Les Aventures de Tintin
série de bande dessinée / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
Cher Wikiwand IA, Faisons court en répondant simplement à ces questions clés :
Pouvez-vous énumérer les principaux faits et statistiques sur Les Aventures de Tintin?
Résumez cet article pour un enfant de 10 ans
Pour les articles homonymes, voir Tintin (homonymie).
Les Aventures de Tintin constituent une série de bandes dessinées créée par le dessinateur et scénariste belge Georges Remi dit Hergé.
Les Aventures de Tintin | |
Série | |
---|---|
Auteur | Hergé |
Assistant | Studios Hergé Edgar P. Jacobs |
Genre(s) | Bande dessinée jeunesse Aventures Policier Science-fiction |
Personnages principaux | Tintin et Milou le capitaine Haddock Dupond et Dupont Tryphon Tournesol |
Lieu de l’action | Les cinq continents La Lune à une occasion |
Époque de l’action | Milieu du XXe siècle |
Pays | Belgique |
Langue originale | Français |
Autres titres | Les Aventures de Tintin et Milou |
Éditeur | Le Petit Vingtième (1930–1939) Casterman |
Première publication | Le Petit Vingtième no 11 () |
Nombre de pages | 62 pages (du tome 2 à 23) |
Nombre d’albums | 24 albums, dont un inachevé |
Prépublication | Le Petit Vingtième (de 1929 à 1939) Cœurs vaillants (de 1930 à 1947) Le Soir Jeunesse puis Le Soir (de 1940 à 1944) Le Journal de Tintin (1946 à 1976) |
Site web | tintin.com |
modifier |
Avec 250 millions d'exemplaires vendus, Les Aventures de Tintin font partie des bandes dessinées européennes les plus célèbres et plus populaires du XXe siècle. Elles ont été traduites dans une centaine de langues et dialectes et adaptées à de nombreuses reprises au cinéma, à la télévision et au théâtre. Elles se déroulent dans un univers réaliste et parfois fantastique, fourmillant de personnages aux traits de caractère bien définis. Le héros de la série est Tintin, un jeune reporter et globe-trotter belge ; il est accompagné dans ses aventures par son fox-terrier Milou. Au fil des albums, plusieurs figures récurrentes apparaissent, comme les détectives accumulant les maladresses loufoques Dupond et Dupont, le capitaine Haddock qui ne tarde pas à devenir un personnage principal, ou encore le professeur Tournesol.
La série est appréciée pour ses dessins qui mélangent personnages aux proportions exagérées et décors réalistes. L'utilisation de traits d'une égale épaisseur, l'absence de hachures et le recours aux aplats de couleur sont les marques du style de l'auteur, connu sous l'appellation de « ligne claire ». Les intrigues des albums mélangent les genres : des aventures à l'autre bout du monde, des enquêtes policières, des histoires d'espionnage, de la science-fiction, du fantastique. Les histoires racontées dans Les Aventures de Tintin font toujours la part belle à l'humour « peau de banane », contrebalancé dans les albums les plus tardifs par une certaine ironie[1] et une réflexion sur la société.
Naissance du personnage (1929-1930)
En , Hergé entre au service des abonnements du Vingtième Siècle[a 1],[p 1], un quotidien catholique et conservateur dirigé par l'abbé Norbert Wallez[p 2]. En parallèle, il continue de publier ses propres dessins dans des revues comme Le Blé qui lève[k 1] ou Le Boy-Scout[s 1], qui devient Le Boy-Scout belge à la suite d'une fusion en 1927[k 2]. C'est dans ce périodique qu'il publie notamment sa première bande dessinée, Les Aventures de Totor, C. P. des Hannetons[Note 1], à partir du mois de [p 3].
En , à l'issue de son service militaire, il bénéficie d'une promotion, engagé au sein de la rédaction comme reporter-photographe et dessinateur[a 1]. Hergé multiplie les contributions pour le quotidien et illustre notamment des récits publiés en feuilleton dans le supplément littéraire du journal. Il collabore également avec René Verhaegen pour illustrer trois de ses récits, Une petite araignée voyage, Popokabaka, puis La Rainette[k 3]. L'année suivante, Norbert Wallez lui confie la responsabilité d'un supplément hebdomadaire destiné à la jeunesse Le Petit Vingtième, dont le premier numéro paraît le [a 2],[Note 2].
Dans un premier temps, Hergé doit illustrer L'extraordinaire aventure de Flup, Nénesse, Poussette et Cochonnet, une histoire écrite par un chroniqueur judiciaire et sportif du Vingtième Siècle, Armand De Smet[k 4],[p 4],[a 2]. Peu satisfait de cette production qu'il juge « ennuyeuse », il multiplie les contributions dans d'autres périodiques, dont deux planches intitulées Réveillon et La Noël du petit enfant sage qu'il publie dans Le Sifflet[k 5]. Cette dernière met en scène un jeune garçon accompagné de son chien blanc[p 5], deux personnages qui séduisent Norbert Wallez au point que l'abbé propose à Hergé de les intégrer au Petit Vingtième. C'est la naissance de Tintin et Milou, le [k 5], pour une première aventure intitulée Tintin au pays des Soviets[s 1].
À la demande de Wallez, le récit est ouvertement anticommuniste et suit ainsi la ligne éditoriale du Vingtième Siècle et de son directeur[p 6],[a 3]. Hergé livre chaque semaine deux planches qui « enchaînent gags et catastrophes sans bien savoir où son récit l'entraîne »[2], tandis que les décors et les paysages « sont réduits à leur plus simple expression »[a 3]. Le succès est pourtant immédiat : l'aventure achevée, le , une foule de lecteurs se presse sur les quais de la gare de Bruxelles-Nord pour accueillir un Tintin en chair et en os à son retour du pays des Soviets[k 6], à l'occasion d'une mise en scène de la rédaction du Vingtième Siècle qui recrute un jeune scout pour donner corps à son héros[a 4],[s 2].
Les débuts d'une industrie (1930-1939)
Conformément au souhait de Norbert Wallez, qui veut faire naître une vocation coloniale chez les jeunes lecteurs, le deuxième volet de la série envoie le reporter en Afrique, dans un volume intitulé Tintin au Congo[a 5]. Hergé souhaitait pourtant évoquer la culture des Amérindiens, qui le fascine[3], ce qui est fait dans la troisième aventure avec Tintin en Amérique[s 3]. À la fin de l'année 1933, Les Aventures de Tintin prennent un tournant décisif : Hergé signe un contrat avec la maison Casterman, située à Tournai, qui obtient le privilège d'éditer tous les albums de l'auteur en langue française. Cet accord est déterminant pour la conquête du marché français[a 6],[4], alors que Tintin est diffusé dans l'hebdomadaire catholique Cœurs vaillants depuis 1930[k 7]. Deux ans plus tard, ses aventures sont également publiées en Suisse dans les colonnes de L'Écho illustré[k 8].
La quatrième aventure, Les Cigares du pharaon, marque une nouvelle étape. Hergé cesse de se faire l'écho des clichés de l'actualité politique pour s'engager dans l'art du roman[s 4]. Si l'histoire, conçue sans le moindre scénario préalable, demeure très improvisée, voire « abracadabrante »[a 7], elle représente la « quintessence du feuilleton »[p 7] et témoigne de la nouvelle ambition littéraire de l'auteur. Cela se traduit notamment dans le choix du titre de l'album qui, pour la première fois, ne contient pas le nom du héros[5]. Sur les chemins de l'Orient, à travers l'Égypte, l'Arabie et l'Inde, l'aventure est encore teintée de stéréotypes. Pour autant, le décor n'est plus au cœur du récit, supplanté par l'affrontement entre Tintin et une bande de trafiquants d'opium[6],[s 4].
Mais c'est surtout Le Lotus bleu qui fait entrer Hergé et son héros dans une nouvelle dimension. Cette cinquième aventure marque un pas décisif vers le réalisme, comme le souligne Benoît Peeters : « Tintin, qui jusque-là se nourrissait allègrement de mythes et de poncifs, entreprend désormais de les combattre ; il sera celui qui démonte les apparences et non plus celui qui s'en satisfait »[7]. La rencontre d'un jeune étudiant chinois, Tchang Tchong-Jen, est déterminante : ce dernier fait évoluer les représentations du dessinateur sur son pays et pousse Hergé à documenter son travail, tout en lui prodiguant des conseils en matière de dessin[s 4].
Dès lors, le souci du réalisme ne quitte plus Hergé qui cherche également à inscrire son récit dans l'actualité de son époque. Après avoir évoqué l'incident de Mukden et l'invasion japonaise de la Mandchourie dans Le Lotus Bleu[8], il transpose la guerre du Chaco qui oppose la Bolivie et le Paraguay dans L'Oreille cassée[9], tandis que Le Sceptre d'Ottokar peut être lu comme le récit d'un « Anschluss raté »[10],[a 8].
L'Oreille cassée marque plusieurs évolutions. Pour la première fois, le récit s'attarde dans la ville d'origine de Tintin et inscrit le héros dans une certaine forme de quotidienneté en faisant découvrir au lecteur son appartement du 26, rue du Labrador. Par ailleurs, Hergé crée deux États fictifs, le San Theodoros et le Nuevo Rico[9], puis fait de même avec la Syldavie et la Bordurie dans Le Sceptre d'Ottokar[p 8]. L'auteur reprend ainsi les ingrédients de la romance ruritanienne, un sous-genre de la littérature de jeunesse né au tournant du XXe siècle[11].
Âge d'or et premiers tourments (1940-1944)
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et l'invasion de la Belgique par l'armée allemande en entraînent l'arrêt du Petit Vingtième et l'interruption de son nouveau récit, Tintin au pays de l'or noir[a 9]. À partir du , la Belgique subit l'occupation de son territoire, mais ce contexte de guerre constitue paradoxalement un certain « âge d'or » de la création[a 10]. Hergé, comme d'autres artistes, veut s'assurer des revenus réguliers et ne pas se faire oublier des lecteurs[a 11]. Au mois d'octobre suivant, il rejoint le quotidien Le Soir dont la publication se poursuit sous l'impulsion de journalistes collaborateurs et avec l'accord de la propagande nazie qui en fait « un instrument privilégié de pénétration de l'opinion publique »[a 11].
Le nouveau rédacteur en chef du journal, Raymond de Becker, lui confie la responsabilité d'un supplément pour la jeunesse, Le Soir-Jeunesse, pour lequel Hergé est assisté de Paul Jamin et Jacques Van Melkebeke[p 9]. C'est dans ce nouveau périodique que commence la parution du Crabe aux pinces d'or, l'aventure qui fait entrer le capitaine Haddock dans l'univers de Tintin[a 12]. Dans le même temps, Hergé touche pour la première fois le lectorat flamand en signant un contrat avec le quotidien Het Laatste Nieuws, dans lequel paraissent ses aventures à partir de [k 9].
L'attitude d'Hergé pendant l'occupation est considérée comme ambiguë et lui vaut de nombreuses critiques. En acceptant de travailler pour un journal considéré comme « volé » par une partie de l'opinion[Note 3], l'auteur fait probablement « le plus regrettable choix politique de son existence »[s 5], mais il cherche avant tout à développer ses créations artistiques en profitant de l'absence de concurrence française à cette période pour s'imposer[a 11]. Pour Hergé, le rayonnement de son œuvre compte plus qu'une certaine éthique et, de fait, il semble indifférent aux événements de son époque[p 10]. Pourtant, certains actes renforcent l'ambiguïté de sa situation. Il intervient notamment auprès des autorités allemandes afin d'obtenir un supplément de papier et maintenir la production de ses albums chez Casterman[a 13], mais surtout, les caricatures de commerçants juifs qu'il présente dans L'Étoile mystérieuse sont considérées comme antisémites[a 14],[s 6].
Avec Le Secret de La Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge, Tintin s'affranchit de l'actualité oppressante de son époque pour investir le thème traditionnel de l'épopée flibustière et de la recherche d'un trésor[p 11]. Ce diptyque complète également la « famille » de Tintin, avec la première apparition du Professeur Tournesol et l'installation du capitaine Haddock au château de Moulinsart[p 12]. L'auteur poursuit son « évasion littéraire » dans l'aventure suivante : si l'action des Sept Boules de cristal se situe en Belgique, rien n'indique la présence de l'occupant. En parallèle, Hergé entame une collaboration avec le dessinateur Edgar P. Jacobs. Le souci du détail, la perfection et la minutie de ce dernier sont d'une aide précieuse pour l'auteur qui s'attaque alors à la colorisation des premiers albums de Tintin, à la demande de Casterman[a 15].
La libération du pays le entraîne l'interruption du Soir et, partant, celle des Sept boules de cristal. Arrêté pour faits de collaboration, Hergé est alors empêché de toute publication[a 16].
Intermittences (1944-1950)
C'est durant cette période que se manifestent chez l'auteur les premiers signes d'un syndrome dépressif[p 13]. Le , la justice décide de n'entamer aucune poursuite à son encontre alors que d'autres journalistes du Soir ne bénéficient pas d'autant d'indulgence[a 17]. Lavé de tous soupçons, Hergé obtient le certificat de civisme nécessaire à sa reprise du travail et s'associe à l'éditeur de presse et résistant Raymond Leblanc pour lancer le journal Tintin. La publication de ses aventures reprend, à commencer par Le Temple du Soleil, qui constitue la suite des Sept Boules de Cristal[s 7].
Hergé continue pourtant de subir des attaques quant à son attitude équivoque sous l'Occupation. Sensible à ces accusations, il s'enfonce dans la dépression[p 14] tandis qu'au même moment, la collaboration cesse avec Edgar P. Jacobs, qui souhaite développer sa propre série[p 15]. Guy Dessicy et Franz Jaguenau le remplacent et travaillent aux décors[a 18].
L'état dépressif d'Hergé l'amène à prendre du recul. Incapable de tenir le rythme de production qui était auparavant le sien[p 16], il doit interrompre pendant plusieurs semaines la publication du Temple du Soleil, et l'achèvement de l'histoire se fait « dans la douleur » pour son auteur[a 19] et « tient du cauchemar »[p 17]. La crise que traverse le dessinateur se double d'un certain désamour pour son pays, qui se traduit par un projet d'installation en Argentine au début de l'année 1948[a 20],[p 18].
Ce projet avorté, Hergé parvient tant bien que mal à reprendre et terminer l'histoire de Tintin au pays de l'or noir, interrompue par la guerre, tout en y glissant le personnage du capitaine Haddock qui n'aurait pas dû figurer dans ce récit débuté avant sa première apparition[12],[p 19]. La charge de travail auquel il s'astreint est bien trop importante : la réalisation des nouvelles planches et la refonte de ses précédents albums le conduisent au surmenage et ne font qu'aggraver sa santé mentale. Dès lors, Hergé est convaincu qu'il doit s'entourer d'une équipe. Plusieurs dessinateurs et scénaristes sont recrutés, parmi lesquels Bob de Moor et Jacques Martin, ce qui aboutit à la création des Studios Hergé au début de l'année 1950[a 21]. Dès lors, la conception d'un nouvel album répond à une organisation très précise. Si le dessinateur se réserve les premières étapes de la création, à savoir la rédaction du scénario puis du storyboard et le crayonné, il confie ensuite le travail à son équipe. Bien qu'il assure l'encrage de tous les personnages, il délaisse les décors à ses assistants[13].
Hergé s'appuie également sur les conseils de certains de ses amis qui ne rejoignent pas les Studios mais l'aident dans son travail de recherche, comme l'écrivain Bernard Heuvelmans qui contribue à l'écriture du scénario du diptyque Objectif Lune et On a marché sur la Lune[a 22].
Une icône internationale (1950-1959)
Au cours des années 1950 et au début des années 1960, Tintin devient une véritable icône internationale. Les ventes d'albums de la série s'accroissent et Tintin conquiert de nouveaux marchés[14],[s 8]. Au milieu des années 1960, 1,5 million d'albums s'écoulent chaque année, tandis que Tintin en Amérique, On a marché sur la Lune et Le Trésor de Rackham le Rouge dépassent tous les trois le million d'exemplaires vendus depuis leur sortie[a 23]. En parallèle, les Studios Hergé s'installent dans des locaux plus vastes et Raymond Leblanc travaille à l'implantation du premier magasin Tintin à Bruxelles[15].
L'Affaire Tournesol, dont la parution commence le , est l'un des sommets de l'œuvre d'Hergé[a 24]. Avec cette aventure, l'auteur poursuit le rapprochement du monde de Tintin avec les sciences et les technologies de pointe, inauguré par l'aventure lunaire[s 9], et livre un véritable « thriller de la guerre froide »[16], notamment salué pour « la richesse du thème, la rapidité des enchaînements, la science du cadrage et l'art du dialogue »[17]. Cet album, éminemment politique, offre en quelque sorte une synthèse critique du totalitarisme en bande dessinée[18].
Dans la foulée, Coke en stock, un récit « complexe, ambigu, quasi labyrinthique » selon l'expression de Benoît Peeters[p 20], propose une dénonciation de l'esclavagisme[a 25]. Tintin renoue ainsi avec sa quête de justice et de défense des opprimés[s 9]. Surtout, il est sans doute l'album où Hergé va le plus loin dans la mise en scène de son univers, par le rappel de nombreux personnages secondaires[p 20],[s 9]. Il précède Tintin au Tibet, l'album le plus personnel de l'auteur[19] qui le qualifie lui-même de « chant dédié à l'Amitié »[20], et qui apparaît comme un « instantané biographique du créateur au tournant de son existence »[a 26].
Sa dépression étant de plus en plus marquée, Hergé est soumis à des « rêves blancs » qui le hantent la nuit. Il prend l'initiative de consulter un psychanalyste zurichois qui lui conseille de cesser le travail pour vaincre ses démons intérieurs, mais il s'y refuse, et l'achèvement de Tintin au Tibet agit finalement comme une sorte de thérapie. Le blanc est d'ailleurs omniprésent dans l'album, à mesure que Tintin gagne en altitude pour sauver son ami Tchang[a 27]. L'album marque une rupture dans la série car pour la première fois le héros n'est confronté à aucun méchant : il ne s'agit plus pour lui de conduire une enquête policière mais bien une quête spirituelle. Sans renoncer au registre comique, porté par le capitaine Haddock, Hergé confère à son héros un visage plus humain et plus émouvant[a 27]. Avec Tintin au Tibet, Hergé atteint une « dimension philosophique et spirituelle inégalée dans les autres albums de la série »[21].
Derniers albums et œuvre inachevée (1960-1983)
Avec l'album Les Bijoux de la Castafiore, Hergé bouscule les codes de la série et entame un processus de déconstruction de l'univers de Tintin[22]. L'auteur renonce à l'exotisme et développe une histoire qui possède une unité de lieu. Le château de Moulinsart est le théâtre de cette « anti-aventure », où « l'histoire elle-même n'est qu'un trompe-l'œil »[p 21] mais qui rencontre pourtant un grand succès populaire. Plus encore, grâce au génie de l'auteur qui parvient à mélanger « le comique et l'absurde avec un sens aigu du dosage le plus subtil », l'album est salué par de nombreux intellectuels[a 28], dont le philosophe Michel Serres, qui en fait une analyse dans la revue Critique[23], ou l'écrivain Benoît Peeters, qui lui consacre entièrement un essai[24].
Si les ventes d'albums de Tintin ne cessent de croître, leur rythme de production s'essouffle, Hergé ne pouvant cacher une certaine lassitude à l'égard de son héros[a 29]. Poussé par la concurrence grandissante d'un autre personnage phare de la bande dessinée francophone, Astérix[a 30], il se lance dans l'écriture d'une nouvelle aventure, Vol 714 pour Sydney, dont la construction est laborieuse. Si l'auteur assouvit dans cette histoire son goût pour l'ésotérisme et les phénomènes paranormaux[s 10], l'album est plutôt jugé négativement par la critique[a 31].
À cette époque, les Studios Hergé s'occupent principalement de la refonte des anciens albums, le plus souvent à la demande de l'éditeur. Des corrections sont apportées à L'Île Noire pour gagner en réalisme, tandis que Coke en stock subit des modifications pour contrer les accusations de racisme[p 22]. C'est surtout Tintin au pays de l'or noir qui est modifié en profondeur. Le récit, écrit à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, évoquait la lutte entre des groupes terroristes juifs et des soldats britanniques présents en Palestine, ce qui n'est plus d'aucune actualité trente ans plus tard. Hergé souhaite donc apporter un caractère intemporel et universel à son album et remplace ce conflit par un affrontement entre les partisans de l'émir Ben Kalish Ezab et ceux de son rival, le cheikh Bab el Ehr, au sujet de l'exploitation des champs pétroliers du Khemed[a 32].
La parution de Tintin et les Picaros commence en 1975, soit huit ans après l'aventure précédente. Pour de nombreux spécialistes, cet album est un échec : Benoît Peeters estime qu'il n'ajoute rien à la gloire ni au génie de l'auteur[p 23], quand Pierre Assouline considère qu'il s'agit d'un « album de trop »[a 33]. Les critiques portent autant sur l'intrigue, qualifiée de relâchée et sans relief, que sur le graphisme parfois jugé maladroit[a 33]. Du moins nous apprend-il, après quatorze histoires et trente-cinq ans après sa naissance, en 1940, le prénom du capitaine Haddock : Archibald. Hergé dessine également le personnage du général Tapioca, jusque-là simplement mentionné dans L'Oreille cassée, Les Sept Boules de cristal et Coke en stock[25].
Mais l'œuvre d'Hergé demeure pour toujours inachevée : diminué par la maladie quand il commence la rédaction de Tintin et l'Alph-Art, le dessinateur meurt le sans avoir pu la terminer[a 34]. Fanny Rodwell, sa seconde épouse et légataire universelle de son œuvre, accepte que l'album soit publié, à la seule condition qu'il le soit dans l'état laissé à la mort de son créateur[26]. En cela, le souhait d'Hergé, qui ne voulait pas que son héros lui survive, est respecté[27].