Thomas Bruce (7e comte d'Elgin)
diplomate et militaire britannique / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Cher Wikiwand IA, Faisons court en répondant simplement à ces questions clés :
Pouvez-vous énumérer les principaux faits et statistiques sur Thomas Bruce (7e comte d'Elgin)?
Résumez cet article pour un enfant de 10 ans
Thomas Bruce dit Lord Elgin, né le dans la résidence familiale de Broomhall House (Fife) et mort le à Paris, 7e comte d'Elgin et 11e comte de Kincardine, fut un diplomate et militaire britannique, surtout connu pour avoir transporté le décor sculpté du Parthénon d'Athènes à Londres.
Pour les articles homonymes, voir Lord Elgin, Thomas Bruce et Bruce.
Ambassadeur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande dans l'Empire ottoman (d) | |
---|---|
- | |
Ambassadeur du Royaume-Uni en Turquie (d) | |
- | |
Ambassadeur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande en Prusse (d) | |
- | |
Membre de la Chambre des lords |
Comte d'Elgin | |
---|---|
Comte de Kincardine |
Naissance | |
---|---|
Décès | |
Nationalité | |
Formation | |
Activité | |
Famille | |
Père | |
Mère |
Martha Bruce (en) |
Fratrie |
Charles Andrew Bruce (en) |
Conjoints |
Mary Nisbet (à partir de ) Elizabeth Oswald (d) (à partir de ) |
Enfants |
A travaillé pour |
Bureau des Affaires étrangères (d) |
---|---|
Parti politique | |
Membre de |
Thomas Bruce devint Lord Elgin à cinq ans, après les morts de son père et de son frère aîné. Ses études le menèrent à Paris et Dresde. Il commença une carrière militaire, qui resta virtuelle même s'il finit au grade de général en 1837. Il fit surtout une carrière diplomatique d'abord à Vienne, puis Bruxelles et Berlin. Il fut en 1798 approché personnellement par le roi George III qui désirait nommer un ambassadeur auprès de la Sublime Porte à Constantinople. En effet, le Royaume-Uni n'y était alors représenté que par les agents commerciaux de la Levant Company. Lord Elgin quitta la Grande-Bretagne en septembre de l'année suivante avec sa jeune épouse enceinte et une importante suite. L'ambassadeur fut accueilli de façon fastueuse dans la capitale ottomane. Là, il se heurta immédiatement à l'agent de la Levant Company John Spencer Smith et au frère de celui-ci l'amiral William Sidney Smith. Les difficiles relations entre les trois hommes ternirent les négociations autour de l'évacuation de l'Égypte par les troupes françaises et entraînèrent la bataille d'Héliopolis (1800).
Avant son départ, Lord Elgin avait été convaincu par l'architecte Thomas Harrison de faire en sorte que son ambassade fût « profitable aux Beaux-Arts en Grande-Bretagne[1] ». Une partie des employés d'Elgin fut embauchée dans ce but. À Athènes, sous la direction de Giovanni Battista Lusieri, ils enlevèrent de l'Acropole entre 1801 et 1805 : sur le Parthénon : 12 statues des frontons, 156 plaques de la frise et 13 métopes ; la frise du temple d'Athéna Nikè et une cariatide de l'Érechthéion. En tout, plus de 200 caisses quittèrent la Grèce.
La fin de la vie de Lord Elgin fut marquée par les scandales, les procès et les difficultés financières. Prisonnier de Napoléon, il perdit toute possibilité de poursuivre sa carrière diplomatique. En 1807-1808, après un long procès et un Acte du Parlement, il divorça de sa première épouse Mary Nisbet, après l'infidélité de celle-ci. Surtout, les « marbres Elgin » furent la ruine de ses finances et de sa réputation. Il fut très critiqué pour ses « déprédations » à Athènes par des personnalités telles que Lord Byron.
Famille et éducation
Thomas Bruce était le cinquième des huit enfants et deuxième des quatre fils de Charles Bruce et de son épouse Martha White. La famille était politiquement proche de William Pitt le Jeune et Henry Dundas qui aidèrent la carrière de Thomas Bruce[2].
En 1771, Thomas Bruce perdit son père et son frère aîné et hérita des titres, à peine âgé de cinq ans. Lord Elgin commença son éducation à la Cormick's School à Wandsworth (banlieue sud de Londres). En 1775, il était à la Harrow School puis à partir de 1778 à la Westminster School. Il fréquenta l’université de St Andrews entre 1782 et 1786 avant d'étudier le droit à la Sorbonne. Il passa aussi un an à Dresde pour apprendre l'allemand, profitant de son séjour pour visiter d'autres villes allemandes[2],[3],[4].
Juste avant de partir pour son ambassade auprès de l'Empire ottoman, Lord Elgin épousa le Mary Nisbet. Elle était considérée comme très belle, et était aussi la fille unique d'un très riche propriétaire terrien de Dirleton (leurs revenus étaient estimés à 18 000 £ par an[N 1])[5],[2],[3]. La fortune de son épouse n'était pas un détail pour Elgin qui se trouvait déjà endetté : il avait beaucoup dépensé pour les débuts de sa carrière diplomatique mais aussi pour le réaménagement de la résidence familiale de Broomhall[3]. Des domaines de la famille Bruce en Écosse étaient extraits de la chaux et du charbon qui firent sa fortune. La propriété familiale de Broomhall avait été construite pour Charles Bruce, le 5e comte d'Elgin, par John Adam. Thomas Bruce la fit raser et fit construire à partir de 1796, un bâtiment plus grand, plus grandiose, dans le goût néoclassique. Il engagea l'architecte Thomas Harrison. Sa fortune ne fut cependant pas suffisante pour couvrir les coûts exorbitants des travaux ; Elgin emprunta et s'endetta, sans réussir à rembourser ; la fortune Nisbet était donc la bienvenue[6],[5].
La jeune femme avait 21 ans et Elgin près de 33 ans. Elle avait hésité avant d'accepter de l'épouser, principalement car elle craignait le voyage en temps de guerre à travers l'Europe et le séjour prolongé dans l'Empire ottoman. Elgin proposa de renoncer à son poste d'ambassadeur et les parents de la jeune femme surent montrer à celle-ci l'avantage pour une famille bourgeoise de contracter un mariage avec une famille de la haute noblesse. Lord Elgin obtint cependant du Foreign Secretary de retarder un peu son départ afin qu'il s'accoutumât à la vie maritale. Les lettres de Lady Elgin à ses parents fournissent une source inestimable pour la période de l'ambassade à Constantinople. Les époux semblent avoir eu dans les premiers temps une relation faite d'affection, pouvant laisser supposer que le mariage n'était pas qu'un mariage de raison[5]. Ils eurent deux fils et trois filles[2]. Leur premier fils naquit à Constantinople en [7]. Leur divorce, pour adultère de sa part à elle, nécessita un Acte du Parlement après des procès devant les justices anglaise et écossaise (1807-1808). Cela causa un important scandale[2].
Elgin se remaria le avec Elizabeth Oswald, fille de James Townsend Oswald. Ils eurent cinq fils et trois filles, dont James, l'héritier du titre et gouverneur général des Indes[2], et Augusta Stanley qui fut dame de compagnie de la reine Victoria.
Carrière militaire et politique
En 1785, Thomas Bruce entra comme enseigne au 3e régiment des Scots Guards. Lorsque les guerres révolutionnaires commencèrent en 1793, il fut chargé du financement d'un régiment de « Fencibles » (milice de défense côtière) dont il devint le lieutenant-colonel. Bien qu'il ne commandât jamais son régiment qui ne vit jamais le feu, Lord Elgin monta régulièrement en grade, jusqu'à obtenir celui de général en 1837[4],[2],[3].
En 1790, Lord Elgin désira se lancer en politique. Les pairs écossais n'étant pas de droit membres de la Chambre des lords, il devait y être « élu ». Il se tourna alors vers Henry Dundas qui contrôlait le processus. Il fut rapidement désigné parmi les seize pairs représentants de l'Écosse à la Chambre des lords. Il conserva ce siège jusqu'en 1807. Il participa aux activités de la Chambre autant que ses autres obligations le lui permirent[2],[4],[3].
Premiers postes diplomatiques
En 1791, Robert Murray Keith, le ministre plénipotentiaire britannique auprès du Saint-Empire romain germanique tomba malade. Le gouvernement britannique désirait le replacer rapidement, afin de poursuivre les négociations pour convaincre le nouvel empereur Léopold d'entrer dans ce qui allait devenir la Première Coalition contre la France de la Révolution. Henry Dundas avait été favorablement impressionné par les premières activités de Lord Elgin à la Chambre des lords. Il lui proposa le poste. Elgin l'accepta immédiatement. Il dîna avec le Premier ministre William Pitt le soir même. Celui-ci lui expliqua ce qu'il attendait de lui en politique étrangère. À la fin de la soirée, en raison de ce que Pitt considérait comme une urgence, le Premier ministre se fit apporter encre et papier et lui rédigea ses instructions. Elgin était « Envoy-Extraordinary ». Il partit le lendemain[8],[2],[3]. Le diplomate britannique accompagna l'Empereur autrichien dans sa tournée des territoires italiens pour tenter de l'amener dans l'alliance britannique. S'il n'y réussit pas, sa réputation diplomatique était cependant faite[9].
Quand Keith reprit son poste à Vienne, le gouvernement envisagea de continuer à employer Lord Elgin. Il présentait en effet plusieurs avantages. Sa fortune était modeste, ce qui l'obligeait à se trouver un emploi ; mais elle était suffisamment importante pour que l'appât du gain ne fût pas sa seule motivation. Enfin, il faisait partie des tories dévoués au gouvernement. Le poste d'ambassadeur auprès du royaume de Prusse lui fut proposé. Elgin préférait Bruxelles (Pays-Bas autrichiens) car il serait plus proche de Londres où il comptait poursuivre son travail à la Chambre des lords. À sa demande, il y fut donc nommé « Envoy-Extraordinary ». Il passa presque tout son temps à faire la liaison avec l'armée du Saint-Empire qui affrontait les troupes françaises. Il ne quitta la Belgique que lorsque ces dernières l'emportèrent définitivement[9],[2],[3].
Il revint en Grande-Bretagne en 1794-1795, partageant son temps entre Londres et l'Écosse[2],[3]. En 1795, Lord Elgin ne put plus refuser et fut nommé ministre plénipotentiaire à Berlin. C’est là qu'il devint l'ami de John Tweddell[10],[2],[3]. Elgin resta en poste près de trois ans. Il découvrit, à sa naïve surprise la réalité de la diplomatie européenne : les intrigues, la diplomatie parallèle et le « renseignement. » Une bonne partie aussi de son activité nécessitait sa participation à la vie mondaine de la capitale prussienne. Il semble ne pas y avoir excellé : il était absent régulièrement pour aller prendre les eaux dans diverses stations balnéaires d'Allemagne (pour soigner ses « rhumatismes », plus probablement sa syphilis[2]) ; il était un hôte assez froid ; très souvent, sa porte n'était ouverte le soir qu'à sa « favorite » Madame Ferchenbeck[10].
Il revint brièvement en Grande-Bretagne en 1798, après la noyade accidentelle de son frère James. En décembre de la même année, il était nommé ambassadeur auprès de la Sublime Porte du sultan Sélim III à Constantinople[11],[2],[3].
Ambassadeur à Constantinople
Organisation de l'ambassade
En , Lord Elgin assistait à un bal donné par le roi George III dans sa résidence de Gloucester Lodge à Weymouth. Le souverain lui expliqua, lors d'une conversation particulière, qu'il songeait à envoyer un ambassadeur à Constantinople[6]. En effet, le Royaume-Uni montrait peu d'intérêt pour l'Empire ottoman : il n'y avait pas toujours d'ambassadeur ; parfois un simple chargé d'affaires l'y représentait ; parfois même, il laissait les relations diplomatiques à la Levant Company qui disposait même du privilège de nommer tous les diplomates (ambassadeur, consuls et leurs employés) auprès de toutes les puissances levantines. Même si la compagnie commerciale était alors en déclin, le gouvernement britannique maintenait la fiction de son rôle diplomatique en lui demandant d'approuver les ambassadeurs[N 2]. Le dernier ambassadeur, Robert Liston, était rentré en 1794. Depuis lors, son ancien secrétaire particulier, John Spencer Smith, par ailleurs employé de la Levant Company, faisait office de chargé d'affaires. Cependant, le débarquement de Bonaparte en Égypte et la victoire française aux Pyramides changèrent la donne. L'Empire ottoman devenait un allié potentiel dans la guerre que la Grande-Bretagne menait contre la France. Spencer Smith fut chargé d'entamer les négociations, tandis qu'une mission militaire, commandée par le général Koehler, était envoyée pour proposer de moderniser l'armée ottomane et tandis surtout que la flotte commandée par William Sidney Smith (le propre frère du chargé d'affaires) entrait en action. Pour donner encore plus de poids à l'amiral, le gouvernement britannique lui accorda le rang diplomatique de ministre plénipotentiaire. Ses victoires navales et terrestres (en Syrie) augmentèrent encore sa renommée, alors que le gouvernement britannique avait décidé de nommer un véritable ambassadeur[12].
Le roi, lors du bal à Gloucester Lodge, suggéra en effet à Lord Elgin de se porter candidat au poste d'ambassadeur à Constantinople. Au mois de novembre suivant, depuis Brighton où il séjournait pour sa santé, Elgin écrivit en ce sens au Foreign Secretary Lord Grenville. En décembre, il était nommé[6]. Ses instructions (vingt-six pages) étaient d'un côté très générales et de l'autre très précises. Il devait, comme ce serait le cas pour tous ses successeurs, veiller aux intérêts de Sa Majesté et des sujets britanniques, promouvoir leurs activités commerciales et protéger les Chrétiens de l'Empire ottoman, avec un intérêt particulier pour les Protestants. Il devait aussi, plus précisément essayer d'obtenir de la Porte l'ouverture de la mer Noire au commerce britannique et encore plus spécifiquement y obtenir des droits d'exploitation du bois. Il devait demander l'autorisation d'installer un relais de poste à Suez et dans d'autres ports de l'Empire. Son objectif principal, non écrit tellement il semblait évident, était de travailler à l'expulsion des Français d'Égypte en particulier et de Méditerranée orientale en général[13].
Le nouvel ambassadeur commença immédiatement à recruter son personnel. Il se choisit William Richard Hamilton comme premier secrétaire particulier et John Philip Morier comme second secrétaire particulier. Les deux hommes avaient tous les deux 22 ans ; ils entraient dans la carrière diplomatique et Constantinople seraient leur premier poste. Philip Hunt, âgé de 28 ans, fut recruté comme chapelain[14].
Thomas Harrison, l'architecte spécialisé dans le Greek Revival, chargé des travaux de Broomhall, apprenant que son patron partait pour l'Empire ottoman lui suggéra d'utiliser l'occasion de son ambassade pour augmenter la connaissance de l'architecture antique en Grande-Bretagne. Selon Harrison, les plus beaux exemples d'architecture classique se trouvaient non pas à Rome, mais à Athènes. L'idée était de publier une étude des bâtiments antiques de la cité alors sous domination ottomane, ainsi que de réaliser des moulages des éléments remarquables d'architecture et de sculpture. Il n'était alors pas envisagé de prélever directement sur les bâtiments des exemples de sculpture antique[2],[3],[1]. Lord Elgin s'enthousiasma. Régulièrement par la suite, il déclara que son ambassade se devait d'être « profitable aux Beaux-Arts en Grande-Bretagne » ; se devait de « faire progresser le bon goût en Angleterre » ou se devait « faire avancer la littérature et les arts »[N 3].
Lord Elgin présenta le projet à Lord Grenville, Henry Dundas et William Pitt le Jeune, suggérant que le gouvernement britannique finançât un artiste et des ouvriers pour dessiner et réaliser des moulages architecturaux. Il ne convainquit pas. Grenville répondit que le travail avait déjà été en grande partie réalisé (il faisait probablement référence aux Antiquities of Athens de Stuart et Revett) et que le Foreign Office ne disposait pas de fonds pour ce genre de projet. Elgin décida alors de le financer lui-même. Il contacta à cet effet le président de la Royal Academy, Benjamin West qui relaya la proposition aux membres de l'Académie. Elgin rencontra divers artistes : Thomas Girtin, Robert Smirke ou William Daniell. Les contrats proposés par Elgin ne satisfirent pas les peintres. Selon Daniell, il aurait été rémunéré 30 livres par an (soit moitié moins que le valet de pied du comte). Turner fut ensuite contacté. Comme il commençait à être connu, il put poser ses conditions. Il voulait, selon les versions entre 400 et 800 livres par an et exigeait de conserver la pleine propriété des dessins et croquis qu'il réaliserait. Cette fois, ce fut Elgin qui refusa. Il avait en fait en tête l'exemple du peintre allemand au service d'un de ses prédécesseurs, Robert Ainslie qui avait été payé 50 guinées par an et dont les œuvres étaient devenues la pleine propriété d'Ainslie. Les Britanniques étant trop chers, Elgin décida que son secrétaire particulier Hamilton recruterait les artistes en Italie[2],[3],[15].
Au même moment, les évêques de Lincoln (George Pretyman Tomline) et de Durham (Shute Barrington) avaient suggéré d'envoyer un érudit à la recherche de manuscrits anciens dans les bibliothèques de l'Orient, à Constantinople, au mont Athos ou ailleurs. Le gouvernement britannique accepta de financer ce projet. Les évêques suggérèrent d'abord d'envoyer Richard Porson. Finalement, Joseph Dacre Carlyle, un orientaliste professeur d'arabe à l'université de Cambridge fut attaché à l'ambassade Elgin[2],[3],[16]. Une légende tenace courait en effet en Occident à propos de la bibliothèque du Sérail : comme le palais avait été celui des Empereurs byzantins et que les Ottomans y avaient fait peu de transformations, alors, la bibliothèque impériale devait encore s'y trouver. Le problème était bien sûr que le Sérail était interdit aux chrétiens. Elgin devait donc faire en sorte d'en obtenir l'accès pour Carlyle[17].
Il devint alors évident à Lord Elgin que son ambassade allait lui coûter très cher. Il mena d'âpres négociations avec les ministres pour obtenir un traitement digne de sa fonction. Il transigea à une somme bien inférieure à ce qu'il espérait : 6 600 £ par an[N 4] plus la prise en charge de quelques frais. Cela eut des conséquences immédiates. Philip Hunt, qui a laissé de nombreuses lettres fournissant donc des sources inestimables, découvrit en arrivant à Londres qu'il ne serait vraisemblablement payé qu'à la fin de l'ambassade. Il dut emprunter à sa famille et embarqua avec seulement 12 guinées en poche[18].
En , l'ensemble des membres de l'ambassade étaient réunis à Portsmouth pour embarquer sur la frégate HMS Phaeton, commandée par James Nicoll Morris (en). En effet, le Royaume-Uni étant en guerre, il fallait protéger l'ambassadeur et sa suite. Le navire était d'ailleurs armé en guerre et était fort peu confortable pour l'ensemble de ses passagers : Lord et Lady Elgin, les deux secrétaires particuliers Hamilton et Morier, le chapelain Hunt, le professeur Carlyle, le médecin McLean, le courrier Duff, trois femmes de chambre de Lady Elgin et des bonnes et des chiens en nombre indéterminé. Hunt raconte dans une lettre comment les cinq hommes de la suite (Duff exclu) partageaient un compartiment avec treize grosses malles et de très nombreuses petites, la bibliothèque de voyage, des couvertures, des tapis, des balais et un canon de 18 livres et ses munitions. Le plus gros des bagages (carrosse, pianos, meubles, vaisselle et cadeaux à destination de l'administration ottomane) avec le reste des domestiques avait déjà été envoyé sur un gros navire de commerce. Le , le navire appareilla[19].
Voyage à escales
En , Lady Elgin était enceinte de deux mois. Dès les premières heures du voyage en mer, son état devint évident : elle fut immédiatement malade. Le médecin de l'ambassade ne put rien pour elle. Il fallut se résoudre à faire aussi souvent que possible des escales aussi longues que nécessaires pour lui permettre de se remettre[20].
Pour les autres passagers, le voyage fut contrasté. Le navire transportant des personnalités, son capitaine avait embarqué nourriture fraîche et vins fins pour sa table. Morris y dînait avec Lord Elgin et certains de ses officiers (comme le jeune Francis Beaufort) ainsi que certaines personnes de la suite de l'ambassadeur. Les premières déceptions, qui allaient sur le long terme jouer contre Elgin, eurent lieu. Le Lord, toujours d'un abord aussi froid, fit preuve de favoritisme, préférant Carlyle aux autres, et les vexant, principalement Hunt. De même, leur patron fut très clair, confirmant leurs craintes. Ils ne seraient payés qu'à la fin de l’ambassade, à leur retour. En attendant, ils devraient couvrir leurs frais sur leurs propres deniers[21].
La première escale, à Lisbonne, dura quelques jours. L'ambassadeur et sa suite furent reçus par les officiers britanniques stationnés dans la capitale portugaise. Le Phaeton repartit lorsque Lady Elgin se sentit mieux. En approchant du détroit de Gibraltar, le navire se prépara au combat. En effet, il restait un navire de guerre et devait soit anticiper une mauvaise rencontre, soit envisager la nécessité d’arraisonner des navires ennemis. Et ainsi, les 20 et , sans tenir compte de l'état de Lady Elgin, deux navires non identifiés furent pris en chasse et abordés ; ils se révélèrent neutres. L'escale suivante fut Gibraltar. À nouveau, les officiers britanniques jouèrent les hôtes. Plusieurs grandes réceptions furent organisées et la grotte de Saint Michel fut spécialement illuminée pour Lady Elgin[22].
La traversée entre Gibraltar et la Sicile, nouvelle escale sur la route de Constantinople, prit trois jours. Le Phaeton toucha Palerme tout juste un mois après avoir quitté Portsmouth. Les Elgin s'installèrent pour un séjour plus long, dans un palais voisin de celui que partageaient William Hamilton, l'ambassadeur de Grande-Bretagne auprès du royaume de Sicile, son épouse Lady Hamilton et l'amant de celle-ci Lord Nelson. Quelques jours après leur arrivée, ils furent invités par la reine Marie-Caroline qui désirait rencontrer Lady Elgin. Cela ne fut pas sans causer des difficultés à la jeune femme qui n'avait pas les tenues appropriées pour une réception à la cour. L'aide de Lady Hamilton lui fut alors précieuse[23]. Lord Elgin et sa suite restèrent quinze jours à Palerme. Il s'entretint stratégie avec Nelson et antiquités avec Hamilton ; son épouse profita de la vie de cour ; les autres grimpèrent l'Etna ou explorèrent les ruines antiques. La dernière étape fut ponctuée de multiples escales sur les îles de l'Égée où les hommes s'adonnèrent principalement à la chasse, à la grande impatience de Lady Elgin, toujours aussi malade. Le Phaeton arriva enfin à l'entrée des Dardanelles et relâcha à Ténédos pour attendre le navire qui devait accueillir l'ambassadeur britannique (et des vents favorables pour permettre à la frégate de remonter les détroits)[24].
Réception à Constantinople
La réception du nouvel ambassadeur fut grandiose. Le navire amiral de la flotte ottomane, le Sultan Sélim, un navire de ligne de 132 canons, construit en France, commandé par le Capitan pacha, attendait à l'entrée des Dardanelles. Le couple Elgin passa à bord et fut ébahi par la munificence déployée. Les cabines décorées d'armes damasquinées étaient meublées de sofas couverts de soie brodée d'or et d'armoires japonaises. Le dîner fut servi dans de la porcelaine de Dresde et le café présenté dans des tasses ornées de diamants. L'amiral ottoman offrit aux Elgin un modèle réduit du Sultan Sélim, fait de rubis et émeraudes ; trois boîtes de parfum et des châles indiens. Vingt-cinq moutons, six bœufs, du pain et des fruits frais furent transbordés sur le Phaeton pour permettre à l'équipage de festoyer[25].
Les Britanniques ne se rendirent pas immédiatement dans la capitale ottomane. Ils firent une nouvelle escale, avec une excursion à dos d'âne sur la plaine de Troie. Débarquant près du site de Sigée, le couple Elgin, le capitaine Morris, le major Fletcher (envoyé par le général Koehler qui commandait la mission militaire britannique), Carlyle, Hunt, Morier, McLean, une des femmes de chambre de Lady Elgin appelée Masterman et un domestique grec, se rendirent sur un site qui fut identifié comme celui de Troie. Lord Elgin profita de cette excursion pour acquérir ses premiers marbres, au village de Yenice[26].
Une semaine après son entrée dans les détroits, la frégate toucha Constantinople, près de deux mois après avoir quitté Portsmouth. Le couple Elgin fut porté jusqu'à l'ambassade (le Palais de France, libre de ses occupants en raison du conflit franco-ottoman) sur des trônes dorés. Les quinze jours suivants furent marqués par des visites de courtoisie de multiples hauts fonctionnaires ottomans, apportant des cadeaux somptueux : l'un accompagné de 90 serviteurs portant des plateaux de fleurs, fruits et douceurs, un autre se contentant de 30 serviteurs à plateaux. Lord Elgin participait lui aussi à cet échange de cadeaux, offrant montre en or, paire de pistolets ou bijoux aux fonctionnaires et petite babiole aux serviteurs. Fin novembre, l'ambassadeur fut reçu par le Caïmacan pacha qui remplaçait le Grand Vizir qui commandait l'armée en Syrie puis par le Sultan Sélim III lui-même pour lui présenter ses lettres de créance. Lady Elgin voulut absolument assister aux cérémonies, interdites aux femmes. Un stratagème fut alors imaginé, avec l'accord du Caïmacan pacha : elle devrait être habillée en homme ; elle fut inscrite sur la liste des invités en tant que « Lord Bruce, un jeune homme noble »[27].
Le jour de l'audience auprès du Caïmacan pacha, l'ambassadeur fut accompagné par un important cortège auquel vinrent s'ajouter plusieurs centaines de soldats et serviteurs : il fallut louer un grand nombre de chevaux et bateaux pour traverser vers le Sérail. Le soir un grand bal fut donné à l'ambassade. Trois jours plus tard, pour l'audience auprès du Sultan, toutes les ambassades occidentales contribuèrent au cortège en fournissant chevaux, bateaux, carrosses, chambellans et domestiques. Une troupe de 2 000 janissaires ouvrait la marche. Les Britanniques partirent dès l'aube car le protocole exigeait que le Sultan fit attendre les Occidentaux plusieurs heures à l'entrée de la ville, puis à l'entrée du quartier du Sérail, à l'entrée du palais de Topkapı et enfin dans l'antichambre, signe du mépris d'usage qu'il avait pour eux. Les Ottomans précisèrent cependant que ces insultes apparentes n'étaient qu'une question d'étiquette. Pendant les heures d'attente, des cadeaux furent apportés : de nombreuses luxueuses pelisses et un repas de 26 plats servis sur des plateaux d'argent. Enfin, Elgin, « Lord Bruce » et onze autres furent admis en présence du Sultan, surveillés par les eunuques blancs, les épaules et le cou tenus par les gardes. Après tout le luxe auquel ils avaient été habitués, la salle du trône les déçut. Elle était petite, mal éclairée, avec des fenêtres donnant apparemment sur un poulailler. Le divan du Grand Seigneur ressemblait selon Lady Elgin à « un bon gros lit anglais[N 5] ». Les échanges de compliments furent formels et courts, mais malaisés car l'étiquette exigeait aussi qu'aucun étranger ne s'adressât directement au Sultan. Lors de deux audiences, on procéda à des échanges de cadeaux. Elgin avait apporté trois sacs de brocart : deux pour ses lettres de créance pour le Grand Vizir et le Sultan et un pour le traité d'alliance. Le Caïmacan pacha lui offrit des pelisses et un cheval avec son harnachement en or. Les cadeaux du Sultan avaient été offerts lors de l'attente. Elgin pour sa part offrit plusieurs pendules, un chandelier, une boîte émaillée et plusieurs mètres de tissus précieux au Grand Seigneur. Les autres hauts fonctionnaires reçurent des pierres précieuses, des tissus (Elgin en offrit près de 900 mètres), des fourrures, des pendules, des montres, des pistolets, etc. Au total, ces cadeaux lui coûtèrent 7 000 £. Après la fin du bal organisé pour célébrer sa réception par le Sultan, Elgin envoya la facture au Foreign Office[28].
Vie dans la capitale ottomane
Une bonne partie de la diplomatie à la fin du XVIIIe siècle se déroulait lors de la vie mondaine. L'ambassade d'Elgin à Constantinople ne fit pas exception à la règle. Son mariage lui avait aussi permis, c'était un de ses buts, d'avoir une hôtesse qui recevrait. Fêtes, bals, concerts, soirées où le whist régnait en maître constituaient le quotidien de la communauté diplomatique dans la capitale ottomane. Les délégations des diverses puissances occidentales rivalisaient de faste pour les réceptions. Lord Elgin n'avait qu'une exigence : le respect du dimanche durant lequel il refusait danse et parties de cartes. Lady Elgin se plaignait d'avoir à constamment recevoir, même s'il semble que cela ne lui ait au fond pas déplu. Celle-ci était aussi devenue amie avec la sœur du Capitan pacha. Les deux femmes se rendaient de fréquentes visites. Il arriva que Lord Elgin trouvât sa femme, habillée en turque, parmi les femmes du harem lorsqu'il rendait visite au grand amiral ottoman. La faveur dont jouissait l'épouse de l'ambassadeur auprès d'une des femmes les plus influentes de la capitale suscita de fortes jalousies dans la communauté féminine occidentale. En , naquit le premier fils du couple. Peu de temps après, les parents de Lady Elgin, vinrent, comme ils lui avaient promis, lui rendre visite. Ils restèrent près d'un an[29].
Cependant, tout n'était pas si agréable. Les journées de l'ambassadeur étaient très longues. Grâce à la faveur dont il jouissait auprès des autorités ottomanes, le cérémonial s'était un peu relâché et l'attente de symbolique mépris dans les antichambres était moins longue. De même, les ministres se déplaçaient parfois jusqu'à l'ambassade. Malgré tout, l'étiquette devait être un minimum respectée ; les négociations étaient difficiles ; les conflits avec la Levant Company et les frères Smith n'arrangeaient pas les choses ; et le soir il y avait les réceptions mondaines. Les épidémies qui infestaient régulièrement la capitale touchaient aussi le couple Elgin. Des deux, Lord Elgin, déjà atteint par une infection de longue durée, souffrit le plus. Il attrapa une maladie de peau qui lui fit perdre une partie du nez et le laissa définitivement défiguré[7].
Difficultés avec les frères Smith
À Constantinople, Lord Elgin se heurta rapidement à John Spencer Smith. Le secrétaire particulier de l'ancien ambassadeur Robert Liston avait été nommé chargé d'affaires pendant l'intérim. La nomination d'Elgin entraîna sa rétrogradation au poste de Secrétaire d'ambassade, même si, pour ménager sa susceptibilité, il avait obtenu le titre de « ministre plénipotentiaire honoraire ». Comme il était aussi le représentant de la Levant Company, il était plus ou moins convenu que le nouvel ambassadeur se chargerait des relations diplomatiques et que Spencer Smith prendrait en charge les relations commerciales[2],[30]. Spencer Smith était de plus soutenu par son frère, William Sidney Smith, amiral de la flotte britannique en Méditerranée orientale[2].
Les deux frères avaient fait remarquer, dans deux courriers différents, à Lord Grenville, dès la nomination d'Elgin, que l'annonce de l'envoi d'un ambassadeur allait fragiliser la position de Spencer Smith lors des négociations avec les autorités ottomanes qui pourraient craindre d'avoir à tout recommencer. Le Foreign Secretary se contenta de conférer à Spencer Smith le rang de ministre plénipotentiaire honoraire. En fait, dès , les frères Smith avaient fait entrer l'Empire ottoman dans l'alliance britannique. Il ne restait plus à Elgin qu'à la signer formellement. Ils avaient même obtenu l'ouverture de la mer Noire au commerce britannique alors que le Lord était encore en Sicile. Ils avaient donc déjà réalisé les missions que le roi avait confiées à son ambassadeur. Ils ne voyaient donc pas l'intérêt de celui-ci[31]. Le biographe de William Sidney Smith évoquait en 1848 un dialogue entre l'amiral et le Grand Vizir. Celui-ci aurait interprété la nomination d'un noble grand propriétaire terrien écossais en termes ottomans, considérant que le roi d'Angleterre devait lui aussi apaiser ses « chefs des montagnes ». À cette occasion, il aurait aussi identifié le nom d'Elgin au terme arabe « Elkin » signifiant « mauvais génie », « diable » et voyant dans l'envoi de cet ambassadeur un mauvais signe[N 6],[32],[25].
John Spencer Smith avait bien sûr promis d'aider le nouvel ambassadeur. En réalité, il poursuivit sa politique personnelle, laissant son supérieur hiérarchique dans l'ignorance de la plupart de ses démarches : une bonne partie des documents n'était jamais remise à Elgin ; la correspondance avec les autres diplomates dans l'Empire ottoman s'arrêtait sur le bureau de Spencer Smith ; il rencontrait régulièrement les autorités ottomanes sans se concerter d'abord avec l'ambassadeur sur le contenu des discussions et sans rendre de rapport. La confusion était totale : Spencer Smith se plaignait de son ambassadeur auprès des Ottomans qui, de leur côté, informaient Elgin (leur principal interlocuteur d'un point de vue protocolaire) des démarches de Spencer Smith, à la condition que l'ambassadeur ne révélât pas que les informations venaient d'eux. Le Lord faisait des remontrances régulières à son Secrétaire d'ambassade, qui promettait de s'amender, sans rien changer de son attitude[33].
Les relations ne furent guère plus faciles avec le frère amiral, William Sidney Smith. Celui-ci continuait à se prévaloir de son titre de ministre plénipotentiaire, qu'il avait pourtant perdu dès la réception d'Elgin par le Sultan. De plus, fort de ses victoires, il continuait ses pourparlers avec les Français bloqués en Égypte et en Syrie, ne les détrompant pas lorsqu'ils supposaient qu'il négociait pour les Britanniques et les Ottomans. Le Grand Vizir, qui commandait les troupes ottomanes, se sentit humilié ; Elgin se trouva dans une position difficile : il ne semblait pas capable de tenir son subordonné. Pourtant, il ne put rien faire de plus que réprimander Sydney Smith, sans même pouvoir lui interdire de poursuivre ses négociations[34].
Même le général Koehler, qui commandait la mission militaire britannique, causait des difficultés à l'ambassadeur. Le général s'était donné le titre prestigieux de « Général commandant les forces terrestres de Sa Majesté dans les territoires ottomans[N 7] », un total de soixante-seize hommes. Il exigeait qu'on lui montrât le respect lié à ce titre. Il s'était rendu très impopulaire auprès des autorités ottomanes[35].
Tous, Elgin, les frères Smith et le général Koehler, bombardaient Lord Grenville de courriers où ils se plaignaient les uns des autres. Le ministre n'y prêta pas attention jusqu'au désastre de la convention d'El Arish. Les négociations de Sydney Smith avaient abouti le à la signature entre le Grand Vizir et Kléber de la convention qui aurait permis aux troupes françaises d'évacuer l'Égypte. La flotte de Nelson devait servir au transport des soldats à qui Elgin commença à distribuer des sauf-conduits. Le , l'ambassadeur reçut du ministre Grenville une dépêche datée du interdisant tout autre accord qu'une reddition française sans condition. La convention était nulle et non avenue. Elgin se rendit auprès de la Porte pour trouver une solution honorable. Les célébrations de Baïram battant leur plein, il ne trouva aucun interlocuteur pendant près de quinze jours. Il lui fallut reconnaître auprès des autorités ottomanes que, bien que se prévalant du titre de ministre plénipotentiaire, Sydney Smith n'avait aucune légitimité réelle pour négocier. Les Ottomans suggérèrent alors une solution qui horrifia le gentleman en Elgin. Ils proposèrent de continuer comme si la convention était toujours en effet, d'embarquer les troupes françaises et une fois à bord des navires britanniques leur signifier la rupture de la parole donnée et de les faire prisonnières. Elgin refusa, mais la suggestion circula. Finalement, le arriva une nouvelle dépêche de Grenville, acceptant la convention, après que sa dénonciation avait été signifiée aux Français le . Surtout, elle arriva après que Sydney Smith avait évoqué auprès des Français la rumeur d'une trahison potentielle à bord de la flotte britannique. Cela entraîna la bataille d'Héliopolis le , toujours avant l'arrivée du courrier du Foreign Secretary. Le conflit se poursuivit pendant quinze longs mois et l'évacuation finale des Français se fit dans des termes presque similaires à ceux de la convention d'El Arish. L'absence, parmi les Britanniques, d'une définition claire des pouvoirs et de l'autorité fut la cause de ce fiasco[36].
Dans l'attribution des responsabilités, Elgin fut assez facilement exonéré par son gouvernement qui blâma plutôt Sydney Smith. Par contre, pour Bonaparte, Elgin avait comploté avec les Ottomans contre la France, prévoyant même le massacre des troupes françaises à bord des navires britanniques. Pour le Premier Consul, Elgin était aussi responsable du mauvais traitement des Français dans les prisons de Constantinople, voire de la défaite d'Aboukir (plus d'un an avant l'arrivée d'Elgin dans l'Empire ottoman). Napoléon s'en souviendrait lorsqu'en 1803 l'ambassadeur serait fait prisonnier en France[2],[37].
À plus court terme, l'échec de la convention d'El Arish eut des conséquences sur la diplomatie britannique. Elgin et son secrétaire d'ambassade Spencer Smith devinrent définitivement irréconciliables. De mars à , les deux hommes ne se parlèrent plus, empêchant de fait toute politique dans la région. En octobre, le gouvernement songea à rappeler les trois hommes. Finalement, en , Spencer Smith fut rappelé à Londres par la Levant Company, son frère restant amiral en Méditerranée orientale. Il répéta dès lors à qui voulait l'entendre que Lord Elgin était responsable de sa disgrâce. À peine rentré, il fut élu au Parlement où il continua sa campagne contre l'ambassadeur[38].
Victoire en Égypte : apogée de l'ambassade
En parallèle, sur le plan militaire, au début de l'année 1801, la France tenta d'envoyer une flotte de secours, commandée par Honoré Joseph Antoine Ganteaume, à ses troupes bloquées en Égypte. L'apprenant, la Grande-Bretagne rassembla un corps expéditionnaire de 17 000 hommes commandés par Ralph Abercromby (originaire du Clackmannanshire et voisin et ami de Lord Elgin). Les troupes britanniques s'installèrent à Marmaris (sud-est de l'Asie mineure, en face de Rhodes) pour s'entraîner à une attaque amphibie. Leur équipement n'étant pas suffisant, Abercromby demanda de l'aide à l'ambassadeur britannique. Celui-ci dépensa alors d'énormes sommes pour rassembler chevaux (acheminés de toute l'Asie mineure) et nourriture (que des navires apportèrent de toute la Méditerranée orientale) mais aussi pour installer des chantiers navals capables de construire rapidement de navires de débarquement et pour lequel il fit venir d'immenses quantités de bois. Elgin paya sur ses fonds propres, pour accélérer le processus, mais il envoya les factures (de plusieurs milliers de livres) au gouvernement britannique. Ces dépenses eurent un effet immédiat considérable : le cours de la livre plongea par rapport à celui de la piastre ; et un effet à plus long terme : la valeur relative du salaire d'Elgin diminua d'autant[39].
Le , les troupes britanniques débarquèrent sans trop de problèmes à Aboukir puis mirent après l'été le siège devant Alexandrie. En septembre, les troupes françaises capitulèrent, selon des termes équivalents à la convention d'El Arish[40].
Lord Elgin fut fêté par les autorités ottomanes qui le couvrirent de cadeaux, à nouveau. Sélim III détacha une aigrette de son turban pour lui offrir. L'ambassadeur fut décoré de l'Ordre du croissant (serti de diamants). Il reçut aussi chevaux et pelisses. Lady Elgin fut quant à elle invitée par Mihrişah Sultan (en), la Sultane validé, un honneur inédit. Elle fut escortée par une troupe d'eunuques noirs. Constantinople fut illuminée pendant sept jours et tous les soirs un feu d'artifice était tiré. Les Elgin louèrent un bateau afin de profiter au mieux des célébrations. En guise d'apothéose, le Sultan sortit de son palais et se montra à son peuple. Ce fut alors que Lady Elgin commit le sacrilège de faire passer sa barque devant le Sultan (l'obligeant donc à jeter les yeux sur un étranger). Il la salua aimablement et lorsqu'elle s'éloigna, Sélim III prit son télescope pour continuer à l'observer. Le protocole s'était d'ailleurs assoupli au point où elle put saluer ses amies du harem qui apparaissaient aux fenêtres[41].
Le crédit dont l'ambassadeur jouissait lui permit d'obtenir diverses faveurs. Il fit libérer tous les Français emprisonnés dans l'Empire depuis le déclenchement des hostilités en Égypte : il jugeait inapproprié que des « civils » aient à souffrir d'un conflit armé auquel ils n'avaient pas pris part ; cela allait contre ses habitudes chevaleresques. De même, il fit affranchir les « esclaves maltais ». Ces derniers étaient les marins que l'Ordre de Malte utilisaient sur ses navires corsaires. Capturés par la flotte ottomane, ils étaient réduits en esclavage dans les chantiers navals de Constantinople (en). Cependant, depuis , ils étaient au moins nominalement sujets britanniques. 160 hommes au total furent libérés. En moyenne, ils avaient été esclaves six à huit ans, cependant, deux d'entre eux l'étaient depuis plus de quarante ans. Le Capitan pacha (responsable des chantiers navals) leur remit à tous la somme de 48 piastres en guise de rémunération pour le travail accompli au moment où ils embarquèrent pour rentrer à Malte[42].
Lord Elgin obtint aussi la construction d'un bâtiment pour abriter l'ambassade britannique auprès de la Porte. Depuis son arrivée, il était en effet installé dans le Palais de France, l'ambassade française vidée de ses occupants. Les Ottomans en acceptèrent la construction et fournirent un terrain. De son côté, l'ambassadeur en arracha le financement au gouvernement britannique et surtout à la Levant Company qui avait toujours refusé. Il fit venir d'Athènes son architecte Balestra qui dessina sur ses ordres un bâtiment très similaire à Broomhall, la résidence écossaise d'Elgin[N 8],[42].
Cette année 1801 fut l'apogée de l'ambassade d'Elgin à Constantinople. Il reçut une lettre de félicitations du gouvernement britannique. En effet, la Grande-Bretagne n'avait jamais été aussi puissante et aussi influente en Méditerranée orientale. Cependant, à la grande déception d'Elgin, il ne reçut que cette lettre de félicitations. Il avait espéré bien plus : entrer dans un des ordres de chevalerie ou être fait Pair de Grande-Bretagne (pour être membre de droit de la Chambre des Pairs et non élu en tant que Pair d'Écosse). Il envoya à cet effet un « Memorial to the King », via le Foreign Office, détaillant l'intégralité de sa carrière diplomatique et sollicitant une « marque de faveur » du souverain. Cela resta sans effet[43].
Carlyle et la recherche de manuscrits
Joseph Dacre Carlyle avait été attaché à l'ambassade Elgin avec pour objectif principal d'accéder à la bibliothèque du Sérail pour y chercher des manuscrits inédits en Occident[44]. Dès l'arrivée à Constantinople, un firman avait été sollicité dans ce but. En , il n'avait toujours pas été accordé. Des cas de « peste » ayant été signalés dans le quartier du Palais, celui-ci fut alors interdit. Carlyle se rabattit sur les rares bibliothèques publiques de la capitale et les rares librairies du grand bazar[45].
Durant les premiers mois de 1800, Carlyle se rendit en Égypte et Terre Sainte. De retour à Constantinople, il insista auprès de l'ambassadeur pour qu'il réitérât ses demandes de firman[46]. L'autorisation tardant toujours à venir, Carlyle tenta une approche non officielle. Le Capitan pacha était un ami personnel du couple Elgin. Il avait été esclave pendant trente ans au Sérail où il était devenu un des proches du futur sultan Sélim III (ce fut aussi grâce à cette proximité qu'il avait été nommé grand amiral de la flotte ottomane). Carlyle décida d'utiliser ces connexions. Malgré tout, ce fut grâce à Youssouf Aga qu'il réussit à entrer au Sérail. Celui-ci, Crétois d'origine, était le favori et l'intendant de la femme la plus puissante de l'Empire, la mère du Sultan, ce qui faisait de lui l'un des hommes les plus puissants de l'Empire. À force de cadeaux, Carlyle finit par obtenir de Youssouf Aga une lettre d'introduction pour le gouverneur du Sérail. Il put enfin y entrer en , un an après son arrivée à Constantinople. La bibliothèque du Sérail se révéla aussi décevante que toutes celles qui avaient été explorées précédemment : elle ne contenait que des volumes « récents », en arabe, persan ou turc. Cet aspect de l'ambassade d'Elgin était donc un échec[47].
Carlyle décida donc de rentrer en Grande-Bretagne, en explorant sur le chemin du retour les bibliothèques des monastères du mont Athos. Lord Elgin autorisa son chapelain Philip Hunt à accompagner le professeur. Ils quittèrent Constantinople en et firent une première longue étape dans la plaine de Troie. Là, ils achetèrent statues et inscriptions qui rejoignirent la collection de l'ambassadeur dans la capitale ottomane[48].
Cependant, en Troade, ils firent une rencontre qui eut d'importantes conséquences. Edward Daniel Clarke, un collègue de Carlyle, puisqu'il enseignait la minéralogie à l'université de Cambridge, accompagnait alors son pupille, J. M. Cripps, dans son Grand Tour. Les deux hommes avaient déjà fait escale à Constantinople où ils avaient été cordialement reçus par l'ambassadeur britannique. Lord Elgin leur avait même fait admirer sa collection naissante. Lusieri qui était alors dans la capitale ottomane profita de leur départ pour les accompagner une partie du chemin alors qu'il regagnait Athènes. Le dessinateur fit cadeau de certains de ses dessins (qui d'après son contrat appartenaient à Elgin) à Clarke ; bien lui en prit, ce furent les seuls qui survécurent. Après le départ de Lusieri, les quatre hommes explorèrent d'abord la plaine ensemble. Très vite, un désaccord se fit sur la localisation de l'ancienne Troie. Le désaccord dégénéra en querelle. Celle-ci, loin de s'éteindre, s'envenima au fil des années. Elle s'étendit même à leur entourage. Clarke n'attaquait au début que Carlyle, mais il inclut rapidement Lord Elgin[49].
Divorce
Lady Elgin rentra au Royaume-Uni avant son mari. Elle eut une aventure avec Robert Ferguson of Raith (en), un des membres de sa suite. Elgin et elle finirent par divorcer. Elgin se remaria ensuite avec Elizabeth Oswald.
Captif de Napoléon
En 1803, l'ambassade d'Elgin se termina. Il rentra au Royaume-Uni. Il fit d'abord une étape à Athènes où il emmena avec lui tous les artistes qu'il avait engagés pour travailler sur les antiquités de la ville, laissant Giovanni Battista Lusieri seul. Il passa ensuite Pâques à Rome où il prit contact avec Antonio Canova en vue d'une potentielle restauration de sa collection. Elgin poursuivit ensuite sa route vers le nord, par voie de terre. Il se trouvait en France lorsque la paix d'Amiens fut rompue le . Il fut arrêté par les autorités françaises. Il fut placé en détention ou en résidence surveillée dans plusieurs endroits en France. Le gouvernement français essaya alors de le compromettre dans diverses intrigues. Napoléon tenta aussi de lui acheter sa collection d'antiquités, ce qu'il refusa. Finalement, il fut libéré en 1806, après qu'il eut fait le serment de rester à la disposition des autorités françaises qui pourraient dès lors le rappeler quand elles le désiraient. Cela signifiait qu'il ne pouvait plus poursuivre sa carrière diplomatique au service du Royaume-Uni[2],[50].
Lord Elgin fut un temps enfermé au château fort de Lourdes. Un notable local, le juge Bascle de Lagrèze lui reprocha d'avoir dépouillé le château de certaines des trouvailles romaines faites antérieurement dans son enceinte.
L'affaire Tweddell
Une vive polémique opposa Elgin à la famille Tweddell, qui accusa Elgin du vol d’une partie des travaux de John Tweddell et d'avoir fait disparaître les preuves après que les papiers et collections du jeune Britannique mort à Athènes lui eurent été confiés.
Fin de vie
Après la vente de sa collection au British Museum en 1816, Lord Elgin se retira définitivement de la vie publique. Comme il restait très endetté, il préféra vivre hors de Grande-Bretagne. Il mourut à Paris le . Son fils, James l'héritier du titre, fut lui aussi diplomate et passa lui aussi la plus grande partie de sa vie à l'étranger, à cause des dettes dont il avait hérité[2].