Petit Trianon
Domaine dans le parc du château de Versailles / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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Le Petit Trianon est un domaine du parc du château de Versailles, dans les Yvelines, en France, comportant un château entouré de jardins de styles variés.
Dans les prairies et les bosquets à l'est du Grand Trianon, Louis XV, à l'instigation de Madame de Pompadour, confie en 1750 à Claude Richard, assisté dix ans plus tard de Bernard de Jussieu, l'aménagement d'un « jardin de plantes » qui traduit son intérêt passionné pour les expériences botaniques. L'architecte Gabriel l'agrémente d'un jardin à la française et d'une ménagerie pour animaux ordinaires, à l'inverse de la proche Ménagerie royale, plus exotique, de Louis XIV. Il édifie aussi au milieu des allées de verdure deux fabriques d'agrément et de détente, le Pavillon français et le Salon frais.
En 1762, le Roi demande à son Premier architecte de construire un château d'un genre nouveau, qui dispense une vue sur les différents jardins. Reconnu comme un chef-d'œuvre d'architecture du néo-classicisme naissant, cet édifice de plan carré, simple et épuré, aux quatre façades décorées de l'ordre corinthien, conjugue les talents de Gabriel, du sculpteur Guibert et de décorateurs qui apportent à l'intérieur le dernier goût, plus raffiné que riche, dans lequel une place privilégiée est réservée à la nature et à l'atmosphère champêtre. Le rez-de-chaussée est dédié au service, l'« étage noble » comprend les pièces de réception avec trois salles entresolées à l'usage de la Reine et l'attique est formé des « appartements des seigneurs ». La comtesse Du Barry, qui succède comme favorite de Louis XV à la marquise de Pompadour, inaugure le château en 1769.
À la mort de son grand-père, Louis XVI offre le Petit Trianon à sa jeune épouse Marie-Antoinette, qui crée un univers personnel et intime, loin des fastes de la cour. Elle fait élever un théâtre de société, puis sacrifie la botanique et fait aménager un jardin à l'anglaise, en contraste avec la monotonie du reste du parc. Richard Mique érige plusieurs fabriques, entre 1777 et 1782, dans les contours d'allées et d'une rivière sinueuses : un temple dédié à l'Amour, un « jardin alpin » avec son belvédère et un jeu de bagues. Dans un style plus rustique, un hameau d'agrément vient compléter l'ensemble, selon l'inspiration rousseauiste du peintre Hubert Robert.
Trianon est la partie du domaine de Versailles qui souffre le plus de la Révolution française, le château est vidé de son mobilier avant d'être aménagé en auberge, les jardins sont transformés en bal public, les fabriques du parc sont pillées ou laissées à l'abandon.
Le domaine tire son nom de l'ancien village de Trianon, acquis en 1668 par Louis XIV avec le projet de l'inclure dans le parc du château de Versailles. En parallèle avec le Trianon de marbre, construit en 1687, le lieu a d'abord été appelé la Ménagerie de Trianon ou l'Ermitage de Trianon, avant que la coutume ne lui attribue son nom définitif de Petit Trianon, en 1759[c 1].
Du potager au jardin botanique
Dès 1749, sous l'impulsion de sa favorite Madame de Pompadour qui entend le soustraire de sa sujétion à l'ennui, Louis XV crée un nouveau lieu de plaisir à Trianon. Dans cette perspective, et inspiré par la doctrine du docteur Quesnay[b 1], il fait installer un petit potager avec des serres permettant de cultiver des espèces jusqu'alors inconnues et d'expérimenter de nouvelles méthodes[b 2]. Le Roi apprécie le Trianon d'Hardouin-Mansart, même s'il commence à s'y ennuyer, malgré les nouveaux aménagements qui y sont entrepris dès 1747 pour redonner au lieu le caractère d'intimité de cette « petite fantaisie de campagne » qui existait du temps de son illustre arrière-grand-père Louis XIV[n 1]. On utilise, pour ne pas s'en éloigner, le terrain qui fait face, au nord-est, une vaste prairie traversée par quelques allées et plantée de bosquets d'arbres, en deçà du bois des Onze-Arpents[note 1]. Une pépinière existe alors en cet endroit[note 2],[o 1], aménagée entre 1693 et 1730 pour fleurir les jardins de Trianon[1], à côté de quelques logements, de deux glacières[c 2],[note 3] et du bassin du Trèfle, réservoir creusé au XVIIe siècle pour alimenter les jeux d'eau de Trianon[2].
Le Roi fait édifier par son Premier architecte Ange-Jacques Gabriel une nouvelle « ménagerie », qui abrite des animaux de basse-cour et comprend une étable, une bergerie et une laiterie[b 1]. Il fait aussi restaurer les deux glacières de Louis XIV et édifier la maison du jardinier Richard[1]. Le mur d'enceinte construit en 1668 lors de l'annexion du village de Trianon est démoli en cet endroit[3].
Pour agrémenter les environs de la ménagerie, Gabriel entreprend, vers 1750, la création d'un petit jardin à la française au sud de celle-ci, nommé durant une dizaine d'années « Nouveau Jardin du Roi[g 1] ». Les deux axes perpendiculaires sont décorés de quatre bassins ornés de statues d'enfants. Il fait aussi construire deux nouveaux bâtiments : le Pavillon français, pour les jeux, les collations ou les concerts intimes, et le Salon frais, dont l'unique pièce sert de salle à manger d'été. Les bosquets sont réalisés et entretenus par Jean-Baptiste Belleville[4], le jardinier du Grand Trianon[c 3]. Un portique de treillage, ouvrage de Langelin et sur lequel doivent s'enrouler des plantes grimpantes, est monté à la bordure orientale du potager, en guise d'entrée[o 2],[note 4].
Durant près de dix ans, le jardin fruitier et potager est en permanente évolution, selon les intérêts du Roi, qui fait appel dès 1750 à Claude Richard dont il a admiré le talent à Saint-Germain[c 5], un élève de Lemonnier[5] qui lui a été recommandé par le duc de Noailles[1]. On y fait pousser des plantes étrangères encore peu connues[note 5] comme l'ananas[i 1], le café, l'abricot, la cerise, la prune ou la pêche[i 2]. Une figuerie est installée à proximité du Pavillon frais[c 6] et, pour conserver tout son charme aux promenades, on garnit les bords des allées de petits orangers en pots de fer[c 3],[i 2]. Le Roi apprécie de se promener dans ce jardin et d'en goûter ou d'en offrir les fruits[6] ; les fraises, dont Antoine Nicolas Duchesne cultive toutes les sortes existant en Europe pour permettre de multiples greffons, deviennent d'ailleurs l'une des fiertés de Louis XV[c 7],[k 1].
En 1759, le Roi décide de joindre à ses potagers un jardin botanique dont il confie la destinée à Bernard de Jussieu, qui a acquis au Jardin royal des plantes médicinales (l'actuel jardin des plantes de Paris) une grande renommée parmi les naturalistes de son temps[c 8] et qui, sous la direction de Claude Richard, enrichit considérablement la collection, offrant une quinzaine d'années plus tard près de quatre mille variétés de plantes[b 2],[note 6]. On agrandit alors le jardin fleuriste, qui a été créé au côté du potager et qui fournit déjà, au gré des saisons, cierges, aloès, géraniums, jonquilles ou siliquastrum[c 9]. Le précédent jardin potager est détruit et remplacé par des parterres de fleurs et des serres, chaudes ou sans feu, qui s'étendent à l'avant de la maison du jardinier et à l'est du domaine[note 7]. On rapporte des expéditions lointaines des plantes exotiques dont la culture est expérimentée dans le jardin, des tulipiers de Virginie, des végétaux de l'île Rodrigue, de Cayenne[note 8], de Chine ou des Indes, mais aussi des espèces d'Espagne, du Portugal, de Gibraltar et d'Afrique du Nord[c 12],[k 2]. Des reines-marguerites, apportées de Chine et améliorées par Claude Richard, sont plantées en référence à Marguerite de Provence, auquel le Roi souhaite rendre hommage[s 1],[note 9]. On y étudie aussi le blé, afin d'en découvrir des espèces capables de mieux résister aux maladies, de produire plusieurs récoltes annuelles et d'ainsi lutter contre la famine[8],[i 3].
En plus d'être pour le Roi un passe-temps et une fantaisie apparemment futiles, le jardin de Louis XV devient la plus grande collection botanique d'Europe. Joyau vanté dans toutes les cours et loué par tous les milieux scientifiques, c'est un véritable laboratoire d'expérimentation.
Le château intime de deux favorites
Afin de réduire les allées et venues avec le château de Versailles et de préserver l'intimité de sa favorite Madame de Pompadour, Louis XV envisage dès 1758 la construction d'un petit château à proximité des nouveaux jardins. Le projet initial prévoit de supprimer le bâtiment des officiers et d'agrandir le jardinet adjacent, mais l'on s'en tient finalement à déplacer volières et poulaillers près de la vacherie et à remodeler les potagers en bosquets[c 13]. Le portique de treillage est démonté et le jardin botanique est transféré sur de nouvelles terres plus à l'est[c 10] pour permettre d'ériger, à cet endroit, la nouvelle construction. Une partie des collections potagères de Richard est aussi réimplantée sur de vastes terrains situés au nord du bassin du Trèfle[c 14].
Le chantier, confié à Ange-Jacques Gabriel, dure six ans, de 1762 à 1768, retardé par la guerre de Sept Ans[f 1]. De forme carrée de « douze toises sur chaque côté »[g 3],[note 10], le nouvel édifice possède quatre façades différentes, mais qui ont en commun de comprendre chacune cinq croisées. Son architecture est emblématique de la nouvelle inspiration tournée vers l'antique et l'influence « à la grecque » des sculptures d'Honoré Guibert[note 11], beau-frère du peintre Vernet[g 4] et auteur de l'ensemble des sculptures du château[9], apporte une finition d'exécution qui le fait alors qualifier de « chef-d'œuvre »[a 2]. Un jeu subtil de perrons permet de rattraper les différences de niveau[9] et la forte déclivité du terrain d'ouest en est autorise la création d'un rez-de-chaussée accessible sur deux côtés[a 3].
Le coût total s'élève à 736 056 livres, dont près d'un tiers pour les seules menuiseries[c 14]. Le marquis de Marigny[note 12], directeur des Bâtiments du Roi, commande en 1768 à quatorze peintres les toiles qui doivent orner les murs ou les dessus-de-porte et dont les thèmes, inventés par Charles-Nicolas Cochin, sont approuvés par le Roi[10]. Presque tous ces artistes sont issus de la dernière génération de ceux de Louis XIV, Marigny ayant souhaité maintenir une certaine tradition classique rompant avec le style rocaille, dans la lignée de son oncle et prédécesseur à cette fonction, Le Normant de Tournehem[n 2].
Mais Madame de Pompadour, à qui est destiné le château, meurt le 15 avril 1764, sans pouvoir assister à l'achèvement de son œuvre. C'est donc avec sa nouvelle favorite, Madame Du Barry, que Louis XV inaugure le Petit Trianon en 1768[i 4]. Ce n'est cependant que le 9 septembre 1770 qu'il couche pour la première fois dans le nouvel édifice[h 1]. Le Grand Trianon devient dès lors en grande partie abandonné au bénéfice de ce nouveau château sur lequel se concentrent tous les regards[l 1].
Dès 1767, il est projeté d'installer une chapelle dans le Petit Trianon. Cependant, les bagatelles du roi de France dans le domaine lui font quelque peu oublier son projet, que les restrictions budgétaires ne participent pas à ranimer[o 3]. Le 15 novembre 1772, par souci de l'étiquette, il donne finalement l'ordre d'exécuter la construction, qui est réalisée en moins d'une année[c 15]. Cachée entre les communs et les arbres, son architecture extérieure est simple et seuls le clocheton et le toit mansardé se laissent entrevoir. C'est la dernière réalisation de Gabriel pour Louis XV à Trianon, achevée un an avant la mort du Roi.
La mode évoluant au gré des fantaisies, le jardin, élégant, frais et soigné, est le dernier des jardins français[c 16], pour lesquels un besoin de dompter la nature est prétexte à des dessins d'architecture, traçant une symétrie parfaite, mais monotone. D'un côté du château, on aperçoit de longues allées de tilleuls, de larges pelouses marquées de cabinets fleuris. D'un autre, le jardin botanique révèle ses parterres réguliers de plantes rares. Du troisième, on a vue sur la cour entourée de charmilles et, par un ha-ha, sur les bosquets artificiels du Grand parc. Mais à ce formalisme déclinant succède un nouveau concept, venu d'Angleterre où les immenses espaces ne permettent pas une parfaite maîtrise de la nature[c 16], basé sur une approche « naturelle et pittoresque »[b 3]. L'inspiration vient aussi de Chine, même si « la fantaisie voire la sauvagerie de ses jardins est encore bien trop exotique »[b 3]. D'ailleurs, de la façade septentrionale du petit château, on aperçoit au loin quelques chemins sinueux contournant des bosquets sauvages, timide introduction à la mode nouvelle qui domine la décennie prochaine.
Le domaine privé de Marie-Antoinette
Lorsque Louis XV meurt en 1774, d'une maladie dont il a ressenti les premières atteintes au Petit Trianon[c 17], la comtesse Du Barry doit quitter le domaine. Dès son avènement, Louis XVI, sur les conseils du comte de Noailles, offre le château à sa femme Marie-Antoinette par cette formule, rapportée par l'abbé Baudeau[11] : « Vous aimez les fleurs, Madame, j'ai un bouquet à vous offrir. C'est le Petit Trianon ». Si d'autres témoins rapportent différemment la scène en ces termes : « Madame, ces beaux lieux ont toujours été le séjour des favorites des rois, conséquemment ils doivent être le vôtre »[12], on peut néanmoins douter de l'authenticité des propos soi-disant historiques et rapportés après coup, connaissant le mépris qu'avaient les dauphins pour madame Du Barry[c 18]. Quoi qu'il en soit, la jeune reine est enchantée du cadeau, ayant déjà montré auparavant son désir d'avoir une « maison de campagne à elle »[c 18],[note 13], son « Élysée » — comme la Julie de Rousseau — afin de pouvoir s'affranchir des contraintes de la cour et se distraire de ce monotone horizon du parc de Versailles[c 19].
Marie-Antoinette pend la crémaillère de sa nouvelle possession le , en compagnie de madame Clotilde, la comtesse et le comte de Provence et celle et celui d'Artois[c 20] et son royal époux qui, peu de temps après, lui remet la clef du domaine sertie de 531 diamants, exécutée par le serrurier François Brochois et l'orfèvre-joaillier Michel Maillard[14],[f 2],[note 14]. Elle ne changera que peu de choses de l'intérieur de cette résidence[h 2] et le mobilier de 1789 est à peu près celui qui s'y trouvait à la mort de Louis XV[h 3] : « Tout fut conservé sans exception et la reine couchait dans un lit très fané et qui avait même servi à la comtesse du Barry », écrit madame Campan dans ses Mémoires[16], non sans exagération ; des remeublements sont en fait peu à peu ordonnés par la Reine, surtout à partir de 1787, et sont confiés à Bonnefoy du Plan, son garde-meuble, aussi concierge du Petit Trianon[17]. Durant quinze ans, elle façonne aussi par petites touches le lieu selon son désir, intégrant de nouveaux décors ou transformant certaines pièces, comme le « cabinet des glaces mouvantes » ou la bibliothèque, des aménagements dirigés par Richard Mique, le nouveau Premier architecte[18].
Surtout, succombant à la mode du jour d'un paysage irrégulier et pittoresque, romantique et imprévu[h 4], la Reine souhaite un jardin dans le nouveau style « anglo-chinois » à la place du Jardin botanique de Louis XV. L'architecte Gabriel en dresse un premier plan, en juillet 1774, qui ne convainc pas[c 21]. Elle demande un projet à Antoine Richard, fils de Claude et jardinier de Trianon[c 22],[c 23]. Compliqué, besogneux, peu élégant et sans grâce, ce projet n'est pas non plus retenu[19], car son auteur apparaît meilleur jardinier que paysagiste et, surtout, son désir de préserver les serres du jardin botanique qu'il a créé avec son père ne concorde pas avec les vœux de la Reine d'un jardin « à la mode »[b 4]. En outre, la Reine rejette les extravagances dont on peut parfois lui prêter le goût, préférant le bucolique à l'illusion[b 5].
Le comte de Caraman, recommandé par la princesse de Beauvau, puis Richard Mique dessinent un jardin à l'anglaise, dans lequel ils dispersent des fabriques à caractère sauvage. Ils installent ainsi un lac, une petite montagne, des rochers et une grotte tapissée de fausse verdure pour le repos de Marie-Antoinette. Le très savant jardin botanique de Claude Richard est alors détruit, mais nombre de pièces sont sauvées par son fils Antoine, qui les confie au comte de Buffon, directeur des Nouveaux jardins du Roi, à Paris. On le remplace provisoirement durant l'année 1775 par des arbres et du gazon[c 24] en même temps que l'on commence le creusement de la rivière et la création de la « grande île »[c 25].
Entre-temps, la Reine commande une nouvelle fantaisie, toujours à la mode chinoise : un jeu de bague, comme il en existe à Monceau ou à Marly[c 25]. Il est monté dans le courant de l'année 1776 par l'ingénieur Perrier, le serrurier Roche et le charpentier Taboureux, tous des Menus-Plaisirs[f 3], les sculptures étant exécutées par Augustin Bocciardi[j 1]. La lutte d'influence entre Mique et d'Angiviller atteint alors son paroxysme. Le premier, en tant que Premier architecte du roi ayant remplacé Gabriel, devrait dépendre du second, directeur des Bâtiments du Roi, successeur de l'abbé Terray ; or, la création par Marie-Antoinette du titre d'Intendant des Bâtiments de la Reine complique les relations entre les deux hommes[c 26], mais accorde à Mique une plus grande autonomie au sein de Trianon[20]. C'est donc lui qui termine le jeu de bague au début de l'année 1777, malgré les difficultés des entrepreneurs à se faire payer de leur travail, dont le coût total est évalué à plus de 78 000 livres, pour un devis initial de 17 000[20].
Le , Richard Mique propose à Marie-Antoinette son projet finalisé d'aménagement du jardin. Elle en écarte l'ermitage à cloche, le parc de moutons à la chinoise, le salon de colonnes d'eau jaillissante et la fausse ruine[c 27]. Les autres fabriques sont confirmées, la réalisation de maquettes est engagée et les travaux de terrassement se poursuivent. Le coût est estimé à 300 000 livres, ce qui provoque des tensions entre Mique, l'architecte, le comte d'Angiviller, l'ordonnateur des bâtiments du roi, et Necker, le directeur du Trésor[c 28], auxquelles seul le Roi parvient à mettre un terme[h 5].
La création du Grand rocher se prolonge sur plusieurs années, une butte est destinée au belvédère, une autre est plantée de peupliers d'Italie, marronniers, sapins et marsaults, que l'on prend dans les forêts du Roi[c 29]. Le « Jardin alpin » qui est en train de naître rappelle à la Reine les décors de son enfance et participe à modifier le regard que l'on porte jusqu'alors sur les paysages de montagne[b 6], car, là encore, on constate l'influence de Rousseau : « le terrain étaloit les charmes d'un séjour riant et champêtre ; quelques ruisseaux filtroient à travers les rochers, et rouloient sur la verdure en filets de cristal ; la terre humide et fraîche étoit couverte d'herbes et de fleurs[21]. » On fait appel au peintre Hubert Robert pour exécuter une série de dessins préparatoires[b 4] et pas moins de quatorze maquettes sont présentées à la Reine pour la seule disposition du rocher et de son pont rustique[h 6].
C'est aussi Robert, aidé de Deschamps pour les modèles, qui réalise les ébauches de la première fabrique du Jardin anglais : le Temple de l'Amour[b 7], « sommet de la perfection et du bon goût », selon le prince de Ligne[b 8]. Ces maquettes de diverses tailles, qui permettent d'éviter les erreurs et d'avoir une meilleure estimation du résultat final, sont exécutées comme de véritables œuvres d'art[b 7]. Pour son enchantement, les fenêtres de Marie-Antoinette s'ouvrent sur ce temple, érigé au milieu de la grande île en juillet 1778. Pour en décorer le centre, on préfère au projet d'une statue de Cupidon enfant proposé par Deschamps une œuvre similaire de Bouchardon, déjà réalisée depuis 1746, et qui correspond parfaitement au thème du lieu[c 30]. L'île est garnie de fleurs et plantée de « pommiers-paradis et rosiers pelote-de-neige » qui prodiguent des effluves parfumés[c 31].
Déjà sous Louis XV le théâtre occupe une place prépondérante dans les divertissements de Trianon. Marie-Antoinette, lorsqu'elle reçoit le domaine, doit se contenter, pour ses spectacles, de scènes provisoires montées d'abord dans la galerie du Grand Trianon puis dans l'orangerie[c 32] du Petit Trianon. En 1777, elle charge l'architecte Richard Mique de lui édifier un théâtre. Après deux années de travaux, débutés en juin 1778, pour un coût avoisinant les 200 000 livres, la salle est inaugurée le [c 32]. L'extérieur n'offre aucun caractère, car il est destiné à être caché par le Jardin alpin, d'un côté, et le Jardin français, de l'autre ; seule la porte donne matière à décoration par le sculpteur Joseph Deschamps, encadrée par deux colonnes ioniques portant un fronton orné, en tympan, d'un génie d'Apollon[c 33]. Durant cinq ans, la Reine se produit elle-même sur la scène, au sein d'une petite troupe rassemblant ses intimes, ou assiste aux représentations des acteurs des Comédies française et italienne.
Durant quinze années, le domaine appartient en propre à Marie-Antoinette, elle y est chez elle, rejetant les étiquettes de Versailles et établissant les usages de l'intimité[i 5], et donne des ordres « de par la Reine », ce qui paraît paradoxal dans un pays régi par la loi salique[i 6]. Sa marque personnelle est partout visible, mais elle construit pour son plaisir immédiat et non pour l'éternité[22]. C'est aussi le lieu où l'on donne des fêtes restées célèbres : conséquemment, ce sont elles qui galvanisent l'opinion du peuple, l'excès de ces divertissements entraîne l'exagération dans leur impopularité, on n'hésite pas à évoquer la destruction d'une forêt entière pour des fagots brûlés, à supposer l'hébergement d'amours illicites voire à accuser la Reine d'avoir soustrait une portion de terre à la France[23]. Mais elles sont en réalité moins fréquentes que les rumeurs ne le propagent, en raison de leur coût élevé que le financement de la guerre d'Amérique ne permet plus[24]. Pourtant, c'est bien ce fossé réel entre les difficultés du peuple et la vie insouciante et dispendieuse de Marie-Antoinette dans son domaine du Petit Trianon, qui alimente la rumeur, l'invention outrancière et la calomnie absurde, qui, elles-mêmes, contribuent à forger l'opinion de la Révolution[i 7].
Les vicissitudes de la Révolution
Le , Marie-Antoinette se trouve dans ses jardins du Petit Trianon, près de la grotte, lorsqu'un page vient la prévenir de l'arrivée imminente d'une foule armée aux grilles du château de Versailles[25]. Dès le départ de la famille royale, Trianon est quasiment laissé à l'abandon, aux seules mains du personnel qui continue d'y loger. Les travaux sont interrompus, laissant aux prestataires un demi-million de livres d'impayés[26]. Très attaché au domaine, l'ancien jardinier de la Reine, Antoine Richard, est nommé conservateur du jardin et des pépinières de Trianon en 1792[c 34] par le ministre de l'Intérieur Roland. Après la chute définitive de la monarchie en 1792, la plus grande partie du mobilier et des objets du Petit Trianon est réunie à celui du domaine de Versailles et livré à l'encan, sur décret de la Convention du 10 juin 1793[27]. Les enchères commencent le dimanche 25 août 1793 et se poursuivent jusqu'au 11 août 1794[28]. Les biens sont éparpillés dans le monde entier[note 15]. Toutefois, l'horloge signée Robert Robin et livrée en , reste au Trianon jusqu'en lorsque la Convention nationale la transfère au Muséum national d'histoire naturelle, où elle est toujours visible dans la salle des espèces disparues de la Grande galerie de l'Évolution[29]. On renforce la surveillance et l'on renvoie « ceux qui n'y sont pas logés[30] », afin de limiter la mise à sac : on retrouve les glaces brisées, les consoles fêlées, les ferrures arrachées et les dessus-de-porte retirés[31]. L'argenterie, les plombs et les cuivres sont réquisitionnés pour les arsenaux et la Monnaie[p 1]. Le sculpteur Amable Boichard, nouvellement nommé après la démission des frères Rousseau le 20 avril 1794, est chargé de « supprimer les emblèmes de la royauté et féodalité »[32],[q 1].
Trianon est déclaré propriété nationale et le terrain est partagé en dix lots. La ville de Versailles propose que le Petit Trianon serve de jardin botanique, mais c'est au potager de Versailles qu'André Thouin, jardinier du Jardin des plantes de Paris, décide de l'établir[k 1]. Finalement, Antoine Richard obtient de l'administration que les biens nationaux des environs de Paris ne soient pas vendus, mais conservés par la République naissante[c 34]. Il obtient le soutien du représentant du peuple envoyé en mission à Versailles, Charles-François Delacroix[33] désormais convaincu après avoir commencé par ordonner la destruction complète du domaine[note 16],[34], et de son successeur, le conventionnel André Dumont, et la vente est annulée par arrêté du 4 pluviôse an III[35].
Ne procurant jusqu'alors aucun revenu à l'administration, le Petit Trianon est loué en 1796 à un cabaretier et aubergiste du nom de Charles Langlois[36],[note 17] auquel succède en 1801 le citoyen Mettereau[p 2]. Les bals et fêtes populaires qui y sont tenus dégradent la résidence et les jardins[q 2]. Lorsqu'un Allemand, le docteur Meyer, visite le lieu au printemps de la même année, il constate la présence de l'affiche de vente encore sur la porte, les numéros de chambres au-dessus des portes[note 18], ainsi que l'état de dévastation et de vandalisme des pièces[c 35]. Les jardins sont délabrés, par manque d'entretien, et deux maisonnettes du proche hameau de même que le Pavillon frais menacent de s'écrouler, mais c'est surtout la nature et l'intempérie des saisons qui reprennent leurs droits[c 36]. Malgré les multiples volte-face politiques du pouvoir central, une certaine organisation des jardins est réalisée, mais à des fins éducatives avec l'établissement d'une école centrale.
D'un Empire à l'autre
En 1805, le Petit Trianon reprend son rang de palais et il est affecté par l'empereur Napoléon à sa sœur Pauline, princesse Borghèse. Les travaux de réfection sont rapidement engagés : les couvertures sont refaites, les conduites révisées, le palier du premier étage est redallé de marbre, les cheminées sont restaurées, les peintures sont refaites à neuf, de gris pour l'attique ou les huisseries et de « couleur pierre à forte colle » pour les pièces secondaires. Les salles principales sont repeintes de couleurs grisées teintées de bleu ou de mauve[37]. Les miroirs ayant tous disparu sont remplacés et de nouvelles toiles sont commandées. L'Empereur consacre 150 454 francs au remeublement du château[38]. Le projet de l'Empereur de réunir les deux Trianons dans un même enclos les séparant du parc de Versailles entraîne la création d'un pont métallique, dit « de la Réunion »[q 3], qui enjambe un chemin creux[q 4].
En 1810, le domaine revient à l'impératrice Marie-Louise qui fait alors restaurer l'ancienne résidence de sa grand-tante, malgré le passé douloureux des lieux. Elle se plaît dans cette demeure qui lui rappelle le château de Laxenburg, en Autriche, dans lequel elle avait résidé durant son enfance[l 2]. Le coût trop élevé de réhabilitation du Pavillon frais ou de certaines chaumières du hameau entraîne leur destruction. L'apogée de la vie impériale à Trianon est marqué par la « fête de l'Impératrice », donnée le 25 août 1811, jour de saint Louis, prétexte à de grandes illuminations dans les jardins, à des scènes champêtres féeriques en musique et à des spectacles divers provoquant l'enthousiasme de la cour et du couple impérial[q 5],[note 19].
À la Restauration, la duchesse d'Angoulême, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, hérite du Petit Trianon, mais en raison des souvenirs douloureux qui s'y rattachent, elle n'y fait qu'une promenade et se contente de participer au dîner du mariage du duc de Berry avec Marie-Caroline en 1816[l 3]. Dans l'hypothèse de séjours de Louis XVIII ou Charles X, souvent évoquée, mais jamais réalisée, tout est quasiment laissé en l'état[38].
Dès son arrivée au pouvoir, Louis-Philippe fait retirer les portraits de la famille royale, seule modification apportée au château par son prédécesseur[m 1]. Il fait appel à son architecte Frédéric Nepveu qui achève de repeindre l'ensemble du premier étage de couleur grise, remplaçant l'ancien vert pâle qui rappelait les jardins entourant le château[c 37]. Tandis qu'il s'installe au Grand Trianon pour surveiller la transformation du château de Versailles en « Musée dédié à toutes les gloires de la France », il attribue à son fils Ferdinand et sa belle-fille la duchesse d'Orléans un appartement à l'attique du Petit Trianon, quelques semaines après leur mariage[m 1]. Cette dernière, après y avoir passé des jours heureux en compagnie de son époux, revient l'y pleurer et se consacrer à l'éducation de ses enfants[c 38]. Elle y séjourne souvent, même si elle qualifie sa présence à Trianon d'exil[l 4]. On conserve l'ameublement de 1810 non sans remanier la disposition des appartements. Les sièges sont recouverts par Jean-Louis Laflèche selon la mode du moment de même que les rideaux sont changés. Ces remplois alliés à de petits achats et des récupérations, épargnant des dépenses superflues avec la disparition des véritables « palais royaux » d'antan, participent à créer un style disparate, fantaisiste et déroutant, élégant et précieux, parfois rocaille ou gothique[note 20] ; le pratique prend le pas sur la finesse et le raffinement dans ce nouveau mélange des genres historiciste[m 2]. Les jardins, s'étendant jusqu'au hameau, sont aussi reconstruits ou rétablis selon la disposition du temps où le roi Gustave IV de Suède admirait le domaine de Marie-Antoinette[39]. Aménagés en musée, les châteaux de Versailles et de Trianon perdent dès lors leur rang de résidence officielle.
Si la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III, émet le souhait de prendre possession du Petit Trianon, il n'en est rien[l 5]. En 1867, l'impératrice Eugénie ordonne de replacer au Petit Trianon les meubles et objets des collections de l'État ayant appartenu à Marie-Antoinette[40] et ayant été dispersés à la Révolution lors des ventes de plus de 17 000 lots sur l'ensemble du domaine de Versailles. Il faut néanmoins attendre le XXe siècle et les travaux de Pierre Verlet, historien du mobilier royal, pour voir appliquée une identification précise et scientifique des meubles selon les inventaires des archives de la maison du Roi[note 21].
Une lente renaissance
Malgré les efforts de Gaston Brière pour faire revenir les toiles originales de Vien, Hallé, Lagrenée et Doyen de la grande salle à manger, le Petit Trianon est l'objet de moins en moins d'attentions après l'action de l'Impératrice Eugénie[41]. Il est fermé durant la Seconde Guerre mondiale et n'est ensuite accessible au public qu'entre de longues périodes consacrées à d'importantes réparations[42]. Sous l'impulsion de Gérald Van der Kemp, dans les années soixante-dix, le château perd son fameux « gris trianon » du XIXe siècle au profit du vert d'eau d'origine[41]. Peu à peu, des pièces du mobilier d'origine reviennent au château, rappelant aux visiteurs le goût de Trianon traduit par Riesener, Jacob ou Foliot[43].
La tempête du 26 décembre 1999 affecte particulièrement les jardins de Trianon en raison de bourrasques de vent d'une rare violence qui détruisent une grande partie des plantations, dont le célèbre tulipier de Virginie issu de la création du jardin en 1783[44]. Un programme de restauration est alors mis en œuvre dès le début de l'année 2002 afin de reconstituer une composition cohérente avec le projet initial de la reine Marie-Antoinette.
Au début des années 2000, le parti pris des restaurateurs est de « donner l'impression que le temps s'est arrêté le 5 octobre 1789 », date du départ définitif de la famille royale de Versailles, et non de faire de ce lieu un musée. Le mouvement d'opinion autour de Marie-Antoinette, renforcé par la sortie du film de Sofia Coppola, a favorisé cette tâche d'ampleur dirigée par Pierre-André Lablaude, architecte en chef des monuments historiques[45]. Depuis les années 1980, le musée s'attache à rapatrier les pièces reconnues, dispersées à la Révolution, grâce aux dons et aux acquisitions[46]. Certains aménagements correspondent néanmoins plus à une reconstitution qui provoque les critiques de puristes[47].
Dans le cadre d'un mécénat dont elle fait le centre de ses événements promotionnels, la société Breguet, dont le fondateur est au XVIIIe siècle l'un des horlogers de la Reine et désormais filiale du groupe Swatch, a contribué à la restauration du Petit Trianon à hauteur de cinq millions d'euros en 2008[48]. Le coût de la restauration des seuls intérieurs est estimé à 2,3 millions d'euros[49]. Une grande partie du budget est par ailleurs destinée à assainir les soubassements et à redéployer toute l'installation électrique[50]. Cette restauration, qui a demandé la fermeture du lieu pour un an de travaux, s'inscrit dans la dynamique du Grand Versailles, vaste campagne de modernisation et d'aménagement du château et des jardins. Ce projet muséographique entraîne aussi de nombreux changements dans la disposition du mobilier ; l'étage noble retrouve l'aménagement de l'époque de Marie-Antoinette tandis que les meubles acquis au XIXe siècle sont installés à l'attique dans une suite d'évocations des personnalités féminines qui ont vécu au Petit Trianon[51]. D'autres mécènes ont participé à la restauration du domaine : Peugeot pour le hameau, World Monuments Fund France pour le théâtre, Friends of Vieilles maisons françaises pour la grotte, Audemars Piguet pour les jardins ainsi que la Société des amis de Versailles[q 6].
À cette occasion est créée une nouvelle organisation des visites, au sein d'un espace nommé « domaine de Marie-Antoinette », comprenant le château du Petit Trianon et ses jardins, ainsi que le hameau de la Reine. Auparavant, seul le château est ouvert à la visite moyennant un prix d'entrée permettant d'accéder à une partie de l'étage noble, les jardins et les allées du hameau restant libres. Ce nouvel accès payant par la maison du Suisse provoque des critiques et des craintes à propos de la prévalence commerciale sur l'Histoire[52]. En outre, la fermeture du domaine le matin et la fin de la gratuité en basse saison pour les jardins font aussi l'objet de protestations[53]. La fréquentation du domaine du Petit Trianon est, en 2010, de 630 000, équivalente au nombre de visiteurs de 2007, mais inférieure à celui des années 2008 et 2009 qui ont accueilli plus de 700 000 personnes[54]. En 2011, 693 000 entrées ont été comptabilisées sur le domaine[55] avant une importante augmentation de la fréquentation en 2012 et 2013 (respectivement 796 000 et 820 000 entrées, payantes ou gratuites[56]), résultat des campagnes de communication et des expositions temporaires[57].
En 2010, le Petit Trianon entre dans le monde virtuel avec sa reconstitution en trois dimensions accessible sur internet, réalisée avec un triple objectif, de conservation, de restauration et de valorisation[58],[59]. En février 2019, un incendie rapidement maîtrisé dans la chambre de Marie-Antoinette provoque la fermeture partielle du Petit Trianon[60]. À la suite du confinement lié à la pandémie de Covid-19 en France, les jardins du Petit Trianon ne sont plus entretenus et retrouvent l'allure qu'ils avaient 300 ans plus tôt à l'époque de Marie-Antoinette. Décision est alors prise de désormais les laisser à l'état naturel et de ne plus les tondre[61].