Référendum en France
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En France, le référendum existe depuis la Révolution. Procédé de démocratie semi-directe, c'est un vote individuel permettant aux citoyens français[N 1] de décider ou de donner leur avis collectivement.
Selon la Constitution de 1958, un référendum peut être organisé dans plusieurs situations : le vote d'une loi, la révision constitutionnelle, ou l'entrée d'un État dans l'Union européenne. Dans ces deux derniers cas, il peut être remplacé par un vote du Parlement réuni en Congrès. Selon ladite constitution ou en vertu d'autres textes, une consultation ou référendum local peut être organisé, notamment sur des questions portant sur le statut d'une collectivité territoriale ou sur un acte de leur compétence, ou sur les grands projets d'aménagement de l'État. La dernière utilisation du référendum au niveau national remonte à 2005[1]
Le référendum est une procédure se réclamant des idéaux démocratiques, par laquelle « le corps des citoyens est appelé à exprimer, par une votation populaire, son avis ou sa volonté à l'égard d'une mesure qu'une autre autorité a prise ou envisage de prendre »[N 2], et qui ne sera suivie d'effet ou adoptée qu'en cas de réponse positive ; le référendum n'appelle donc qu'à deux réponses possibles : oui (adoption) ou non (rejet). En France il s'agit d'une adoption à la majorité, absolue de facto. La prise en compte du vote blanc, qui impliquerait corrélativement, pour qu'elle ait une quelconque utilité, de retenir une majorité « qualifiée » (l'exigence d'une adoption atteignant un certain pourcentage des votants), n'est actuellement pas possible.
Le terme « référendum » n'apparaît quasiment pas dans les constitutions françaises avant 1958. Il est remplacé par des périphrases telles que « consultation » ou « appel au peuple ». Seul l'article 3 de la constitution du reconnaît au peuple le droit au référendum. Au XXIe siècle, il semble qu'il faille distinguer le référendum qui a un caractère décisionnel, de la consultation qui n'émet qu'un avis, mais dans la littérature juridique on utilise aussi sans formalisme les expressions « référendum consultatif » et « consultation référendaire », suivant que l'on s'attache à la technique ou au symbole politique et tous ces termes répondent à la définition générique énoncée précédemment. Toutefois, la jurisprudence du Conseil d'État distingue clairement les référendums nationaux par lesquels le peuple français exerce sa souveraineté (articles 11, 89 et 88-5), soumis au seul contrôle du Conseil constitutionnel, des autres consultations référendaires[2],[N 3].
La technique du référendum se veut conforme au principe démocratique dont se réclame le régime républicain mis en place par la Constitution de 1958 :
- Art. 2 al. 5. - « (Le) principe (de la République) est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Le recours au référendum au niveau national tempère la souveraineté nationale prévue par la dite constitution, qui mélange donc ici des procédés de démocratie directe et de démocratie représentative :
- Art. 3 al. 1. - « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum… ».
Cependant, les modalités restrictives de mise en œuvre des différents référendums et consultations prévus par la constitution actuelle (infra) en font, en France comme dans beaucoup de pays, un procédé de démocratie semi-directe.
L'impasse de l'opportunité révolutionnaire
Le référendum est marqué du sceau révolutionnaire. Jérôme Pétion de Villeneuve et Jean-Baptiste Salle sont les premiers à introduire la notion dans le débat français, à l’occasion de discussions sur le veto royal en 1789 ; Jérôme Pétion de Villeneuve appelle ainsi à ce que « la sanction des lois puisse être confiée au peuple »[3],[4].
Le projet de constitution girondine de 1793 prévoyait déjà une censure populaire sur les actes parlementaires. Cela ne fut finalement pas retenu. Dans les faits, le référendum est inventé la même année en France pour l'adoption de la Constitution du 6 messidor an I (jacobine). Cette singulière constitution, inspirée des écrits de Jean-Jacques Rousseau, prévoyait aussi de généraliser le référendum pour l'adoption des lois qui, envoyées aux communes, se devaient d'obtenir l'aval du peuple, réuni en assemblées primaires, si un dixième d'entre elles, dans au moins la moitié des départements (plus un), le réclamait de par ses objections à la loi proposée (articles 58 à 60). On parla même de « veto populaire ». En matière constitutionnelle, le corps électoral disposait également d'un droit d'initiative si un dixième des assemblées primaires décidait d'une révision au niveau national. La constitution elle-même fut adoptée par référendum de juillet à , bien que l'on puisse émettre des réserves quant au caractère démocratique de ce dernier[N 4]. Cette constitution ne sera jamais appliquée.
L'impact de l'usage plébiscitaire sous l'Empire
Par la suite, les élites dirigeantes vont se méfier du peuple : les idées de Sieyès en faveur de la souveraineté nationale et d'une démocratie représentative[5] prévalent sur la souveraineté populaire et la participation directe du peuple, en dehors de l'élection[6]. Cependant, Napoléon Ier comprit trop bien[réf. nécessaire] le parti qu'il pouvait tirer de l'appel direct au peuple, tout en le domestiquant, et la longue période qui suit va discréditer le procédé. Sous les régimes impériaux le référendum devient un plébiscite[N 5], instrument de l'accession au pouvoir de Bonaparte qui, aidé d'une administration zélée et omniprésente, obtient ainsi en 1800 le Consulat après son coup d'État du 18 Brumaire, puis le Consulat à vie, puis sa transformation en Empire, qu'il obtient de prolonger encore sous une forme tempérée lors des Cent-Jours ; tout pareillement pour Napoléon III qui fait entériner ainsi son coup d'État de 1851, puis le rétablissement de l'Empire où apparaît clairement constitutionnalisée la technique plébiscitaire[N 6], avant de faire ratifier une relative libéralisation du régime à la veille de la guerre de 1870.
Ceci explique que sous la IIIe République, le référendum passe pour être l'instrument du despotisme et que la constitution de la IVe République l'ignore quasiment, en tout cas, en marginalise l'usage hypothétique, seulement en matière constitutionnelle et à titre subsidiaire[N 7]. Pourtant, un double mouvement de gauche et de droite s'est développé en faveur de la pratique référendaire au début de la III° République[7]. À gauche, par exemple les socialistes Édouard Vaillant et Jean Allemane prolongent les idées rousseauistes de 1793 en défendant ce qu'ils nomment la « législation directe »[7] ; à droite, le mouvement plébiscitaire, un temps uni dans le boulangisme, défend « l'appel au peuple », c'est-à-dire l'approbation populaire directe des lois, ce que défend par exemple Paul Déroulède qui souhaite remplacer la République parlementaire par une République plébiscitaire[7]. Le , au nom du petit groupe nationaliste de la Chambre des députés, l'ancien boulangiste André Castelin prend soin de différencier sa conception républicaine du référendum de la pratique bonapartiste du plébiscite défendue lors de la même séance par Cuneo d'Ornano[8], mais cette distinction ne convainc pas les parlementaires. Le discrédit de la procédure référendaire est d'ailleurs plutôt renforcé par la crise boulangiste – bien que ce soit le général Boulanger qui le premier ait utilisé le mot de « référendum » ; jusque-là on employait le terme « plébiscite »[7].
C'est que le traumatisme consécutif à la pratique impériale était encore vif et le débat doctrinaire n'était pas encore éteint. Si le jurisconsulte Édouard Laboulaye défendait de manière isolée le référendum au moment de l'instauration de la IIIe République, l'ensemble de la doctrine considérait plutôt qu'il était incompatible avec le régime parlementaire, jusqu'à ce que Carré de Malberg ne soutienne brillamment une position inverse en 1931[9]. Mais la majorité de la classe politique demeura méfiante jusqu'au bout.
Le référendum municipal trouva des défenseurs plus nombreux. Dès la fin des années 1880, des municipalités organisaient des référendums sur des questions d'intérêt local. Le premier du genre eut lieu à Cluny en 1888. La ville souhaitait accueillir un bataillon d'infanterie, mais la construction d'un casernement nécessitait de recourir à l'emprunt, en contradiction avec un engagement électoral antérieur du conseil municipal : les électeurs furent appelés à choisir. Le bon déroulement de l'opération incita d'autres municipalités à emprunter une voie qui s'avérait un moyen simple et rapide de trancher des problèmes de gestion délicats[10]. Devant le phénomène, le ministre de l'Intérieur réagit en engageant les préfets, par une « circulaire confidentielle », à prononcer la nullité des actes municipaux fondés sur le recours au référendum[11]. Les consultations de ce type s'en trouvèrent réduites à n'avoir plus qu'une valeur indicative. Leur essor en fut ralenti. Leur pratique se poursuivit pourtant pendant une dizaine d'années[12]. Le référendum proprement politique continua, quant à lui, à faire l'objet de fortes résistances, parmi les républicains puis progressivement à leur gauche[13].
L'empreinte du général de Gaulle
Pourtant, le général de Gaulle en réintroduit l'usage dès la Libération en 1945 pour entériner la fin de la IIIe République, puis donner au pays un régime provisoire. En outre, par deux fois également les Français eurent ensuite en 1946 à se prononcer sur le projet constitutionnel d'où allait naître la IVe République. Cela leur permit de s'émanciper du passé en votant « non » la première fois. Mais le référendum n'était pas encore dans les mœurs politiques[N 8] et il faudra attendre le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 pour qu'il s'impose, à la fois pour ratifier la nouvelle constitution et dans la constitution elle-même dont il constitue l'une des innovations majeures. En effet, dans la rédaction initiale de la constitution de la Ve République, on le trouve érigé en principe, comme l'un des moyens d'exercer la souveraineté (article 3) et, simultanément, couvrant trois domaines : législatif (article 11), constituant (article 89) et l'autodétermination (articles 53 et 86).
En même temps il concentre les critiques des opposants à la Ve République qui y voient la confirmation de l'instauration d'un régime autoritaire. Dans un contexte pourtant nettement plus démocratique que sous l'Empire, la pratique fortement teintée de plébiscite qu'en fera de Gaulle réalimentera néanmoins les fortes réticences à l'égard de la technique référendaire. Sans compter l'usage, jugé par certains inconstitutionnel, qu'il fera de l'article 11 en 1962 et 1969 (Cf. infra), qui suscitera un vif débat et la constitution d'un « cartel des non »[14]; le président du Sénat parlant même de « forfaiture ». On sait d'ailleurs que de Gaulle envisageait le référendum, autant comme un substitut à la dissolution pour arbitrer un éventuel désaccord avec le Parlement, que comme un moyen de ressourcer sa légitimité personnelle[N 9]. Pour les quatre référendums sous sa présidence, le résultat fut variable : les deux premiers étant adoptés avec, selon Alain Peyrefitte, des « scores staliniens », le référendum sur le suffrage universel déçoit car, avec 62,25 % de Oui pour une participation de 76,97 %, il ne rassemble que 47 % des inscrits qui votèrent son approbation[15], et le référendum de 1969 fut un échec. Ce dernier vote fut considéré comme ayant son enjeu biaisé, les électeurs étant déterminés par le départ ou maintien du général[16].
Il n'est donc pas étonnant de constater que les référendums qui suivent semblent montrer qu'en France, le procédé reste marqué par cette empreinte plébiscitaire que l'on continue de retrouver a contrario dans les motivations des électeurs même si, contrairement à de Gaulle, aucun de ses successeurs n'a ouvertement posé la question de confiance. C'est la première des raisons expliquant que l'usage du référendum dans la période récente soit apparu politiquement aléatoire, le référendum donnant une occasion au vote contestataire de s'exprimer, au risque de l'échec (comme cela faillit être le cas en 1992 et comme ce fut le cas en 2005). En outre, hors de cette dimension quasi culturelle, le référendum ne déclenche parfois qu'un intérêt mineur ne suscitant ainsi qu'une faible participation qui, faute de l'exigence d'un quorum, amoindrit la portée de son résultat (comme en 1972, considéré comme un échec pour Pompidou qui regretta l'opération[17] et surtout en 1988)[18].
L'universitaire Laurence Morel considère que le référendum d'initiative présidentielle « peut être vu comme le mécanisme central par lequel la Ve République naissante a parachevé une similarité frappante avec le modèle de « démocratie plébiscitaire » esquissé pour l'Allemagne par Max Weber dans ses écrits politiques de 1917-1919 »[19].
Les perspectives et le bilan au XXIe siècle
Nonobstant les critiques dont ses modalités font l'objet[18], et malgré ses insuffisances (cf. infra), le référendum garde ses adeptes mais peine à être employé et à se rénover malgré les nombreuses réformes ou projets.
Le président Mitterrand qui l'a utilisé après une éclipse de 15 ans[N 10] échoua dans sa tentative pour en élargir le champ[N 11] et ne donnera pas suite aux propositions de la Commission Vedel de 1993, qu'il avait pourtant suscitées, après le succès mitigé du référendum de 1992[N 12].
Le président Chirac l'a fait partiellement en 1995 en élargissant le champ de l'article 11. Avant d'en être victime en 2005, il avait par ailleurs annoncé sa volonté de réactiver l'usage du référendum, ce qu'il fit par deux fois, y compris pour la première fois en matière constituante, selon la procédure prévue (art. 89 al. 2), en 2000. Sous son mandat, après un toilettage de la constitution en 1995, y compris en matière référendaire[N 13], deux autres réformes visant l'extension du domaine référendaire sont intervenues : l'une en 2003 qui instaure le référendum local (notamment l'article 72-1) ; l'autre en 2005 qui oblige à recourir au référendum pour ratifier toute nouvelle adhésion à l'Union européenne (article 88-5).
Enfin, plaidant pour une revalorisation du parlement et plutôt réservé à l'égard du référendum dont il a un mauvais souvenir (échec du référendum sur le statut de la Corse en 2003) et dont il ne fera pas usage lors de son mandat[20], le président Sarkozy opère, par la révision du 23 juillet 2008, quelques retouches : à l'article 88-5 avec la suppression de l'automaticité du référendum ; à l'article 11 avec un nouvel élargissement de son domaine et, surtout, l'introduction d'une initiative parlementaire pouvant être soutenue par le peuple. Cependant, s'il peut s'agir, dans ce dernier cas, d'une relative ouverture à l'opposition, il ne s'agit pas encore d'un référendum d'initiative populaire (cf. infra). Cela demeure une réforme en suspens, de même que, si les avancées de 2008 sont néanmoins conformes aux conclusions du Comité Balladur de 2007, l'autre souhait du comité que soit confortée l'effectivité du référendum constituant n'a pas été repris. Ce serait pourtant le seul moyen de pérenniser le droit au référendum, puisqu'à ce jour, rien n'empêche encore de le supprimer sans le consentement du peuple lors d'une révision parlementaire.
Le , le président Hollande annonce qu'il consultera les français sur l'éventuel élargissement de l'Union européenne à la Turquie[21] (non organisé) et annonce le un référendum local sur le projet d'aéroport Notre-Dame-des-Landes décidé par l’État[22] ; il fait modifier le code de l'environnement à cet effet (infra). Ce dernier aura bien lieu sous le gouvernement de Manuel Valls, mais le gouvernement d'Édouard Philippe n'en tiendra pas compte (infra). C'est pourtant celui-ci qui annonce en un débat sur le référendum d'initiative citoyenne[23], ce qui correspond à l'une des exigences fortes du mouvement des Gilets jaunes en faveur de la démocratie participative[24]. Cette piste ne sera pas retenue par le président Macron lors de son intervention d' au profit de l'assouplissement de la procédure dite du référendum d'initiative partagée et d'un élargissement du champ référendaire de l'article 11 notamment aux questions de société; des mesures adoptées en conseil de ministres le [25].
Bilan actuel : L'abandon de la pratique référendaire pour ressourcer la légitimité du président, l'abaissement du référendum au niveau local et l'appel de plus en plus pressant à l'initiative populaire peuvent sembler consacrer l'échec du référendum tel qu'il fut conçu initialement par de Gaulle. Au fil du temps, non seulement il n'est pas rare que son résultat soit contrarié par l'exécutif (infra) mais son emploi sporadique parait traduire plus une opportunité stratégique de l’exécutif que la conviction de ses vertus démocratiques[N 14], à l'image du président Sarkozy qui, après s'y être refusé, en promettait l'usage en cas de blocage des réformes, s'il était réélu (lors de la présidentielle de 2012)[20],[26], tout comme son successeur, François Hollande[27] ; ce dernier n'y voyant en outre que deux indications : les institutions et les transferts de souveraineté[28],[N 15] (bien que les deux référendums qu'il a annoncés ensuite soient sortis de ce champ (supra)).
Reste que, en effet, c'est par le référendum qu'ont été acquises les deux réformes institutionnelles appelées à bouleverser le régime de la Ve République, l'une en 1962 pour modifier le mode d'élection du chef de l'État, l'autre en 2000 pour instaurer le quinquennat synchronisé[N 16]. De même, la question de la souveraineté nationale était pendante lors de la participation périodique du peuple français à la décolonisation (1961, 1962, 1988) et à la construction européenne (1972, 1992 et 2005).
En revanche, sous cette même République, celles que l'on peut sans doute subjectivement considérer comme les deux grandes réformes qu'a connues la société française, sont restées en dehors du champ référendaire : l'abolition de la peine de mort (1981)[N 17] et la décentralisation (1982, 2003-04, 2010 et 2014-15), à l'égal de beaucoup d'autres réformes faites hors du consentement populaire ou encore en gestation sans l'envisager : abaissement de la majorité civile à 18 ans (1974), relativisation du mariage traditionnel (1975 à 2013)[N 18], réformes touchant le droit à la vie (1975, 1998 et 2005)[N 19], abandon de la conscription et professionnalisation des armées (1996 à 2010)[N 20], privatisations (1986 à 2005), moralisation de la vie politique (1988 à 2011)[29], réformes touchant à la sécurité sociale et aux prestations sociales[N 21], à l'éducation nationale (1968 à 2007)[30], développement de l'énergie nucléaire et choix énergétiques[N 22], politique migratoire, etc.
Ce constat pose la question récurrente de l'élargissement du domaine référendaire, notamment aux sujets de société[N 23], ainsi qu'à l'initiative populaire[N 24]. Une autre piste ouverte par l’exécutif en 2019 pourrait être un référendum à choix multiples[31]. En outre, certains commencent à penser à une consultation référendaire par Internet[N 25], voire à développer de véritables consultations populaires par le biais des nouvelles technologies comme les smartphones, comme cela est déjà proposé pour des élections professionnelles[32] ou partisanes[33]. Paradoxalement, la demande fréquente par une fraction de l'opinion qu'intervienne un référendum lorsqu'un projet de loi suscite le débat peut être jugée par certains comme n'étant « pas démocratique »[34]. Par ailleurs certains pensent que le développement de la démocratie participative par internet condamne à terme la technique référendaire qui peu paraître « un peu fruste »[35].
La Constitution française du 4 octobre 1958 prévoit quatre cas principaux de référendum : deux visant un intérêt national, pour l'adoption d'un projet de loi (art.11) et pour réviser la constitution (art.89), un troisième visant l'intérêt local, pour soumettre à la décision des électeurs d'une collectivité territoriale un projet les concernant (art. 72-1 et autres) et un quatrième visant une question particulière d'intérêt européen (art. 88-5).
Exception faite de certaines consultations de portée locale, ces référendums ont valeur décisionnelle mais, en pratique, ils sont tous facultatifs (y compris, depuis 2008, pour la ratification d'une adhésion à l'Union Européenne). L'ensemble des dispositions du code électoral relatives à l'exercice du droit de vote s'applique aux consultations référendaires. Le contentieux est principalement du ressort du juge constitutionnel pour les référendums de portée nationale et de celui du juge administratif pour les autres.
Les référendums d’intérêt national
Le référendum législatif (article 11)
Le déclenchement de l'article 11 figure au nombre des actes du président de la République dispensés du contreseing énumérés à l'article 19.
Initiative du référendum
- soit du président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel (art. 11 al. 1). Cependant, hors cohabitation, le président en décide souvent seul en pratique, la proposition a posteriori du Premier ministre, et de son Gouvernement, allant de soi.
- soit, depuis 2015, par un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales (art. 11 al. 3), mais ce « référendum d’initiative partagée » n'a lieu que si, à la suite de cette initiative, le parlement n'examine pas la proposition au moins une fois par chacune des deux assemblées parlementaires dans un délai de six mois[36] (art. 11 al. 5). Le Conseil constitutionnel contrôle la mise en œuvre de ces dispositions (art. 11 al. 4) et la proposition de loi référendaire qui peut en résulter (art. 61 al. 1). À noter les suggestions de réformes en faveur de l'initiative populaire (Cf. infra).
Domaine référendaire
Selon l'alinéa 1, tout projet de loi portant sur :
- l'organisation des pouvoirs publics,
- les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale[N 26] de la nation et aux services publics qui y concourent,
- la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions (à distinguer de l'objet particulier de l'article 88-5)[N 27].
À noter également les suggestions de réformes en faveur de l'élargissement de ce domaine (cf. infra).
Débat parlementaire
Désormais dans toutes les hypothèses, dans chaque chambre. En outre, depuis la révision de 1995, le débat doit être précédé d'une déclaration du Gouvernement quand la proposition référendaire émane de lui, mais n'est pas suivi d'un vote (art. 11 al. 2). Toutefois, rien n'interdit de faire jouer l'article 49, notamment de déposer une motion de censure[N 28].
Adoption
En cas de victoire du oui, le président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation, qu'il s'agisse d'un projet ou d'une proposition de loi (art. 11 al. 7)[N 29].
Limites à la mise en œuvre du référendum législatif
- Impossible lors de l'intérim du président de la République, que ce soit pour cause de vacance ou d'empêchement (art. 7 al. 4).
- Le champ du projet ou de la proposition de loi référendaire (art. 11 al. 1 et 3) reste limitativement énuméré (cf. infra).
- Le projet de loi d'initiative gouvernementale ne peut souffrir d'aucun amendement parlementaire, ni d'aucun contrôle de constitutionnalité (cf. infra).
- En pratique aucune proposition référendaire d'origine parlementaire n'a pu voir le jour (malgré l'initiative du Sénat en 1984 et celle des députés d'opposition en 1985)[N 30]. L'hypothèse que le parlement se dessaisisse ainsi de ses prérogatives législatives était d'ailleurs jugée peu crédible jusqu'à la réforme de 2008 qui donne un levier à l'opposition.
- L'initiative référendaire résultant de la réforme de 2008 ne confère pas un veto législatif à l'opposition (art. 11 al. 3) ni une faculté de réinterroger le peuple avant deux ans en cas d'un premier rejet sur le même objet (art. 11 al. 6)
Le référendum constituant (article 89)
Le référendum constituant ne peut intervenir qu'en conclusion d'une procédure de révision constitutionnelle dont il est dépendant juridiquement (en droit) et politiquement (en fait). Il est défini dans l'article 89 de la Constitution.
- Initiative de la révision (distincte de celle du référendum) : Concurremment au président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement (art. 89 al. 1). L'initiative présidentielle souffre, en outre, des mêmes remarques que pour l'article 11. A contrario, un Premier ministre de cohabitation pourrait s'appuyer sur l'initiative parlementaire pour forcer le président à décider d'une révision, même si l'incertitude demeure quant à la conclusion de la procédure[N 31].
- Procédure de droit commun prévoyant la ratification par référendum : Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques (petite loi)[N 32]. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum (art. 89 al. 2). Cependant, la tenue d'un référendum résulte ensuite d'un décret du président de la République (compétence théoriquement liée).
- Déclenchement du référendum : Par le président de la République seul qui en décide par décret (mais l'acte doit être contresigné). En pratique, cela confère au président un droit d'option entre cette ratification référendaire de droit commun et la procédure subsidiaire par le Congrès, du moins lorsque l'initiative est gouvernementale (toujours le cas jusqu'ici). Elle lui offre aussi la faculté de s'abstenir de prendre le décret voulu[N 33]. Qu'en serait-il lorsque l'initiative parlementaire rend le référendum obligatoire[N 34] ?
- Procédure subsidiaire de ratification par le Congrès : (art. 89 al. 3, pour mémoire).
- Limites au référendum constituant et au droit référendaire :
- Pour mémoire, les impossibilités concernant le droit à révision lui-même prévues aux articles 7 al. 11, 89 al. 4 et 89 al. 5.
- L'usage restreint du référendum (en pratique). Bien que le référendum soit le mode normal de ratification, l'alternative d'une ratification par le Congrès, prévue subsidiairement au 3° alinéa, est devenue la règle en pratique (sauf en 2000). Théoriquement cela rend possible de supprimer de la Constitution en la révisant, sans le consentement du peuple, tout ou partie des possibilités référendaires qui lui sont facultativement offertes pour le moment. Tout le droit au référendum tient à cela. Par ailleurs, bien que la constitution soit muette à ce propos, on avance couramment que le droit d'option que détient le président se justifierait en pratique par le fait que des révisions techniques ne nécessiteraient pas le recours au peuple. Cependant, aucun critère ni contrôle n'existent pour apprécier cette distinction qui, outre qu'elle ne figure pas dans la constitution, ne lie aucunement le président de la République.
- En outre, le refus du président de soumettre un projet de révision adopté (« petite loi ») à toute ratification est possible en pratique (six exemples en 1973, 1974, 1998, 1999, 2012 et 2016), ce qui paralyse du même coup l'hypothèse d'un référendum de ratification.
Les référendums d’intérêt local
Selon l'universitaire Marion Paoletti, « l’ensemble du droit référendaire local français confère une place étonnement minorée aux citoyen.nes, sans commune mesure avec de nombreux autres pays. Le référendum local français doit s’entendre principalement comme un référendum municipal plébiscitaire, quasi inemployé. La pratique est très minoritaire, surtout ramenée au nombre de collectivités locales. Les dernières statistiques font état de 233 consultations communales pour la période 1995-2009. La faiblesse de l’initiative populaire en France est structurelle : sur les 213 votes communaux non-électifs qu’analyse Christophe Premat entre 1995 et 2004, seuls dix d’entre eux provenaient d’une initiative populaire. Parmi ces dix cas, un référendum a été annulé et six rejetés par le Conseil municipal »[37].
Le référendum d'initiative locale (article 72-1)
L'article 72-1 a été introduit dans la Constitution par la loi constitutionnelle du sur l'organisation décentralisée de la République, complétée pour ses modalités par la loi organique 2003.705 du [N 35] (LO1112-1 et suivants du code général des collectivités territoriales), complétée par la loi organique n° 2013-1114 du , avec une entrée en vigueur au [38].
- Droit de pétition : les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence (art. 72-1 al. 1).
- Initiative du référendum : toute collectivité territoriale par délibération de son assemblée (art. 72-1 al. 2)
- Domaine référendaire : les projets de délibération ou d'acte relevant [très strictement][N 36] de la compétence d'une collectivité territoriale, à l'exclusion des actes individuels (art. 72-1 al. 2).
- Adoption : le CGCT en son article LO1112-7 précise : « Le projet soumis à référendum local est adopté si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au scrutin et s'il réunit la majorité des suffrages exprimés ». (Le quorum de participation n'existe pas pour les référendums des articles 11 et 89).
Par la conjugaison des deux premiers alinéas de l'article 72-1 (droit de pétition et référendum local), le référendum local s'apparente partiellement à un référendum d'initiative populaire : le droit de pétition serait alors utilisé pour demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de la question de l’organisation d’une consultation des électeurs[39]. On ne peut toutefois pas réellement parler de référendum d'initiative populaire dans la mesure où l'initiative reste la prérogative de ladite assemblée, la seule obligation étant d'en délibérer.
Ce référendum local est l'une des facettes de la gouvernance locale.
Les autres référendums ayant une portée locale
Même si la notion de référendum local n'est apparue qu'en 2003 pour la métropole, il y avait déjà eu en France des applications locales des référendums nationaux pour l'autodétermination des populations appartenant à la France, ainsi que des consultations communales, dont les procédures ont une certaine pérennité.
Les consultations locales :
- Les dispositions qui existaient précédemment à l'introduction du référendum d'initiative locale (art. 72-1), et qui concernaient l'organisation d'une consultation communale à caractère seulement consultatif, en vertu des articles L. 2142-1 et s. du CGCT sont demeurées en vigueur jusqu'en 2005[40],[41] date à laquelle cette possibilité de consultation a été étendue à toutes les collectivités territoriales qui peuvent recueillir l'avis de leurs électeurs sur les décisions que leurs autorités envisagent de prendre pour régler les affaires relevant de leur compétence (article L. 1112-15 et s. du CGCT).
- La loi « Marcellin » du 16 juillet 1971 prévoit la consultation obligatoire des électeurs en cas de fusion de communes (texte codifié dans les articles L2113-1 et suivants du CGCT). En 2010 l’obligation est limitée aux seuls cas où les conseils municipaux concernés ne sont pas tous d’accord[42].
- En 2010, une réforme rend possible la fusion d’une région et des départements qui la composent en collectivité unique. Les assemblées consultatives en prennent l’initiative et le Gouvernement y donne suite si une consultation recueille, dans chacun des départements concernés, l'accord de la majorité absolue des suffrages exprimés, correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits (Article L4124-1 du CGCT)[43]. L'obligation de référendum est abrogée par la loi relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral de 2015[44].
- En 2016, la « consultation locale sur les projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement » est créée pour que l’État puisse consulter les électeurs d'une aire territoriale déterminée afin de recueillir leur avis sur un projet d'infrastructure ou d'équipement susceptible d'avoir une incidence sur l'environnement dont la réalisation est subordonnée à la délivrance d'une autorisation relevant de sa compétence, y compris après une déclaration d'utilité publique (Articles L123-20 à L123-33 du Code de l'environnement créés par l'ordonnance du )[45]. Cela a permis la consultation dite « référendum sur Notre-Dame-des-Landes » en (Cf. infra).
Les consultations d'autodétermination institutionnelle : Elles résultent de l'application du principe de libre détermination des peuples posé à l'alinéa 2 du Préambule de la Constitution de 1958. C'est à ce titre qu'a pu être organisée à bon droit à Mayotte en , une consultation en dehors de toute autre procédure[48],[49]. Par le passé, ont eu lieu des référendums nationaux (pris en application de l'article 11) mais pouvant être considérés comme ayant cette portée locale, bien que plus connus à l'époque sous leur nom générique de « référendum d'autodétermination ». Il s'agit des référendums sur l'autodétermination de l'Algérie du et sur l'autodétermination en Nouvelle-Calédonie du .
Il existait d'ailleurs des procédures référendaires spécifiques dans la Constitution de 1958, dont l'une subsiste encore :
- Il s'agissait notamment de l’article 86 (abrogé par la révision constitutionnelle de 1995), qui prévoyait le recours au référendum local confirmatif pour toute modification du statut, y compris pour l'indépendance, d'une des collectivités membre de la Communauté française.
- L'Article 53 alinéa 3 (toujours en vigueur) prévoit encore que « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées ». Cette opération, qui vise également l'hypothèse d'une sécession[50], doit cependant être ratifiée par la loi (art. 53 al. 1). Le référendum sur la Nouvelle-Calédonie prévu en 1998 par les accords de Matignon de 1988 se serait inscrit dans ce cadre[51].
En dehors de l'article 53, les procédures actuelles ont une portée différente : d'une part, si elles s'intéressent toujours à l'évolution institutionnelle, elles ne visent plus explicitement l'hypothèse de l'indépendance envisagée implicitement par le Préambule, mais des aménagements plus ou moins importants ; d'autre part, elles s'étendent aux collectivités territoriales métropolitaines.
- L'article 72-1 alinéa 3 a une nature semblable à celle de l'ancien article 86 concernant l'hypothèse, soit de la création sui generis d'une collectivité territoriale métropolitaine (par opposition à l'Outre-mer), soit de la modification des limites territoriales des collectivités territoriales existantes. Une loi peut ainsi décider de consulter les électeurs de la ou les collectivités concernées.
- L'article 72-4 alinéa 2 a des objectifs semblables à ceux de l'ancien article 86 concernant les collectivités d'Outre-mer. Ainsi, le président de la République peut-il à certaines conditions décider de consulter les électeurs d'une collectivité d'Outre-mer notamment sur une question relative à son organisation, sur une question relative à son statut tel que visé à l'article 72-3 (ce qui laisse toutes les hypothèses ouvertes), ou relative à sa création telle que prévue à l'article 73 al. 7.
- Les articles 76 et 77 sont introduits par une révision constitutionnelle de 1998 faisant suite à l'Accord de Nouméa. Une première consultation locale est organisée en 1998 et approuve l'accord. Celui-ci prévoit au plus trois consultations locales sur l'accession à la pleine souveraineté de l'île, où seules les « populations intéressées de Nouvelle-Calédonie » peuvent voter. Elles sont organisées les , , et , et sont défavorables à l'indépendance (infra). En cas de nouvelle consultation, une révision constitutionnelle sera nécessaire[52].
Ces consultations référendaires n'ont qu'une valeur consultative qui ne lie pas l'avenir. C'est la loi organique qui, une fois l'avis recueilli, le formalisera éventuellement. À l'inverse, elles en sont le préalable obligatoire.
Le référendum d’intérêt européen (article 88-5)
Il s'agit d'un référendum législatif dont l'objet est spécifique. L'article 88-5 (alinéa unique) a été introduit dans la Constitution par la loi constitutionnelle du en vue de l'adoption du Traité établissant une Constitution pour l'Europe et confirmé par la révision constitutionnelle de 2008 bien que sa suppression ait été envisagée. L'automaticité du référendum est cependant corrigée par le nouvel alinéa 2.
Initiative du référendum
Le président de la République (compétence liée) qui peut cependant solliciter du parlement une ratification par le Congrès. Dans ce cas, le parlement en décide par le vote d'une motion en termes identiques par chaque assemblée (article 88-5 al. 2)[N 37].
Domaine référendaire
Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne [et aux Communautés européennes][N 38]. En pratique, la consultation référendaire, dans cette hypothèse, n'était jusqu'ici qu'une des facultés offertes par la voie de l'article 11.
Application différée
L'article 88-5, dans sa rédaction actuelle, jusqu'à l'éventuelle entrée en vigueur du Traité établissant une Constitution pour l'Europe (finalement repoussée à l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne), n'était pas applicable aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le [53]. En clair, il s'agit des adhésions futures avec, par exemple, le problème épineux de l'adhésion éventuelle de la Turquie.
Par deux fois, le président de la République Charles de Gaulle a utilisé l'article 11 en lieu et place de l'article 89 normalement prévu pour entreprendre une révision de la Constitution (usage du référendum législatif en tant que référendum constituant).
La décision du général de Gaulle de recourir à l'article 11 dans cette hypothèse déclencha un tollé dans le monde politique (cf. supra) autant que chez les juristes-constitutionnalistes qui, semble-t-il, n'avaient jamais envisagé cette hypothèse. Le Général trouva cependant progressivement des appuis, notamment après son succès de 1962. Mais finalement la querelle n'aura été tranchée que très partiellement par le peuple, car si la tendance actuelle chez les juristes est de conclure à l'inconstitutionnalité, malgré les déclarations de circonstance du président Mitterrand[54], seule une révision de l'article 11 qui interdirait cette interprétation pourrait définitivement y mettre un terme, dès lors que le Conseil constitutionnel se refuse encore à contrôler son usage[N 39]. En 1998, le Conseil d'État a néanmoins réaffirmé implicitement, à l'occasion d'une décision touchant à la notion de référendum, que l'article 11 ne peut servir à modifier la Constitution[55].
L’objet des révisions engagées par de Gaulle
- En 1962, la révision entreprise concerne l'élection du président au suffrage universel direct. C'est sans doute, complétée depuis par la révision de 2000 (quinquennat), la révision majeure du régime et on pressent déjà qu'elle va confirmer à l'époque l'évolution du régime vers un régime parlementaire semi-présidentiel, c'est-à-dire, un régime singulier où le président de la République domine, même si toutes les autres caractéristiques du régime parlementaire sont conservées (ce qui constitue une alchimie propre à la France). Le projet de loi sera largement plébiscité, ce qui sera censé faire jurisprudence et avaliser ce recours direct à l'article 11.
- En 1969, la révision porte sur la réforme du Sénat et la création des régions en tant que collectivité territoriale. La révision sera au contraire rejetée, ce qui conduira à la démission volontaire du Général.
Les deux thèses en présence, dont beaucoup d'arguments qu'elles présentent sont réversibles, peuvent se résumer très partiellement ainsi :
La thèse gaullienne en faveur de l'utilisation directe de l'article 11
Dans la forme
De Gaulle qui connaissait l'hostilité du Parlement à une réforme qui le dessaisissait de sa participation à l'élection présidentielle, trouve dans le recours direct à l'article 11 le moyen d'éviter la phase parlementaire qui constitue le préalable obligé à la ratification populaire devant conclure la procédure de révision prévue à l'article 89. C'est sans doute là sa motivation essentielle. En effet, par essence, le référendum est pour lui un moyen indiqué d'en appeler directement au Peuple-Arbitre, souverain suprême, pour contourner un désaccord avec ses représentants.
Sur le fond
- De Gaulle invoque le principe parfaitement binaire de l'article 3 qui met la souveraineté populaire à égalité avec la souveraineté représentative, ce qui permet une alternative à l'article 89. En complément est invoquée la formulation de l'article 11 : « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics ». Le général en déduit qu'un projet de loi constitutionnelle ne saurait être exclu (« tout projet »), d'autant que son objet concerne bien l'organisation des pouvoirs publics ;
- Les constitutionnalistes qui soutinrent de Gaulle firent remarquer, entre autres, que l'on pouvait difficilement critiquer le recours direct au peuple, identifié au pouvoir constituant originel, concevant mal que l'on puisse faire prévaloir le pouvoir constituant dérivé incarné par le Parlement qui, comme le souligna le Premier ministre Pompidou, ne saurait pouvoir disposer d'un veto sur le peuple ;
- Une autre thèse plus technique défendue par le professeur Lampué conclut que, puisqu'il est admis que l'article 11 peut se substituer de facto aux procédures d'adoption législative prévues aux articles 45 et 46 (qui ne mentionne pourtant pas cette hypothèse) en matière de lois ordinaires et de lois organiques, il est difficile de ne pas accepter qu'il se substitue aussi à l'article 89 en matière de lois constituantes.
La thèse de l'inconstitutionnalité
Le procédé dans son principe, comme l'argumentation gaullienne, ont été beaucoup critiqué, y compris dans un avis du Conseil d'État[56], même si de grands noms comme les professeurs Duverger et Vedel[57] évoluèrent après 1962. En particulier, on fit remarquer notamment sur le terrain de l'exégèse :
- que la Révision constitutionnelle fait l'objet du titre XIV de la constitution, sous lequel se trouve l'article 89, article unique dont c'est l'objet spécifique ;
- or, si l'article 11 avait entendu faire exception, il y serait fait mention dans le corps de l'article, comme cela est explicitement le cas pour l'article 85 (aujourd'hui abrogé) qui prévoyait justement une procédure dérogatoire de révision visant l'ancienne Communauté française ;
- de même, si le constituant avait entendu permettre à l'article 11 d'agir en matière constituante, il n'aurait pas été prévu qu'il soit implicitement nécessaire de procéder à une révision constitutionnelle préalable avant la ratification, par ce référendum, d'un traité éventuellement contraire à la constitution ;
- de même encore, puisque la Constitution prohibe l'usage de l'article 89 en cas d'« atteinte à l'intégrité du territoire » pour interdire, en fait, une révision sous influence, il serait curieux dans ce cas de permettre une révision par l'article 11 qui, lui, n'est pas visé par cette prohibition ;
- en outre, l'article 89 prévoit une phase d'adoption parlementaire nécessairement précédée d'un débat. Or si le constituant avait entendu prévoir une alternative à la révision avec l'article 11 qui n'en prévoit pas (à l'époque), l'hypothèse de la garantie qu'est censé apporter ce débat devient absurde ;
- on fit remarquer également qu'il fallait distinguer les pouvoirs publics constitutionnels (éminents) du ressort du constituant, des pouvoirs publics qui lui sont subordonnés, uniquement visés en réalité à l'article 11 parce qu'ils sont justement du domaine de la loi (art. 34);
- surtout, la superposition au sein de l'article 89 du pouvoir constituant dérivé (phase parlementaire) puis du pouvoir constituant originel (ratification référendaire) est en cohérence avec le principe de l'article 3 évoquant simultanément, et dans cet ordre, ces deux sources de souveraineté ;
- enfin, si coutume il y avait à la suite de la ratification populaire de 1962, coutume il n'y a plus avec l'échec de 1969, d'autant que pour la majorité des juristes les éléments constitutifs de la coutume n'ont jamais été réunis[N 40].