Révolution
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Une révolution, mot pris ici dans son acception politique, est un renversement radical d’un régime en place, et ce, par la force.
Ce fait social est, par exemple, défini par le Larousse (édition 1985) comme un « changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d'un État, qui se produit quand un groupe se révoltant contre les autorités en place, prend le pouvoir et réussit à le garder »[1].
Le mot « révolution » n'apparaît dans le langage courant qu'à la fin du XVIIe siècle, lors de la Glorieuse Révolution anglaise de 1688, qui est une prise du pouvoir exécutif par une oligarchie ploutocratique, mais établissant une monarchie constitutionnelle. La révolution américaine, qui commence en 1763, oppose l'Empire britannique à des indépendantistes républicains. La Révolution française constitue, elle, un fait historique plus complexe, amorcée dès avant 1789, et qui voit l'abolition de l'Ancien Régime.
Au XIXe siècle, le Français Tocqueville est l'un des premiers à porter un regard critique sur le « mouvement révolutionnaire », associé au siècle des Lumières, qu'il ne dissocie pas d'une tendance des nations à s'instituer en États (centralisés ou fédérés, mais aux pouvoirs sans cesse étendus), tandis que, face aux inégalités croissantes que génèrent le capitalisme et le colonialisme, l'Allemand Karl Marx, entre autres, développe les premières approches théoriques du matérialisme historique, d'une « révolution prolétaire », qui doit nécessairement advenir au sein des pays industrialisés dominés par une classe sociale, la bourgeoisie marchande. La fin de ce siècle est tiraillée entre différentes formes d'impérialismes, lesquelles génèrent leur absolue contradiction, l'anarchisme.
Au XXe siècle, trois courants principaux émergent : l'un, dans la lignée du socialisme révolutionnaire, s'illustre par la révolution chinoise de 1911 et la révolution russe de 1917, deux régimes, antérieurement absolutistes, qui conduiront à des dictatures de fait au nom du marxisme-léninisme. Le deuxième, convoque le nationalisme exacerbé allié au socialisme et au populisme, et engendre des révolutions à caractère fasciste (Italie en 1922, Allemagne en 1933). Ces deux premiers courants voient le recul des libertés individuelles, la disparition du régime parlementaire et la prise du pouvoir par une élite autoproclamée s'imposant par la violence policière et militaire. Le troisième courant enfin, qui s'illustre par les révolutions du tiers monde, dans le cadre de la décolonisation et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce siècle est traversé par deux guerres mondiales qui impactent nécessairement de nombreux régimes politiques.
À la fin du XXe siècle, des révolutions à caractère religieux adviennent (par exemple, l'Iran en 1979), tandis que s'organisent, ailleurs, des mouvements destinés à combattre le néolibéralisme et que s'effondre le régime soviétique. La Chine, elle, toujours dirigée par un parti unique, entreprend sa propre révolution, en s'ouvrant à une forme de capitalisme, tout en adhérant à la doxa marxiste-léniniste.
Au XXIe siècle, d'autres formes de révolution se profilent, ancrées par exemple dans la transition écologique, l'altermondialisme, le libertarianisme, l'islamisme, au moment où plusieurs milliards d'individus se retrouvent connectés aux réseaux sociaux.
La révolution n'est donc pas un simple coup d'État, et n'obéit pas non plus nécessairement à une logique démocratique : « C'est parce que la société a toujours raison que l'histoire est tragique »[2].
Le mot « révolution » est issu du bas latin et latin chrétien revolutio « révolution, retour (du temps) ; cycle, retour (des âmes par la métempsychose) » ; latin médiéval « révolution (astronomique) », dérivé du latin revolvere « rouler (quelque chose) en arrière ; imprimer un mouvement circulaire à, faire revenir (quelque chose) à un point de son cycle ». C'est en 1660, lors de la restauration de la monarchie anglaise, qu'il a été utilisé pour la première fois dans son sens actuel, celui d'un mouvement politique amenant, ou tentant d'amener un changement brusque et en profondeur dans la structure politique et sociale d'un État.
La difficulté à définir le terme vient d'un usage répandu qui tend à le confondre avec celui de « révolte », lequel désigne la contestation par des groupes sociaux de mesures prises par les autorités en place, sans que cette contestation s'accompagne nécessairement d'une volonté de prendre le pouvoir et de se substituer à ces autorités. On parle donc habituellement de révolution a posteriori, une fois que le soulèvement a débouché sur une prise de pouvoir, laquelle s'exprime ensuite par d'importants changements institutionnels[3]. À la différence de la révolte, qui est un mouvement de rébellion spontané se manifestant très tôt dans l'histoire (ex. la révolte de Spartacus), la révolution est généralement considérée comme un phénomène moderne et, sinon prémédité, du moins précédé de signes annonciateurs. Le mot désigne alors une succession d'événements résultant d'un programme (ou projet), voire d'une idéologie. Ce qui distingue donc la révolution de la simple révolte, c'est qu'il est possible de la théoriser[4].
Selon l'historien américain Martin Malia[5], c'est quand la sociologie émerge comme science humaine, distincte de l'histoire, que l'on peut analyser le phénomène révolutionnaire. Crane Brinton est le premier à s'engager dans cette voie en 1938 avec The Anatomy of Revolution. Il entend mettre en valeur différents motifs qu'elles ont en commun, notamment la fièvre qui s'empare d'un peuple quand le pouvoir ne répond plus à ses attentes. Mais Malia note que bien qu'il ait remanié son ouvrage en 1965, Brinton (au départ spécialiste de la Révolution française) applique aux révolutions anglaise, américaine et russe des facteurs caractéristiques du cas français[6]. Faisant mention des travaux d'autres penseurs américains ayant essayé de formuler une typologie (Barrington Moore, Charles Tilly…), il estime qu'aucune conceptualisation n'est convaincante ni même envisageable.
En Europe également, des efforts sont déployés pour définir exactement le mot « révolution ». Analysant les tentatives d'Henri Janne[7], Jules Monnerot[8], Jean Baechler[9] et Pierre Lepape[10], le penseur français Jacques Ellul[11] relève lui aussi des carences et des incohérences et il estime que les contextes historiques sont beaucoup trop différents pour que l'on puisse se risquer à fixer un concept universel. Tout au plus peut-on se livrer à des analyses comparées, ce qu'il fait lui-même. En revanche, Ellul distingue nettement la « révolte » de la « révolution », considérant que l'on ne peut parler de révolution sans traiter des rapports que les individus établissent avec l'État. Thèse que reprend plus tard la sociologue américaine Theda Skocpol[12], s'appuyant sur sa formule « bringing the State back in » (« ramener l'État au cœur du débat »)[13].
Un rapport conflictuel à l'État
La « révolution », comme le « réformisme » vise à une transformation de l'organisation de la société, mais elle s'en distingue du fait qu'elle se présente comme une crise, un rapport de force se manifestant généralement par la violence. Elle entre ouvertement en conflit avec l'État et elle l'attaque de l'extérieur quand le réformisme entend modifier celui-ci en douceur, étape par étape et en général de l'intérieur. Pour autant, la révolution ne peut pas s'assimiler strictement à une posture anarchiste. En 1902, Paul Eltzbacher considère en effet que bien que les fondateurs de l'anarchisme[14] aient en commun de rejeter l'autorité de l’État, il convient de distinguer ceux qui, comme Godwin et Proudhon, prévoient la transition de la société actuelle à la société préconisée sans violation du droit, de ceux qui ne l'envisagent que par coup de force. Eltzbacher qualifie ces derniers de révolutionnaires[15]. Un siècle plus tard, Xavier Bekaert adopte lui aussi cette typologie[16]. Selon cette approche, ce que l'on appelle aujourd'hui désobéissance civile peut donc être compris comme un acte « pré-révolutionnaire ». Mais pour être qualifié pleinement de « révolutionnaire », un acte doit viser à renverser un gouvernement et lui en substituer un autre. Ellul souligne qu'il y a dans la révolution un véritable projet, une volonté de bâtir de nouvelles institutions, dimension qui manque à la simple révolte, laquelle relève de l'acte désespéré quand bien même elle peut s'en prendre à l'État[17].
Un acte de renforcement de l'État
Si la majorité des théoriciens s'accordent à dire que la révolution vise à substituer un gouvernement à un autre, une autre difficulté à poser le concept de « révolution » vient du fait que la notion de gouvernement « évolue » sensiblement avec le temps depuis le XVIIIe siècle. Avant les grands événements révolutionnaires, en effet, la fonction d'un gouvernement était simplement d'instituer des lois garantissant le maintien d'un certain ordre dans la vie quotidienne et de protéger les populations des attaques des peuples étrangers. Or, la révolution américaine puis la Révolution française ont considérablement étendu le champ de ses compétences : celles-ci concernent désormais également l'éducation, la santé, la sécurité sociale, etc. À tel point que la notion d'État est devenue extrêmement concrète. Si dès le XIXe siècle, les intellectuels s'efforcent non seulement de la théoriser mais d'en faire l'apologie (Hegel en particulier), c'est que les individus ont de plus en plus tendance à s'en remettre à lui, comme en s'en remettait autrefois à l'autorité divine, afin qu'il prenne soin de leur condition (au XXe siècle, on parlera même d'État-providence)[18]. Dans le sillage de la pensée de Tocqueville, Ellul pense que les révolutions ne font finalement que renforcer le pouvoir étatique au détriment de la responsabilité des individus[19],[20].
Vers une désacralisation de l'État ?
Karl Marx fait le constat que la bourgeoisie a pris le contrôle de l'État dans le seul but de légitimer ses propres intérêts. Après avoir pris, au XIVe siècle, le pouvoir économique, elle a, au XVIIIe siècle, renforcé sa domination en créant de toutes pièces une classe sociale qui n'existait pas : la classe ouvrière (que Marx appelle « prolétariat »). De fait, la révolution industrielle est un mouvement initié par la bourgeoisie, au cours de laquelle une grande partie de la population rurale émigre vers les villes (urbanisation) pour se mettre à son service. Sans le régime salarial, aucune industrialisation n'aurait été possible ; or seul l'État est apte à légitimer le salariat, à rendre normal et acceptable le fait que le bourgeois est propriétaire de la force de travail de l'ouvrier. Pour ce faire, il fallait que celui-ci prenne lui-même le contrôle politique, qu'il se saisisse des rênes de l'État. Ce qu'il fait à partir de la Révolution française[Information douteuse].
Quant à Lénine, dans une célèbre conférence donnée le 11 juillet 1919, il conclut en ces termes en envisageant l'avenir : « Nous avons enlevé cette machine (l'État) aux capitalistes, nous l'avons prise pour nous. Avec cette machine ou cette massue nous écraserons toute l'exploitation, et lorsque sur la terre il n'y aura plus de possibilités d'exploitation, plus de gens possédant des terres et des fabriques, plus de gens qui se gavent tandis que d'autres ne mangent pas à leur faim, lorsque de telles choses ne seront plus possibles, alors, seulement, nous mettrons cette machine au rancart. Alors il n'y aura ni État, ni exploitation »[21].
Ellul reprend l'analyse de Marx : l'État est un appareil qui, sous couvert de républicanisme, justifie politiquement la domination économique bourgeoise. La démocratie parlementaire n'est donc qu'un dispositif spectaculaire tendant à faire croire à n'importe qui qu'il peut diriger l'État alors qu'en réalité, cela reste le privilège exclusif de la bourgeoisie possédante[22]. Ellul considère l'anarchisme comme « la forme la plus aboutie du socialisme »[23] au sens où, ayant démontré que tout État (même se réclamant du marxisme) étouffe l'initiative individuelle, la révolution doit avoir pour objectif de le démystifier, le faire apparaître pour ce qu'il est : « une machine » (bureaucratie, technocratie…) - qui plus est « une machine à légitimer la domination » - puis lui substituer des structures déconcentrées (fédéralisme), à taille plus humaine, donc respectueuses des individus. Ellul se démarque toutefois de l'anarchisme, considérant qu'il est utopique de croire que l'on peut supprimer l'État car il est désormais beaucoup trop ancré dans les consciences. En revanche, il estime que la révolution exige son démantèlement progressif, ce qui nécessite autant de patience et de circonspection que de détermination. La révolution doit viser non pas les anciennes infrastructures de la société (le Capital) mais les nouvelles : la Technique et l'État. Elle reste en tout cas impossible sans la prise de conscience de la place qu'ils ont pris au XXe siècle par rapport au Capital. Aucune révolution n'est possible sans leur désacralisation[24].