocence, quoique entouré d'une épouse et d'une fille d'humeur plutôt querelleuse et soumis aux tâches ingrates dévolues à un commis de bureau. Dickens se plaît à le décrire en enfant et à le faire appeler « le Chérubin ». Arthur A. Adrian écrit que l'exceptionnelle affection liant ce père à sa fille fait écho à la douloureuse rupture survenue entre Dickens et Katey, après qu'elle s'est mariée contre la volonté paternelle[65].
Personnages secondaires
- Découverte du corps de Gaffer Hexam (Marcus Stone).
- Pleasant Riderhood à la maison (Marcus Stone).
- Miss Abbey se refuse à servir un homme de la rivière qu'elle juge « louche » (Marcus Stone).
- Jenny Wren grondant son père, Mr Dolls (Marcus Stone).
- Mr Inspector, officier de police qui témoigne lors de plusieurs événements importants comme l'identification du corps sorti de la rivière ou l'incarcération de Gaffer Hexam, et quand le vrai John Harmon est enfin désigné par son nom[55]. Imperturbable, « omnicompétent », alliant la fermeté à la bonne humeur, il se coule à merveille dans différents rôles[62]. Cependant, son autorité ne suffit pas à faire régner la loi, ce qui laisse un arrière-goût de méfiance envers le système judiciaire.
- Mr John Podsnap, membre de la classe moyenne supérieure, caractérisé par sa solennité, sa suffisance et son chauvinisme. Il aurait été inspiré par John Forster, mais Dickens s'est défendu de cette allégation en précisant que, même s'il en avait copié certains tics, en aucun cas son personnage ne lui ressemblait[66]. Podsnap joue le rôle de porte-parole de sa classe, comme en témoigne son rejet méprisant du mariage entre Eugene Wrayburn et Lizzie Hexam[60].
- Mrs Podsnap, femme de John Podsnap. Elle partage les mêmes préjugés sociaux que son mari, mais reste quelque peu effacée. Elle représente le type même de l'épouse appartenant à sa classe et est ironiquement décrite comme « une grande dame » (a great lady)[60].
- Mrs Wilfer, mère de Bella, jamais satisfaite. Son arrogance se manifeste particulièrement envers les Boffin qu'elle écrase de sa suffisance, et aussi lors du retour de Bella et de Rokesmith après leur mariage. Son avidité et son perpétuel mécontentement s'opposent à la bonté et l'humilité de son mari auquel elle porte une tenace animosité.
- Lavinia Wilfer, petite sœur de Bella, fiancée à George Thomson. Elle parle beaucoup et a du caractère, si bien qu'elle est la seule à pouvoir défier sa mère par une audacieuse dérision. Alors que Bella réussit à dominer son avidité, Lavinia persiste dans sa rancœur envers son statut social.
- George Sampson, soupirant de Lavinia après avoir été celui de sa sœur aînée. Dickens l'utilise à deux fins : insérer des moments de relâche amusante et créer un contraste entre ses déboires amoureux et la relation idyllique qu'entretiennent Bella et Rokesmith.
- Mr Melvin Twemlow, col raide et cravate à l'ancienne le désignant comme représentant d'un monde archaïque, ami des Veneering, réputé avoir de l'entregent, par exemple auprès d'un cousin par sa mère, Lord Snigsworth. Mrs Lammle lui confie ses projets de mariage entre sa fille Georgiana et Fledgeby dont Twemlow est le débiteur. Bien que décrit initialement comme ressemblant à la table d'apparat des Veneering lors de leur grand dîner, il n'en est pas moins capable de penser par lui-même et non sans sagesse, comme il le montre lors de la conversation du dernier chapitre, où il réagit en vrai gentleman aux critiques et moqueries déversées sur le mariage de Wrayburn avec Lizzie[54].
- Mrs Betty Higden, gardienne d'enfants au grand cœur. Elle accueille chez elle et soigne les petits déshérités, dont son arrière-petit-fils orphelin que les Boffin désirent adopter. Âgée et sans grandes ressources, elle est rongée par la crainte de mourir à l'hospice. Lorsqu'elle sent ses forces décliner, elle s'enfuit dans la campagne et s'éteint dans les bras de Lizzie Hexam. Par son intermédiaire, Dickens dénonce une fois de plus les situations tragiques auxquelles les pauvres sont constamment confrontés et l'urgence d'une réforme de leur statut.
- Johnny, arrière-petit-fils de Betty Higden. Il meurt à l'hôpital des enfants malades avant son adoption. Sa mort donne à Dickens l'occasion d'une scène d'un pathos appuyé, et aussi d'une expression ayant fait fortune, The Bloofer Lady.
- Sloppy, enfant trouvé au corps difforme dont s'occupe Betty. Il est décrit comme plongé dans un état d'innocence perpétuelle, mais devient un excellent ébéniste. C'est lui qui charrie Silas Wegg hors les murs à la fin du roman et, bien que certains critiques ne voient là qu'astuce littéraire consistant à unir deux handicapés, Dickens lui offre la promesse d'une belle histoire d'amour avec Jenny Wren[55].
- Jesse Gaffer Hexam, père de Lizzie et Charley, détrousseur de cadavres dérivant sur la Tamise. À tort dénoncé par Rogue Riderhood comme coupable du meurtre de John Harmon, il est arrêté puis retrouvé sans vie dans son bateau. Son refus que Charley aille à l'école avait incité Lizzie à soustraire son frère au milieu familial. Gaffer avait renié son fils, mais Dickens semble avoir voulu montrer que, non dénué de sagesse, il aurait deviné que Charley, une fois instruit, suivrait de mauvais chemins.
- Pleasant Riderhood, fille de Rogue Riderhood. Elle travaille dans un mont-de-piété tout en prenant soin de son brutal de père comme s'il était son enfant, ce qui perpétue le thème dickensien des filles se sacrifiant pour leur père, qu'il le mérite ou non[67],[68]. Vers la fin du roman, elle épouse Mr Venus.
- Mr et Mrs Veneering, couple de nouveaux riches dont la préoccupation majeure est de grimper dans l'échelle sociale. À leur table se pressent leurs nombreux invités réputés d'influence, qu'ils attirent en arborant leurs biens et leurs relations comme autant de bijoux.
- Miss Abbey Potterson, tenancière de l'auberge des Six Jolly Fellowship Porters (« Joyeuse confrérie des Six-Portefaix »[69]) qu'elle garde méticuleusement propre et sur laquelle elle règne sans partage, ne donnant à ses clients que ce qu'elle juge raisonnable. Dickens la relie au thème de l'éducation et, en cela, lui donne des allures de maîtresse d'école[70].
- Miss Peecher, maîtresse d'école éprise de Bradley Headstone. D'après John Romano, c'est un personnage « bienveillant et inoffensif […] croyant naïvement à l'aspect extérieur des choses et des gens, comme en témoigne son inébranlable foi en ce criminel en puissance qui se donne des airs de bonté[54] ».
- Mr Dolls, père alcoolique de Jenny Wren, dont elle s'occupe avec dévouement tout en le houspillant parfois rudement. D'après Adrian et Slater, Dickens reprend ici le thème, récurrent chez lui, des filles infantilisant leur père pour mieux les protéger[67],[68]. Les personnages qui l'approchent ne connaissent pas son vrai nom et l'appellent Mr Dolls, mais, comme sa fille se nomme Fanny Cleaver, il est vraisemblable qu'il est en réalité Mr Cleaver.