Révolution française
période de l'histoire de France et de ses colonies, du 5 mai 1789 au 9 novembre 1799 / De Wikipedia, l'encyclopédie encyclopedia
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La Révolution française (1789-1799) est une période de bouleversements politiques et sociaux en France et dans ses colonies, ainsi qu'en Europe à la fin du XVIIIe siècle. Traditionnellement, on la fait commencer à l'ouverture des États généraux le et finir au coup d'État de Napoléon Bonaparte le (18 brumaire de l'an VIII). En ce qui concerne l'histoire de France, elle met fin à l'Ancien Régime, notamment à la monarchie absolue remplacée par la monarchie constitutionnelle (1789-1792), puis par la Première République.
Cet article concerne la Révolution française de 1789. Pour celle de 1830, voir Trois Glorieuses. Pour celle de 1848, voir Révolution française de 1848. Pour les autres significations, voir Révolution française (homonymie).
Dessin aquarellé de Jean-Pierre Houël, Paris, BnF, département des estampes et de la photographie, 1789.
Date |
– (10 ans, 6 mois et 4 jours) |
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Lieu | France (principalement, a des répercussions plus généralement en Europe et dans les colonies en Amérique) |
Cause |
Crise de subsistance Dette publique du royaume Disfonctionnements de la société d'Ancien Régime |
Résultat |
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« Mythe national », la Révolution française a légué de nouvelles formes politiques, notamment au travers de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui proclame l'égalité des citoyens devant la loi, les libertés fondamentales et la souveraineté de la Nation, se constituant autour d'un État. Elle a entraîné la suppression de la société d'ordres, de la féodalité et des privilèges, une plus grande division de la propriété foncière, la limitation de l'exercice du pouvoir politique, le rééquilibrage des relations entre l'Église et l'État et la redéfinition des structures familiales. Les valeurs et les institutions de la Révolution dominent encore aujourd'hui la vie politique française.
Elle a été marquée par des périodes de grande violence, notamment pendant la Terreur (1793-1794), au cours de la guerre de Vendée, cause de la mort de centaines de milliers de personnes, au cours des insurrections fédéralistes ou dans le cadre des luttes entre factions révolutionnaires, qui ont abouti à la mort successive des principales figures révolutionnaires (girondins, hébertistes, dantonistes puis robespierristes).
Les guerres de la Révolution française, qui ont touché une grande partie de l’Europe continentale, ont propagé les idées révolutionnaires et contribué à l'abolition de la société d'ordres en Europe occidentale, dans les « républiques sœurs » puis dans toute l'Europe[1].
La Révolution française « diffère des autres révolutions par ses exigences universalistes en ce qu'elle est destinée à bénéficier à toute l'humanité[2] ». Dès son commencement, la portée universelle des idées de la Révolution française a été proclamée par ses partisans et l'ampleur de ses conséquences soulignée par ses détracteurs[3].
Considérée par la majorité des historiens comme un des événements majeurs de l'histoire mondiale[4], la Révolution a été un objet de débats[5] ainsi qu'une référence controversée durant les deux siècles qui l'ont suivie, en France et dans le monde[6]. Elle a créé des divisions immédiates et durables entre les partisans des idées révolutionnaires et les défenseurs de l'ordre ancien, ainsi qu’entre les anticléricaux et l'Église catholique.
Elle marque le début en France d’une période d'instabilité institutionnelle, au cours de laquelle se succèdent trois monarchies constitutionnelles (1789-1792, 1814-1830, 1830-1848), deux républiques (1792-1804, 1848-1851) et deux régimes impériaux (1804-1814 et 1851-1870), jusqu’à l’établissement définitif de la République dans les années 1870. Toute l'histoire contemporaine est marquée par les héritages de la Révolution française que la plupart des mouvements révolutionnaires ont perçue comme un événement précurseur[1]. Ses grandes phrases et ses symboles culturels[pas clair] sont devenus les étendards d'autres bouleversements majeurs de l'histoire moderne, y compris lors de la révolution russe plus d'un siècle plus tard[7].
Elle est traditionnellement placée entre l'ouverture des états généraux, le , et le coup d'État du 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte, le , qui inaugure la période du Consulat et aboutit, cinq ans plus tard, à l'avènement de l'Empire. Cependant, elle a été partiellement perpétuée par Napoléon lors de l'expansion du Premier Empire français.
Si la plupart des manuels d'histoire et nombres d'historiens découpent la Révolution en quatre périodes — Constituante, Législative, Convention, Directoire — Jules Michelet et l'historiographie marxiste en placent la fin à la chute de Robespierre. Cette périodisation a souvent dépendu des convictions ou arrière-pensées politiques des intéressés en faveur soit de la République « parlementaire », soit de la « souveraineté populaire »[8]. L'historiographie distingue classiquement deux temps, deux révolutions successives, qui ont transformé d'abord le royaume de France en une monarchie constitutionnelle, puis en Première République, mettant fin à une société d'ordres et aux anciens privilèges.
La société française
La société sous l'Ancien Régime repose sur l'existence de trois ordres hiérarchisés (le clergé, la noblesse, et le tiers état qui représente à lui seul 97 % de la population[9]) et d'une mosaïque de droits dont disposent les corps constitués (parlements, communautés, villes, universités, métiers)[10], ou qui peuvent différer d'une province à l'autre et sont des héritages de la société médiévale et des agrandissements successifs du royaume. Le poids des impôts repose exclusivement sur le tiers état, qui doit notamment verser des impôts auprès des deux autres ordres.
Au XVIIIe siècle, l'essor de nouvelles catégories sociales dans les villes et dans les gros bourgs est indéniable. Parmi les nouvelles couches, on distingue d'une part une bourgeoisie marchande ou financière, qui profite de l’enrichissement global et, pour une partie d'entre elles, des grandes spéculations boursières sous Louis XVI, des laboureurs, des paysans riches qui peuvent offrir à leurs enfants une éducation, et d'autre part une bourgeoisie de fonctionnaires et d'hommes de loi qui aspire à jouer un rôle politique[11].
Cependant, face à cette concurrence, la noblesse réimprime le principe de la supériorité de la naissance sur la fortune et l'instruction : c’est la réaction seigneuriale et nobiliaire.
Inspirée par les physiocrates, les seigneurs cherchent par ailleurs à optimiser les revenus tirés de l'exploitation de leurs terres et remettent en vigueur des privilèges comme l'exploitation exclusive des communaux, avec pour effet d'en priver et d'appauvrir les paysans non propriétaires[12].
À la fin des années 1780, les mauvaises récoltes jettent à la rue les membres les plus fragiles des communautés. L'historien Jean Nicolas recense pendant tout le XVIIIe siècle, qu'il appelle le « siècle d'intranquillité », pas moins de 8 528 révoltes de communautés paysannes qui se politisent de plus en plus[13],[14]. Les conditions climatiques sont éprouvantes en 1788 avec une sécheresse au printemps, de violents orages le , provoquant de mauvaises récoltes et la hausse du prix des céréales et du pain[Note 1]. La rudesse de l'hiver qui suit fait lui grimper le prix du bois de chauffage. Ces phénomènes attisent l'agitation populaire[15], le politique étant considéré comme responsable du manque de grains[Note 2]. Des révoltes de subsistances en 1788 attestent, elles aussi, d'une crise frumentaire à l'origine partielle de la Révolution[16]. Ces crises frumentaires sont dues à la libéralisation du commerce des grains sous l'Ancien Régime qui a débuté en 1763[17].
Par ailleurs, alors que les banques parisiennes connaissent un très important développement, et que l'arrivée de Jacques Necker à la direction des finances est faite notamment sous leur influence[18], une crise budgétaire de l’État due à la dette énorme du gouvernement (4 500 000 000 livres en 1788)[19], en partie due à la participation de la France à la guerre d'indépendance des États-Unis, et une inflation élevée causée par une quantité sans précédent de monnaie en circulation[20], l'oblige à envisager une nouvelle levée d'impôts et pour ce faire, à convoquer les états généraux : ce sera dans ce contexte de tensions, l'évènement déclencheur de la Révolution française.
Résistance à la monarchie absolue et désir de réforme
En 1788, le pouvoir repose sur le modèle politico-social d'une monarchie absolue de droit divin : le roi, représentant de Dieu sur Terre, est « délié des lois » tout en devant respecter les « lois fondamentales du Royaume »[21]. Il est le garant de la sécurité, de la justice et de la foi de ses sujets. Il ne tire sa souveraineté d'aucune instance humaine mais doit gouverner avec le consentement des corps constitués. Les contradictions internes du modèle vont ouvrir la voie à la Révolution[22].
Dans leur immense majorité, les Français restent attachés à la forme monarchique. Le roi, aimé et respecté[Note 3], est perçu comme un « père du peuple », de « la Nation »[23], puis comme « père des Français »[24]. En 1788, une réforme de l’État est espérée sous son autorité et avec son consentement[25].
Les corps constitués, quand ils s'opposent au pouvoir royal, le font pour la défense de leurs intérêts propres sans cependant le remettre en cause ou s'y opposer idéologiquement. Les Parlements, cours de justice d'Ancien Régime, et les états provinciaux instrumentalisent leur droit de remontrance lors de l'enregistrement des lois pour s'opposer aux réformes ministérielles du Conseil du roi. Bien qu'ils protègent avant tout leurs privilèges, ils se pensent et passent aux yeux de l'opinion publique naissante, dans une rhétorique de défense du peuple contre le despotisme ministériel, comme les représentants de la Nation. La monarchie en dépit de la pression fiscale demeure respectueuse de ces corps intermédiaires jusqu'au coup de force du chancelier Maupeou qui rompt l'équilibre en 1771[26]. Ses membres les plus radicaux rejoignent ce qu'on appelle le « parti patriote », fer de lance de la contestation pré-révolutionnaire. La synthèse de leurs combats et de leurs revendications, dans leur dialogue avec les thèses rousseauistes, devait à la faveur des événements de 1789, donner corps aux prémices idéologiques de la Révolution[27].
En définitive, les remises en cause de l'absolutisme sont rares et marginales avant 1789. Elles sont avant tout philosophiques et religieuses avant d'être politiques ou sociales[28]. On trouve par contre un désir unanime de réforme chez les Français, porté par leurs députés qui expriment le souhait d'un État plus efficace et d'une monarchie régénérée[29].
Révolution juridique (mai-début juillet 1789)
Campagne électorale pour l'élection des députés aux états généraux
Bien qu'elle soit dépourvue de toute autorité législative, la réunion des états généraux a suscité de grands espoirs parmi la population française[30]. Les paysans espèrent une amélioration de leurs conditions de vie avec l'allègement, voire l'abandon des droits seigneuriaux[31]. La bourgeoisie espère l'instauration de l'égalité devant la loi et plus confusément, l'établissement d'une monarchie parlementaire ou d'un gouvernement représentatif[32]. Elle peut compter sur le soutien d'une petite partie de la noblesse acquise aux idées nouvelles et du bas-clergé sensible aux difficultés du peuple. Dès la fin de l'année 1788, mémoires, libelles et périodiques sur la convocation prochaine se multiplient[33]. Villes et villages français s'informent ainsi des débats sur la composition et l'organisation des États du Royaume. La tradition avait sanctionné la pratique d'un vote par ordre qui met le tiers en minorité. En septembre 1788, le Parlement de Paris confirme que les États doivent prendre les formes de 1614[34].
Le tiers état réclame d'une part le doublement du nombre de ses députés afin qu'il corresponde à son poids réel dans les bailliages, ainsi que le principe du vote par tête où chaque élu dispose d'une voix. Louis XVI accorde le doublement mais garde le silence sur la modalité du vote. Cet effacement de l'autorité royale permet l'émergence d'un « parti patriote » à Paris et en province. À la faveur du développement d'une opinion publique, des échauffourées urbaines, en particulier à Rennes et en Dauphiné, émaillent les quelques mois qui séparent la convocation de la réunion des députés à Versailles[35].
Les députés du tiers état s'opposent au roi
Le 1er mai 1789, les députés arrivent à Versailles. Alors que ceux du clergé (291) et de la noblesse (270) sont reçus en grand apparat, ceux du tiers état (584)[36] sont ignorés. Le 5 mai, le roi ouvre les états généraux. Son discours met en garde contre tout esprit d'innovation ; celui de Necker n'aborde que les questions financières. Aucune évocation des réformes politiques tant attendues n'est faite. Le pouvoir ne prend pas clairement position sur les modalités du vote. Les députés tiers s'engagent alors dans un processus de résistance et d'insubordination mené par Barnave, Mounier, Mirabeau et Rabaut Saint-Étienne. Ils refusent de se réunir séparément des deux autres ordres. Dans le courant du mois de mai, les assemblées du clergé et de la noblesse acceptent de renoncer à leurs privilèges fiscaux. Au bout d'un mois de discussions, sur une motion de l'abbé Sieyès, le tiers état prend l'initiative de vérifier les pouvoirs des députés par bailliage et sénéchaussée en l'absence des ordres privilégiés. Le 13 juin, trois curés répondent à l'appel. Le 16, ils sont dix.
L'abbé Sieyès.
Le 17 juin 1789, le tiers et quelques députés de la noblesse et du clergé, sur proposition de Legrand et à l'invitation de Sieyès, prennent le titre d’« Assemblée nationale »[37]. Le 19 juin, le clergé, qui compte une minorité de curés sensibles aux problèmes des paysans, décide de se joindre aux députés du tiers état pour la vérification des pouvoirs. Le 20 juin, le roi fait fermer la salle des Menus Plaisirs, lieu de réunion du tiers état. Ceux-ci se dirigent alors vers une salle de Jeu de paume voisine.
Dans un grand enthousiasme, ils prononcent le serment du Jeu de paume, par lequel ils s’engagent à ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution écrite à la France.
Lors de la séance royale du 23 juin 1789, Louis XVI, jusqu'alors silencieux[38], définit un programme de travail, proposant aux députés de réfléchir aux réformes concrètes dont il esquisse l'économie et ordonne aux députés de siéger en chambres séparées. Alors que les députés de la noblesse et du haut clergé obéissent, les députés du tiers état et ceux du bas clergé restent immobiles. Bailly, élu président en tant que doyen, répond au marquis de Dreux-Brézé leur sommant de se retirer que la « Nation assemblée n'a d'ordre à recevoir de personne » et Mirabeau l'apostrophe en affirmant que seule la force pourrait les faire quitter les lieux[39]. Face à cette résistance, le roi invite le 27 juin les trois ordres à débattre ensemble[40].
L’Assemblée reprend alors immédiatement sa marche en avant. Le 9 juillet, elle se proclame Assemblée nationale constituante. Durant ces journées, elle réalise une autre révolution décisive : beaucoup de députés, effrayés par la tournure des événements, démissionnent ; l’Assemblée déclare qu’elle tient son mandat non pas des électeurs individuellement pour chaque député, mais collectivement de la Nation tout entière. C'est la mise en application du principe de la souveraineté nationale défendu par Diderot[41]. Cette assemblée peut s’appuyer sur les espoirs de la majorité de la Nation, sur les réseaux de « patriotes ». En face, il n’y a que des ministres divisés, un gouvernement sans ressource financière et un roi velléitaire qui recule. Des rumeurs d'arrestation des députés du Tiers circulent alors à Versailles, à Paris et en province[42].
Été 1789
La crise de juillet
Louis XVI déclare sans valeur la nouvelle Assemblée mais la laisse siéger sans intervenir ouvertement. Le 25 mai, des Gardes françaises défilent à Paris en faveur des députés révoltés et les électeurs parisiens se réunissent en assemblée. Mais, dès le 26, des ordres de marche sont délivrés à six régiments et une troupe d'environ 20 000 hommes[43] — une « véritable petite armée » — est appelée aux abords de la capitale afin de maintenir l'ordre à Paris et à Versailles[44].
Or l'ensemble de la population parisienne est agitée : la bourgeoisie a peur pour la survie de l’Assemblée ; le peuple, lui, craint que les troupes ne coupent les routes du ravitaillement des Parisiens alors que le prix du pain est au plus haut. Début juillet, des émeutes éclatent aux barrières d’octroi. Le roi renvoie ses ministres jugés trop libéraux, parmi lesquels Necker, contrôleur des Finances, remercié le 11 juillet et invité à sortir du Royaume[45]. La nouvelle est connue à Paris le 12. Les Parisiens s'arment et manifestent. Dans l’après-midi, dans les jardins du Palais-Royal, le journaliste Camille Desmoulins exhorte la foule à se mettre en état de défense. Il considère le renvoi de Necker comme une attaque contre le peuple. Dans les jardins des Tuileries et aux Invalides, les Parisiens se heurtent au régiment dit du Royal-Allemand du prince de Lambesc dont les soldats sont accusés d'avoir tué des manifestants[46].
Le 13 juillet, les barrières d’octroi sont incendiées, les réserves de grains des couvents pillées[47]. À l'initiative du Comité permanent des électeurs de l'Hôtel de Ville, une milice bourgeoise, appuyée par Mirabeau à l'Assemblée, se forme pour la défense de la capitale[48].
Journée révolutionnaire du 14 juillet
La prise de la Bastille s'explique d'abord par la volonté de trouver la poudre nécessaire aux milices bourgeoises des districts mais elle est immédiatement élevée au rang d'acte fondateur de la révolution populaire[49]. Le 14 juillet, les émeutiers du faubourg Saint-Antoine se rendent autant maîtres d'une forteresse royale que d'un symbole du despotisme. C'est aussi la première manifestation des foules révolutionnaires organisées[50]. Le matin, les émeutiers pillent l'arsenal de l’hôtel des Invalides où ils trouvent des armes et des canons. Ils arrivent ensuite aux portes de la prison royale de la Bastille et y retrouvent d'autres émeutiers massés devant la forteresse du faubourg Saint-Antoine depuis le matin[51],[52],[53].
Face à la foule marchant sur la Bastille, son gouverneur, le marquis de Launay, accède à la demande de médiateurs venus de l'Hôtel de Ville et accepte par écrit la reddition de la forteresse sous la promesse qu'il ne sera fait aucun mal à la garnison. Il laisse la foule pénétrer dans la première cour. Il se ravise et fait tirer à la mitraille : il y a des morts. Des Gardes françaises mutinées amènent alors des canons pris aux Invalides : le gouverneur cède et abaisse les ponts-levis. Il est cinq heures de l'après-midi. Les Vainqueurs de la Bastille se dirigent ensuite vers l'Hôtel de Ville avec leurs prisonniers. Sur le chemin, Launay est massacré. Sa tête est découpée au canif[54]. Arrivés à l’Hôtel de Ville, les émeutiers accusent le prévôt des marchands Flesselles de trahison. Il est lui aussi lynché et sa tête promenée au bout d’une pique avec celle de Launay. Toute la journée, des barrières et des bâtiments fiscaux parisiens sont attaqués et incendiés.
La révolution municipale
Louis XVI cherche l'apaisement et vient en personne le lendemain annoncer à l’Assemblée le retrait des troupes et l'appelle à rétablir l'ordre. Le lendemain, il rappelle Necker ainsi que tous les ministres renvoyés. À l’hôtel de ville de Paris, tous les membres de l’ancienne administration ayant pris la fuite, Jean Sylvain Bailly, président de l'Assemblée nationale, est nommé par acclamation « Maire de Paris ». La Fayette est nommé Commandant général de la Garde nationale. Louis XVI reconnaît la nouvelle organisation municipale qui se met en place, en se rendant à Paris le 17 juillet. À cette occasion, Bailly lui remet la cocarde bleue et rouge aux couleurs de la ville de Paris que Louis XVI fixe sur son chapeau, associant ainsi ces couleurs au blanc de la monarchie. Ce geste paraît sceller la réconciliation de Paris et de son roi. Dans les faits cependant, le roi accepte mal que son autorité soit tenue en échec par une émeute parisienne, de la même façon que les députés acceptent difficilement que leur pouvoir dépende de la violence populaire.
Pendant ce temps, la renommée des « Vainqueurs de la Bastille » gagne la France entière. La force l'a emporté, venant au secours des réformateurs. Très vite, une interprétation symbolique de la prise de la Bastille est élaborée. La Bastille y représente l'arbitraire royal. Les bruits les plus fous se répandent, qui décrivent des cachots souterrains emplis de squelettes et inventent le personnage fabuleux du comte de Lorges, victime exemplaire de cet arbitraire. Le « patriote » Palloy fait fortune en entreprenant la démolition de la Bastille et en commercialisant de nombreux souvenirs commémoratifs.
La prise de la Bastille s'inscrit dans une vague d'agitation sociale qui touche toutes les provinces. Dès le début du mois de juillet, la crise frumentaire et les émeutes qu'elle provoque, poussent des citoyens à se mobiliser pour contester un pouvoir municipal jugé défaillant[55]. Dans de nombreuses villes, les patriotes se constituent en comités permanents et prennent le contrôle du pouvoir municipal. La réception des évènements parisiens comme le renvoi de Necker, contribuent à renforcer cette mobilisation qui entraîne dans plusieurs villes une véritable révolution municipale. La prise de la Bastille, accueillie avec enthousiasme, porte ce mouvement à son paroxysme. À Rennes et Strasbourg, des groupes assaillent les arsenaux où les armes leur sont données sans résistance ; d'autres groupes prennent les citadelles de Bordeaux, Nantes ou Marseille où les garnisons se rendent. En marge de ces mouvements, se constitue la Garde nationale. Antoine Barnave recommande pour Grenoble qu'elle soit réservée à la « bonne bourgeoisie ». En effet leur rôle est souvent de contrôler les comités permanents et les mouvements populaires[56].
Grande peur dans les campagnes françaises et nuit du 4 août 1789
Ces événements déclenchent la première émigration : le jeune frère de Louis XVI, le comte d’Artois, les grands du Royaume comme le prince de Condé, le duc de Polignac et le duc d’Enghien. Leur destination est l’Angleterre, les Pays-Bas ou l’Allemagne. Tous pensent revenir dans les trois mois.
Un peu partout dans les campagnes, à partir du 20 juillet 1789 jusqu'au 6 août 1789, la « Grande Peur » se répand : rumeurs de complots aristocratiques en représailles des évènements de Paris, ou peur plus vague de « brigands » menaçant les récoltes, amènent les paysans à s'armer et finalement à attaquer de nombreux châteaux, où les archives relatives aux droits seigneuriaux ou aux impôts sont brûlées. Ces insurrections marquent l'effondrement de l'autorité monarchique, incapable de s'interposer, et déclenchent une vague d'émigration de la noblesse[57].
Face à ces troubles, l'Assemblée réagit en abolissant les privilèges, les droits féodaux, la vénalité des offices et les inégalités fiscales dans la nuit du 4 août 1789. C’est la fin de la société d'Ancien Régime.
Les impôts afférant aux privilèges cesseront immédiatement d'être versés, même si l'abolition des droits réels portant sur la rente de la terre (cens, champart) est d'abord assortie d'une clause de rachat, que l'Assemblée constituante fixera même le 15 juin 1791 à un prix si élevé qu'il aurait empêché quasiment tout rachat réel. Les droits sont définitivement abolis sans contrepartie le 17 juillet 1793. L'abolition de la dîme est également assortie initialement d'une clause de rachat, finalement annulée en avril 1790.
Les droits personnels (corvées, servage…) et le monopole de la chasse noble sont simplement supprimés. La loi du 11 août 1789 accorde à tout propriétaire le droit de détruire et faire détruire toute espèce de gibier sur ses possessions, mettant fin au caractère régalien du droit de chasse[58].
Le 26 août 1789, l’Assemblée constituante publie la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. S’inspirant des principes des Lumières, elle est une condamnation sans appel de la monarchie absolue et de la société d'ordres et proclame en principe la démocratie juridique et sociale. Elle est aussi le reflet des aspirations de la bourgeoisie de l'époque : la garantie de libertés individuelles, la sacralisation de la propriété privée, l'accès de tous aux emplois publics.
La marche des femmes sur Versailles des 5 et 6 octobre 1789
Dès septembre 1789, l'Assemblée vote les premiers articles de la future constitution limitant le pouvoir royal. Les difficultés d’approvisionnement de Paris en grains et une rumeur relative au piétinement de la cocarde tricolore par le régiment de Flandre fidèle au Roi, provoquent les journées des 5 et 6 octobre 1789, où une foule majoritairement composée de femmes se rend à Versailles voir le roi[Note 4]. Ce dernier va dans un premier temps satisfaire leurs revendications.
Dans la même journée, le président de la constituante Mounier va à nouveau demander que Louis XVI promulgue la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les lois du 4 et du 26 août abolissant la société d'ordres. Dans la soirée, à la demande de la commune de Paris, La Fayette arrive également à Versailles. Le lendemain à l'aube, une partie de la foule menace la famille royale et deux gardes du corps sont tués. Selon les conclusions de l'enquête rendues par le Châtelet, sur cet événement, pivot de la Révolution : « le salut du roi, de la reine, de la famille royale, fut uniquement dû à la Garde nationale et à son général »[Note 5], La Fayette. Le roi doit consentir à quitter Versailles (qu'il ne reverra jamais) et est escorté par la foule à Paris.
Désormais, le roi et l’Assemblée nationale siègent à Paris, surveillés par la Garde nationale et menacés par l’émeute.
Le pouvoir royal s'en trouve extrêmement affaibli. La France reste une monarchie mais le pouvoir législatif est passé entre les mains de l’Assemblée constituante. Des commissions spécialisées issues de l’Assemblée ont la haute main sur l’ensemble de l’administration qui se soucie de moins en moins du pouvoir du roi. Les ministres ne sont plus que des exécutants techniques surveillés par l’Assemblée. Néanmoins, le roi garde le pouvoir exécutif. Les lois et décrets votés par l'Assemblée ne sont valables que si le roi les promulgue. Par ailleurs, les intendants et autres agents de l'administration de l’Ancien Régime restent à leur poste jusqu’à la formation d’une nouvelle administration. Jusqu'à l'été 1790, les intendants qui n’ont pas démissionné continuent d'exercer leurs fonctions, bien que leur étendue ait été considérablement réduite.
Régénération de la France
Réorganisation administrative
L'Assemblée constituante, en majorité constituée de bourgeois, entreprend une vaste œuvre de réforme en appliquant les idées des philosophes et économistes du XVIIIe siècle. Les années de la Révolution française sont caractérisées par un bouillonnement des idées et des débats dans la France entière. La presse ne sera pleinement libre qu'entre 1789 et 1792.
Les premiers travaux de l'Assemblée sont consacrés à la réforme administrative. Les circonscriptions administratives de l'Ancien Régime étaient très complexes. Les généralités, les gouvernements, les parlements et les diocèses se superposaient sans avoir les mêmes limites. Les députés s'attachent tout d'abord à la réforme municipale, rendue pressante par le désordre suscité dans l'administration par les troubles de l’été. La loi du 14 décembre met en place la municipalité. À partir de janvier 1790, chaque commune de France organise l'élection de ses élus. Ce sont les premières élections de la Révolution.
Par la loi du 22 décembre 1789, l’Assemblée crée les départements, circonscriptions à la fois administratives, judiciaires et fiscales. Au nombre de 83, ces départements portent des noms liés à leur géographie physique — cours d'eau, montagnes, mers — et ils sont divisés en districts, cantons et communes. Au printemps 1790, une commission est chargée par l'Assemblée du découpage de la France et de répondre aux litiges occasionnés entre les villes candidates au titre de chef-lieu. Les nouvelles administrations élues par les citoyens actifs, c'est-à-dire environ le septième de la population de l'époque, se mettent en fonction à partir de l'été 1790 jusqu'en 1791.
Question religieuse
Le 11 août 1789, la dîme est supprimée[Note 6], privant ainsi le clergé d'une partie de ses ressources. Le 2 novembre de la même année, sur proposition de Talleyrand, évêque d'Autun, les biens du clergé sont « mis à la disposition » de la Nation pour l'extinction de la dette publique. Ils deviennent des biens nationaux qui seront vendus par lots pour combler le déficit de l'État. La même année, les assignats, qui deviendront une forme de papier-monnaie, sont introduits. Vu l’urgence de la situation financière, l'Assemblée constituante fait des biens nationaux la garantie d’un papier que ses détenteurs pourront échanger contre de la terre. Utilisés d’abord comme bons du Trésor, ils reçoivent un cours forcé en avril 1790 pour devenir une véritable monnaie. On émet ainsi pour 400 millions d’assignats en titres de 1 000 livres : c’est le début d'une forte période d'inflation.
Un Comité ecclésiastique est constitué. Le 13 février 1790, les vœux de religion sont abolis et les ordres religieux supprimés sauf, à titre provisoire, les maisons hospitalières et enseignantes. Les municipalités procèdent aux inventaires dans les mois suivants et réclament souvent les bibliothèques qui vont servir à constituer les premiers fonds des bibliothèques municipales. La vente des biens nationaux débute en octobre, en grande partie au bénéfice de la bourgeoisie, qui dispose de fonds importants permettant d'acheter vite[59].
La Constitution civile du clergé, adoptée le 12 juillet 1790 et ratifiée par le roi le 24 août 1790[60], transforme les membres du clergé en fonctionnaires salariés par l’État. Les membres du clergé séculier sont désormais élus et doivent prêter un serment dans lequel ils s'engagent à accepter et protéger la nouvelle organisation du clergé[Note 7]. Suivant une tradition gallicane et janséniste bien ancrée dans une partie de la bourgeoisie parlementaire, en accord avec une partie de l'héritage des Lumières favorable à la laïcisation de la société, les députés n'ont pas demandé au pape son avis sur les réformes du clergé catholique. Les premiers clercs commencent à prêter serment sans attendre l'avis du souverain pontife.
Par décret du 27 novembre, le serment est rendu obligatoire pour bénéficier des traitements et pensions versés aux membres du clergé constitutionnel. Les ecclésiastiques doivent choisir : peuvent-ils accepter une réforme opérée sans l'aval de la hiérarchie de l'Église ? Tous les évêques, sauf quatre (qui ont été forcés), refusent de le prêter ; ils entrent en résistance passive et, malgré la suppression de 45 diocèses, continuent à agir comme si les nouvelles lois n'existaient pas. Les officiers ecclésiastiques députés à la Constituante doivent prêter serment avant le 4 janvier 1791 ; on dénombre 99 jureurs sur les 250 députés concernés. Mais, en mars 1791, le pape Pie VI condamne les réformes visant l’Église de France, ce qui amène un certain nombre de jureurs à se rétracter. Malgré la difficulté à dresser des chiffres globaux, on peut estimer à 52 %[61] la proportion d’ecclésiastiques non jureurs ou réfractaires.
La Constitution civile du clergé a divisé la population en deux camps antagonistes. Pour Michelet, Mignet ou Aulard, elle fut la grande faute de la Révolution française. Le drame de 1792-1793 est en germe. Dès 1790, des troubles entre protestants et catholiques avaient éclaté à Nîmes[62]. La question du serment dégénère en affrontement violent dans l'Ouest où les villes soutiennent les prêtres jureurs et les campagnes les réfractaires.